Intervention de Alain Richard

Réunion du 2 juin 2016 à 10h30
Autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes — Discussion en deuxième lecture d'une proposition de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission modifiés

Photo de Alain RichardAlain Richard :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous poursuivons donc, sur ce sujet d’une certaine complexité, une évolution législative constructive, dont je redirai ultérieurement quelques mots.

Au fond, nous sommes en train de concrétiser une intention progressivement partagée, dirai-je, de clarification, de mise en cohérence, et donc de stabilisation des autorités administratives indépendantes, qui sont une composante de notre État.

Cela nous conduit à aborder différents sujets de réflexion institutionnels, sur lesquels un dialogue approfondi et un travail législatif pluraliste se déploient. Il convient à mon sens de saluer le fait que, à l’issue de ce travail, nous aurons abouti à une certaine reconnaissance par le législateur du rôle régulateur de ces instances, par nature collégiales et chargées, au sein de l’État – j’insiste sur ce point –, de prendre des décisions débattues publiquement et cohérentes dans la durée pour exercer des missions de protection des droits de la personne dans des domaines spécialisés ou pour assurer l’équilibre sectoriel de branches d’activité où se confrontent des impératifs de concurrence et de liberté d’entreprise, d’une part, et de services d’intérêt général, d’autre part.

Si des termes assez critiques ont pu être employés à propos des motifs de création et de développement de ces autorités, il faut aussi se rappeler la vision que beaucoup de nos concitoyens ont d’un État juge et partie, vision qui se développe tout particulièrement dans les moments critiques ou lors de mouvements de protestation ou de réclamation momentanés.

Au cours du travail qu’il m’a été demandé de piloter sur la question de la concertation en matière de projets de développement ou d’aménagement, cette question nous est revenue à la face : l’État peut-il vraiment donner place au pluralisme et à des conceptions diversifiées, alors qu’il est lui-même porteur de certains intérêts, fussent-ils généraux, et de pouvoirs de décision ?

Ce qui, selon moi, confère à ces autorités leur légitimité, c’est précisément le fait qu’elles relèvent d’une formule, sans doute encore amenée à se perfectionner et à se stabiliser, permettant de surmonter cette situation d’un État juge et partie. Les autorités et leurs membres font partie de l’État et, comme certains collègues l’ont fort judicieusement souligné, exercent des missions administratives, englobant un pouvoir de décision encadré par la loi. Ces institutions relèvent donc clairement de la branche exécutive de l’État, d’où une relation complexe, qui suppose un apprentissage mutuel, avec l’exécutif « de plein exercice ». Ainsi, quand une commission de régulation de l’énergie dispose de pouvoirs importants d’arbitrage, l’État, lorsqu’il redéfinit et développe sa politique énergétique, doit forcément en tenir compte. On pourrait multiplier les exemples sectoriels.

Les textes sur lesquels nous travaillons ont pour objet la fixation de principes généraux encadrant la structuration institutionnelle, le fonctionnement et donc les garanties d’ouverture au public de ces autorités administratives indépendantes, ce qui suppose aussi l’établissement d’un cadre déontologique.

Voilà quelques jours, certains d’entre nous étaient réunis avec des magistrats de la Cour de cassation pour réfléchir, là aussi de façon pluraliste, sur le sens de la notion d’indépendance d’une institution.

Dans le cas des autorités dont nous parlons, comment approcher d’une définition de cette indépendance ? La connaissance d’une matière complexe, une conception acquise de la régulation, reposant sur l’expérience, la capacité d’interpréter l’intérêt général, la volonté d’agir sous le regard du public, ce qui suppose aussi un certain sens du devoir, notion qu’il est utile de rappeler de temps en temps.

Beaucoup d’interrogations sur la relation de ces autorités avec le Parlement se sont exprimées. Nous avons bien senti, à différents moments du débat, que cette relation était empreinte d’une forme de frustration, comme si le rôle confié aux autorités administratives indépendantes retirait quelque chose à notre mission de contrôle. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles, au cours des travaux de la commission d’enquête, nous n’avons pas su trouver une réponse de principe à la question difficile de la présence ou pas de parlementaires au sein des autorités administratives indépendantes. Nombre de celles-ci ne comptent pas de parlementaires, et nous arrivons néanmoins à concevoir qu'elles présentent malgré tout un équilibre représentatif. Dans d’autres, au contraire, la présence de parlementaires semble indispensable.

Mais c’est surtout sur les missions qui sont les nôtres que je veux attirer votre attention, mes chers collègues. Nous souffrons tout de même d’une petite maladie récurrente : nous nous interrogeons toujours pour savoir si nous avons suffisamment de pouvoirs, notamment en matière de contrôle, mais un peu moins sur la diligence avec laquelle nous exerçons les pouvoirs dont nous disposons déjà. Le texte en débat prévoit que toutes les AAI nous envoient leur rapport d’activité, ce que faisaient déjà la grande majorité d’entre elles, qui font correctement leur travail. Or je ne suis pas certain que nous ayons consacré suffisamment de temps à les analyser et à en tirer les conclusions. Je pense que l’examen de ce texte et la réflexion collective qu’il aura suscitée seront de nature à développer cet aspect du travail parlementaire.

Pourquoi faut-il parler des rapports d’activité ? Parce que la régulation n’est pas une tâche secondaire ou anecdotique. Elle emporte des conséquences.

Ainsi, après plusieurs années d’observation, par exemple depuis la dernière réforme du Conseil supérieur de l’audiovisuel, il doit y avoir un retour d’expérience pour savoir si nous sommes parvenus à un meilleur équilibre entre les impératifs de régulation de ce secteur, évidemment très délicat, et son cadre législatif, posé à une date donnée, quatre ou cinq ans auparavant.

Je pense que cela devrait être, pour nous, l’occasion d’une sorte d’obligation choisie de réviser de manière critique et, le cas échéant, d’actualiser les choix législatifs précédents.

Dernier point : nous allons débattre – cela a déjà commencé – de la liste des autorités. Il est compréhensible et légitime de continuer ce débat, parce que quelques cas sont à la limite. Nous allons donc essayer de nous convaincre, les uns et les autres, pour fixer cette liste « à la bonne taille ».

Toutefois, je voudrais insister sur un aspect que le débat en commission a déjà permis de faire avancer : si l'on ne reconnaît pas la qualité d’autorité administrative indépendante à une institution, cela ne veut évidemment pas dire que l’on ne lui reconnaît pas d’indépendance.

Le projet de loi modifie, en réalité, une quinzaine de codes, dans lesquels sont fixées les missions et les conditions d’intervention des AAI. Par approches successives, nous pourrons donc être amenés à perfectionner – à « fignoler », si vous me permettez cette expression – l’affirmation d’indépendance d’un certain nombre d’institutions, même si elles n’ont pas une fonction d’autorité, au sens de disposer d’un pouvoir de décision.

De nombreux points de vue se sont déjà rapprochés durant le travail approfondi que nous avons mené, et je veux souligner l’approche très ouverte de notre rapporteur, le président Jacques Mézard, qui a montré sa volonté d’intégrer les différents avis qui pouvaient contribuer à éclairer la complexité des missions de service public et de puissance publique des AAI. Il s’agit donc, à mon sens, d’un avancement heureux de notre fonction législative.

Enfin, je voudrais aussi saluer la maturation lente, mais maintenant significative, de la réflexion du Gouvernement, car je suis toujours heureux d’encourager mes amis qui en sont membres, sur ce sujet…

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