Intervention de Franck Montaugé

Réunion du 7 juin 2016 à 21h30
Modernisation des principales filières agricoles dans le cadre de la réforme de la pac — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Photo de Franck MontaugéFranck Montaugé :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat, proposé à un moment opportun du processus de réflexion sur la PAC post-2020, est bienvenu, et j’en remercie ses initiateurs.

Nous partageons tous ici le souci du devenir de l’agriculture française, une agriculture confrontée, au plan national comme européen, à des enjeux de sécurité et de qualité alimentaires, à des défis économiques, environnementaux, territoriaux. Elle doit de surcroît faire preuve de résilience à l’égard des nombreux aléas dont elle est en permanence l’objet.

Pour répondre à ces enjeux, nous devons faire une analyse juste du fonctionnement de la PAC actuelle et en déduire des objectifs pertinents pour la prochaine, en cours de préparation.

À nos yeux, la PAC post-2020 doit être construite sur les objectifs suivants : croissance, emploi et compétitivité ; contribution aux enjeux climatiques et environnementaux ; développement de la ruralité ; gestion des risques de toute nature pour une agriculture plus résiliente et plus durable.

Compte tenu du peu de temps qui m’est imparti, et sachant que nous présenterons le 30 juin prochain, avec Henri Cabanel et Didier Guillaume, une proposition de loi visant à mettre en place des outils de gestion des risques en agriculture, je me limiterai à traiter la question de la nécessaire résilience de la future PAC face aux aléas sanitaires, climatiques et économiques.

Les agriculteurs nous le disent, et ils ont raison : « Nous ne voulons pas des primes, mais des prix ! » Cela suppose des marchés correctement rémunérateurs qui leur donnent une visibilité suffisante pour définir la bonne stratégie d’exploitation, pour faire les choix pertinents d’investissement, qui demeurent, on le sait, la condition majeure de leur compétitivité dans la durée. Ils réclament des marchés « justes » en quelque sorte.

Mais quelle est la réalité actuelle ? Force est de le constater, les mécanismes de régulation des marchés ont soit disparu – c’est le cas des quotas –, soit n’existent pas, ou alors sous des formes quasi embryonnaires.

Depuis 1962, de réforme de la PAC en réforme de la PAC, avec celle de 1992 en particulier, les principes du libre marché autorégulé ont fini par modeler l’agriculture de nos nations, de nos régions et de nos terroirs, en même temps qu’ils ont fait disparaître et souffrir trop souvent, parfois jusqu’à l’insupportable, nos paysans. Dans ce contexte éminemment politique, mais je devrais plutôt dire dogmatique, la résignation n’est pas de mise et la réaction doit être inspirée par des principes politiques empreints de pragmatisme économique et de solidarité à l’égard du monde paysan.

Dans notre réflexion, nous partons d’un fait que nous devons toujours avoir en tête : les agriculteurs n’ont pas de pouvoir de marché. Pis, quand la valeur dont ils devraient bénéficier prioritairement augmente, c’est surtout l’amont et l’aval qui en profitent. La question se pose donc immédiatement : quel rôle devrait jouer l’Europe dans ce contexte d’adossement – le mot « affrontement » serait plus approprié – aux marchés européens et mondiaux, qui détermine pour une large part les revenus de nos producteurs ?

La PAC actuelle n’intègre pas, de façon adéquate en tout cas, de mécanisme de gestion du risque de prix. À cet égard, l’observation des dispositifs mis en œuvre dans les grands pays producteurs hors de l’Union européenne est riche d’enseignements et doit être prise en compte pour définir notre boîte à outils de gestion et de couverture des différents types de risques.

Pour les risques individuels de type usuel, la gestion relève de choix privés, soutenus par des aides publiques, tels que la diversification des cultures, l’épargne de précaution, le lissage par la fiscalité ou les baisses de charges.

Quand l’aléa est maîtrisable, interventions collectives et publiques se complètent à travers la coopération de producteurs, les fonds de mutualisation des risques, les assurances récoltes au regard des risques climatiques et les assurances revenus.

Enfin, lorsque le risque est systémique ou que l’aléa est catastrophique, c’est au public d’intervenir pour rééquilibrer les marchés avec des aides contracycliques et au titre de la solidarité nationale pour les calamités naturelles.

À partir de cette typologie des risques et de l’analyse des politiques nationale et européenne dans ce domaine, quel constat peut-on faire ? Où sont les marges de manœuvre, les possibilités de progrès, les orientations à privilégier ?

D’abord, l’État intervient sur les baisses de charges et sur le lissage de la fiscalité. Il encourage les organisations collectives, telles que les coopératives, les GAEC et les GIEE, qui sont gages d’efficience accrue et de mutualisation des risques. Il intervient aussi dans le financement des assurances récoltes pour le risque climatique au moyen du contrat socle, ainsi qu’en matière de calamités sanitaires ou environnementales grâce au Fonds de mutualisation sanitaire et environnemental, le FMSE.

L’État pourrait utilement approfondir la mise en œuvre des articles 36 à 39 du règlement 1305/2013 de l’UE, qui traitent de la gestion des risques. Ce point fera l’objet de la proposition de loi que nous examinerons le 30 juin prochain.

Quant à l’Union européenne, dans la perspective de la PAC post-2020, elle devrait se mettre en position de pouvoir évaluer finement les pertes de revenus agricoles. À cet égard, les retards pris en matière de numérique et de big data agricole sont importants. Elle devrait également favoriser la création de comptes d’épargne de précaution, soutenir les tests de terrain pour valider ou pas les concepts de gestion de risque et les méthodes nouvelles, développer des processus d’apprentissage à partir d’expérimentations et de modélisations et prévoir un financement suffisamment flexible pour les outils de gestion des risques en utilisant les réserves spéciales de l’Union.

Enfin, il faudrait organiser l’UE pour la supervision de la gestion des risques – c’est la question de l’assurance chiffre d’affaires et des outils de stabilisation du revenu – en restructurant le premier pilier et en lui fixant des objectifs stratégiques. Il faut aussi traiter la question de l’efficience des aides découplées et, enfin, adapter le cycle de gestion budgétaire de la PAC. En effet, la PAC peut-elle être efficace, réactive face aux situations aléatoires dans le cadre d’un cycle budgétaire annualisé ?

Je soumets à notre débat ces pistes possibles de réflexion et d’étude.

En définitive, pour penser la PAC de demain, pour la sauver, ne faut-il pas changer radicalement de mode de raisonnement ou de paradigme, comme diraient les scientifiques ? Je répondrai par l’affirmative, mais je sais aussi qu’on ne fait pas table rase d’un tel système d’un simple trait de plume. Cette réorientation stratégique nécessite de voir loin et de penser la transition pour que le remède ne soit pas plus dévastateur que le mal.

Pour aller dans ce sens, l’expérimentation, la modélisation et l’évaluation doivent être engagées sans tarder sous forme de tests ou d’expérimentations pour aboutir à des stratégies européennes de filière. Nombre d’acteurs intéressés y sont prêts.

Sur un plan plus politique, je reste convaincu que la construction d’un rapport de force impliquant toutes les parties prenantes – gouvernements des pays membres, organismes professionnels de filières, etc. – sera indispensable pour mener à bien une telle réforme.

Associer et former au plus tôt les agriculteurs eux-mêmes à ce processus de transition majeur sera aussi une condition incontournable du succès. Je sais que vous y travaillez sans relâche, monsieur le ministre, et je vous en remercie.

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