J'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui les enseignements tirés des auditions que nous avons menées sur les émissions des véhicules diesel récents, avec les autres membres du groupe de travail « Mobilités et transports », que je remercie pour leur participation : Annick Billon, Jean-Jacques Filleul, Jean-François Longeot, Didier Mandelli, Rémy Pointereau et Charles Revet.
Pour mémoire, nous avions décidé d'approfondir cette question à l'issue d'une première table ronde organisée devant la commission en janvier 2015, sur les « effets des motorisations diesel sur la santé et l'environnement ».
Cette table ronde intervenait dans le cadre du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, dont j'étais le rapporteur. Elle avait fait apparaître une suspicion sur la fiabilité des mesures d'émissions des véhicules diesel, qui a été largement médiatisée depuis septembre 2015, avec l'affaire Volkswagen.
À partir de cette date, d'autres initiatives ont été lancées. Notre commission a organisé une seconde table ronde sur les « mesures des émissions des véhicules à moteur diesel » en octobre dernier. Au même moment, l'Assemblée nationale a créé une mission d'information sur l'offre automobile française, tandis que la ministre de l'environnement, Ségolène Royal, a mis en place une commission indépendante chargée d'une enquête sur les émissions des véhicules, à laquelle je participe. En s'appuyant sur les mesures effectuées pour cette commission indépendante, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a lancé plusieurs enquêtes.
À l'étranger, de nombreux États ont procédé à des tests similaires, et une commission d'enquête a été créée au sein du Parlement européen. Sans doute avez-vous d'ailleurs eu vent, par la presse, des récentes suspicions de fraudes concernant le constructeur japonais Mitsubishi...
Je me félicite que l'ensemble de ces travaux soient guidés par une volonté de transparence, qui a malheureusement trop longtemps fait défaut dans ce domaine. Or, quand on ne dit pas toute la vérité au citoyen, comment lui demander d'avoir confiance en nos institutions ? Il y a là un problème plus global, qui, me semble-t-il, doit intéresser les parlementaires que nous sommes.
Dans le cadre du groupe de travail « Mobilités et transports » de la commission, nous avons entendu un grand nombre de spécialistes, ainsi que les principaux acteurs concernés : des experts internationaux - universitaires ou représentants d'associations environnementales, dont la célèbre ICCT, qui a alerté les autorités américaines à propos de Volkswagen -, l'Ademe, l'Anses, le Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique, Airparif, l'Institut français du pétrole - l'IFPEN -, le Centre d'étude et de recherche technologique en aérothermique et moteur, ainsi que les constructeurs Peugeot et Renault.
Je vais vous présenter une synthèse de ces travaux et les conclusions que j'en ai tirées. Mais il faut garder à l'esprit que, dans ce domaine comme dans d'autres, les connaissances évoluent - et les technologies aussi. Il faut donc régulièrement se mettre à jour.
Notre interrogation était la suivante : suite au durcissement continu de la réglementation européenne, quel est l'impact des émissions des véhicules diesel récents, conformes à la norme Euro 6, entrée en vigueur en 2015 ?
Lorsque l'on s'intéresse aux conséquences du trafic routier sur l'environnement, il faut regarder deux catégories d'émissions : d'une part, les émissions de CO2 - elles ne présentent pas de danger direct pour l'homme, mais ce gaz à effet de serre est à la base du réchauffement climatique -, d'autre part, les émissions de polluants atmosphériques, qui altèrent la qualité de l'air et dont les impacts négatifs sur la santé sont avérés.
Le CO2 est donc un enjeu de santé pour notre planète, les polluants atmosphériques un enjeu de santé publique pour les êtres humains.
Parmi ces polluants figurent les particules fines, les oxydes d'azote, dits « NOx », les hydrocarbures et le monoxyde de carbone. La liste vaut si l'on s'en tient aux seuls polluants réglementés, mais il en existe de nombreux autres, sur lesquels des études commencent à voir le jour.
Si le moteur diesel a de meilleures performances en matière d'émissions de CO2, il produit davantage de particules fines et de NOx.
Pour les moteurs diesel récents, ce sont les NOx qui constituent le sujet de préoccupation principal, car la question des particules fines a été réglée en grande partie.
Pour mémoire et très rapidement, les particules fines se répartissent en trois catégories : les particules primaires émises à l'échappement des véhicules ; les particules secondaires formées dans l'air à partir de gaz précurseurs émis à l'échappement, en particulier les NOx ; s'y ajoutent les particules liées à l'abrasion - freins, pneus, routes -, souvent oubliées.
Il est aujourd'hui considéré que la norme Euro 5, entrée en vigueur en 2011, a permis de traiter la question des particules primaires, en obligeant de fait les constructeurs à doter tous leurs véhicules diesel de filtres à particules. Le plafond d'émission de particules autorisé est effectivement passé de 140 mg/km, pour la norme Euro 1, entrée en vigueur au début des années 1990, à 4,5 mg/km, soit trente fois moins.
La norme Euro 5 a complété ce plafond exprimé en masse par un plafond exprimé en nombre de particules, pour mieux tenir compte de la question des particules ultrafines.
Elle a aussi pris en considération le fait que les nouveaux moteurs à essence à injection directe émettent également des particules primaires, en leur imposant le même plafond de 4,5 mg/km, alors que les véhicules à essence n'étaient auparavant soumis à aucune contrainte dans ce domaine. La norme Euro 6 l'a accompagné d'un plafond exprimé en nombre, pour ces mêmes véhicules à essence.
Les experts considèrent que les filtres à particules sont efficaces contre ces particules primaires, lorsque, bien sûr, ils fonctionnent normalement. Voici, à ce titre, un extrait d'un avis de l'ADEME de juin 2014 : « Les véhicules diesel équipés émettent [...] un niveau de particules équivalent à celui des émissions issues des moteurs à essence ». Je ne reviendrai pas sur la pratique délictueuse consistant à ôter le filtre à particules, appelée défapage, abordée dans le cadre de la loi de transition énergétique.
Le problème des particules secondaires est plus complexe, celles-ci ne pouvant être filtrées mécaniquement à l'échappement. Comme elles sont en partie issues des NOx, elles renvoient elles aussi à ce sujet.
Je précise néanmoins que des études récentes ont mis en lumière le rôle des derniers moteurs à essence à injection directe dans la production d'aérosols organiques secondaires - AOS -, dans des proportions supérieures aux autres moteurs.
Enfin, les particules liées à l'abrasion restent une préoccupation, mais qui ne dépend pas du type de moteur thermique. Elles sont devenues proportionnellement plus visibles avec la diminution des émissions de particules primaires de combustion et, en 2013, représentaient plus de 40 % des émissions de particules du transport routier. Or, on n'en parle pratiquement pas !
Je ferme cette parenthèse sur les particules pour revenir aux NOx. Ce terme englobe l'ensemble des oxydes d'azote, mais, parmi eux, c'est le dioxyde d'azote - ou NO2 - qui est dangereux. Il s'agit d'un gaz toxique très irritant pour les voies respiratoires. De plus, il conduit à la formation de particules secondaires et d'ozone, eux aussi nocifs pour la santé.
Outre qu'un véhicule diesel émet plus de NOx, la proportion de NO2 au sein de ces NOx y est plus importante. Il a en outre été constaté que l'installation de certains filtres à particules pouvait encore augmenter cette part de NO2 parmi les NOx.
La réglementation européenne sur les émissions des véhicules régit les NOx pris dans leur ensemble, sans isoler en particulier le NO2. La justification qui nous a été donnée repose sur le fait que le monoxyde d'azote émis à l'échappement, non toxique à ce stade, se transforme inévitablement en NO2, toxique, une fois dans l'air. La question est de savoir quand et comment s'opère cette transformation, ce qui, à mon sens, ne rend pas totalement inintéressant le fait de quantifier la part de NO2 parmi les NOx émis à l'échappement, d'autant que c'est techniquement possible.
Bien que plus tardive que celle qui traite des particules, la réglementation sur les NOx a, elle aussi, été durcie au fil des ans. C'est à partir de la norme Euro 3, en vigueur en 2001, que ces émissions ont été limitées à 500 mg/km pour les véhicules diesel et 150 mg/km pour les véhicules à essence.
La norme Euro 6 établit désormais ce plafond à 80 mg/km pour les moteurs diesel et 60 mg/km pour les moteurs à essence, ce qui devrait en théorie conduire, là aussi, à une certaine convergence entre les deux motorisations.
Malheureusement, des écarts considérables entre ces limites théoriques d'émissions et leur niveau effectif, en conduite réelle, ont été mis au jour. Ils témoignent de failles importantes dans le processus européen d'homologation des véhicules. Nous l'avions constaté, ici même, dès janvier 2015.
Les tests d'homologation sont réalisés en laboratoire, sur des prototypes configurés par le constructeur pour être plus performants. On dénomme « voitures en or » ces véhicules qui, par exemple, ont des pneus sur-gonflés pour limiter les frottements ou l'alternateur débranché.
Le constructeur peut en outre choisir dans quel pays il décide d'homologuer son véhicule, ce qui peut l'inciter à rechercher le système le plus souple, alors que le véhicule peut ensuite être commercialisé dans toute l'Europe.
Le test en lui-même, dénommé NEDC, est très peu représentatif de l'usage réel des véhicules : il ne s'effectue que sur 11 km, avec une vitesse moyenne proche de 34 km/h, et à des températures clémentes - entre 20°C et 30°C.
En outre, l'essentiel de la procédure de l'homologation se joue avant la production du véhicule en série, peu de tests étant réalisés par la suite pour vérifier la conformité de la production, c'est-à-dire la conformité des véhicules commercialisés aux prototypes homologués, ou la conformité en service, censée vérifier la performance des systèmes de dépollution dans la durée, jusqu'à un certain kilométrage (160 000 km).
Les failles de cette réglementation sont apparues lorsque des organismes de recherche et des associations environnementales ont commencé à mesurer les émissions des véhicules en conditions réelles de conduite, en les faisant circuler sur route avec un dispositif de mesure relativement récent, appelé PEMS, pour Portable Emissions Measurement System, installé derrière leur coffre.
Si ce type de mesure est plus représentatif de la réalité, il rend les comparaisons entre véhicules plus difficiles, dans la mesure où ceux-ci ne sont pas testés rigoureusement dans les mêmes conditions - notamment de température ou de météorologie. La notion de conduite « en usage réel » est par ailleurs relative, chaque conducteur ayant sa propre façon de conduire. Il s'agit néanmoins d'un indicateur précieux de la performance des véhicules « dans la vie réelle ».
Plusieurs organismes ont relevé un grand écart entre les émissions mesurées lors des tests d'homologation, qui respectent les plafonds autorisés, et les émissions mesurées en conduite réelle, qui ne les respectent pas.
Ces dernières atteignent, en moyenne, 4 à 5 fois la quantité des émissions autorisées pour les véhicules Euro 6, d'après la Commission européenne. Ce rapport atteint même le chiffre de 7 dans l'étude d'une association, et il s'agit, là encore, d'une moyenne. Il s'est accru avec le durcissement des normes d'émissions : plus celles-ci ont été sévères, plus les véhicules s'en sont écartés en conditions réelles de conduite.
Cet écart a été confirmé, plus récemment, par plusieurs autorités ayant réalisé de telles mesures depuis le scandale Volkswagen, comme la commission mise en place par Ségolène Royal : sur 23 véhicules Euro 6 testés à ce jour, 13 d'entre eux atteignent l'équivalent de 5 fois la limite d'émissions de NOx autorisées. Ce rapport peut aller jusqu'à 11 fois pour certains véhicules !
Cet écart se constate, bien que dans des proportions différentes, chez un grand nombre de constructeurs, qui ont su tirer parti des failles de la procédure d'homologation européenne, en « optimisant » les tests d'homologation.
Dans le cas de l'affaire Volkswagen, la situation est différente, puisqu'il s'agit d'une fraude avérée : un logiciel a été installé sur les véhicules pour détecter le cycle de test d'homologation et activer à plein le système de dépollution des NOx, qui est bridé le reste du temps.
La réglementation européenne interdit clairement cette utilisation d'un dispositif dit d'« invalidation ». Il n'est malheureusement pas impossible que d'autres constructeurs aient procédé à des fraudes similaires - des enquêtes sont en cours dans le monde entier à ce sujet.
Pour autant, même si les autres constructeurs n'ont fait qu'exploiter les failles de la réglementation, certains procédés interrogent.
Des constructeurs ont justifié leurs dépassements des plafonds d'émissions en conduite réelle par le fait que leurs véhicules ont été testés à des températures auxquelles les systèmes de dépollution ne peuvent fonctionner, sauf à détériorer le moteur. De fait, la réglementation européenne autorise le recours à un dispositif d'invalidation dans ce cas.
Mais, à y regarder de plus près, on se rend compte que la plage de température dans laquelle les systèmes de dépollution concernés fonctionnent bien peut être assez réduite. En tout cas, elle ne correspond pas à la réalité des usages du véhicule.
Cela pose, une fois encore, la question de la transparence sur la réalité du fonctionnement des systèmes de dépollution, d'autant que le règlement européen impose bien la limitation des émissions de polluants « tout au long de la vie normale des véhicules, dans des conditions d'utilisation normales ».
Ainsi, même lorsqu'il n'y a pas de fraude avérée, les écarts entre tests d'homologation et tests effectués en conduite réelle sont choquants, et l'on peut regretter que la prise de conscience à ce sujet ait été aussi tardive, comme le fait que les constructeurs n'aient pas, dans l'ensemble, « joué le jeu » de la transparence.
Il ne s'agit pas, en effet, d'un problème de technologie : même s'ils sont peu nombreux, certains véhicules respectent les normes européennes, y compris lorsque leurs émissions sont mesurées en conduite réelle. Le respect de ces normes est donc possible !
Chez d'autres véhicules, on constate des écarts moins importants entre les émissions dite « réelles » et le plafond réglementaire, la proportion étant de l'ordre de 1,3 à 2.
Pour réduire les émissions de NOx, les constructeurs ont installé sur la totalité des véhicules un système de recirculation des gaz dit « EGR », auquel ils ajoutent en général, soit un piège à NOx, soit la technologie SCR. Le piège à NOx, moins onéreux, est très présent sur le marché européen, mais il est moins efficace que la technologie SCR, plus chère et exigeant le recours à un additif composé d'urée. Les constructeurs ayant choisi cette technologie, malgré son coût et ses contraintes - l'utilisateur doit régulièrement faire procéder à la recharge de l'additif - obtiennent de meilleurs résultats.
Une fois ce bilan dressé, quelles recommandations pouvons-nous faire ?
La Commission européenne a engagé une procédure de révision de la procédure d'homologation, qui, vous l'aurez compris, était devenue indispensable.
Cette révision se divise en deux volets : la modification des tests d'homologation, qui sont définis par un comité technique, dans la mesure où il s'agit d'un acte d'exécution du règlement européen ; la modification de la procédure d'homologation en elle-même, aussi appelée « procédure de réception des véhicules », qui a fait l'objet d'une proposition de nouveau règlement par la Commission européenne.
S'agissant des tests d'homologation, il a été décidé que le test en laboratoire serait maintenu, malgré ses insuffisances, ce qui s'explique par la nécessité d'avoir un étalon de comparaison fiable entre les véhicules.
Mais le test NEDC devrait être remplacé en 2017 par un nouveau test, plus dynamique et proche de la réalité, dénommé WLTC. Ce cycle consiste en un parcours de 23 km, à une moyenne de 46 km/h, avec des pointes à 130 km/h, alors que le précédent ne dépassait pas 120 km/h. Il devra être effectué dans des conditions normalisées, pour éviter au maximum les optimisations relatives à la charge de la batterie, la masse du véhicule, etc.
Par ailleurs, ce test en laboratoire est accompagné, depuis le début de l'année 2016, d'un test en conditions de conduite réelles, à l'aide d'un PEMS, dont les résultats ne sont pour l'instant pas pris en compte.
Dans un deuxième temps, il devra y avoir une convergence progressive entre les résultats des deux tests. Pour cela, les États membres ont établi un facteur de conformité, qui détermine l'ampleur du dépassement autorisé des plafonds d'émissions réglementaires, lorsque les émissions sont mesurées en conduite réelle.
Les États membres ont trouvé un accord le 28 octobre 2015, fixant ce facteur de conformité à 2,1 pour septembre 2017, ce qui signifie que les émissions mesurées en conduite réelle ne pourront être supérieures de 110 % aux valeurs limites fixées par le règlement, puis à 1,5 en janvier 2020, ce qui autorise un écart de 50 %.
Cette marge de tolérance a été justifiée par le fait que le PEMS est une technologie récente et n'est pas aussi précis qu'un laboratoire de mesure.
Cet accord a fait beaucoup de bruit, certains considérant qu'une trop grande marge de tolérance était accordée aux constructeurs, d'autres estimant qu'il fallait leur laisser du temps pour adapter leurs véhicules.
Le 3 février 2016, le Parlement européen a finalement décidé de ne pas faire usage de son droit de veto, ce qui signifie que ce règlement devrait entrer en vigueur. Pour certains députés, il était préférable de voter un texte, même insuffisant, plutôt que de le rejeter et retarder encore l'adoption d'un dispositif contraignant.
La Commission européenne s'est engagée, de son côté, à ce que le comité technique réexamine chaque année le niveau de ce facteur de conformité. Il est aussi prévu qu'à l'avenir, la quantité de particules fines émises soit mesurée par le PEMS, mais aucune date n'a été prévue pour l'instant.
S'agissant du deuxième aspect de la réforme, c'est-à-dire la procédure d'homologation en elle-même, la proposition du règlement de la Commission européenne du 27 janvier 2016 prévoit plusieurs avancées.
Premièrement, une transformation du mode de financement des services techniques réalisant les tests d'homologation, afin de garantir leur indépendance. Les constructeurs ne les paieraient plus directement, mais verseraient une redevance à l'État, qui la redistribuerait ensuite auprès des services techniques.
Deuxièmement, la réalisation d'audits réguliers et indépendants de ces services techniques. Ces audits devront permettre de vérifier la qualité des mesures effectuées.
Troisièmement, l'introduction de contrôles réguliers, effectués par sondage, sur les véhicules déjà commercialisés. Il s'agira de repérer les véhicules qui ne sont pas conformes au modèle homologué.
Quatrièmement, la mise en place d'un système de supervision de la procédure de réception des véhicules par la Commission européenne. Celle-ci, qui n'a aujourd'hui aucun pouvoir dans ce domaine, pourrait désormais suspendre l'activité des services techniques insuffisamment rigoureux et faire procéder elle-même à des tests de vérification ex post, alors que cette responsabilité relève aujourd'hui des États membres dans lesquels les tests d'homologation ont été effectués. Elle pourrait aussi demander le retrait des véhicules non conformes et imposer des sanctions aux constructeurs.
Ces mesures vont dans le bon sens, même si l'on peut regretter qu'elles interviennent aussi tard - nous en sommes, pour ce règlement européen, au début de la procédure, alors que la Commission a commencé à travailler sur cette distorsion en 2011.
Elles pourraient certainement être améliorées ou complétées, par exemple par une identification de la proportion de NO2 émise à l'échappement ou par un meilleur encadrement de l'utilisation de dispositifs d'invalidation justifiés par la nécessité de protéger le moteur, car cette disposition peut donner lieu à des dérives, comme on l'a vu.
De façon générale, davantage de transparence doit être exigée sur le fonctionnement concret de ces systèmes de dépollution. Il faudra s'assurer que ces mesures sont effectivement mises en oeuvre, y compris dans leur esprit, pour éviter que les constructeurs se livrent à de nouvelles « optimisations ».
L'autre question qui se pose est celle de savoir si la technologie diesel a encore un avenir.
Nous devons évidemment nous projeter, le plus rapidement possible, dans une économie décarbonée. Je rappelle qu'une étude sénatoriale réalisée, voilà quelques mois, sur le coût de la pollution de l'air en France a évalué celui-ci à 100 milliards d'euros. Si l'on compare ce montant au budget de l'État, on comprend qu'il y a là un véritable sujet de préoccupation.
Je suis donc très favorable au développement des véhicules électriques ou à hydrogène, sous réserve que leur bilan environnemental à l'échelle du cycle de vie soit effectivement meilleur que celui des autres véhicules.
Il faut ainsi veiller à l'origine de l'énergie utilisée, et s'attacher à résoudre la question du recyclage des batteries. De la même façon, pour les véhicules à hydrogène, la prudence doit être de mise, dans la mesure où plus de 95 % de l'hydrogène est aujourd'hui obtenu à partir de ressources fossiles comme le charbon ou le gaz naturel. On peut en produire par électrolyse de l'eau, mais à un coût très élevé.
Ces technologies ne sont, en 2016, pas encore suffisamment développées techniquement et industriellement pour se substituer totalement aux véhicules à moteur thermique. Elles sont encore chères, et les infrastructures de recharge ou d'approvisionnement doivent être étendues. Toutefois, ces technologies progressent rapidement.
Durant cette période de transition, le diesel restera pertinent sur certains segments de marché, surtout si les constructeurs dont les véhicules s'écartent des normes en conduite réelle s'engagent dans la correction de ces écarts, comme cela semble être le cas.
La technologie diesel reste plus intéressante que celle qui utilise de l'essence au regard de la lutte contre le réchauffement climatique, même si les derniers moteurs à essence affichent des performances meilleures que par le passé en matière d'émissions de CO2 - je dis bien « affichent », car il s'agit en général de données mesurées en cycle NEDC, dont on a vu les limites.
Un véhicule diesel consomme structurellement moins qu'un véhicule à essence, parce que son rendement énergétique est meilleur et que le gazole a une densité énergétique plus élevée que l'essence. Il émet en conséquence moins de CO2 - l'écart est d'environ 10 % à 20 %.
C'est pourquoi un organisme comme l'ICCT - qui a pourtant contribué à la découverte du scandale Volkswagen - encourage le développement de moteurs diesel propres, en insistant sur le fait que le respect des normes actuelles en conduite réelle est technologiquement possible.
La réglementation européenne pour les émissions de CO2 diffère de celle qui concerne les émissions de polluants, dans la mesure où c'est la moyenne de l'ensemble des véhicules effectivement vendus sur une année par un constructeur qui est plafonnée, et non les émissions de chaque véhicule pris individuellement. Ce plafond, de 130 g/km aujourd'hui, sera réduit à 95 g/km à partir de 2020. Lorsqu'il n'est pas respecté, les constructeurs sont soumis à des pénalités pouvant être importantes.
Dans ce contexte, et sauf boom des ventes de véhicules électriques, hybrides ou à hydrogène, d'ici à 2020, les motorisations diesel, bien que de plus en plus chères, seront encore nécessaires pour que les constructeurs respectent ces plafonds, et l'Europe ses engagements en matière d'émissions de CO2.
Mais le discours dépréciatif dont le diesel fait l'objet pourrait rendre leur vente plus difficile, ce qui compliquera la tâche des constructeurs, dans la mesure où la moyenne des émissions de CO2 est calculée, non pas sur la gamme proposée, mais sur l'ensemble des véhicules effectivement vendus dans l'année.
Un rééquilibrage s'est déjà produit en faveur de l'essence, puisque la proportion des véhicules diesel neufs vendus en France a chuté de 73 % en 2012 à 58 % en 2015.
Outre la détérioration de l'image du diesel et l'évolution des besoins de mobilité des Français, ce recul s'explique surtout par le renchérissement du coût du diesel imposé par le développement des systèmes de dépollution consécutif au durcissement des normes. De fait, les constructeurs ne proposent plus cette technologie diesel pour les véhicules d'entrée de gamme. L'augmentation du coût du diesel devrait d'ailleurs se poursuivre avec les réformes en cours et conduire certains consommateurs à se tourner vers des véhicules hybrides.
Sur le plan des émissions de polluants, on observe un phénomène progressif de convergence entre les motorisations essence et diesel.
D'un côté, les nouveaux moteurs à essence à injection directe émettent davantage de particules primaires et secondaires que par le passé. De l'autre côté, les moteurs diesel des constructeurs ayant joué le jeu ont réduit leurs émissions de NOx, et les plafonds auxquels ils sont soumis se rapprochent de ceux qui sont fixés pour les moteurs à essence : 80 mg/km pour les véhicules diesel et 60 mg/km pour les véhicules essence.
On ne sait d'ailleurs pas dans quelle mesure les véhicules à moteur à essence à injection directe respectent ce plafond de NOx en conditions réelles de conduite. Il faudrait réaliser des tests pour le mesurer.
Pour résumer, l'avenir appartient aux énergies décarbonées, et le plus tôt sera le mieux. Mais durant cette période de transition, le discours ambiant sur le diesel doit être nuancé. S'il est certain que le diesel ancien était très polluant, la norme Euro 6 l'a tout de même fait évoluer.
Il est effectivement scandaleux d'avoir laissé prospérer de tels écarts entre les plafonds d'émission et les émissions réelles pendant tant d'années, et des réponses doivent y être apportées, sur le plan répressif comme préventif, pour que les véhicules soient moins polluants à l'avenir.
Mais, dans l'attente du développement de véhicules fonctionnant avec une énergie sans carbone, la technologie diesel en elle-même ne doit pas nécessairement être abandonnée, surtout qu'elle est sur le point d'atteindre une sorte de maturité, ce qui n'est pas nécessairement le cas des derniers moteurs à essence à injection directe. Dans ce contexte, interdire tous les véhicules diesel en centre-ville, même les plus récents, comme certains le proposent, pourrait s'avérer contre-productif, si cela conduit à les remplacer par des véhicules à moteur à essence à injection directe.
De plus, les évolutions technologiques dont nous parlons ne se font pas du jour au lendemain, et nécessitent des investissements importants de la part des constructeurs, dans la durée. Balayer d'un revers de main une technologie, c'est se priver de tous les développements et améliorations qui y ont été apportés. Il faudra néanmoins s'assurer que les rejets d'ammoniac engendrés par la technologie SCR resteront limités.
Cet appel à un discours nuancé s'applique aussi aux poids lourds, en particulier aux autobus et autocars.
J'évoque rapidement cette question, car la loi de transition énergétique a imposé des contraintes aux entités publiques responsables de services de transport en matière de renouvellement de leur flotte, qui devra s'effectuer par des véhicules « à faibles émissions » de polluants et de gaz à effet de serre, définis par décret.
Or, le projet de décret qui nous a été transmis exclut totalement les véhicules essence et diesel Euro VI, alors qu'ils peuvent être très performants. En outre, on ne retrouve pas le même problème d'écart entre valeurs d'homologation et valeurs réelles d'émissions chez les poids lourds, celles-ci étant mesurées différemment.
L'un des biais de ce décret est de déterminer les véhicules « à faibles émissions » en fonction de la technologie utilisée, et non du niveau d'émissions de polluants ou de gaz à effet de serre effectivement mesuré. Cela n'est pas conforme au principe de neutralité technologique que nous avions recommandé dans le cadre de la loi de transition énergétique et que le représentant de l'Ademe, lui-même, a soutenu devant nous.
Pour terminer, cette question des véhicules diesel récents ne doit pas nous faire perdre de vue d'autres leviers fondamentaux d'amélioration de la qualité de l'air. En restant dans le domaine des transports, le parc de véhicules diesel ancien en circulation demeure la première des priorités. Là se trouve le plus grand gisement actuel d'amélioration de la qualité de l'air pour nos concitoyens.
Une autre question, à peine abordée, mériterait d'être travaillée : celle du parc des deux-roues en circulation, qui constitue une source importante de polluants atmosphériques. Or, les deux-roues sont particulièrement bien adaptés à l'énergie électrique : ils sont moins lourds que les voitures, ce qui facilite le recours à cette technologie tant sur le plan technique qu'économique, et effectuent en général des trajets courts, ce qui simplifie les recharges. Dans ce contexte, il faudrait, me semble-t-il, mener une action plus volontariste sur les deux-roues.
Chers collègues, la complexité du sujet m'a obligé à être un peu long, mais j'espère vous avoir apporté des éléments d'information et d'analyse utiles, comme cela m'avait été demandé, et suis à votre disposition pour toutes les questions que vous auriez à ce sujet.