Intervention de Marie-Luce Penchard

Réunion du 28 juin 2011 à 14h30
Tourisme et environnement outre-mer — Suite d'un débat organisé à la demande de la commission de l'économie

Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la richesse de nos échanges d’aujourd’hui traduit la pertinence du sujet traité par M. Michel Magras, qui a choisi l’angle environnemental pour revisiter la question centrale du tourisme dans le développement économique des Antilles. Elle traduit aussi et surtout la nécessité d’agir pour en faire un secteur d’excellence pour le développement économique et social.

En préambule, je tiens donc à remercier la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire du Sénat d’avoir retenu ce sujet, ainsi que, bien sûr, M. Michel Magras de la qualité de son travail et du caractère très opérationnel de ses propositions.

Je ne reviendrai pas sur le constat de M. Magras ; il est très largement partagé. Je préfère centrer mon propos sur certaines recommandations qui ont été débattues aujourd’hui et qui concernent plus particulièrement l’État.

Je tiens tout d’abord à marquer mon complet accord avec la première recommandation, qui consiste à faire du tourisme un secteur prioritaire de développement pour les Antilles.

Comme vous l’avez souligné à juste titre, monsieur Magras, pendant longtemps le tourisme a été plus « subi » que « voulu ». Comme vous, je suis convaincue que les élus et la population doivent maintenant s’approprier ce secteur.

Il est vrai que la Martinique a franchi le pas. La décision du Président de la République de faire de cette thématique un point fort de son dernier déplacement aux Antilles a joué un rôle décisif à cet égard, me semble-t-il.

Je me suis moi-même rendue aux Antilles à la fin du mois de mai, avec mon collègue Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État chargé – entre autres – du tourisme, pour faire un point d’avancement six mois après la visite du chef de l’État. Je l’ai constaté à tous les niveaux, que ce soit la région, bien sûr, mais aussi les chambres consulaires et les différents services de l’État : les acteurs se mobilisent pour avancer concrètement, ensemble, dans ce domaine.

Je me suis également rendue en Guadeloupe. Vous avez raison, monsieur Magras, on perçoit une évolution positive dans ce département : les acteurs souhaitent prendre des décisions fortes dans ce domaine et les faire partager à la population.

Plus qu’une évolution, il s’agit d’une véritable révolution culturelle : repenser le développement économique et social des Antilles à partir du tourisme et pour le tourisme. Cela ne signifie pas, bien sûr, que les autres secteurs n’ont pas leur place, tout au contraire. Les initiatives prises par la région Martinique pour favoriser la consommation de « produits pays » dans les hôtels sont là pour le prouver : le tourisme peut et doit servir de moteur pour d’autres secteurs de développement endogène.

Ces efforts traduisent la prise de conscience que le tourisme ne peut réussir dans un contexte très concurrentiel qu’à la condition d’être porté à un haut niveau d’exigence et de professionnalisme, nécessitant une mobilisation de tous les acteurs sur le terrain.

S’agissant d’une compétence largement décentralisée, il faut tout de même souligner que l’État accompagne autant que possible les collectivités dans ce domaine, en outre-mer bien plus qu’en métropole d’ailleurs. Toutes les mesures consacrées au tourisme dans la loi pour le développement économique des outre-mer, dite « LODEOM », et du Conseil interministériel de l’outre-mer, le CIOM, ont à présent été adoptées.

Je rappelle notamment que le tourisme fait partie des secteurs prioritaires des zones franches d’activités créées par la LODEOM, ce qui signifie des exonérations renforcées de charges sociales et d’impôts, dont ont bénéficié bon nombre d’hôteliers, monsieur Serge Larcher. Cette mesure a permis d’empêcher la fermeture de certains établissements pendant la crise.

Monsieur Magras, en réponse à votre recommandation d’installer une conférence locale sur le tourisme, je puis vous indiquer que j’ai déjà lancé un dispositif similaire avec la création de « comités d’orientation stratégique du tourisme », les COST. Ceux-ci réunissent les principaux responsables locaux qui ont à connaître du tourisme – préfets, présidents de région et de département, élus consulaires, entre autres – pour s’assurer que chacun se mobilise bien dans son domaine de compétences. En fait, il s’agit de partager un plan d’action opérationnel et de le suivre collectivement.

Un tel comité a déjà été installé à la Réunion, à la Martinique et en Polynésie française. Pour engager ses travaux, il a pu s’appuyer sur les études stratégiques réalisées à la demande de mon ministère par Atout France.

Pour vous répondre, monsieur Serge Larcher, je vous indiquerai que l’on assiste depuis quelque temps à une reprise de l’activité touristique. Le dernier rapport de l’Institut d’émission des départements d’outre-mer, l’IEDOM, le montre bien, en particulier pour les Antilles et la Réunion.

Monsieur Magras, votre deuxième recommandation concerne la maîtrise et l’enseignement des langues étrangères. À cet égard, vous avez tout à fait raison, nous pouvons déjà nous féliciter des expérimentations de l’apprentissage de l’anglais dès le plus jeune âge qui sont menées dans le cadre périscolaire par certaines municipalités en Guadeloupe.

Dans les lycées, on peut souligner la mise en place de filières d’excellence en langues, telles que la filière CAMBRIDGE, et l’existence des sections euro-caribéennes, qui fonctionnent sur le modèle des sections européennes.

À ce stade, il est sans doute difficile d’aller beaucoup plus loin, compte tenu à la fois de l’encadrement fixé par les programmes nationaux, que le Gouvernement s’efforce justement d’alléger, et de la priorité donnée à l’acquisition des fondamentaux et à la lutte contre l’illettrisme.

Votre troisième recommandation concerne la desserte des Antilles depuis l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Comme vous l’avez souligné, cette mesure correspondait à une demande forte pour diversifier la clientèle et toucher un public plus européen. Toutefois, comme l’a fait remarquer M. Jean-Paul Virapoullé, elle ne peut en aucun cas régler l’ensemble des difficultés du tourisme antillais. Je serais même tentée de dire que c’est le contraire : cette nouvelle desserte servira de révélateur de nos faiblesses, car nous serons confrontés à un nouveau public plus exigeant quant à la qualité de l’offre et du service.

C’est pourquoi, avec mes collègues du Gouvernement Frédéric Lefebvre et Thierry Mariani, j’ai confié au directeur général d’Atout France, M. Christian Mantei, la mission de négocier un « contrat de destination » recensant les engagements de l’ensemble des parties prenantes dans la réussite de ce projet.

Je me suis rendue aux Antilles le 25 mai dernier pour signer ce contrat de destination avec les régions, les conseils régionaux, les comités du tourisme, les chambres consulaires, Air France et les professionnels.

En complément, mon ministère s’est engagé financièrement avec les comités du tourisme des Antilles pour réaliser, lors du lancement de cette ligne, une grande campagne de communication et de promotion sur les marchés italien, belge, suisse et allemand.

Je puis vous annoncer que, à l’occasion de l’année des outre-mer, nous travaillons actuellement à un projet d’expositions de photographies à Roissy-Charles-de-Gaulle pour le lancement de la ligne vers les Antilles.

Je tiens vraiment à souligner la qualité du travail réalisé, son caractère fortement partenarial et innovant, et cela dans un délai très court. Reste à présent à tenir nos engagements respectifs pour faire de ce nouvel essai voulu par le Président de la République une clef de la relance du tourisme aux Antilles.

Bien sûr, on peut toujours critiquer ces projets et considérer, notamment, qu’une desserte hebdomadaire est insuffisante. Je crois pourtant qu’il faut commencer à cette échelle pour prouver que cette mesure fonctionne et prendre le temps de remettre à niveau la destination.

Je suis particulièrement confiante dans la réussite de ce projet. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère que vous êtes à présent convaincus de la mobilisation de l’État pour en faire un succès, même si ce dernier dépendra aussi de nombreux autres acteurs, à commencer par les professionnels locaux.

Monsieur Magras, vous proposez également de passer à ce que vous avez appelé une « défiscalisation de projet ». Je m’arrêterai sur cette proposition.

Sachez que ce problème fait pleinement partie de mes préoccupations. Le ministère dont j’ai la charge s’attache à donner la priorité aux projets dont la rentabilité économique est avérée et qui s’appuient sur des professionnels et des enseignes reconnues, afin de favoriser leur commercialisation et, comme l’a souligné M. Jean-Paul Virapoullé, d’éviter les erreurs du passé.

Concernant la durée d’utilisation du bien, je veux vous préciser que la loi pour le développement économique des outre-mer l’a déjà portée à sept ans, contre cinq antérieurement. Vous recommandez de la faire passer à dix ans. Toutefois, cela risquerait de remettre en cause l’attractivité du dispositif ; je soumets ce point à votre réflexion.

Enfin, monsieur Magras, je ne suis pas favorable à la proposition visant à exclure de la défiscalisation la construction d’hôtels. En effet, il ne faut pas oublier que certains territoires ont encore très peu de structures hôtelières. C’est notamment le cas à Mayotte, comme l’a souligné M. Soibahadine Ibrahim Ramadani, en Guyane, voire en Nouvelle-Calédonie. D’autres doivent procéder à des démolitions-reconstructions qui ne pourraient plus être réalisées sans l’appui de la défiscalisation. Par conséquent, soyons prudents en ce qui concerne cette proposition.

En outre, la rénovation hôtelière bénéficie d’un appui supplémentaire au travers de l’aide budgétaire ad hoc qui a été créée par la loi pour le développement économique des outre-mer et dont le dispositif a été modifié, avec l’accord du Parlement, pour la dissocier de la défiscalisation et, ainsi, la rendre plus simple à utiliser et plus opérationnelle.

Monsieur Magras, vous avez aussi adressé un certain nombre de recommandations concernant plus particulièrement les collectivités locales.

En ce qui concerne la formation, qui constitue une compétence partagée, je souhaite vous informer – cela me permet de répondre également à M. Claude Lise – que l’État se mobilise, puisqu’un contrat d’études prospectives, ou CEP, a été lancé en Martinique. Il permettra, j’en suis sûre, de mieux définir les besoins en formation au regard de l’offre existante, afin, le cas échéant, de procéder aux ajustements qui s’imposent, en étroite collaboration avec la région.

Concernant les croisières, l’État est engagé auprès des collectivités territoriales dans le projet de « Grand Saint-Pierre », qui doit permettre un accueil performant dans le nord de la Martinique.

Monsieur Marsin, l’État vient d’engager la procédure pour le débat public concernant la modernisation du port de Pointe-à-Pitre. Voilà qui permettra de répondre à votre préoccupation. Par ailleurs, la ville de Basse-Terre a vocation à recevoir des bateaux de croisière ; c’est l’une des mesures du Conseil interministériel de l’outre-mer.

Enfin, nous avons pris des mesures d’assouplissement concernant les délivrances de visas pour les passagers et les équipages de navires. Elles complètent les mesures générales sur les visas qui ont été décidées lors du Conseil interministériel de l’outre-mer.

Madame Hoarau, je voudrais vous rassurer au sujet des visas à la Réunion : les procédures ont bien été assouplies. Les promesses qui avaient été faites par le Président de la République ont été tenues, notamment pour les ressortissants. Voilà encore quelques jours, j’ai vérifié que des ressortissants d’Afrique du Sud avaient pu bénéficier de visas délivrés sur place.

Enfin, je veux évoquer la question du tourisme vert et l’importance de l’environnement comme facteur de différenciation de la destination Antilles françaises.

La Martinique et la Guadeloupe bénéficient d’atouts extraordinaires qu’il convient bien évidemment de valoriser pour que les touristes vivent une expérience unique et puissent aller à la rencontre d’une culture et d’un milieu naturels. Ces atouts peuvent ouvrir la voie à un tourisme de différenciation, à l’opposé de l’offre de masse des destinations concurrentes des Caraïbes. Voilà une orientation qu’il faut prendre.

Dans cette perspective, il convient de s’appuyer sur les chambres d’hôtes et les gites, qui permettent, au travers d’un tourisme personnalisé, d’aller, de l’intérieur, à la découverte du territoire. Il appartient à présent aux conseils régionaux et aux comités du tourisme d’accompagner ces structures vers un plus grand professionnalisme et une commercialisation plus performante.

Monsieur Magras, vous avez recommandé que la promotion des destinations soit orientée vers la richesse environnementale. Je puis vous annoncer que, pour ce faire, nous disposerons très bientôt d’un outil de premier plan, qui avait d’ailleurs été annoncé lors du Conseil interministériel de l’outre-mer. En effet, dans le cadre de la Stratégie nationale pour la biodiversité, mon ministère a coordonné la création d’un « passeport biodiversité ».

L’objectif est de sensibiliser les touristes à l’importance de la biodiversité en outre-mer et à la nécessité de la protéger. Cette initiative s’inscrit dans une démarche du Programme des Nations unies pour l’environnement, le PNUE. Ce document sera diffusé à environ 10 000 exemplaires à partir de novembre 2011, au moment de l’ouverture de la desserte des Antilles par l’aéroport de Roissy.

Toutefois, pour s’appuyer de manière crédible sur l’argument du tourisme vert, encore faut-il parvenir à un meilleur traitement des déchets. S’agissant de la gestion des véhicules hors d’usage, je souhaite souligner l’action menée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, pour éliminer ces derniers, notamment en Guadeloupe.

Un travail de fond est en cours, sous l’égide de la préfecture et de l’ADEME, pour sensibiliser les maires à leurs pouvoirs de police et inciter le conseil régional à organiser la filière d’élimination de ces déchets dangereux.

En conclusion, madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le rapport de M. Magras, ainsi que nos débats, ont permis, me semble-t-il, de dégager un large consensus sur l’importance du tourisme pour le développement économique et social des Antilles et les moyens d’atteindre nos objectifs en la matière.

Il faut souligner l’existence d’une volonté politique locale nouvelle, que je n’avais pas rencontrée voilà seulement deux ans, lors de mon premier déplacement aux Antilles sur ce sujet. J’ai aujourd’hui le sentiment que les choses changent, ce qui est positif.

Toutefois, il nous faut encore parvenir, collectivement, à traduire cette volonté en actions. Comme j’ai pu l’indiquer, le Gouvernement a été à l’initiative de très nombreuses mesures, de nature conjoncturelle ou structurelle, pour relancer ce secteur, afin qu’il occupe une place de tout premier plan.

Je crois que nous avons maintenant une occasion unique de relancer cette destination. Ce rapport permet en particulier d’apporter une contribution utile, en mettant en exergue tout le parti qu’on peut tirer du tourisme vert.

Sachez, monsieur Magras, que je partage votre conviction, selon laquelle le tourisme doit devenir une priorité, car je suis convaincue que la situation actuelle n’est pas une fatalité : les atouts sont là, les outils sont disponibles et la mobilisation commence à être au rendez-vous. Il faut maintenant de la constance dans la mise en œuvre des actions décidées et un travail partenarial permanent entre l’État, les collectivités et les professionnels.

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