Séance en hémicycle du 7 juin 2016 à 21h30

Résumé de la séance

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  • PAC
  • l’agriculture
  • pilier

La séance

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La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « Restructuration et modernisation des principales filières agricoles dans le cadre de la réforme à mi-parcours de la PAC ».

La parole est à M. Jean Bizet, orateur du groupe auteur de la demande.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Madame la présidente, monsieur le ministre de l’agriculture, mes chers collègues, je me réjouis de la tenue de ce débat sur la nécessaire modernisation de l’agriculture française.

La première modernisation à envisager est celle de la PAC. Il faut bien le reconnaître, ce système à 55 milliards d’euros par an est à bout de souffle. Chaque État aide ses agriculteurs comme il le peut, avec néanmoins une différence de taille : certains ont adopté une stratégie offensive, alors que d’autres restent dans une attitude de sauve-qui-peut.

Je n’accuse personne. Les querelles politiciennes autour de la fin des quotas laitiers sont stériles dans le contexte actuel. Il est inutile de s’accuser mutuellement. Si on relit les textes, on doit avoir l’honnêteté de reconnaître que cette fin était prévue dès 1984.

La France a toujours fait ce qu’elle a pu pour maintenir un succédané de réglementation. Voilà quelques années, elle a imposé la contractualisation avec un succès mitigé, il faut le reconnaître. Aujourd'hui, elle active un article du règlement de la PAC autorisant les ententes entre producteurs. C’est une victoire française sur le dogme européen de la concurrence et un pas politique important pour la Commission, qu’il faut saluer, même si la plupart des observateurs sont réservés sur l’efficacité de ces ententes.

Face à cela, nous avons tous entendu un cri de désespoir : « Des prix, pas des primes ! » Tout le monde peut être d’accord avec ce beau slogan de champ de bataille. Il est fort, simple et clair, mais, hélas, sans portée, ou plutôt il est porté par des marchands d’illusions. Beaucoup d’agriculteurs se réfèrent encore au temps de la PAC à l’ancienne, avec ses prix administrés et ses garanties d’écoulement. À l’époque, un bon ministre était un ministre qui ramenait de bons prix. Voilà pourtant vingt-cinq ans que ce système n’existe plus. Il n’y a plus de prix officiel européen, les ministres ne fixent plus les prix agricoles.

Dans un système de marché, le prix est un rapport entre une offre et une demande, et un rapport de force. Ce n’est pas le prix qu’il faut fixer, c’est le rapport de force qu’il faut changer, en renforçant le poids et l’efficacité des producteurs. Tel est l’enjeu de la modernisation.

Je l’ai dit, le système PAC est à bout. Il faut accepter une introspection et une remise en question de son organisation, quitte à bousculer un peu les habitudes et les mentalités françaises.

Nous avons aujourd’hui deux piliers : un premier pilier d’aides aux revenus, financé par l’Union européenne, qui représente les trois quarts de la PAC, et un deuxième pilier dit de développement rural, cofinancé par les États et l’Union, qui en représente le dernier quart. Ce partage évolue lentement ; rien ne bouge ou presque ; la situation semble presque figée. Pourquoi ? Parce que les Français, premiers défenseurs et premiers bénéficiaires de la PAC, y tiennent plus que tout. Parce que les États ayant adhéré en 2004 ont attendu dix ans pour y avoir accès à taux plein et n’ont donc aucune intention d’y renoncer.

Pourtant, il faudra bien se poser la question de la pertinence des aides directes. Les deux questions majeures sont celles de la justice et de l’efficacité. Un tiers des agriculteurs ne vivrait pas sans ces aides directes. Un tiers vit un peu mieux avec et constitue notre cible. Le tiers restant n’en a pas toujours besoin, surtout quand les prix sont élevés, ce qui arrive parfois. Cela me permet de dire : paiement unique, paiement inique !

À défaut d’être juste, le système est-il au moins efficace ? On peut en douter. Les paiements directs permettent souvent à nos agriculteurs de garder la tête hors de l’eau, mais n’impulsent rien. Le premier pilier soutient, mais ne prépare pas l’avenir.

Un secteur a renoncé aux aides directes, et ce n’est pas celui qui se porte le plus mal – je me tourne vers mon collègue Gérard César –, c’est celui du vin. Il faut tirer les leçons de ce qui marche plutôt que voir uniquement ce qui rentre dans le portefeuille. Une réforme s’impose. Ce n’est pas parce que les Anglais ont posé cette question qu’elle est forcément mauvaise. Affaire à suivre, donc.

Le prochain chapitre concerne le deuxième pilier. C’est un régime méconnu et injustement décrié par nos agriculteurs, qui y voient une concession au courant environnementaliste et même paysagiste. Je dois avoir l’honnêteté intellectuelle de le dire, j’ai fait partie de ces gens qui n’accordaient pas au deuxième pilier le poids qu’il mérite. Pourtant, il me semble aujourd'hui que le potentiel de la PAC réside précisément dans ce deuxième pilier. En effet, il est cofinancé et mesure ainsi le véritable engagement des États. Il est multiforme et offre une liberté de choix. Il engage les acteurs régionaux, étonnamment absents pendant la crise. Surtout, bien orienté, il permet ce qui nous manque le plus, à savoir la modernisation non seulement des exploitations, mais aussi de notre outil industriel agroalimentaire. Quand on sait que nous avons perdu pratiquement trois places en moins de dix ans dans ce secteur, nous pouvons être inquiets. Nous avons donc l’obligation de regarder cette évolution avec beaucoup plus d’intérêt que par le passé.

S’interroger sur ce deuxième pilier, c’est s’interroger d’abord sur le rôle des régions. Il y a, en Europe, des stratégies régionales qui réussissent. J’ai souvent évoqué le cas de l’Allemagne. La force stratégique des Allemands est de savoir ce qu’ils veulent. Ils se fixent un objectif unique et font en sorte d’y parvenir. Mais ils ont aussi des stratégies régionales. La Bavière n’est plus le seul Land laitier. La Basse-Saxe est devenue l’autre grand Land agricole, ce qui ne les empêche pas d’avoir des positions communes. Voilà un mois, les ministres de l’agriculture des Länder se sont réunis pour adopter une position commune sur la crise laitière qui se manifeste, à son tour, outre-Rhin. Les grandes surfaces, qui, là-bas aussi, font la loi, ont prévu de nouvelles baisses de prix de 25 % !

L’Allemagne commence à se rendre compte des dégâts des mesures de libéralisation non contrôlées. Les positions ne paraissent plus aussi figées. Nos voisins allemands commencent à être un peu plus réceptifs aux appels que nous leur lançons en vain depuis déjà quelques mois. Ce sont les régions qui ont impulsé cette orientation. Les Länder représentent une force que la Chancelière a écoutée.

Il existe d’autres pays où l’agriculture réussit, souvent sur des bases régionales. Je pense notamment à l’Italie. On en entend peu parler sur les questions agricoles. Pourtant, elle réussit dans l’agroécologie et certains créneaux d’excellence. Les performances commerciales à l’export de ses produits à label – AOP et IGP – sont souvent bien meilleures que les nôtres.

Nous aurions intérêt à prendre exemple sur ce qui marche chez nos voisins, à nous ouvrir, à comparer, non pas pour copier, mais pour faire mieux. Car nous le pouvons sans craindre nos concurrents ! Celui qui a peur de la concurrence a déjà perdu la compétition…

S’interroger sur le deuxième pilier, c’est aussi s’interroger sur les financements.

Les circuits doivent être simplifiés. Plusieurs élus régionaux font état des difficultés de procédure pour avoir accès aux fonds européens. Quelles sont les responsabilités, monsieur le ministre ? Viennent-elles des régions, de l’État, des organismes payeurs ? Il y a urgence à effectuer un audit afin de régler ce problème.

La logique du deuxième pilier est celle du menu, chaque région pouvant cofinancer des actions qui correspondent à ses priorités.

Puisque ce débat s’inscrit dans l’actualité, je me permettrai d’ouvrir des pistes à un moment où il faut penser à l’avenir et être constructif. On peut parfaitement imaginer un système à deux niveaux : le premier serait celui des cofinancements régionaux, chaque région étant libre de définir ses priorités dans le menu ; le deuxième niveau reposerait sur une forte implication de l’État, qui serait cofinanceur d’actions qu’il considère comme stratégiques. C’est le cas pour l’ICHN, l’indemnité compensatoire de handicap naturel. La modernisation des exploitations et de l’outil industriel est un axe possible, voire nécessaire. C’est précisément mon souhait et, à mon avis, l’intérêt de la « ferme France » et de la filière agroalimentaire française.

Le règlement PAC permet la flexibilité entre les deux piliers. Nous arriverons bientôt en 2017, année où la réforme à mi-parcours peut précisément s’opérer avec un peu plus d’acuité. Ainsi, onze États ont choisi d’augmenter l’enveloppe du deuxième pilier. La France l’a fait, en transférant simplement 3, 3 % de son enveloppe provenant du premier pilier. C’est 30 % de moins que les Pays-Bas, 50 % de moins que l’Allemagne et 70 % de moins que le Royaume-Uni. Regardons comment ont évolué ces pays en matière de compétitivité agricole : on a peut-être là le début d’une réponse. Le transfert maximum autorisé permettrait d’atteindre 1, 1 milliard d’euros, contre 250 millions d’euros actuellement. Cette somme pourrait servir à la modernisation de nos exploitations. Les professionnels estiment les besoins financiers à 3 milliards d’euros par an. Dans le cadre de cofinancements, on pourrait trouver une grande partie de ce qui est nécessaire pour moderniser la « ferme France ».

Je voudrais également insister sur le plan Juncker. Je le rappelle, avec notre collègue Jean-Claude Lenoir, nous avions interpellé fermement Phil Hogan, pour l’inviter à souscrire à l’intégration du plan Junker dans le financement d’un certain nombre d’outils industriels.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je conclus, madame la présidente.

La France vient juste de le faire au travers d’une participation de la Banque européenne d’investissement dans la construction d’une unité laitière dans la Manche. Je voudrais que de telles opérations soient déclinées dans de nombreux autres pays.

Plutôt que de redouter une nécessaire mutation, l’agriculture française doit l’assumer et s’y engager dès maintenant, en reprenant contact avec ses partenaires allemands et italiens. La commission des affaires européennes s’y emploie désormais, car il est urgent d’élaborer un programme commun agricole avec nos principaux partenaires.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Mercier applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Le Scouarnec

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pourvu que ce nouveau débat sur la PAC n’engendre pas une maigre moisson pour tous les exploitants en souffrance, qui attendent avant tout des actes !

Personne ne se souvient avoir connu, au cours des cinquante dernières années, une situation aussi dégradée économiquement, socialement et moralement dans nos campagnes. Pour le monde agricole, le symptôme est clair : une crise de confiance et un sentiment d’incompréhension. Le diagnostic est partagé : la résignation et la saturation devant l’absence de perspectives.

La PAC représente l’un des postes budgétaires les plus importants de l’Union européenne. Elle a jalonné l’histoire de l’intégration européenne et, aujourd’hui encore, elle dessine les lignes de fracture des débats entre acteurs européens. Cela s’explique en grande partie par l’hétérogénéité des représentations que se font les États membres du rôle de l’agriculture dans les économies contemporaines. Certains la considèrent comme un secteur en déclin et estiment la PAC obsolète et coûteuse, tandis que d’autres y voient une activité essentielle et estiment nécessaire une politique commune et forte dans ce domaine.

Le rôle primordial de l’agriculture ne doit pas être amoindri ou dévalorisé. Loin de se limiter à l’aménagement du paysage ou à la gestion de l’environnement, sa fonction première est de nourrir les peuples. Nous avons besoin d’une production agricole forte, et il est nécessaire de rappeler que l’agriculture n’est pas un secteur comme les autres, dans la mesure où il réclame une régulation pour produire de manière suffisante et continue et, surtout, pour assurer un revenu digne aux agriculteurs.

Voilà pourquoi la réforme et la consolidation de la PAC doivent constituer une priorité de l’Union européenne, en particulier dans la perspective inquiétante d’une hausse des prix agricoles à moyen terme et, surtout, dans un contexte de négociation du TAFTA et de libéralisation des échanges.

De six États membres à l’origine, nous sommes passés à vingt-huit. À l’égard de la PAC, les situations sont très hétérogènes et les distorsions de concurrence deviennent ainsi inévitables.

Prenons l’exemple du montant des aides à l’hectare du premier pilier. Les pays de l’Est, dont les pays baltes, sont les premiers à protester contre cette distorsion de concurrence. Nos voisins allemands n’ont recouplé aucune aide directe. Ainsi, un éleveur laitier ne reçoit pas la même aide directe, selon qu’il se trouve en Savoie ou en Bavière. Ces différences sont encore plus notables au sein du second pilier. Que d’inégalités !

Les orientations de la PAC ont aggravé la situation. De nombreux observateurs notent aujourd’hui une pression des concurrents dans les filières, et celle-ci est d’autant plus forte que la PAC joue de moins en moins son rôle de régulateur.

Pour résumer la situation, nous ne sommes pas vraiment dans une politique agricole commune, mais dans un système de production ultra-concurrentiel, avec une politique qui est très loin d’harmoniser et de maîtriser. À cet égard, l’exemple des travailleurs détachés est éclairant : c’est un dumping social institutionnalisé qui est aujourd’hui mis en place !

La tentation est grande pour la Commission européenne de rappeler dans ses objectifs de réforme la nécessaire redistribution des aides compensatrices pour mieux cadrer le démantèlement des outils de régulation. De prochaines crises sectorielles sont à prévoir et les chèques nationaux ne remplaceront jamais une vraie PAC juste, durable et efficace socialement pour les paysans.

Je souhaiterais également aborder la filière bio. Les soutiens pour la conversion à l’agriculture biologique ou son maintien sont passés en France en trois ans d’un pilier de la PAC à un autre. Cette instabilité a entraîné de nombreuses difficultés. Le retour de la mesure « conversion à la bio » dans le pilier développement rural a apporté un peu plus de cohérence, mais la pérennité est loin d’être assurée.

De plus, la distinction entre les mesures bio et les autres paiements environnementaux a été préconisée par la Cour des comptes européenne, de sorte que l’agriculture biologique s’exerce sur tout le territoire, sans zonage particulier. Cette démarche témoigne d’une volonté de ne pas cantonner l’agriculture biologique à un territoire ou à un marché, mais bien de la développer largement avec des moyens dédiés.

Compte tenu de ces grands principes, les deux principales déficiences de la politique agricole sont les suivantes : les aides actuelles DPU entraînent des surcoûts d’installation pour les nouveaux agriculteurs et ne donnent pas les bonnes incitations à la préservation de l’environnement dans les régions rurales. D’autres défaillances de marché subsistent, comme la volatilité des prix, dont l’importance a été largement sous-estimée lors des récentes réformes.

Le groupe CRC propose une nouvelle ambition, qui vise à construire la politique agricole et alimentaire européenne du XXIe siècle. Dès maintenant, la mise en place d’outils de régulation des marchés, des stocks européens de sécurité alimentaire et de mesures contre la spéculation est nécessaire. Nous portons une politique agricole au service d’une agriculture de qualité et reconnaissant le droit à une juste rémunération du travail, ce qui passe notamment par la répartition de la valeur ajoutée dans les filières.

Pour pouvoir récolter, il faut semer ! Aussi, alors que la campagne PAC 2015 n’est toujours pas close, nous proposons de remplacer les coûteux et complexes systèmes de paiement actuels par un système simplifié. Il est primordial de maintenir une intervention publique afin de garantir un prix « plancher » ou un « filet de sécurité » se limitant à des circonstances exceptionnelles. Il faudrait supprimer ou réduire les contradictions entre les programmes comme le soutien à l’agriculture intensive et les taxes sur la pollution, ou comme les paiements élevés aux cultures arables et les modestes aides agroenvironnementales. Il s’agit de mettre du bon sens dans l’ensemble de nos réglementations pour qu’elles cessent d’être contre-productives, tout en rendant concret, très rapidement, le contenu des différentes mesures d’accompagnement.

Dans notre secteur agricole, les prochaines années vont être décisives pour garder des exploitations et des agriculteurs. Maintenir et maîtriser les volumes de production, soutenir l’investissement, c’est soutenir l’agriculture, mais c’est aussi soutenir la richesse économique et sociale de notre pays ; c’est dynamiser tous nos territoires ! Notre agriculture a besoin de signes pour retrouver confiance en l’avenir, mais elle attend un revenu, une plus juste rémunération par le marché, ainsi que de la stabilité.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Montaugé

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat, proposé à un moment opportun du processus de réflexion sur la PAC post-2020, est bienvenu, et j’en remercie ses initiateurs.

Nous partageons tous ici le souci du devenir de l’agriculture française, une agriculture confrontée, au plan national comme européen, à des enjeux de sécurité et de qualité alimentaires, à des défis économiques, environnementaux, territoriaux. Elle doit de surcroît faire preuve de résilience à l’égard des nombreux aléas dont elle est en permanence l’objet.

Pour répondre à ces enjeux, nous devons faire une analyse juste du fonctionnement de la PAC actuelle et en déduire des objectifs pertinents pour la prochaine, en cours de préparation.

À nos yeux, la PAC post-2020 doit être construite sur les objectifs suivants : croissance, emploi et compétitivité ; contribution aux enjeux climatiques et environnementaux ; développement de la ruralité ; gestion des risques de toute nature pour une agriculture plus résiliente et plus durable.

Compte tenu du peu de temps qui m’est imparti, et sachant que nous présenterons le 30 juin prochain, avec Henri Cabanel et Didier Guillaume, une proposition de loi visant à mettre en place des outils de gestion des risques en agriculture, je me limiterai à traiter la question de la nécessaire résilience de la future PAC face aux aléas sanitaires, climatiques et économiques.

Les agriculteurs nous le disent, et ils ont raison : « Nous ne voulons pas des primes, mais des prix ! » Cela suppose des marchés correctement rémunérateurs qui leur donnent une visibilité suffisante pour définir la bonne stratégie d’exploitation, pour faire les choix pertinents d’investissement, qui demeurent, on le sait, la condition majeure de leur compétitivité dans la durée. Ils réclament des marchés « justes » en quelque sorte.

Mais quelle est la réalité actuelle ? Force est de le constater, les mécanismes de régulation des marchés ont soit disparu – c’est le cas des quotas –, soit n’existent pas, ou alors sous des formes quasi embryonnaires.

Depuis 1962, de réforme de la PAC en réforme de la PAC, avec celle de 1992 en particulier, les principes du libre marché autorégulé ont fini par modeler l’agriculture de nos nations, de nos régions et de nos terroirs, en même temps qu’ils ont fait disparaître et souffrir trop souvent, parfois jusqu’à l’insupportable, nos paysans. Dans ce contexte éminemment politique, mais je devrais plutôt dire dogmatique, la résignation n’est pas de mise et la réaction doit être inspirée par des principes politiques empreints de pragmatisme économique et de solidarité à l’égard du monde paysan.

Dans notre réflexion, nous partons d’un fait que nous devons toujours avoir en tête : les agriculteurs n’ont pas de pouvoir de marché. Pis, quand la valeur dont ils devraient bénéficier prioritairement augmente, c’est surtout l’amont et l’aval qui en profitent. La question se pose donc immédiatement : quel rôle devrait jouer l’Europe dans ce contexte d’adossement – le mot « affrontement » serait plus approprié – aux marchés européens et mondiaux, qui détermine pour une large part les revenus de nos producteurs ?

La PAC actuelle n’intègre pas, de façon adéquate en tout cas, de mécanisme de gestion du risque de prix. À cet égard, l’observation des dispositifs mis en œuvre dans les grands pays producteurs hors de l’Union européenne est riche d’enseignements et doit être prise en compte pour définir notre boîte à outils de gestion et de couverture des différents types de risques.

Pour les risques individuels de type usuel, la gestion relève de choix privés, soutenus par des aides publiques, tels que la diversification des cultures, l’épargne de précaution, le lissage par la fiscalité ou les baisses de charges.

Quand l’aléa est maîtrisable, interventions collectives et publiques se complètent à travers la coopération de producteurs, les fonds de mutualisation des risques, les assurances récoltes au regard des risques climatiques et les assurances revenus.

Enfin, lorsque le risque est systémique ou que l’aléa est catastrophique, c’est au public d’intervenir pour rééquilibrer les marchés avec des aides contracycliques et au titre de la solidarité nationale pour les calamités naturelles.

À partir de cette typologie des risques et de l’analyse des politiques nationale et européenne dans ce domaine, quel constat peut-on faire ? Où sont les marges de manœuvre, les possibilités de progrès, les orientations à privilégier ?

D’abord, l’État intervient sur les baisses de charges et sur le lissage de la fiscalité. Il encourage les organisations collectives, telles que les coopératives, les GAEC et les GIEE, qui sont gages d’efficience accrue et de mutualisation des risques. Il intervient aussi dans le financement des assurances récoltes pour le risque climatique au moyen du contrat socle, ainsi qu’en matière de calamités sanitaires ou environnementales grâce au Fonds de mutualisation sanitaire et environnemental, le FMSE.

L’État pourrait utilement approfondir la mise en œuvre des articles 36 à 39 du règlement 1305/2013 de l’UE, qui traitent de la gestion des risques. Ce point fera l’objet de la proposition de loi que nous examinerons le 30 juin prochain.

Quant à l’Union européenne, dans la perspective de la PAC post-2020, elle devrait se mettre en position de pouvoir évaluer finement les pertes de revenus agricoles. À cet égard, les retards pris en matière de numérique et de big data agricole sont importants. Elle devrait également favoriser la création de comptes d’épargne de précaution, soutenir les tests de terrain pour valider ou pas les concepts de gestion de risque et les méthodes nouvelles, développer des processus d’apprentissage à partir d’expérimentations et de modélisations et prévoir un financement suffisamment flexible pour les outils de gestion des risques en utilisant les réserves spéciales de l’Union.

Enfin, il faudrait organiser l’UE pour la supervision de la gestion des risques – c’est la question de l’assurance chiffre d’affaires et des outils de stabilisation du revenu – en restructurant le premier pilier et en lui fixant des objectifs stratégiques. Il faut aussi traiter la question de l’efficience des aides découplées et, enfin, adapter le cycle de gestion budgétaire de la PAC. En effet, la PAC peut-elle être efficace, réactive face aux situations aléatoires dans le cadre d’un cycle budgétaire annualisé ?

Je soumets à notre débat ces pistes possibles de réflexion et d’étude.

En définitive, pour penser la PAC de demain, pour la sauver, ne faut-il pas changer radicalement de mode de raisonnement ou de paradigme, comme diraient les scientifiques ? Je répondrai par l’affirmative, mais je sais aussi qu’on ne fait pas table rase d’un tel système d’un simple trait de plume. Cette réorientation stratégique nécessite de voir loin et de penser la transition pour que le remède ne soit pas plus dévastateur que le mal.

Pour aller dans ce sens, l’expérimentation, la modélisation et l’évaluation doivent être engagées sans tarder sous forme de tests ou d’expérimentations pour aboutir à des stratégies européennes de filière. Nombre d’acteurs intéressés y sont prêts.

Sur un plan plus politique, je reste convaincu que la construction d’un rapport de force impliquant toutes les parties prenantes – gouvernements des pays membres, organismes professionnels de filières, etc. – sera indispensable pour mener à bien une telle réforme.

Associer et former au plus tôt les agriculteurs eux-mêmes à ce processus de transition majeur sera aussi une condition incontournable du succès. Je sais que vous y travaillez sans relâche, monsieur le ministre, et je vous en remercie.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Michel Le Scouarnec et Raymond Vall applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise agricole que nous traversons actuellement met à rude épreuve des filières, notamment l’élevage.

Des mécanismes d’intervention européens ont été mis en œuvre : doublement des plafonds d’intervention pour le lait et le beurre, mesures de stockage privé pour le porc, relance de l’investissement innovant et structurant, régulation temporaire à travers la dérogation au droit de la concurrence, aides financières, notamment en direction des producteurs laitiers. Cependant, ces mécanismes ne répondent en rien aux problèmes sur le fond et les signaux d’alarme sont toujours au rouge. Aussi le Gouvernement les a-t-il complétés par un certain nombre de mesures de nature à soulager les agriculteurs dans cette période difficile pour leur trésorerie : « année blanche » pour les dettes bancaires et plan d’investissement s’élevant à 3 milliards d’euros sur trois ans. Malheureusement, ces mesures apparaissent comme de simples pansements.

Si la nouvelle PAC a rééquilibré les subventions vers les petites et moyennes exploitations, vers de meilleures pratiques environnementales, avec la diversification des cultures, le maintien des prairies permanentes et des surfaces d’intérêt écologique, le partage de ces aides n’est pas satisfaisant.

Dans le cas des aides à l’agriculture biologique, une avalanche de demandes d’aides à la conversion a épuisé les crédits prévus jusqu’en 2020. En conséquence, certaines régions ont réagi en urgence en plafonnant les aides afin de mieux répartir l’enveloppe.

Ce plafonnement pourrait être mis en œuvre pour les nombreuses aides de la PAC afin d’éviter que seules les grosses exploitations en profitent, et ce au détriment des jeunes agriculteurs et des exploitations familiales. Les écologistes pensent qu’il serait également intéressant de transférer une partie des aides du premier pilier de la PAC vers le deuxième pilier. Cela n’est pas un problème strictement français, puisque l’Allemagne connaît le même phénomène de pénurie des aides à la conversion dans plusieurs Länder.

C’est dire à quel point avait été sous-estimé le dynamisme de la filière bio en Europe, qui apparaît aujourd’hui comme un rempart contre la crise et une assurance de pouvoir vendre ses produits à un prix couvrant enfin les coûts de l’exploitation. Or tel n’est pas le cas actuellement pour 60 % des exploitations en France, qui ont un revenu courant avant impôt et hors subvention négatif.

Avec cette PAC, les agriculteurs travaillent à perte et souffrent du moindre retard de paiement des aides.

Je veux aussi revenir sur l’échec des aides aux légumineuses fourragères, qui ne couvrent finalement que 150 000 hectares au lieu des 700 000 attendus. Il s’agissait pourtant d’un point très important du plan Protéine visant à relocaliser une partie de l’alimentation animale aujourd’hui importée et souvent issue d’OGM.

Le problème restera entier tant qu’existera un mouvement de fond d’une partie de la profession qui souhaite une financiarisation totale de l’agriculture, des terres agricoles et des activités associées, ou qui prône en permanence l’extension, l’automatisation et la standardisation des produits à outrance, nous conduisant à des aberrations environnementales comme la ferme des mille vaches.

Au rythme actuel, si l’on ne change pas de logique, 15 % de la profession aura disparu d’ici à 2020. Ne resteront que des exploitations toujours plus grandes et consommatrices de pesticides, d’antibiotiques, d’intrants chimiques.

Il convient de noter l’incohérence entre les objectifs affichés de la PAC et la réalité de l’évolution actuelle des filières. Nous devons dès à présent réfléchir à la PAC d’après 2020, qui devra visiblement accentuer les efforts vers la transition agroécologique, le soutien à l’agriculture bio, le stockage naturel du carbone dans les sols avec le « 4 pour 1 000 », dont la France fait la promotion à travers l’agenda des solutions issu de la COP 21, ou encore vers l’autonomie fourragère et la polyculture élevage.

M. Michel Le Scouarnec applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymond Vall

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, près de 40 % du budget de l’Union européenne étant absorbé par la PAC, il serait souhaitable que cette politique commune exprime sa pleine efficacité en matière de maintien de l’emploi et de pérennisation des exploitations agricoles, lesquelles concourent à l’équilibre des territoires, en particulier ruraux. Pourtant, selon le rapport de l’eurodéputé Éric Andrieu présenté en avril dernier, la PAC n’a ni créé d’emplois ni ralenti la concentration des exploitations.

Sur le terrain, c’est une dure réalité : la crise frappe la filière de l’élevage depuis deux ans et l’influenza aviaire a sévèrement touché les départements du sud-ouest, en particulier le Gers. J’en profite, monsieur le ministre, pour vous remercier de votre efficacité pendant cette crise. La dernière visite que vous avez effectuée dans ce département montre à quel point vous avez pris ce dossier à cœur. Vous avez réussi à redonner de l’espoir à cette filière.

Chaque année, notre pays voit disparaître des fermes qui ne survivent pas à la pression des normes, au poids des charges, non plus qu’à la guerre des prix, qui se fait le plus souvent au détriment des producteurs et en faveur de la grande distribution.

Monsieur le ministre, comme vous l’avez plusieurs fois souligné dans cet hémicycle, l’agriculture européenne est confrontée à une crise de surproduction sur un marché mondial de plus en plus difficile, et la France a été plus durement touchée que ses partenaires. À cet égard, les allégements de charges mis en œuvre dans les plans de sauvetage successifs étaient opportuns. Allez-vous pouvoir les pérenniser ?

La contractualisation, dont nous aurons l’occasion de débattre dans le cadre du projet de loi Sapin II et la question de l’organisation de producteurs sont également des chantiers à approfondir.

Les dispositifs nationaux s’inscrivent dans un cadre communautaire, à l’égard duquel nous devrions avoir plus d’exigences. Nous ne voulons pas voir triompher un modèle qui éliminerait les plus fragiles et aurait un impact négatif sur l’emploi et les territoires ruraux. La première de ces exigences serait de reconnaître clairement que la stabilisation des marchés est l’une des conditions de la survie de nombreuses filières agricoles. Ainsi, nous mesurons bien aujourd’hui l’impact négatif de la suppression des quotas laitiers. Les outils de régulation apparaissent donc indispensables pour renforcer la résilience du secteur agricole. C’est pourquoi la proposition de loi de nos collègues Cabanel, Guillaume et Montaugé sera utile pour encourager cette nouvelle gestion des aléas économiques en agriculture.

Monsieur le ministre, pour surmonter la crise du lait, vous aviez demandé la réactivation de certains instruments de régulation. Dans la perspective de la PAC post-2020, c’est un sujet qui devra revenir à l’ordre du jour pour être défendu face à nos partenaires.

Faut-il opposer loi du marché et régulation, alors que de nombreux pays mettent en place des systèmes d’aides plus ou moins directes, comme le dernier Farm Bill américain, l’opération « Faim zéro » du Brésil ou encore la politique agricole chinoise, fondée sur des prix garantis plus élevés que les prix mondiaux ? Les règles de l’OMC sont-elles équitablement respectées partout ? Certainement pas !

D’une manière générale, l’Europe doit être extrêmement vigilante dans ses relations commerciales. Les négociations sur le partenariat transatlantique, sur l’accord commercial avec le Canada ou sur les sanctions vis-à-vis de la Russie sont particulièrement sensibles. L’Union européenne doit faire preuve de la plus grande pugnacité pour défendre son modèle et ses agriculteurs.

J’en viens à une troisième exigence, celle d’une PAC plus solidaire, cette solidarité étant entendue comme l’acceptation de la complémentarité des modèles agricoles ; c’est ce qui vient d’être expliqué. Il serait illusoire de penser que les pays européens pourront à terme rivaliser avec des géants agricoles comme le Brésil ou l’Argentine, dont les coûts de production sont imbattables.

Les exploitations de taille modeste sont un atout sur le segment de la qualité. On peut d’ailleurs reconnaître que la PAC 2014-2020 a intégré cette approche de la diversité par la subsidiarité pour les États membres. En effet, la nouvelle architecture des paiements directs, mieux ciblés et plus équitables, a permis à chacun d’affirmer ses priorités. La France a ainsi fait des choix que l’on peut partager : la priorité accordée à l’élevage, l’accompagnement à la modernisation des exploitations et l’installation des jeunes agriculteurs, le soutien appuyé et simplifié aux zones de montagne et l’encouragement à l’agroécologie.

L’étiquetage de l’origine des viandes et du lait sur les produits transformés est un autre sujet, à l’origine d’âpres débats. La Commission doit rendre son avis sur le projet de décret soumis par la France au mois de mars dernier. Quel en sera le calendrier ?

La simplification des normes PAC est vitale pour les agriculteurs. Nous attendons les conclusions de la mission de Mme Herviaux avec impatience.

Mes chers collègues, la crise que traverse l’agriculture incite à repenser les mécanismes de crise et les outils de régulation du marché.

Monsieur le ministre, votre mission est essentielle. Le groupe du RDSE, dont l’engagement européen est constant, vous soutiendra pour défendre notre agriculture et obtenir un consensus européen.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon ami Jean Bizet a bien décrit les raisons qui ont conduit le groupe Les Républicains à souhaiter un tel débat : évoquer les mesures à prendre pour restructurer et moderniser les filières agricoles dans le cadre de la politique agricole commune.

J’ai été frappé, en entendant plusieurs des intervenants qui m’ont précédé à cette tribune, de constater les convergences entre nous. Elles sont naturelles, compte tenu de l’ampleur de la crise que nous connaissons dans les différents départements. Or, voilà encore quelques mois, nous étions en désaccord sur les causes et les remèdes à cette crise. Mais les professionnels attendent aujourd'hui que nous dépassions nos clivages et que nous prenions les dispositions nécessaires pour permettre à notre agriculture de retrouver la place qu’elle a malheureusement perdue.

À l’instar de nombreux collègues, je constate la détresse du monde agricole sur nos territoires. Des questions reviennent souvent : pourquoi la France voit-elle sa production baisser quand d’autres bassins de production, comme l’Irlande ou l’Allemagne, explosent ? Pourquoi certaines productions sont-elles aujourd'hui, sinon en déclin, du moins en train d’être dépassées par des concurrents que l’on n’attendait pas voilà encore quelques années ?

L’occasion nous est donnée de réfléchir ensemble – c’est là où il y a des convergences – sur une nouvelle manière de penser la politique agricole commune. Il est vrai que nous avons empilé des mesures pendant des années, voire des dizaines d’années, sans véritablement changer le cadre, le cap, voire la conception même de ce qui est bon et nécessaire pour l’agriculture. Nous avons aujourd'hui la possibilité de le faire. Au demeurant, nous en avons déjà débattu ici même, lors de l’examen d’une proposition de loi que j’avais déposée avec nombre de mes collègues pour rendre l’agriculture plus compétitive et lui permettre de faire face à la concurrence.

Aujourd'hui, l’Europe doit être regardée comme l’institution, le cadre, non pas qui empêche, mais qui permet ! Déjà, dans un passé récent, le Gouvernement, à la faveur de la nouvelle politique agricole commune, avait orienté certaines des dispositions de l’Europe en faveur de l’élevage. C’était une bonne orientation ; elle tranchait par rapport à des habitudes qui avaient été prises. Aujourd'hui, nous devons aller plus loin et, peut-être, réfléchir à d’autres systèmes.

Je rejoins totalement notre collègue Jean Bizet sur la viticulture. Cette filière a renoncé à des aides directes, et elle a utilisé les aides de l’Europe pour se restructurer, se moderniser et promouvoir ses productions.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Les résultats sont là. Ils sont particulièrement convaincants. Pourquoi ne pas s’en inspirer aujourd'hui ? C’est une piste qui vous est suggérée, monsieur le ministre.

Toujours à propos de l’Europe, il y a peut-être également des dispositions à prendre en matière d’assurance. C’est un sujet essentiel. Notre collègue Jean-Jacques Lasserre y travaille avec beaucoup de détermination au sein de la commission des affaires économiques, que je préside. D’ailleurs, les idées qu’il a formulées sont tellement bonnes qu’elles ont été reprises dans la proposition de loi que nous examinerons le 30 juin prochain.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Cela montre qu’il peut, là aussi, y avoir des convergences et que nous pouvons, les uns et les autres, trouver les voies et moyens pour soutenir notre agriculture.

En matière de concurrence, l’Europe n’a pas hésité à desserrer l’étau lors de la crise qui a frappé la production laitière, notamment en utilisant l’article 222 de l’OCM unique. Pourquoi ne pas conforter un système assurantiel à l’échelon européen ?

Je profite de l’occasion qui m’est offerte pour vous donner lecture d’un texte rédigé par Jean-Paul Fournier, sénateur du Gard, qui souhaitait s’exprimer au nom des élus de son département et de ceux des Bouches-du-Rhône sur la riziculture. Notre collègue écrit ceci : « Depuis le refus par le Gouvernement en 2014 de la mise en place d’une aide européenne couplée pour la production rizicole, la production a été divisée par deux, et les surfaces exploitées se sont effondrées.

« Le Gouvernement avait proposé à la place une mesure agroenvironnementale, qui n’est pas totalement aboutie, provoquant une désorganisation totale de la filière. Les conséquences sont donc tout à fait dommageables pour la production de riz, mais aussi pour l’écosystème camarguais, étant rappelé que la Camargue est la plus grande zone humide de France.

« Le retour à l’aide couplée dans le cadre de la réforme à mi-parcours de la PAC serait un signe fort de la volonté nationale de soutenir une production de riz française. Les autres pays européens producteurs de riz, comme la Grèce, l’Italie ou l’Espagne, ont préservé l’aide couplée, garantissant ainsi la production rizicole. »

Je me faisais un devoir de faire part d’une telle préoccupation, largement partagée par les élus du territoire concerné.

Enfin, je tiens à insister auprès du Gouvernement sur la nécessité de défendre nos droits et la place que nous occupons dans les négociations sur l’accord commercial avec le Canada – nous aurons d’ailleurs un débat sur le sujet jeudi prochain – et, bien entendu, sur le TTIP. Le fait que j’utilise l’expression « TTIP » est un signe que j’y suis plutôt favorable, ceux qui y sont hostiles préférant parler de « TAFTA ».

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Monsieur le ministre, vous avez un vrai devoir de défendre ce qui fait l’excellence française, c'est-à-dire la qualité et l’originalité de nos produits, qui sont souvent exceptionnels. Comme je constate que vous ne prêtez guère attention à mes propos, …

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Mais si ! D’ailleurs, je vais vous répondre !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

M. Jean-Claude Lenoir. … je vous remercie donc de bien vouloir lire le compte rendu de nos travaux à l’issue de ce débat pour savoir ce que j’ai dit !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lasserre

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie les initiateurs de ce débat.

Comme cela a été rappelé, nous fonctionnons sur deux piliers clairement identifiés : d’une part, les aides directes, couplées et découplées ou droit à paiement unique, aussi appelé DPU, représentent 70 % du budget de cette politique ; d’autre part, la politique de développement rural. L’Union européenne cofinance les mesures qui contribuent au dynamisme socio-économique des territoires et à la préservation des paysages, à hauteur de 25 % du budget de la politique agricole commune.

Les enjeux nationaux ont été abordés lors de la réunion des ministres européens de l’agriculture à Amsterdam la semaine dernière. Cette rencontre, que nous avons suivie, a bien montré que la politique agricole commune d’après 2020 se jouait dès maintenant. Plusieurs points délicats, mais fondamentaux qui avaient déjà été discutés en 2013 le seront de nouveau.

Le premier concerne la convergence dans la redistribution des aides.

Sous la pression de certains « gros pays », notamment l’Allemagne, il avait été décidé d’abandonner le plafonnement des aides directes. En échange, le principe de dégressivité était appliqué. Une convergence externe et interne devrait – nous y tenons – conduire à plus de justice.

Nous ne pouvons qu’être favorables à une distribution plus juste des aides, notamment pour aider les plus petites exploitations. Je le rappelle, ces dernières années, les grosses exploitations ont récupéré plus de 80 % des aides directes.

Le deuxième point est relatif à l’élevage. Nous devons défendre une orientation toujours plus marquée en ce sens.

Certes, le taux pour les aides couplées a été renforcé, passant de 10 % à 13 %, avec une possibilité supplémentaire de 2 % pour la production de protéines végétales. Cela permettra de soutenir le développement de l’autonomie fourragère protéique, donc l’élevage. Une telle démarche s’accompagne d’un mécanisme de « limitation des pertes ».

Mais c’est évidemment insuffisant. L’ensemble mérite d’être amélioré. Il faut à tout prix utiliser la totalité des mesures disponibles pour accorder le soutien maximum aux exploitations, notamment, de bovins-viande. Il s’agit, je le répète, du couplage, de la compensation du handicap – j’y reviendrai – et des mesures adaptées de soutien au deuxième pilier. Il faut aussi préserver le niveau des DPU des systèmes naisseurs-engraisseurs et engraisseurs.

La pleine utilisation de toutes les mesures disponibles vaut également pour la production laitière, dont la situation s’aggrave toujours, comme l’a encore démontré la triste journée mondiale du lait de la semaine dernière.

Le troisième point porte sur le verdissement. J’imagine que nous aurons l’occasion d’en reparler. C’est un sujet fondamental et récurrent. Un tiers des aides directes dépendraient de la mise en œuvre de bonnes pratiques environnementales de base. En outre, 30 % des aides indirectes, rurales, iront en direction de ceux qui feront plus d’efforts pour la biodiversité ou le climat.

Bien entendu, une agriculture écoresponsable est souhaitable. Elle est d’ailleurs souhaitée par les consommateurs, qui sont de plus en plus demandeurs.

Mais ne tombons pas dans les clichés ! Regardons objectivement les efforts et la contribution de nos agriculteurs à la qualité de l’environnement. La plupart font déjà d’énormes efforts, en prêtant une très grande attention à leur environnement.

Nous sommes très réservés quant à l’augmentation des sommes consacrées au verdissement. Nous pensons en effet que, dans leurs retombées, au regard de leurs contraintes, elles méritent d’être revisitées.

Surtout, il me semble indispensable de prendre en compte les spécificités locales. Nous avons eu l’occasion d’en parler à plusieurs reprises. Il est absolument nécessaire d’adapter les exigences environnementales en fonction des départements, de leur climat, de leurs caractéristiques agronomiques et de leurs caractères propres.

Je souhaite également évoquer les indemnités compensatoires de handicaps naturels, ou IPHN, et la prime herbagère agroenvironnementale, ou PHA. Ces moyens doivent être préservés, voire accentués compte tenu de la situation. On ne peut plus accepter qu’ils soient distribués de manière toujours plus restrictive. Je fais notamment référence aux surfaces prises en compte.

L’avenir des jeunes agriculteurs est un autre point primordial. L’installation est évidemment une nécessité. Nous sommes véritablement à un moment de la vie agricole française et même communautaire où des signes supplémentaires d’espérance doivent être adressés en direction des jeunes agriculteurs.

Notre collègue Jean-Claude Lenoir a abordé la question des risques, ce qui a suscité quelques réactions. Je suis bien d’accord pour dire que, au-delà des enjeux récurrents, le débat doit aujourd'hui s’orienter vers les risques climatiques et les risques économiques. Si les deux sujets sont, certes, liés, nous devons les traiter en tant que tels.

Sur les risques climatiques, nous sommes plusieurs parlementaires à travailler sur l’évolution du système assurantiel. Nous faisons un constat : l’assurance concerne trop peu d’agriculteurs. Sa généralisation doit être un objectif. Son intérêt réside dans les 65 % d’aides publiques versées par l’Union européenne.

Sur les risques économiques, le débat doit s’engager sur la notion de « couverture » de tels risques, qui sont essentiellement liés à l’évolution des prix de marché.

Toutefois, et je m’adresse à mes amis du groupe socialiste, ce serait, je le crois, une grave erreur de penser réguler des prix de marché totalement hors contrainte exclusivement par des fonds publics, qu’ils soient européens, nationaux ou régionaux. Les mécanismes, même insuffisants, de régulation des échanges internationaux doivent être très scrupuleusement surveillés, leur libéralisation intégrale conduisant à des situations catastrophiques.

Les propositions formulées par la profession agricole sur les relations entre producteurs, transformateurs et distributeurs doivent être enfin mises en application. La libre circulation des produits au sein de l’espace communautaire, de même que les accords internationaux méritent de l’encadrement. À ce moment-là, la couverture des risques économiques par la puissance publique sera envisageable.

Monsieur le ministre, nous avons entendu votre proposition d’épargne de précaution obligatoire. Nous y serons attentifs.

De même, le caractère « contracyclique » de la PAC est une notion audible, à condition d’en définir très précisément l’application.

Les flambées, ou la chute, des prix mondiaux concernent essentiellement les grandes cultures. Les flambées, très conjoncturelles et limitées dans le temps, justifient une redistribution plus affinée des aides européennes. Cela peut être la base de l’épargne de précaution que vous évoquez par ailleurs.

L’exercice est différent, notamment pour l’ensemble des productions animales, qui ne connaissent pas, elles, ces caractères cycliques.

Les aides européennes devront toujours avoir un caractère de stabilité et de durée à un niveau suffisant.

Nous sommes prêts à examiner le principe contracyclique des aides européennes. Des modèles qui existent dans le monde nous apparaissent beaucoup plus performants que l’organisation de la PAC. Nous serons très attentifs aux initiatives prises.

Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui – j’en remercie moi aussi ses initiateurs – est une occasion essentielle de rappeler que la crise agricole a des facteurs à la fois conjoncturels et structurels : concurrence internationale accrue, perte de compétitivité, volatilité et tendance à la baisse des prix, perte de débouchés… Car l’agriculture n’a pas échappé à la mondialisation et à ses conséquences !

Mais, nous le savons aussi, le contexte européen et les politiques agricoles européennes, depuis plusieurs dizaines d’années, ont leur pertinence dans l’interprétation de la crise que nos agriculteurs traversent. La volonté politique de dérégulation a fait perdre à la PAC sa capacité modératrice des marchés agricoles.

Alors que nous nous trouverons à mi-parcours en 2017, nous devons nous interroger sur ce que la PAC peut encore apporter à l’agriculture française. Comment doit-elle se redéfinir pour continuer à remplir ses objectifs, c'est-à-dire assurer un niveau de vie équitable à nos agriculteurs, stabiliser les marchés et garantir la sécurité des approvisionnements et des prix raisonnables aux consommateurs ?

Malgré tout, notre agriculture nous garantit une qualité reconnue, que nous maîtrisons. C’est pourquoi il nous faut nous appuyer sur cette image et penser une stratégie à long terme, sur le modèle de la viticulture. À cet égard, une fois n’est pas coutume, je partage ce que vous avez dit, monsieur Lenoir.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

M. Jean-Claude Lenoir. C’est plus fréquent qu’on ne le croit !

Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

La filière viticole, que je connais particulièrement bien, constitue un exemple bien vivant de ce qu’une PAC efficace peut apporter à notre agriculture.

À partir de 2008, une vaste réforme de l’organisation commune du marché du vin a été mise en place. Son objectif était d’équilibrer le marché vitivinicole pour limiter, voire éliminer les mesures d’intervention. Les budgets ont ainsi été réorientés au profit de mesures plus positives et ont renforcé la compétitivité de nos vins. Cette réforme prévoyait une restructuration rapide du secteur vitivinicole, basée notamment sur un régime d’arrachage volontaire primé sur une durée de trois ans. Il s’agissait de permettre aux producteurs ne pouvant pas affronter la concurrence de sortir dignement de la filière et d’éliminer du marché les excédents de production et les vins ne correspondant plus au marché, donc au goût des consommateurs.

Les subventions destinées à la distillation de crise et à la distillation en alcool de bouche ont été progressivement supprimées. Les montants correspondants ont été réaffectés sous la forme d’enveloppes nationales.

Le montant des paiements de l’enveloppe 2014-2015 du programme quinquennal français de l’OCM vitivinicole a été consommé sur une stratégie de filière voulue par les professionnels : 103 millions d’euros pour les investissements des entreprises, 101 millions d’euros pour la restructuration et reconversion du vignoble, 45 millions d’euros pour la promotion sur les marchés des pays tiers et 34 millions d’euros pour les prestations viniques.

Ce programme assurera ainsi le financement de mesures structurantes sur le premier pilier. Cela permettra au secteur de rester dynamique. La restructuration du vignoble, les aides à la promotion à l’export et l’effort sur les investissements ont été privilégiés, avec les résultats que l’on connaît !

La viticulture n’a pas choisi le droit à paiement de base comme dans les autres filières. Cela constitue un modèle duplicable. Les négociations sur la future réforme de la PAC doivent le prendre en compte.

Par ailleurs, et nous sommes nombreux à le dire, la volatilité des prix est malheureusement désormais la norme des marchés agricoles. Elle constitue aujourd'hui l’enjeu majeur de la politique agricole commune. Les politiques doivent accompagner les acteurs les plus exposés pour atténuer les effets négatifs des variations vertigineuses des prix.

Dans ce contexte, comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner ici, l’Europe ne peut plus uniquement fonder sa politique agricole sur des aides directes découplées. Celles-ci ne sont pas adaptées aux situations de volatilité des prix, alors que l’objectif de « stabiliser les marchés » est souhaitable.

Il s’agit aujourd’hui de passer d’une politique de soutien direct à l’hectare à une politique de gestion des risques mutualisée. Nous avons déposé une proposition de loi en ce sens avec mes collègues socialistes Franck Montaugé et Didier Guillaume. Elle fait suite à notre proposition de résolution, qui a été discutée ici même le 6 avril dernier. Elle visait à mettre en œuvre des mécanismes de stabilisation des revenus au niveau européen et elle a été adoptée à l’unanimité.

La gestion des risques climatiques, sanitaires et environnementaux est une mesure économique structurante. Les récentes catastrophes naturelles que viennent de connaître certains agriculteurs montrent la nécessité d’ouvrir ce débat.

Dans le cadre du second pilier a été créé le programme national de gestion des risques et d’assistance technique. Il nous faut continuer à consolider le financement de la gestion de risques à l’horizon de 2020.

Dans cette logique, si nous souhaitons une PAC réellement efficiente, il est inéluctable d’opérer un basculement d’une partie du montant des aides découplées vers des mécanismes de gestion des risques soit par une plus grande mobilisation des outils déjà existants au sein du second pilier, soit par la création de nouveaux outils au sein du premier pilier.

Lors du Conseil informel des ministres européens de l’agriculture à Amsterdam le 31 mai dernier, vous avez, monsieur le ministre, mis l’accent sur le fait que les dispositifs relatifs aux risques climatiques et sanitaires doivent être complétés par un outil efficace de prise en charge des aléas économiques – assurance chiffre d’affaires, outil de stabilisation des revenus. Nous partageons votre analyse.

Nous vous soutenons encore quand vous défendez le remplacement de la réserve de crise européenne par une mesure d’épargne de précaution obligatoire afin de donner un caractère contracyclique à la PAC.

Le Parlement a son mot à dire ! Nous aurons à en rediscuter ce mois-ci lors du débat de la proposition de loi visant à mettre en place des outils de gestion des risques en agriculture.

La PAC 2014-2020 a innové en ajoutant du paiement vert au paiement de base. Il est conditionné par le maintien des prairies permanentes, la diversité des assolements et l’aménagement de surfaces d’intérêt écologique. Ces mesures permettent d’accompagner les exploitations agricoles qui s’engagent dans le maintien ou le développement de pratiques combinant performance économique et environnementale.

Là encore, la position exprimée par la France à Amsterdam est allée dans ce sens puisque vous avez, monsieur le ministre, défendu avec ambition la conservation et la simplification du dispositif de verdissement.

La réelle difficulté de la PAC réside dans sa complexité. Malgré la volonté du commissaire à l’agriculture Phil Hogan de la simplifier, le fossé est considérable entre l’administration qui produit la réglementation et les acteurs qui ont d’énormes difficultés à l’appliquer. Si l’on comprend aisément que des règles sont nécessaires, encore faut-il qu’elles soient applicables et surtout qu’elles ne changent pas aussi souvent.

Les régions sont devenues autorités de gestion du Fonds européen agricole pour le développement rural et participent ainsi au plus près des agriculteurs à la mise en place des programmes régionaux, auxquels s’ajoute un programme national pour la gestion des risques en agriculture qu’il me semble nécessaire d’activer.

Il est primordial, monsieur le ministre, que vous puissiez convaincre vos collègues européens de la nécessité de construire un projet agricole européen pouvant répondre aux défis alimentaires, environnementaux et sociétaux. Ce projet devrait avoir pour ambition d’offrir à nos agriculteurs une vision suffisante à moyen et long terme. Ils pourront ainsi vivre dignement de leur métier.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Raison

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons ce soir de la modernisation de l’agriculture.

Le premier point sur lequel nous devons nous accorder sont les objectifs que nous fixons à l’agriculture, qu’elle soit française ou européenne. Il me semble que nous sommes cependant tous d’accord pour dire que la « ferme France » comme la « ferme Europe » doivent rester très solides sur le plan économique. La France doit rester une ferme exportatrice.

Qu’est-ce que la modernisation en matière d’agriculture ? Qu’est-ce qu’une agriculture moderne ?

Cessons tout d’abord, qu’il s’agisse des médias ou parfois de certains d’entre nous, de vendre malhonnêtement de la nostalgie mal fondée. Dire que c’était mieux avant et qu’il faut recommencer à faire de l’agriculture comme dans le passé, c’est oublier certaines réalités. Le ministère de l’agriculture a publié une petite brochure très bien faite sur la gestion par les services de l’État des différentes maladies, qu’il s’agisse des animaux ou des végétaux – de la forêt comme des plantes cultivées. En la lisant, on s’aperçoit qu’il serait illusoire de vouloir supprimer tous les produits de traitements et ignorer toutes les avancées scientifiques réalisées autour de l’agriculture. Ce serait revenir au XIXe siècle ! Nous serions confrontés à un certain nombre de maladies que nous ne pourrions plus maîtriser, qu’elles soient animales ou végétales.

L’agriculture moderne n’est pas le fruit du hasard. La raison d’être de certaines pratiques n’est pas non plus de faire plaisir aux agriculteurs ou à ceux qui les entourent, en amont comme en aval.

Monsieur le ministre, des crises agricoles, il y en a déjà eu. Certes, vous n’avez pas de chance, si tant est que vous soyez sensible à la crise, ce qui ne nous a pas toujours semblé être le cas.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Raison

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas votre faute s’il y a une crise. Et si l’on est un ministre sensible, ce n’est pas chose facile que d’être confronté à une crise aussi longue et aussi dure. Des crises, il y en a déjà eu. Malheureusement, il y en aura peut-être encore davantage dans le futur.

Quand il est question d’économie agricole, il ne faut négliger aucun levier. Je n’ai aucune recette ni aucune leçon à donner à quiconque, mais on oublie trop souvent de manipuler le levier de l’agriculteur lui-même. On pense plus souvent au levier de l’État et au levier de la politique agricole commune.

Le levier de l’agriculteur, personne n’ose en parler : serait-ce un affront d’avouer qu’un certain nombre d’agriculteurs ont des progrès à faire en matière de gestion, qu’elle soit administrative, financière ou parfois même technique ? Il faut avoir le courage d’aborder ce problème.

Le levier de l’État, nous le connaissons tous, même si nous le connaissons parfois mal. Je n’y insisterai pas, car nous sommes avant tout réunis ce soir pour débattre de la politique agricole commune. Quoi qu’il en soit, tout est combiné.

Quant à la politique agricole commune, plusieurs orateurs l’ont souligné, qu’il s’agisse de Jean Bizet ou de Jean-Claude Lenoir, il me semble très sincèrement qu’il va falloir la bouleverser.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Raison

Le premier pilier de la politique agricole commune devrait plus ou moins ressembler au Farm Bill américain.

À force de replâtrer et d’apporter modification sur modification, comme pour nos politiques de l’emploi ou nos politiques fiscales, plus personne n’y comprend rien ! Plus personne ne sait comment appliquer ces politiques.

Il faut une politique qui servirait, qui serait beaucoup plus souple et qui viendrait justement en accompagnement des politiques nationales, fiscales et autres. Il est important d’avoir une politique qui puisse accompagner la fluctuation des prix et des marchés. La loi de l’offre et de la demande est ainsi faite que lorsqu’on produit 101 % par rapport à la consommation, les cours commencent à baisser. À 102 %, c’est la crise ! Bref, ce n’est pas si simple à gérer.

L’Europe doit mettre en place des systèmes de régulation à peine plus performants que ceux dont elle dispose aujourd'hui. Mais réguler l’Europe seule, au milieu du monde, ce n’est pas forcément très efficace.

Une autre solution pour réguler le revenu des agriculteurs serait de se servir du volume des aides du premier pilier pour passer le cap en cas de besoin. Il est inutile de donner des aides à un agriculteur l’année où il a réalisé une bonne récolte et a bénéficié de bons cours. À quoi bon lui faire payer des impôts ? Creusons-nous la tête au niveau européen pour trouver un système simple et efficace !

En ce qui concerne le deuxième pilier, décentralisons. C’est le sens de l’intervention de Jean Bizet. Lorsque nous avons décentralisé les transports ferroviaires dans nos régions, ils se sont mis à mieux fonctionner. Idem lorsque nous avons décentralisé la construction des collèges et des lycées. Décentralisons le deuxième pilier de la politique agricole, car telle région, en zone de colline ou de montagne difficile, aura besoin d’aménagement pour éviter que le ramassage de la production laitière ne cesse un jour.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Raison

Plutôt que de promouvoir une politique nationale uniforme, régionalisons ce deuxième pilier pour l’adapter et le rendre plus efficace.

Par ailleurs, les aides doivent également servir à orienter. J’irai dans le sens de mon ami et collègue écologiste : l’agriculture moderne est certes une agriculture qui n’abandonne pas les progrès scientifiques, mais c’est aussi une agriculture qui sait revenir à un certain nombre de méthodes plus intelligentes. Que l’Europe produise plus de légumineuses ! Arrêtons d’importer bêtement du soja et réalisons des assolements avec des légumineuses, qui évitent d’utiliser des désherbants et apportent gratuitement de l’azote dans les sols. L’aide financière doit aussi servir de levier pour mieux manipuler les systèmes d’assolement.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, un bilan à mi-parcours est très intéressant à réaliser pour plusieurs raisons.

Premièrement, si l’on reprend l’histoire depuis que l’Union européenne a instauré la politique agricole commune, nous assistons à une dégradation sans précédent, presque historique.

Nous sommes au mois de juin 2016 et les engagements pris par l’Union européenne et la France n’ont pas été complètement tenus. En clair, l’Europe et la France doivent encore de l’argent eu égard au travail réalisé par les agriculteurs sur l’ensemble de nos territoires. Cela ne s’était jamais produit dans l’histoire de l’Union européenne !

Deuxièmement, ce bilan doit nous interpeller sur les signes et les encouragements à adresser aux femmes et aux hommes qui travaillent sur nos territoires et prennent des risques. La politique agricole commune est arrivée à un niveau de suradministration et à un stade d’incompréhension absolument gigantesque. Je citerai deux exemples.

Tout d’abord, en ce qui concerne les surfaces non agricoles, l’incompréhension est complète. Demain, les paysans se trouveront accusés d’avoir coupé tel ou tel arbre. Nous sommes parvenus à un niveau de gestion territoriale totalement incroyable.

Ensuite, le plus grave, les paysans de France ont reçu un document relatif à la déclaration de la politique agricole commune pour l’assolement 2016 leur expliquant qu’elle ne se ferait plus dorénavant sur papier. N’oublions pas qu’un certain nombre d’exploitants n’ont pas internet ! Ce document leur expliquait gentiment que s’ils n’avaient pas internet, ils devaient se déplacer à la DDT…

Soyons attentifs à la considération que nous manifestons à l’égard de femmes et d’hommes sur le territoire qui peuvent se sentir rejetés ou avoir le sentiment de ne plus avoir leur place. Nous devrions à l’inverse les encourager et surtout les accompagner. Ils en ont besoin !

Un autre point que je voudrais évoquer concerne la gestion des marchés et des risques. Jean Bizet l’a très bien expliqué, et je partage complètement son propos ainsi que celui du président de la commission des affaires économiques, Jean-Claude Lenoir. Il me semble que, quelles que soient nos sensibilités, nous sommes tous d’accord. C’est tout l’objet de la proposition de loi tendant à généraliser l’assurance récolte obligatoire.

Car, monsieur le ministre, il convient d’aborder la question du transfert entre le premier et le deuxième pilier. Nul ne peut imaginer qu’un jeune s’installe en prenant le risque que sa production, nécessaire à l’équilibre économique, ne soit pas au rendez-vous. Il faut donc que l’on bouge. C’est ce que nous avons proposé au travers d’une proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire.

Par ailleurs, il est nécessaire de se soucier de la gestion et de l’organisation des marchés. Sur ce plan, nous avons là aussi complètement atteint nos limites. Il est impératif d’innover et de retrouver la stratégie offensive que l’Union européenne a totalement perdue depuis sa création. Retrouvons une organisation des marchés au sein de l’Union si nous voulons être une force de frappe sur le plan de l’agriculture et de l’agroalimentaire.

L’autre exemple le plus flagrant vécu aujourd'hui par les paysans est celui de la politique extérieure de l’Europe. Rien n’a été pris en compte pour les accompagner. Ils sont seuls, exposés et complètement démunis.

Il est important de revenir aux fondamentaux du traité de Rome, qui prévoyait que l’Europe apporterait aux agriculteurs la garantie d’un revenu décent et équitable, comparable à celui des autres catégories socio-professionnelles.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Il faut aussi bien sûr penser au renouvellement des générations. Faisons attention de ne pas sacrifier celles et ceux qui ont investi : ce sont les plus exposés.

La question de la compétitivité de notre agriculture et de nos entreprises agroalimentaires est également aujourd'hui clairement posée. Le taux de pénétration de nos productions agricoles et agroalimentaires sur le marché de l’Union européenne et le marché mondial, voire, plus grave, dans notre propre pays, est fragilisé.

Je terminerai tout simplement en constatant que l’Asie, notamment la Chine, les USA et beaucoup d’autres pays à travers le monde mettent en place des politiques offensives sur le plan agroalimentaire. L’Union européenne constitue aujourd'hui une chance absolument formidable. L’Europe a été une chance pour notre agriculture et notre population au moment de sa création. L’Europe sera encore une chance pour notre agriculture, pour notre économie et surtout pour garantir la sécurité alimentaire de notre population. Pour cela, il faut que la France retrouve une place stratégique qui donne envie à une majorité de pays de l’Union européenne de la suivre, ce qui n’est plus le cas. Tout un travail reste à faire. À mi-parcours, il est nécessaire de se remettre en cause. Ce travail, nous souhaitons le faire tous ensemble !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, comme à chaque fois, je suis très heureux de participer à un débat dans cet hémicycle sur la question de l’agriculture.

Je répondrai tout d’abord au doute émis par un sénateur sur ma sensibilité au sujet des questions agricoles.

Il y a plus de quatre ans que je suis dans ce gouvernement. Dans l’histoire de la Ve République, je fais partie des ministres qui sont restés le plus longtemps à la tête du ministère de l’agriculture. Compte tenu des difficultés que j’ai pu rencontrer, il faut bien que j’aie une sensibilité agricole ! Elle n’est pas liée au fait que je suis ministre de l’agriculture. Elle s’explique parce que je suis né dans le monde rural, dans un village de 256 habitants, que mes grands-parents étaient agriculteurs et que j’ai fait moi-même un BTS agricole. Si je n’étais pas sensible aux questions agricoles, je ne crois pas que je serais resté aussi longtemps à ce poste, en ayant la volonté à chaque fois d’essayer de trouver des solutions. Voilà pour vos doutes, monsieur Raison !

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

C’est votre point de vue, madame la sénatrice.

Plusieurs sujets ont été évoqués au cours de ce débat très intéressant.

Vous avez tout d’abord abordé une question d’actualité, à savoir la triple crise porcine, bovine et laitière.

En ce qui concerne la crise du porc, l’actuelle remontée du prix sur le marché européen est liée à une reprise du marché chinois. Je ne m’attribue donc aucun mérite. Néanmoins, au-delà de cette embellie, il est important de consolider notre capacité exportatrice. Il faut surtout, je le dis aux Bretons, …

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

… veiller à consolider la contractualisation. Il est essentiel de mieux organiser notre filière. Les producteurs de porcs français ne doivent pas uniquement être des producteurs de matière première que d’autres se chargent de transformer. Tels sont les enjeux liés à la contractualisation. Il est important de structurer le marché et de se fixer des objectifs précis. C’est primordial. Je l’ai déjà dit et je ne cesserai d’insister sur ce point.

S’agissant de la crise laitière, celle-ci a des conséquences sur la crise bovine : les excédents de production conduisent de nombreux pays à abattre des vaches laitières, ce qui pèse ensuite sur le marché de la viande bovine.

Vous doutez, monsieur Gremillet, du poids de la France à l’échelle européenne et de sa capacité à entraîner les autres États. Mais si notre pays n’avait pas demandé que se réunisse un Conseil extraordinaire en septembre 2015 et mobilisé 500 millions d’euros, je ne sais pas qui l’aurait fait !

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

Avez-vous entendu un autre pays alerter sur la profondeur de cette crise ?

J’ai dit, en septembre dernier, au commissaire européen que l’aide de 500 millions d’euros ne suffirait pas et ne permettrait pas de répondre au problème posé. Car on peut toujours donner des aides, mais si l’on ne règle pas le problème de la production et de la surproduction, il faudra en redonner d’autres… Un certain nombre de pays considèrent que, face à une crise, il faut leur venir en aide immédiatement. C’est ne pas prendre la dimension structurelle du marché ! Qui l’a dit, sinon la France ?

Au début de cette année, un nouveau Conseil a été réuni durant lequel le commissaire européen a lui-même reconnu qu’il avait fait une erreur en considérant que les prix allaient remonter sur le marché international et que les aides annoncées au mois de septembre allaient suffire. Ce n’est pas moi qui l’ai dit, mais bien lui !

Qui a proposé de s’appuyer – M. Lenoir l’a évoqué – sur l’article 222 du règlement sur l’organisation commune de marché, proposition qui a été acceptée par la Commission européenne ? La France !

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

Je ne dis pas que c’est le ministre de l’agriculture, car cela serait considéré par certains comme une manifestation d’orgueil démesuré de ma part…

La France continue de peser. La preuve en est que j’espère – enfin ! – obtenir à Varsovie, où je vais me rendre jeudi prochain, un engagement de l’Allemagne et de la Pologne sur la mise en œuvre concrète de l’article 222, dont nous avons voulu l’application à l’échelle européenne.

Vous avez dit, monsieur Bizet, que ce n’était pas la peine de refaire le débat sur la fin des quotas. Je respecte ces propos : c’est vrai, ce qui est fait est fait. Mais quand l’opposition vous attaque en vous reprochant de ne rien faire et de ne rien comprendre, il faut bien rappeler que les décisions précédentes peuvent avoir des conséquences qui perdurent, alors même que vous êtes aux responsabilités ! §Je n’y reviendrai pas, car, encore une fois, vous avez raison, il nous faut avancer.

Avec l’application de l’article 222, nous parviendrons à faire bouger l’Europe et à maîtriser – certes, de façon temporaire – la production laitière, afin de rétablir de nouveau quelque peu l’équilibre entre l’offre et la demande. Nous avons doublé au début de l’année le plafond des interventions à l’échelle européenne, ce qui représente, en six mois, 218 000 tonnes de poudre de lait.

Je rappelle à tous les pays qui sont très attachés à la logique du marché et au libéralisme qu’il faut faire un choix entre le marché et l’interventionnisme ! On ne peut pas invoquer le marché en toute occasion et réclamer une intervention lorsque la situation est mauvaise. On peut toujours continuer à verser de l’argent ; mais si l’on ne parvient pas à mieux équilibrer l’offre et la demande, les prix demeureront bas !

La mise en œuvre de l’article 222 sera utile pour ceux qui seront aux affaires après nous. Nous nous sommes dit, en effet, que d’autres crises surviendraient. Depuis que je suis ministre, nous avons subi trois crises profondes liées à une réorganisation complète de l’agriculture à l’échelle tant européenne que mondiale, laquelle faisait suite à des décisions qu’il faut désormais assumer. C’est très important de le rappeler !

J’espère réussir jeudi prochain, à Varsovie, à faire bouger l’Allemagne. Elle a d’ailleurs commencé à évoluer, vous l’avez rappelé. Mais combien de fois aura-t-il fallu que je dise que nous constations une augmentation de la production et un décalage entre les débouchés espérés et la réalité du marché ? Il aura fallu attendre huit mois pour que les choses bougent !

Je le dis aux représentants de la nation que vous êtes, comme je l’ai fait devant la FNPL, au début de l’année : tandis que je faisais bouger l’Europe, le COPA et le COGECA n’ont pas pris position ! En revanche, Thierry Roquefeuil, président de la FNPL, et Xavier Beulin, président de la FNSEA, se sont mobilisés pour que le COPA et le COGECA acceptent enfin de dire, au bout de sept ou huit mois, qu’il fallait maîtriser la production et recourir à l’article 222. Si cet objectif est atteint, tant mieux ! Mais, je le redis, le mérite en reviendra à la France.

Soyons honnêtes, on ne peut pas dire que, depuis le début de cette crise, la France ne pèse pas. De la même manière, le Président de la République a voulu, dès son élection, le maintien du budget européen de l’agriculture, du Fonds de cohésion et de la politique agricole commune. Le deuxième pilier de la PAC a même été renforcé à hauteur de plus de 60 %. Tout cela, c’est la France qui l’a voulu !

Cessons de rabaisser le poids, la place et le rôle de la France ! Ce faisant, nous nous affaiblissons nous-mêmes. Ne savez-vous pas que les autres pays écoutent ce que nous disons ici ? Si vous dites que la France est petite, faible et qu’elle n’a plus de voix, nos concurrents prendront cela pour argent comptant. Or ce n’est pas vrai, la France a pesé, notamment sur les objectifs de la prochaine politique agricole commune. Nous avons en effet été le seul pays à déposer un texte à l’occasion de cette évaluation à mi-parcours.

Ce texte comprenait trois grands axes, portant sur l’ensemble de la PAC. Aucun autre pays n’a déposé de projet prévoyant clairement les objectifs d’une nouvelle politique agricole commune ! Je vais d’ailleurs organiser prochainement une réunion sur ce sujet.

Quelques pays nous ont dit qu’ils suivraient la France. Je ne vais pas m’en plaindre ! Certains sont dirigés par des gouvernements de gauche – il n’y en a pas beaucoup en Europe –, d’autres par la droite ou une coalition.

Quels sont les trois axes du projet français ? Il faut les rappeler, car c’est la voix de la France qui portera au cours des prochains débats.

On a évoqué les mécanismes contracycliques. Il serait formidable de disposer de dispositifs de type Farm Bill américain, si ce n’est que les États-Unis sont un État fédéral, dont le budget est voté tous les ans par la Chambre des représentants et le Sénat : il peut donc être augmenté une année, et diminué la suivante. L’Europe ne fonctionne pas ainsi puisque son budget est pluriannuel, financé par les contributions de chaque État membre, lequel calcule ensuite son « retour sur investissement ».

Cela nous renvoie au débat actuel chez nos amis britanniques, qui examinent toujours ce qu’ils versent et obtiennent en retour, oubliant que, du fait de la solidarité européenne, ils bénéficient d’un marché et de consommateurs solvables. Tous les États membres en profitent, y compris ceux qui sont les plus puissants et qui exportent. Personne ne dit que le pays qui tire le plus de profits des politiques européennes en matière de solidarité, en particulier des politiques de cohésion, c’est-à-dire de distribution au niveau européen, est le premier exportateur d’Europe : l’Allemagne. Car, en Grèce ou ailleurs, on achète aussi des Volkswagen et des Mercedes… Or on ne le dit jamais !

Son budget étant pluriannuel, l’Union européenne ne peut donc pas mener de politique contracyclique. Si tel était le cas, dès lors que l’on déciderait de fixer à zéro le montant des aides parce que les prix agricoles sont élevés, on ne pourrait pas augmenter ces aides l’année suivante, même avec des prix bas. Il faut donc trouver une autre solution et, surtout, cesser d’établir une comparaison avec le Farm Bill, un dispositif qui, d’ailleurs, coûte cher et ne répond pas à toutes les exigences des agriculteurs américains. Je peux vous le dire, je suis allé aux États-Unis… On dit que les dispositifs européens sont compliqués, mais il faut voir la complexité de leur système assurantiel ! Les agriculteurs doivent remplir un document énorme, indiquer les options qu’ils choisissent en fonction de l’évolution des prix et de la couverture qu’ils souhaitent. Renseignez-vous, et vous verrez que le dispositif américain est très complexe !

J’en viens au premier axe du projet français, qui a trait aux grands enjeux de l’innovation, de l’emploi dans l’agriculture, de l’installation et de l’organisation des filières.

Une partie des aides couplées pourrait ainsi être utilisée pour organiser les filières ; c’est un enjeu très important. Je le dis aux sénateurs français, le véritable débat sur l’avenir de l’agriculture européenne porte sur la conception que nous en avons.

Les pays du nord de l’Europe veulent une agriculture qui s’affranchit des sols et de la terre agricole, puisqu’ils en ont peu, et développent des stratégies d’élevage industriel. Ils produisent beaucoup plus que ce que devrait le leur permettre leur potentiel de surfaces agricoles utiles. Les Pays-Bas, par exemple, nous ont présenté un système d’agriculture verticale, qui consiste à produire des tomates totalement bio dans des bulles stérilisées et sous des lampes allumées jour et nuit. Telle n’est pas notre conception de l’agriculture, dans la mesure où nous disposons, pour notre part, de sols agricoles.

Pour ce qui est de l’élevage, notre conception est mixte. Nous avons, bien sûr, besoin de l’élevage hors sol, mais il nous faut aussi maintenir l’élevage en plein air de vaches, de poulets… C’est tout le débat sur les aides couplées que j’ai conduit au moment de la réforme de la PAC. Les enjeux sont colossaux !

Le premier axe consiste donc à maintenir nos stratégies, à innover et à construire une agriculture créatrice d’emplois.

Le deuxième axe est le verdissement. À cet égard, nous ne devons pas nous tromper : le verdissement doit être appliqué à l’échelle européenne, et de la même manière partout. Et c’est bien la difficulté !

L’Allemagne voulait faire du verdissement une partie du deuxième pilier. Elle avait proposé une dizaine de critères, parmi lesquels figurait la méthanisation. Il s’agissait ensuite de cofinancer ce plan : ceux qui en avaient les moyens faisaient beaucoup de verdissement et augmentaient leur compétitivité ; il y avait donc distorsion de concurrence.

Assurer une logique de verdissement à l’échelle européenne, c’est le meilleur moyen de garantir des normes partagées par tous et d’éviter les distorsions de concurrence que vous dénoncez souvent et qui sont liées à des différences normatives d’un pays à l’autre. C’est un point important.

Il faut aussi prendre en compte la question du réchauffement climatique. La France a proposé, lors de la COP 21, de retenir le projet « 4 pour 1 000 » à l’échelle mondiale. L’idée est de faire des sols agricoles des lieux de stockage du carbone, qui vont permettre d’atténuer la présence de carbone dans l’atmosphère. Nous devons acter ce point.

Les surfaces et les sols agricoles sont, à la fois, un enjeu pour le stockage du carbone et un enjeu agricole et agronomique : plus ils sont fertiles, plus les rendements sont importants.

Sur cette question, j’ai fait des propositions visant à élargir les critères. J’ai aussi préconisé d’intégrer dans les nouveaux critères la couverture des sols, point très important si l’on veut favoriser l’agroécologie et le développement des protéines fourragères, en particulier des légumineuses. Davantage de légumineuses, c’est moins d’azote minéral, donc moins d’importations de gaz ! Nous devons donc mener ces stratégies.

J’en viens à la simplification. J’ai cherché des pistes pour simplifier. Nous avons ainsi proposé des zones homogènes d’objectifs. Il s’agit de définir, dans des régions déterminées, des objectifs en fonction de trois ou quatre critères : couverture des sols, taux de matière organique dans les sols, biodiversité… On n’est plus contrôlé tous les jours sur les moyens qu’on utilise, mais sur les résultats qu’on est capable d’obtenir. On simplifie tout en fixant des objectifs ambitieux en termes écologiques et agroécologiques. Je vais aller au bout de ma logique sur les zones homogènes : le 23 juin, on fera une nuit de l’agroécologie.

Je le répète, on n’est plus contrôlé sur les moyens, on passe un contrat sur des objectifs. Cela simplifie la vie de tout le monde. Il est vrai que les surfaces d’intérêt écologique ne sont qu’une photographie : des haies, des arbres dans les champs. C'est la préservation de l’existant. On peut considérer que les choses peuvent évoluer, qu’une haie peut être remplacée par une autre haie… Par exemple, on développe un GIEE dans les Côtes-d’Armor en cherchant à adapter le parcellaire avec des haies, pour tenir compte de l’évolution des parcelles, des changements de propriétaire, de l’agrandissement quand il existe. Voilà la réalité ! Tant que l’objectif reste le même – préserver des surfaces d’intérêt écologique avec un objectif fixé –, on définit un contrat et on le met en œuvre. Après, des adaptations peuvent être apportées. Je le redis, cela simplifiera énormément les choses. Ce point – les zones homogènes – fait partie des propositions de simplification avancées par la France.

Troisième axe : la résilience de l’agriculture. Comment faire face à la volatilité des prix ?

On peut se répéter tous les jours qu’il ne faudrait pas de volatilité des prix : j’en serais le premier satisfait ! Mais je constate avec vous que, sur cette question, tant hier qu’aujourd'hui – et ce sera aussi vrai demain –, nous sommes tributaires de la situation du marché international.

Si je prends l’exemple des céréales, quand j’ai été nommé ministre en 2012 – il n’y a pas si longtemps que cela ! -, on me disait que le prix des céréales – la tonne coûtait alors 300 euros, voire plus – allait rester à ce très haut niveau, et pendant très longtemps. Résultat des courses : quelques années après, la tonne est à 120 ou 130 euros, sans que personne n’ait rien vu venir… En revanche, les marchés de Chicago, eux, ont anticipé cette baisse. Ce n’est pas le ministre de l’agriculture français qui a décidé de ce prix : il résulte de l’équilibre du marché international.

Comment réagir alors ? Par la résilience, en gardant des mécanismes de régulation et des filets de sécurité – un point qu’on a déjà évoqué – et en opérant une mutualisation globale pour assurer un effet contracyclique. C'est ce qui explique que, souvent, l’État, chaque État, vienne abonder, en plus de sa contribution au budget européen et des aides européennes versées aux agriculteurs, pour colmater les brèches. Car lorsqu’un prix baisse de 20 % ou 25 % en l’espace d’un an ou d’un an et demi, c'est énorme ! Quand s’y ajoute une crise sanitaire – on a évoqué l’influenza aviaire –, c'est aussi l’État qui doit compenser. C’est tout à fait normal.

L’idée est donc d’assurer ces mécanismes de mutualisation. La France a proposé d’intégrer une dimension contracyclique, c'est-à-dire de prévoir une épargne de précaution obligatoire lorsque les prix sont élevés. Une partie des aides du premier pilier pourrait être retenue afin que les agriculteurs disposent d’une épargne garantie, qu’ils pourraient ensuite utiliser, avec une fiscalité allégée bien évidemment, lorsqu’ils rencontrent des difficultés.

Je le dis, car c'est très important de le comprendre. Aujourd’hui, même si les prix sont élevés, les aides sont versées. Les investissements agricoles sont énormes, et c’est au moment où les prix sont bas que le poids des emprunts à rembourser est le plus élevé. L’épargne de précaution permettra à l’agriculteur de conserver une partie de ces aides et d’éviter que certains anticipent le versement de ces dernières pour contracter des prêts, qui pèseront ensuite sur leur trésorerie.

C'est la France qui a proposé ce mécanisme. La Commission européenne et un certain nombre de pays sont déjà venus nous demander de préciser les choses. Le débat est lancé, il a d’ailleurs été ouvert avec la proposition de loi que vous aviez déposée. Comment assurer un système assurantiel ? Comment faire en sorte qu’une épargne soit utilisée pour assurer cet amortissement absolument nécessaire lorsqu’on rencontre des difficultés liées à des aléas climatiques, sanitaires ou économiques ? Lorsqu’on est dans une situation d’extrême gravité, à plus de 30 % de crise, il faut un système mutualisé global.

Ce sont des sujets que nous avons mis sur la table, et ils méritent, selon moi, d’être discutés.

J’ai évoqué une agriculture de type industriel avec un important capital à investir. Si notre pays a un choix stratégique à faire, c'est celui d’utiliser notre capital foncier comme outil de compétitivité. Ce ne sont pas des gros mots, comme certains pourraient le penser, c'est la vérité. Il faut faire en sorte que ce capital foncier soit utilisé à son maximum de potentiel de durabilité et de production, qu’il s’agisse de productions végétales, fourragères ou céréalières.

Nous avons des durées de saisonnalité très longues. Je ne suis rendu en Russie pour y rencontrer des ministres au début du mois de novembre de l’année dernière. Il neigeait là-bas, et la récolte était terminée. Quand je suis rentré, je me suis rendu dans la Sarthe, chez mon ami Pastoureau. Sur des sols « post-récolte céréalière », il y avait encore 1, 10 mètre de couverture de sol qui allait être utilisée soit pour stocker du carbone soit pour faire du fourrage.

Je le répète, nous avons une saisonnalité plus importante que les autres. Puisque le soleil est là, la photosynthèse peut nous aider. Nos sols sont une richesse. Moins on investira dans le capital, moins on aura besoin d’argent, et plus on pourra être compétitif. C’est ma conviction, et une certitude. Certains inventent des systèmes où, pour produire, en particulier dans l’élevage, il faut réaliser des investissements colossaux en capital. Il suffit de prendre l’exemple de l’installation des jeunes agriculteurs aujourd'hui : quand il faut investir dans d’importants bâtiments, cela devient impossible. Nous devons avoir une stratégie qui allège l’investissement en capital et utilise notre potentiel foncier.

Regardez ce que fait la Nouvelle-Zélande, qui a l’agriculture la plus compétitive : des investissements minimes en bâtiments et une gestion optimisée des parcelles en herbe et de la production fourragère. Cela vaut pour beaucoup de régions en France. Nous devons créer une stratégie. Comme nous avons un grand pays, nous avons cette potentialité que d’autres n’ont pas. Cela fera partie des atouts pour l’avenir.

Les IGP, les indications géographiques protégées, sont un véritable sujet, très important dans le débat transatlantique. La France ne cédera jamais sur cette question, surtout quand on sait – n’est-ce pas, monsieur César ? – que les Chinois reconnaissent quarante-cinq appellations bordelaises.

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

César est venu, César a vu, César a vaincu !

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

Alors que nous avons 600 IGP en France, j’ai appris – et cela m’a frappé – que la Chine en avait 2 000. Ils ont fait le choix du système de l’indication géographique protégée. Dans le débat mondial, notamment par rapport à d’autres pays, en particulier anglo-saxons, qui refusent cette stratégie, la Chine est un allié de poids. Quand je dis « de poids », ce n’est pas un pays, c'est un continent ! Il est donc très important de garder et de développer cette stratégie.

Je conclus en évoquant le riz, un sujet abordé par Jean-Claude Lenoir. Je connais le débat. On avait mis en place une mesure agroenvironnementale de 300 euros à l’hectare. Environ 70 % des exploitations y ont recours. La production de riz est très importante pour éviter la salinisation de la Camargue. Il s’agit de trouver un équilibre entre la production économique et les grands enjeux environnementaux. On peut essayer d’y ajouter quelques éléments. Sur ce sujet, nous continuerons à avancer.

Ce débat sur l’avenir et l’organisation de la politique agricole commune était utile. Il est très important de continuer ensemble, au-delà des sujets polémiques et au-delà même de l’actualité, à penser l’avenir. C'est aussi comme cela que nous serons en mesure de faire face aux difficultés.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Michel Le Scouarnec, Jacques Mézard et Raymond Vall applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Restructuration et modernisation des principales filières agricoles dans le cadre de la réforme à mi-parcours de la PAC ».

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 8 juin 2016, à quatorze heures trente et, éventuellement, le soir :

Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l’accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 (614, 2015-2016) ;

Rapport de M. Christian Cambon, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (628, 2015-2016) ;

Texte de la commission (n° 629, 2015-2016) ;

Avis de M. Jérôme Bignon, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable (652, 2015-2016).

Proposition de résolution européenne relative au régime de sanctions de l’Union européenne à l’encontre de la Fédération de Russie, présentée en application de l’article 73 quater du règlement (n° 643, 2015-2016) ;

Rapport de M. Robert del Picchia et Mme Josette Durrieu, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (659, 2015-2016) et texte de la commission.

Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi réformant le système de répression des abus de marché (612, 2015-2016) ;

Rapport de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission mixte paritaire (611, 2015-2016).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée à vingt-trois heures quinze.