Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer le rapport très instructif de M. le président de la délégation du Bureau, Claude Bérit-Débat ; son exhaustivité me permettra de faire preuve de concision, puisque je n’ai pas besoin de revenir sur le détail de tous les textes.
Au vu du bilan que nous avons établi au sein de la commission des lois, il reste à mes yeux de très importantes marges de progrès pour assurer la bonne application des lois.
Certes, nous avons déjà enregistré des progrès. Mais l’objectif annoncé depuis 2012 d’un taux d’application des lois de 100 % six mois après leur promulgation est loin d’être atteint. En 2014-2015, 75 % des mesures réglementaires prévues ont été prises. C’est la vieille histoire du verre aux trois quarts plein ou au quart vide. Il reste tout de même un quart des mesures à prendre, ce qui est beaucoup trop.
Au demeurant, cette proportion doit être fortement nuancée. D’abord, la dimension qualitative des mesures prises est évidemment plus difficile à évaluer. Ensuite, il y a un certain nombre de mesures « secondaires ». Surtout, six mois après la fin de la session, des mesures ne sont toujours pas prises.
Il faut noter que le recours à la procédure accélérée s’est particulièrement intensifié cette année ; il serait d’ailleurs intéressant d’analyser le rapport entre le recours à cette procédure et la vitesse d’application des textes…
L’usage de la procédure accélérée était moins fréquent lors des deux sessions précédentes ; il est nettement reparti à la hausse dans la période récente. Près de 80 % des textes promulgués au cours de la session sont concernés. Cela représente en réalité 91 % des projets de loi et, fait à souligner, également 57 % des propositions de loi.
Certes, on peut comprendre que le recours à cette procédure puisse parfois se justifier par l’urgence qu’il y a à légiférer. Mais force est de constater que son utilisation est désormais devenue quasi systématique. Je souligne le contraste qui existe parfois entre le bref délai laissé au législateur pour légiférer et la célérité moindre du Gouvernement pour appliquer les textes ainsi votés…
Je centrerai mon propos sur plusieurs points importants.
D’abord, la loi du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures couvre un vaste éventail de sujets en matière de droit civil et de procédure pénale. Les dispositions réglementaires requises pour son application sont peu nombreuses. Mais nous pouvons constater que l’administration n’a aucune hâte à appliquer les lois de simplification… Plusieurs dispositions de cette loi avaient été jugées inapplicables par le Sénat ; il se trouve qu’elles n’ont pas été appliquées.
Dès lors, on peut se dire que les difficultés d’application devraient rétroagir sur notre manière de légiférer et qu’il y aurait parfois intérêt à être plus attentif aux mises en garde des rapporteurs du Sénat.
Je pense notamment à la réforme de l’enseignement des auto-écoles. Nous avions souligné qu’il n’y avait pas de pertinence à faire former des candidats au permis de conduire par des maîtres n’ayant pas eux-mêmes achevé leur formation. Nous n’avons pas réussi à trouver la disposition d’application de cette nouvelle règle.
Idem pour la création du tribunal foncier en Polynésie française. Nous nous demandions comment le représentant du Gouvernement de la Polynésie française pourrait intervenir dans chaque affaire de terres. Pour l’instant, il n’intervient dans aucune, puisqu’on n’a pas réussi à prendre le décret d’application.
Je souhaite également évoquer la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement. La comparaison entre le temps parlementaire et le temps exécutif n’est pas à la faveur de ce dernier. Pour l’application de cette loi, la parution des textes réglementaires a été beaucoup plus lente que la cadence à laquelle nous avons dû conduire le débat législatif. Heureusement, pratiquement tous les décrets sont publiés aujourd'hui.
Je terminerai en évoquant les aspects qualitatifs. Parfois, une dynamique d’application des lois se crée en s’écartant des objectifs du législateur, non pas à partir de textes réglementaires, mais du fait d’une doctrine d’application mise en œuvre par les préfets.
C’est notamment le cas pour l’application des dispositions relatives aux intercommunalités de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République. Les arrêtés de périmètre prévoient en zone rurale le regroupement de plus de 50 ou 100 communes, voire plus, alors que la loi n’a prévu aucun instrument juridique pertinent pour permettre le bon fonctionnement de telles intercommunalités. Résultat : le législateur devra de nouveau intervenir pour apporter des solutions indispensables à ces difficultés ; l’enjeu est essentiel pour la démocratie locale.