Je suis très heureux de vous rencontrer. C'est la suite logique de mon audition à l'Assemblée nationale voici quelques mois ; c'est aussi l'occasion d'une reprise de contact avec le terrain, à travers les collectivités que vous représentez. En effet, dans les années 1990, j'ai beaucoup fréquenté les maires - parfois sénateurs - pour déployer le câble sur leur territoire, à une époque où plus personne n'y croyait.
Mon groupe est familial, puisque je le contrôle à 60 % : la taille des entreprises occulte souvent les hommes qui sont derrière. Altice est coté à la bourse d'Amsterdam. Sa stratégie - la mienne, donc - est d'investir dans les meilleures infrastructures et les meilleurs pays pour offrir à nos clients le service le plus performant en termes de qualité, d'innovation et de disponibilité. À l'origine, le câble était associé à la télé analogique, puis à la télévision numérique. Ensuite, on est passé à l'internet, puis aux télécommunications, devenues totalement « IP ». La convergence s'est faite au fil de l'évolution des technologies ; aujourd'hui évidente pour tous - ainsi notre réunion est retransmise en direct sur tous les supports - elle ne l'était que pour quelques-uns dans les années 1990. Toutefois, l'important n'est pas ma vision du passé, mais celle des dix prochaines années.
Je ne le conteste pas, j'ai construit mon groupe avec l'argent des autres. Né au Maroc, fils de professeurs, j'ai étudié au lycée Lyautey. De retour en France en 1978, j'ai intégré l'école Polytechnique puis l'armée - une expérience très formatrice - avant de rejoindre le secteur des télécoms. Plutôt que de travailler chez France Télécom, j'ai souhaité m'établir à mon compte et mettre en oeuvre non pas la vision à court terme d'un autre, mais ma propre vision à long terme.
Pour cela, n'ayant pas de ressources propres, j'ai emprunté 50 000 francs. Je dors mieux aujourd'hui avec mes 51 milliards de dettes ! Car en plus d'un projet, j'ai une entreprise qui emploie 55 000 personnes, 60 millions de clients dans le monde dont 20 millions en France, et un chiffre d'affaires compris entre 24 et 25 milliards d'euros. Ma dette est par conséquent le double de mon chiffre d'affaires, mais lorsque j'ai commencé, mon chiffre d'affaires était de zéro euro...
Une précision : nous ne faisons pas de LBO mais des montages industriels fondés sur la dette et sur la valorisation à 70 milliards d'euros de notre entreprise. Autre différence, les LBO sont l'oeuvre de fonds de private equity qui achètent grâce à l'emprunt pour revendre ; pour ma part, en 24 ans, je n'ai revendu qu'une société : le petit opérateur que j'avais au Portugal, dont j'ai dû me séparer en rachetant Portugal Telecom sur instruction des autorités de la concurrence.
Nous sommes l'opérateur présentant le ratio entre investissement et chiffre d'affaires le plus important : j'ai ainsi porté ce ratio chez SFR, depuis la reprise il y a un an et demi, de 13 % à 20 %, loin devant la plupart de mes concurrents en France et dans le monde.
Nous investissons dans trois domaines - en vertu d'une stratégie analogue dans tous les pays où nous sommes présents. D'abord, le réseau. Pour la partie mobile, il s'agit de déployer de nouveaux sites en France pour densifier la couverture du territoire et de mettre en oeuvre de nouvelles technologies comme la 4G et, depuis deux semaines, notre « ultra haut débit » trois fois plus rapide que cette dernière. Ensuite, et plus fondamentalement, c'est la fibre optique, que j'ai été le premier à déployer, gagnant ainsi une avance que l'opérateur historique essaie de faire passer pour un retard...
Toutefois, le client n'achetant pas un abonnement à un réseau, nous investissons dans la qualité de service. Nous sommes l'opérateur qui raccorde le plus vite ses clients et, depuis un an et demi, nos taux de résiliation, critère ultime de la qualité de service, ont baissé de 50 %.
Enfin, depuis quelques années, nous investissons dans le contenu pour réduire notre dépendance aux distributeurs. Hier, nous avons lancé BFM Sport, et nous nous apprêtons à créer BFM Paris, forts de cette masse critique qui nous avait manqué lorsque, il y a longtemps, nous avions tenté de lancer des chaînes locales.
Dans notre groupe, la part de la France est nécessairement centrale. En 2008, avec Numericable, j'y avais 100 % de mes actifs. Nous avons mis cinq à six ans à restructurer l'entreprise ; puis j'ai proposé une association à certains de mes concurrents. Devant leur refus, je n'avais d'autre choix que d'investir à l'étranger, en Belgique, dans les outre-mer (Antilles, La Réunion) puis au-delà : nous sommes désormais présents au Portugal et aux États-Unis. Dans chaque pays je veux être numéro un ou numéro deux. En France, nous sommes numéro deux après 25 ans - loin du numéro un, mais aussi du numéro trois. Nous sommes dans une situation analogue en Israël. Au Portugal, nous occupons le premier rang.
À mes débuts, je me suis fréquemment rendu aux États-Unis pour comprendre pourquoi le câble, échec apparent en France, était une réussite là-bas. Grâce à cet exemple, j'ai pu implanter le câble en France ; mais en France, où les prix proposés aux consommateurs sont beaucoup plus bas, j'ai été contraint d'inventer de nouvelles façons de gérer. Fort de cette expérience, pourquoi ne pas investir aux États-Unis ? J'ai donc racheté le réseau new-yorkais : j'attends la validation de notre acquisition dans quelques jours. Les critiques ont plu, le cours notre action a été perturbé ; mais je reste de marbre. On me critique comme on m'a critiqué lorsque j'ai misé sur le câble. Si l'acquisition se concrétise, nous réaliserons 9 milliards d'euros de chiffre d'affaires là-bas contre 11 milliards en France ; la différence réside dans les perspectives de développement, puisqu'en France nous représentons 30 % du marché des télécoms, contre 2 % aux États-Unis. Notre objectif est de passer de 2 % à 10 %, soit une augmentation de 40 milliards, c'est-à-dire la quasi-totalité du chiffre d'affaires global des télécoms en France. Avec 24 milliards d'euros, notre investissement est le plus important jamais réalisé par un groupe français aux États-Unis - loin devant Sanofi, qui a investi 17 milliards. Quand nous aurons montré notre savoir-faire, dans un an ou deux, nous poursuivrons, ainsi renforcés, notre développement.
Mon groupe est basé à Amsterdam, mais la plupart des dirigeants de mes filiales sont français. Il a une stratégie simple, établie au niveau international puis déclinée localement en fonction de la réglementation, du tissu concurrentiel, du marché et du pouvoir d'achat.
Les particuliers ne sont pas notre seule clientèle cible : en 2008, j'ai été le premier à raccorder les entreprises au câble après le rachat de Completel, qui constituait près de 30 % du chiffre d'affaires de Numericable ; aujourd'hui, la division « entreprises » représente plus de 25 % du chiffre d'affaires du groupe. Sa part de marché, à 20 %, reste modeste, mais nous comptons la développer.