Intervention de Jean Bizet

Réunion du 7 juin 2016 à 21h30
Modernisation des principales filières agricoles dans le cadre de la réforme de la pac — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Photo de Jean BizetJean Bizet, au nom du groupe Les Républicains :

Madame la présidente, monsieur le ministre de l’agriculture, mes chers collègues, je me réjouis de la tenue de ce débat sur la nécessaire modernisation de l’agriculture française.

La première modernisation à envisager est celle de la PAC. Il faut bien le reconnaître, ce système à 55 milliards d’euros par an est à bout de souffle. Chaque État aide ses agriculteurs comme il le peut, avec néanmoins une différence de taille : certains ont adopté une stratégie offensive, alors que d’autres restent dans une attitude de sauve-qui-peut.

Je n’accuse personne. Les querelles politiciennes autour de la fin des quotas laitiers sont stériles dans le contexte actuel. Il est inutile de s’accuser mutuellement. Si on relit les textes, on doit avoir l’honnêteté de reconnaître que cette fin était prévue dès 1984.

La France a toujours fait ce qu’elle a pu pour maintenir un succédané de réglementation. Voilà quelques années, elle a imposé la contractualisation avec un succès mitigé, il faut le reconnaître. Aujourd'hui, elle active un article du règlement de la PAC autorisant les ententes entre producteurs. C’est une victoire française sur le dogme européen de la concurrence et un pas politique important pour la Commission, qu’il faut saluer, même si la plupart des observateurs sont réservés sur l’efficacité de ces ententes.

Face à cela, nous avons tous entendu un cri de désespoir : « Des prix, pas des primes ! » Tout le monde peut être d’accord avec ce beau slogan de champ de bataille. Il est fort, simple et clair, mais, hélas, sans portée, ou plutôt il est porté par des marchands d’illusions. Beaucoup d’agriculteurs se réfèrent encore au temps de la PAC à l’ancienne, avec ses prix administrés et ses garanties d’écoulement. À l’époque, un bon ministre était un ministre qui ramenait de bons prix. Voilà pourtant vingt-cinq ans que ce système n’existe plus. Il n’y a plus de prix officiel européen, les ministres ne fixent plus les prix agricoles.

Dans un système de marché, le prix est un rapport entre une offre et une demande, et un rapport de force. Ce n’est pas le prix qu’il faut fixer, c’est le rapport de force qu’il faut changer, en renforçant le poids et l’efficacité des producteurs. Tel est l’enjeu de la modernisation.

Je l’ai dit, le système PAC est à bout. Il faut accepter une introspection et une remise en question de son organisation, quitte à bousculer un peu les habitudes et les mentalités françaises.

Nous avons aujourd’hui deux piliers : un premier pilier d’aides aux revenus, financé par l’Union européenne, qui représente les trois quarts de la PAC, et un deuxième pilier dit de développement rural, cofinancé par les États et l’Union, qui en représente le dernier quart. Ce partage évolue lentement ; rien ne bouge ou presque ; la situation semble presque figée. Pourquoi ? Parce que les Français, premiers défenseurs et premiers bénéficiaires de la PAC, y tiennent plus que tout. Parce que les États ayant adhéré en 2004 ont attendu dix ans pour y avoir accès à taux plein et n’ont donc aucune intention d’y renoncer.

Pourtant, il faudra bien se poser la question de la pertinence des aides directes. Les deux questions majeures sont celles de la justice et de l’efficacité. Un tiers des agriculteurs ne vivrait pas sans ces aides directes. Un tiers vit un peu mieux avec et constitue notre cible. Le tiers restant n’en a pas toujours besoin, surtout quand les prix sont élevés, ce qui arrive parfois. Cela me permet de dire : paiement unique, paiement inique !

À défaut d’être juste, le système est-il au moins efficace ? On peut en douter. Les paiements directs permettent souvent à nos agriculteurs de garder la tête hors de l’eau, mais n’impulsent rien. Le premier pilier soutient, mais ne prépare pas l’avenir.

Un secteur a renoncé aux aides directes, et ce n’est pas celui qui se porte le plus mal – je me tourne vers mon collègue Gérard César –, c’est celui du vin. Il faut tirer les leçons de ce qui marche plutôt que voir uniquement ce qui rentre dans le portefeuille. Une réforme s’impose. Ce n’est pas parce que les Anglais ont posé cette question qu’elle est forcément mauvaise. Affaire à suivre, donc.

Le prochain chapitre concerne le deuxième pilier. C’est un régime méconnu et injustement décrié par nos agriculteurs, qui y voient une concession au courant environnementaliste et même paysagiste. Je dois avoir l’honnêteté intellectuelle de le dire, j’ai fait partie de ces gens qui n’accordaient pas au deuxième pilier le poids qu’il mérite. Pourtant, il me semble aujourd'hui que le potentiel de la PAC réside précisément dans ce deuxième pilier. En effet, il est cofinancé et mesure ainsi le véritable engagement des États. Il est multiforme et offre une liberté de choix. Il engage les acteurs régionaux, étonnamment absents pendant la crise. Surtout, bien orienté, il permet ce qui nous manque le plus, à savoir la modernisation non seulement des exploitations, mais aussi de notre outil industriel agroalimentaire. Quand on sait que nous avons perdu pratiquement trois places en moins de dix ans dans ce secteur, nous pouvons être inquiets. Nous avons donc l’obligation de regarder cette évolution avec beaucoup plus d’intérêt que par le passé.

S’interroger sur ce deuxième pilier, c’est s’interroger d’abord sur le rôle des régions. Il y a, en Europe, des stratégies régionales qui réussissent. J’ai souvent évoqué le cas de l’Allemagne. La force stratégique des Allemands est de savoir ce qu’ils veulent. Ils se fixent un objectif unique et font en sorte d’y parvenir. Mais ils ont aussi des stratégies régionales. La Bavière n’est plus le seul Land laitier. La Basse-Saxe est devenue l’autre grand Land agricole, ce qui ne les empêche pas d’avoir des positions communes. Voilà un mois, les ministres de l’agriculture des Länder se sont réunis pour adopter une position commune sur la crise laitière qui se manifeste, à son tour, outre-Rhin. Les grandes surfaces, qui, là-bas aussi, font la loi, ont prévu de nouvelles baisses de prix de 25 % !

L’Allemagne commence à se rendre compte des dégâts des mesures de libéralisation non contrôlées. Les positions ne paraissent plus aussi figées. Nos voisins allemands commencent à être un peu plus réceptifs aux appels que nous leur lançons en vain depuis déjà quelques mois. Ce sont les régions qui ont impulsé cette orientation. Les Länder représentent une force que la Chancelière a écoutée.

Il existe d’autres pays où l’agriculture réussit, souvent sur des bases régionales. Je pense notamment à l’Italie. On en entend peu parler sur les questions agricoles. Pourtant, elle réussit dans l’agroécologie et certains créneaux d’excellence. Les performances commerciales à l’export de ses produits à label – AOP et IGP – sont souvent bien meilleures que les nôtres.

Nous aurions intérêt à prendre exemple sur ce qui marche chez nos voisins, à nous ouvrir, à comparer, non pas pour copier, mais pour faire mieux. Car nous le pouvons sans craindre nos concurrents ! Celui qui a peur de la concurrence a déjà perdu la compétition…

S’interroger sur le deuxième pilier, c’est aussi s’interroger sur les financements.

Les circuits doivent être simplifiés. Plusieurs élus régionaux font état des difficultés de procédure pour avoir accès aux fonds européens. Quelles sont les responsabilités, monsieur le ministre ? Viennent-elles des régions, de l’État, des organismes payeurs ? Il y a urgence à effectuer un audit afin de régler ce problème.

La logique du deuxième pilier est celle du menu, chaque région pouvant cofinancer des actions qui correspondent à ses priorités.

Puisque ce débat s’inscrit dans l’actualité, je me permettrai d’ouvrir des pistes à un moment où il faut penser à l’avenir et être constructif. On peut parfaitement imaginer un système à deux niveaux : le premier serait celui des cofinancements régionaux, chaque région étant libre de définir ses priorités dans le menu ; le deuxième niveau reposerait sur une forte implication de l’État, qui serait cofinanceur d’actions qu’il considère comme stratégiques. C’est le cas pour l’ICHN, l’indemnité compensatoire de handicap naturel. La modernisation des exploitations et de l’outil industriel est un axe possible, voire nécessaire. C’est précisément mon souhait et, à mon avis, l’intérêt de la « ferme France » et de la filière agroalimentaire française.

Le règlement PAC permet la flexibilité entre les deux piliers. Nous arriverons bientôt en 2017, année où la réforme à mi-parcours peut précisément s’opérer avec un peu plus d’acuité. Ainsi, onze États ont choisi d’augmenter l’enveloppe du deuxième pilier. La France l’a fait, en transférant simplement 3, 3 % de son enveloppe provenant du premier pilier. C’est 30 % de moins que les Pays-Bas, 50 % de moins que l’Allemagne et 70 % de moins que le Royaume-Uni. Regardons comment ont évolué ces pays en matière de compétitivité agricole : on a peut-être là le début d’une réponse. Le transfert maximum autorisé permettrait d’atteindre 1, 1 milliard d’euros, contre 250 millions d’euros actuellement. Cette somme pourrait servir à la modernisation de nos exploitations. Les professionnels estiment les besoins financiers à 3 milliards d’euros par an. Dans le cadre de cofinancements, on pourrait trouver une grande partie de ce qui est nécessaire pour moderniser la « ferme France ».

Je voudrais également insister sur le plan Juncker. Je le rappelle, avec notre collègue Jean-Claude Lenoir, nous avions interpellé fermement Phil Hogan, pour l’inviter à souscrire à l’intégration du plan Junker dans le financement d’un certain nombre d’outils industriels.

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