Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux, à mon tour, mettre en exergue l’utilité et la qualité de ce débat.
Le fait que nous nous réunissions dans cette formation, en salle Clemenceau, ne nuit pas à l’efficacité et à la vitalité de nos échanges. Je constate, en outre, que notre effectif d’aujourd’hui serait considéré comme très flatteur pour un débat dans l’hémicycle. Le degré d’attention du tour de table me paraît même légèrement supérieur à ce qu’il est lorsque nous siégeons sur les fauteuils en velours… §Il y a sans doute quelques conclusions à en tirer. Mais je vous prie de m’excuser pour ce propos impromptu !
Je mentionnerai quelques cas de mise en application de lois relatives à un domaine sur lequel nous sommes quelques-uns à nous être impliqués : la sécurité et la prévention de la criminalité. Tous ces textes, qui avaient été examinés selon la procédure accélérée – cela pouvait s’entendre, dans le contexte que nous connaissions –, ont été mis en application assez rapidement, dans l’ensemble.
Ainsi, la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, présentée au Parlement en juillet 2014, a été définitivement adoptée le 4 novembre de la même année, soit quatre mois plus tard. Il est vrai que toutes les dispositions relevant du code pénal et du code de procédure pénale étaient d’application immédiate ; cela simplifie les choses. Mais étaient également prévues de substantielles modifications réglementaires du code de la sécurité intérieure, du code monétaire et financier pour ce qui concerne le financement du terrorisme, et du code des transports pour introduire de nouvelles mesures de contrôle : elles ont toutes été mises en œuvre, selon mes informations, dans un délai de huit à dix mois. C’est un résultat, sinon idéal, du moins satisfaisant.
De même, la loi relative au renseignement, qui a certes été examinée par les deux chambres selon la procédure accélérée, était en réalité en maturation bien avant et la concertation avec les parlementaires durait depuis des mois. Promulguée le 24 juillet 2015, elle est entrée en application un peu plus de deux mois plus tard, dans la mesure où il fallait que soit nommé, après avis des deux commissions des lois, le président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR.
Nombre des dispositions de cette loi étaient, là encore, d’application immédiate. Pour ce qui concerne les autres dispositions, les décrets ont été publiés entre septembre 2015 et janvier 2016. Nous avons donc eu le sentiment que l’urgence était réelle, et réellement prise en compte par tous, face aux situations que nous connaissions.
Autre point dont la commission des lois a débattu : la réforme du droit d’asile, promulguée le 29 juillet 2015. Ce texte présente la particularité, du point de vue de l’application des lois, de nous mettre en conformité avec trois directives du « paquet asile », cette fois sans retard de transposition, les délais prévus dans notre engagement communautaire ayant été respectés. Au vu du sujet, c’était souhaitable ! Les différents partenaires législatifs ont donc joué le jeu. Les mesures d’application ont été prises, pour l’essentiel, dans les trois mois.
Nous devons nous rappeler pourquoi nous voulions tous que soit adoptée cette réforme du droit d’asile : la longueur excessive des délais d’examen des demandes du statut de réfugié avait pour effet indésirable le maintien indu sur le territoire de 70 % des demandeurs d’asile, c’est-à-dire de personnes ayant détourné, volontairement ou non, le droit d’asile.
Où en sommes-nous du rattrapage de ces délais ? L’objectif fixé par le ministre de l’intérieur de l’époque, qui est désormais Premier ministre, était la réduction en deçà de six mois de la durée d’examen des demandes d’asile. Cette diminution des délais est amorcée, mais elle est encore insuffisante.
Il faut évoquer, compte tenu du contexte auquel nous sommes confrontés, les lois successives sur l’état d’urgence, lesquelles ne prévoyaient aucune mesure d’application. Mais tous ceux qui ont participé à la commission de suivi de l’état d’urgence, sous la direction de son rapporteur, Michel Mercier, conviennent que le Gouvernement a fourni au Parlement des informations de terrain détaillées. Je ne vais d’ailleurs pas tarder à prendre congé de vous, car ce comité se réunit cet après-midi afin d’examiner de plus près les mesures prises pour assurer la sécurité des premières rencontres de l’Euro 2016 au Stade de France. Là aussi, la collaboration entre le Parlement et le Gouvernement a été bonne.
Je vais faire appel à un souvenir très ancien, celui d’une initiative parlementaire prise en coordination avec le Gouvernement : la loi du 6 mars 2012 relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif. Les dispositions de ce texte sont désormais complètement entrées en application. Il serait toutefois judicieux, monsieur le président de la commission des lois, que nous interrogions le ministère de l’intérieur afin de savoir où en sont les actions de prévention menées par la police, la gendarmerie et les douanes. On observe en effet, dans de très nombreuses affaires de délinquance ou de criminalité qui occupent l’actualité – et certaines sont graves –, la persistance d’une circulation d’armes dont la détention est interdite aux particuliers.
S’agissant des textes relatifs à la décentralisation et à l’administration locale, le code général des collectivités territoriales comprend peu de décrets. Ces lois ont cependant des « suites » administratives. Comme l’ont dit plusieurs collègues, lorsque le texte législatif présente quelques travers, soit parce qu’il est imprécis – il a bien fallu trouver un compromis ! –, soit parce qu’il est complexe, ses suites sont parfois inattendues.
Je prendrai un exemple dont j’ai eu à connaître par mes responsabilités au sein du Conseil national de la transition écologique, le CNTE, celui du fameux schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire, le SRADDT, qui englobe la quasi-totalité des autres schémas et sur lequel nous avons légiféré à l’occasion de la loi NOTRe du 7 août 2015.
Le SRADDT fait l’objet d’un décret qui n’est pas encore publié et sur lequel nous délibérons au sein du CNTE. En outre, il a fallu prendre une ordonnance pour résorber les anciens schémas et vérifier que tout était articulé. Or je crains que cette ordonnance ne soit pas encore publiée l’été prochain, alors même que les régions, désormais en place depuis six mois, devraient se mettre au travail pour élaborer, souvent à partir de l’existant, ces schémas régionaux.
La procédure selon laquelle les régions devront adopter les schémas régionaux ne sera donc pas précisée avant la fin du mois d’août. On voit bien l’interaction entre une loi pour laquelle on n’a pas craint la complexité et sa mise en application, qui peut être difficile.
Je ferai pour conclure deux ou trois observations transversales, rejoignant ainsi les propos de Jean-Claude Lenoir sur l’impact des circulaires.
Nous devons être vigilants, chacun dans le domaine que nous suivons, tout comme les collaborateurs de nos commissions, pour attirer l’attention de l’ensemble du Gouvernement sur la divergence d’interprétation dont font l’objet certaines circulaires. Or « l’unité de base » de celles-ci représente tout de même 30 pages, quelle que soit la taille du texte législatif d’origine ! Il y a en effet un risque sérieux de réinterprétation de certains textes par les circulaires.
Je rejoins aussi Christian Cambon sur la question du retard pris dans les ratifications, qui jette tout de même le discrédit sur notre pays et qui est dû, pour l’essentiel, au sous-dimensionnement de l’équipe chargée de cette mission au quai d’Orsay.
Ce qui m’amène au « back office » du travail d’application de la loi. Celui-ci repose sur les services juridiques des différents ministères, qui présentent d’assez grandes disparités… Lorsqu’on s’intéresse à ces questions, on finit par disposer d’une sorte de guide Michelin de ces services de production des textes réglementaires, dont certains sont correctement armés, et d’autres plus squelettiques.
Monsieur le secrétaire d’État, puisque vous êtes en prise directe avec l’hôtel Matignon, vous conviendrez avec moi que le Premier ministre n’aura pas de mal à se faire expliquer ces disparités dans les capacités des services juridiques ministériels par le Secrétariat général du Gouvernement, qui en sait tout. Quelle que soit la limitation actuelle des emplois dans nos administrations centrales, il faut trouver les moyens de combler ces déficits de potentiel humain, qui sont ensuite la cause de retards et d’anomalies dans l’application des textes.
Pour terminer tout à fait, je vous livre un sujet de curiosité. Dans les délais nécessaires pour mener jusqu’à son terme l’application réglementaire, il est une composante qui justifierait une étude particulière : le délai nécessaire à la préparation du contreseing du ministre du budget ou du ministre des finances. Si l’on pouvait analyser le temps nécessaire à la conclusion du débat entre le ministre porteur principal du texte et son collègue des finances, on pourrait expliquer certains retards d’application. Cela irait dans le sens de l’intérêt général.