Commission des affaires économiques

Réunion du 8 juin 2016 à 9h35

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La réunion

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La réunion est ouverte à 9h35.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin, avec les membres du groupe d'études « communications électroniques et poste », M. Patrick Drahi, président d'Altice Group. Ce grand groupe multinational, dont vous êtes le fondateur, et qui a son siège à Amsterdam depuis l'an passé, rassemble des opérateurs de télécommunication, des entreprises de communication et des médias.

Votre groupe se caractérise par la diversité de ses activités, par son orientation marquée à l'international, sur trois continents, mais aussi par sa stratégie de croissance externe très poussée.

Il a ainsi réalisé plusieurs dizaines de milliards d'euros d'acquisitions depuis 2014, avec le rachat de Portugal Telecom, de NextRadioTV ou encore du quatrième câblo-opérateur américain, Cablevision - et bien sûr SFR qui, au sein du nouveau groupe SFR-Numéricable, constitue désormais le deuxième opérateur national.

Vous nous direz, monsieur le Président, quelle est la stratégie d'ensemble que vous poursuivez à travers ces acquisitions, si vous comptez poursuivre ce cycle, et quelle part vous entendez réserver à l'Europe, et à notre pays en particulier.

Ces acquisitions se sont majoritairement faites en recourant à l'emprunt, grâce aux mécanismes du LBO, permettant à votre groupe de connaître une très forte croissance ces derniers temps, mais le conduisant aussi à un niveau d'endettement considéré comme très élevé. Vous pourrez ainsi nous éclairer sur la façon dont vous entendez soutenir cet endettement dans un contexte où il vous faudra investir, notamment dans le secteur des télécoms.

Nous nous attarderons bien sûr sur ce secteur, qui a récemment connu une reconfiguration importante avec le rapprochement de Numéricable et SFR au sein de votre holding, la montée en puissance d'Iliad-Free et les tentatives de rachat manquées de Bouygues Telecom. Lors de l'une de ces tentatives, en juin 2015, vous avez annoncé une offre publique d'achat (OPA) pour 10 milliards d'euros.

Vous nous direz donc si vous voyez un avenir à trois ou quatre opérateurs, et s'il y a selon vous une menace de la part de grands opérateurs étrangers. Vous pourrez nous faire part des perspectives de croissance du secteur, à la fois dans le fixe et le mobile, avec la transition progressive du marché vers le très haut débit.

Nous serions intéressés par la stratégie de SFR-Numéricable sur chacun des deux types de réseaux, et notamment ses ambitions dans la 4G et dans la fibre, sur le marché des particuliers, mais aussi sur celui, très spécifique, des entreprises.

L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) a donné jusqu'au 15 juin aux quatre opérateurs français pour lui soumettre de nouveaux contrats concernant leurs accords d'itinérance et de partage de réseaux. Le régulateur attend des propositions en vue de modifier le contrat d'itinérance entre Free Mobile et Orange d'une part, et le contrat de mutualisation et d'itinérance entre Bouygues Telecom et SFR d'autre part. Peut-être pourrez-vous également nous en dire un mot ?

Pour la première fois dans la salle de notre commission, la réunion fera l'objet d'une retransmission vidéo.

Debut de section - Permalien
Patrick Drahi, président d'Altice Group

Je suis très heureux de vous rencontrer. C'est la suite logique de mon audition à l'Assemblée nationale voici quelques mois ; c'est aussi l'occasion d'une reprise de contact avec le terrain, à travers les collectivités que vous représentez. En effet, dans les années 1990, j'ai beaucoup fréquenté les maires - parfois sénateurs - pour déployer le câble sur leur territoire, à une époque où plus personne n'y croyait.

Mon groupe est familial, puisque je le contrôle à 60 % : la taille des entreprises occulte souvent les hommes qui sont derrière. Altice est coté à la bourse d'Amsterdam. Sa stratégie - la mienne, donc - est d'investir dans les meilleures infrastructures et les meilleurs pays pour offrir à nos clients le service le plus performant en termes de qualité, d'innovation et de disponibilité. À l'origine, le câble était associé à la télé analogique, puis à la télévision numérique. Ensuite, on est passé à l'internet, puis aux télécommunications, devenues totalement « IP ». La convergence s'est faite au fil de l'évolution des technologies ; aujourd'hui évidente pour tous - ainsi notre réunion est retransmise en direct sur tous les supports - elle ne l'était que pour quelques-uns dans les années 1990. Toutefois, l'important n'est pas ma vision du passé, mais celle des dix prochaines années.

Je ne le conteste pas, j'ai construit mon groupe avec l'argent des autres. Né au Maroc, fils de professeurs, j'ai étudié au lycée Lyautey. De retour en France en 1978, j'ai intégré l'école Polytechnique puis l'armée - une expérience très formatrice - avant de rejoindre le secteur des télécoms. Plutôt que de travailler chez France Télécom, j'ai souhaité m'établir à mon compte et mettre en oeuvre non pas la vision à court terme d'un autre, mais ma propre vision à long terme.

Pour cela, n'ayant pas de ressources propres, j'ai emprunté 50 000 francs. Je dors mieux aujourd'hui avec mes 51 milliards de dettes ! Car en plus d'un projet, j'ai une entreprise qui emploie 55 000 personnes, 60 millions de clients dans le monde dont 20 millions en France, et un chiffre d'affaires compris entre 24 et 25 milliards d'euros. Ma dette est par conséquent le double de mon chiffre d'affaires, mais lorsque j'ai commencé, mon chiffre d'affaires était de zéro euro...

Une précision : nous ne faisons pas de LBO mais des montages industriels fondés sur la dette et sur la valorisation à 70 milliards d'euros de notre entreprise. Autre différence, les LBO sont l'oeuvre de fonds de private equity qui achètent grâce à l'emprunt pour revendre ; pour ma part, en 24 ans, je n'ai revendu qu'une société : le petit opérateur que j'avais au Portugal, dont j'ai dû me séparer en rachetant Portugal Telecom sur instruction des autorités de la concurrence.

Nous sommes l'opérateur présentant le ratio entre investissement et chiffre d'affaires le plus important : j'ai ainsi porté ce ratio chez SFR, depuis la reprise il y a un an et demi, de 13 % à 20 %, loin devant la plupart de mes concurrents en France et dans le monde.

Nous investissons dans trois domaines - en vertu d'une stratégie analogue dans tous les pays où nous sommes présents. D'abord, le réseau. Pour la partie mobile, il s'agit de déployer de nouveaux sites en France pour densifier la couverture du territoire et de mettre en oeuvre de nouvelles technologies comme la 4G et, depuis deux semaines, notre « ultra haut débit » trois fois plus rapide que cette dernière. Ensuite, et plus fondamentalement, c'est la fibre optique, que j'ai été le premier à déployer, gagnant ainsi une avance que l'opérateur historique essaie de faire passer pour un retard...

Toutefois, le client n'achetant pas un abonnement à un réseau, nous investissons dans la qualité de service. Nous sommes l'opérateur qui raccorde le plus vite ses clients et, depuis un an et demi, nos taux de résiliation, critère ultime de la qualité de service, ont baissé de 50 %.

Enfin, depuis quelques années, nous investissons dans le contenu pour réduire notre dépendance aux distributeurs. Hier, nous avons lancé BFM Sport, et nous nous apprêtons à créer BFM Paris, forts de cette masse critique qui nous avait manqué lorsque, il y a longtemps, nous avions tenté de lancer des chaînes locales.

Dans notre groupe, la part de la France est nécessairement centrale. En 2008, avec Numericable, j'y avais 100 % de mes actifs. Nous avons mis cinq à six ans à restructurer l'entreprise ; puis j'ai proposé une association à certains de mes concurrents. Devant leur refus, je n'avais d'autre choix que d'investir à l'étranger, en Belgique, dans les outre-mer (Antilles, La Réunion) puis au-delà : nous sommes désormais présents au Portugal et aux États-Unis. Dans chaque pays je veux être numéro un ou numéro deux. En France, nous sommes numéro deux après 25 ans - loin du numéro un, mais aussi du numéro trois. Nous sommes dans une situation analogue en Israël. Au Portugal, nous occupons le premier rang.

À mes débuts, je me suis fréquemment rendu aux États-Unis pour comprendre pourquoi le câble, échec apparent en France, était une réussite là-bas. Grâce à cet exemple, j'ai pu implanter le câble en France ; mais en France, où les prix proposés aux consommateurs sont beaucoup plus bas, j'ai été contraint d'inventer de nouvelles façons de gérer. Fort de cette expérience, pourquoi ne pas investir aux États-Unis ? J'ai donc racheté le réseau new-yorkais : j'attends la validation de notre acquisition dans quelques jours. Les critiques ont plu, le cours notre action a été perturbé ; mais je reste de marbre. On me critique comme on m'a critiqué lorsque j'ai misé sur le câble. Si l'acquisition se concrétise, nous réaliserons 9 milliards d'euros de chiffre d'affaires là-bas contre 11 milliards en France ; la différence réside dans les perspectives de développement, puisqu'en France nous représentons 30 % du marché des télécoms, contre 2 % aux États-Unis. Notre objectif est de passer de 2 % à 10 %, soit une augmentation de 40 milliards, c'est-à-dire la quasi-totalité du chiffre d'affaires global des télécoms en France. Avec 24 milliards d'euros, notre investissement est le plus important jamais réalisé par un groupe français aux États-Unis - loin devant Sanofi, qui a investi 17 milliards. Quand nous aurons montré notre savoir-faire, dans un an ou deux, nous poursuivrons, ainsi renforcés, notre développement.

Mon groupe est basé à Amsterdam, mais la plupart des dirigeants de mes filiales sont français. Il a une stratégie simple, établie au niveau international puis déclinée localement en fonction de la réglementation, du tissu concurrentiel, du marché et du pouvoir d'achat.

Les particuliers ne sont pas notre seule clientèle cible : en 2008, j'ai été le premier à raccorder les entreprises au câble après le rachat de Completel, qui constituait près de 30 % du chiffre d'affaires de Numericable ; aujourd'hui, la division « entreprises » représente plus de 25 % du chiffre d'affaires du groupe. Sa part de marché, à 20 %, reste modeste, mais nous comptons la développer.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Sido

Vous êtes un bel exemple d'ascenseur social et entrepreneurial. Si, dans mon département, je n'ai pas à me plaindre de votre réseau mobile, vous ne semblez pas très empressé à rejoindre notre réseau d'initiative publique (RIP) où vous apporteriez pourtant une concurrence bienvenue. Autre doléance, vous mettez bien plus de temps à réparer les coupures sur votre réseau que l'un de vos concurrents...

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Rome

Au niveau national, quelles sont les conséquences pour vous de la récente décision de l'Arcep concernant la distinction entre le câble et le FttH, c'est-à-dire la fibre optique ? Il semblerait que sur la zone AMII (appel à manifestation d'intention d'investir), votre déploiement ne soit pas à la hauteur. Enfin, pour quelles raisons la tentative de rachat de Bouygues, auquel vous êtes lié sur la téléphonie mobile, par Orange a-t-elle échoué ?

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre volonté de lier médias et réseaux ?

Je me félicite de votre investissement dans les services aux entreprises, jusqu'ici chasse gardée d'Orange.

Contrairement à mon collègue Bruno Sido, j'ai contracté avec vous pour le RIP que nous avons déployé dans l'Oise. Quelle est votre stratégie globale en la matière ? Pour ma part, je n'ai pas à me plaindre - si ce n'est que vous avez des efforts à faire en matière de commercialisation, en particulier dans le raccordement des abonnés.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard César

Je vous félicite pour votre action à la tête du groupe Altice. Nous, élus ruraux, faisons en sorte de raccorder nos petites et moyennes entreprises (PME) comme nos particuliers, mais les initiatives lancées avec le département coûtent très cher aux intercommunalités. Êtes-vous intéressé par l'équipement du monde rural ?

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Les élus sont très attachés à la couverture du territoire, en particulier dans les villes moyennes et les territoires ruraux. Je prends acte de votre capacité à constituer un véritable empire ; mais une holding au Luxembourg, une cotation à la bourse d'Amsterdam, une participation personnelle dans un paradis fiscal anglais, une domiciliation en Suisse et enfin des mentions dans les Panama Papers, tout cela ne gêne-t-il pas votre politique d'investissement ?

Vous avez déclaré, devant l'Assemblée nationale, que les congés payés étaient trop longs dans notre pays, et le temps de travail trop court. N'est-ce pas quelque peu indécent quand on connaît votre fortune personnelle ? Vos salariés travaillent bien, ils méritent leurs congés !

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Vos discours et votre stratégie sont très séduisants ; mais qui sont vos prêteurs et jusqu'où vont-ils vous suivre ? Vos 51 milliards de dettes, assurez-vous, sont couverts par la valorisation de votre entreprise, mais votre stratégie aux États-Unis impliquera nécessairement des emprunts supplémentaires. Quels sont les groupes bancaires qui vous accompagnent et comment faites-vous pour les convaincre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Le Scouarnec

Tous ces milliards que vous évoquez ne me disent pas grand-chose... Je n'ai pas l'habitude de ces ordres de grandeur. Est-ce l'intérêt de notre population que vous vous attaquiez à d'autres territoires ? Vous avez une vision à dix, vingt ans alors que nous avons du mal à voir plus loin que le présent : peut-être allez-vous nous éclairer...

Nous, élus, sommes attachés à l'idée de service public, à commencer par la couverture du territoire. La République, c'est aussi l'égalité entre les territoires ; or en matière de numérique, les zones rurales sont handicapées par l'éloignement des centres urbains. Pouvez-vous progresser dans ce domaine ?

Enfin, les profits que vous réalisez en France donnent-ils lieu à des impôts payés à l'État français ?

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

SFR figure sur le podium des plus gros démarcheurs par téléphone. Vous semblez ne pas maîtriser la fréquence d'appel de vos clients ; SFR est le dernier des quatre opérateurs en matière de satisfaction client et le premier pour les plaintes en 2015. Comptez-vous remédier à cette situation ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Vous êtes un responsable économique, nous sommes des responsables politiques, mais nous sommes tous des citoyens. Vous avez évoqué vos origines, votre parcours : comme dit le proverbe africain, quand tu ne sais pas où tu vas, rappelle-toi d'où tu viens...Ces 50 000 francs que vous avez misés n'engageaient que vous et quelques collaborateurs ; maintenant, ce sont des dizaines de milliers de salariés !

La révolution numérique est un bouleversement sociétal et même social, y compris en termes d'aménagement du territoire. La volonté politique se traduira-t-elle par un accès de nos concitoyens les moins favorisés au numérique, et une réduction de la fracture sociale ?

Vous êtes la 10e fortune française, la 205e mondiale. Certes, la réussite n'est pas un gros mot. Mais quelle différence faites-vous entre optimisation et fraude fiscale ? Comment favoriser l'égalité fiscale en fonction du revenu perçu ? Enfin, quelle est votre conception de la liberté de la presse ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lasserre

J'admire votre parcours. Au vu des responsabilités que nous exerçons, nous sommes particulièrement préoccupés par l'aménagement du territoire. Nos collectivités s'engagent à corps perdu dans les équipements, avec plus ou moins de savoir-faire, en collaborant au besoin avec des bureaux d'étude. Dans ce domaine, qui réclame une conjonction des volontés politiques et des compétences, nous avons besoin de points de rencontre plus clairs. Le partenariat public-privé est une orientation plausible, à condition de s'entendre sur les objectifs. Quel visage pourrait-il prendre à l'échelon départemental et régional ?

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Chaize

Le texte sur la République numérique, récemment examiné au Sénat, comportait plusieurs dispositions qui ont fait réagir les opérateurs, au point de les inciter à formuler des propositions dans le cadre du dernier Comité interministériel aux ruralités. D'abord, les opérateurs semblent minimiser le problème qu'est la téléphonie mobile dans les territoires ruraux ; or c'est un service indispensable, même si la rentabilité n'est pas au rendez-vous, et une responsabilité collective. Ensuite, pensez-vous qu'il convienne de maintenir quatre opérateurs en téléphonie mobile, et pressentez-vous de nouveaux rapprochements dans les prochains mois ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Duran

Internet, qui devrait être un service public, est en réalité un service commercial, comme vos propos le montrent. Quelle est votre vision de l'aménagement du territoire rural hors zones AMII, et des hommes et des femmes qui y vivent et y travaillent ? Nous prenons acte de votre intention d'investir dans la densification de la couverture ; nous n'avons pas la prétention d'être numéro un ou numéro deux, simplement classés.

Pouvez-vous nous éclairer sur votre offre SFR Presse, qui risque de faire perdre 1,5 million d'euros à l'État français en raison du taux de TVA de 2,1 % dont bénéficie ce forfait ?

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Ce qui était vrai en 1991, quand vous avez créé votre entreprise, l'est encore aujourd'hui. Nous avons besoin de votre message : entreprendre et oser.

Quelle est la part de la recherche et développement (R&D) dans votre activité, qui repose surtout sur les acquisitions ?

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Dubois

Vous avez réussi, parce que vous avez anticipé la révolution numérique. Le troisième volet de votre stratégie d'investissement est le contenu ; cela peut être du pain et des jeux, ou quelque chose de plus ambitieux, notamment pour le public scolaire. Quels sont vos projets ?

Si vous avez acheté New York, vous n'achèterez sans doute pas l'Aveyron. Le Sénat a créé un Fonds d'aménagement numérique, le FAN, pour le développement des équipements en milieu rural. Êtes-vous prêt à l'abonder ?

Debut de section - Permalien
Patrick Drahi, président d'Altice Group

À mes débuts, toutes les grandes communes étaient câblées ; j'ai donc commencé par les zones semi-rurales, signant ma première convention avec Châteaurenard, puis Beaucaire et Plan-d'Orgon. Puis, comprenant que je devais rechercher la densité, je suis allé à l'échelon départemental, câblant le Rhône puis l'Hérault. À l'époque, personne ne voulait y engager de l'argent public, à l'exception de quelques-uns dont le sénateur René Trégouët qui, dès les années 1990, a vu l'avenir de la fibre.

Vous voyez par conséquent que les territoires ont été ma raison d'être ; mais ils sont aussi mon avenir. Nous avons récemment annoncé notre objectif d'équiper 22 millions de foyers de la fibre à l'horizon 2022 - donc bien au-delà des grandes villes. Les quatre millions de foyers restants sont en milieu très rural. Nous ne pouvons atteindre seuls cet objectif, c'est pourquoi je suis le premier partisan des RIP : dès les années 2000, j'ai câblé toute l'Alsace avec l'aide de certaines collectivités. Il est vrai que nous avons été moins actifs sur les RIP au cours des trois dernières années ; mais je n'ai racheté SFR qu'il y a un an et demi... Nous serons présents sur les prochains appels à candidature, et nous y serons pour gagner.

La différence entre fibre optique et câble n'a pas d'importance à mes yeux ; ce qui compte, c'est le débit. Nous avons atteint 10 Gigabits sur nos câbles lors d'un test. C'est parce que nos concurrents ne bénéficient pas d'un réseau câblé comme le nôtre qu'ils déploient la fibre optique.

En rachetant Portugal Telecom, j'ai repris une structure équivalente au Centre national d'étude des télécommunications (CNET), regroupant 800 ingénieurs. Moi-même ingénieur de formation, j'ai délaissé les laboratoires il y a plus de vingt ans, lorsque j'ai compris que je ne serais pas prix Nobel...Mais j'emploie toujours des personnes pour y travailler et anticiper l'avenir. Avec Michel Combes, j'ai mis en place des centres de compétences dans les différents pays en fonction des spécialités ; le plus important est celui du Portugal. La compétence n'est plus notre apanage, elle est aujourd'hui mondiale. Les Chinois fabriquent désormais des mobiles qui marchent mieux que les nôtres.

Ces clients insatisfaits de 2015 auxquels vous faites référence, Madame Estrosi Sassone, je les ai récupérés le 30 novembre 2014. J'ai alors trouvé une qualité de service déplorable avec de nombreuses coupures, un réseau sous-investi. Le taux de couverture en 4G était de 33 %, contre 60 à 70 % chez les concurrents. Nous nous sommes retroussés les manches ; lorsque l'on travaille, on n'a pas le temps de faire de grands discours... Et pourtant, depuis le rachat, les plaintes des autorités françaises redoublent ! Nous avons porté la couverture en 4G à 55 %. L'année prochaine, nous serons numéro un. Un client insatisfait est un client qui nous quitte et, avant de toucher le portefeuille, cela blesse l'amour-propre. . .

Nous serons candidats à tous les appels d'offres des RIP. Je reconnais que nous ne sommes pas très actifs sur certains projets : nous préférons être propriétaires de nos infrastructures. Un locataire, pour refaire sa cuisine, doit demander l'autorisation de son propriétaire qui recourra à des prestataires - Monsieur Lasserre, vous avez évoqué les bureaux d'étude - alors qu'avec sa propre vision, il aurait pu faire mieux pour moins cher. Nous avons porté les investissements de SFR de 1,4 milliard à près de 2,3 milliards d'euros ; sans compter qu'avec la même somme, nous faisons deux fois plus...

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Sido

Est-ce à dire que nous pourrions vous vendre notre réseau ?

Debut de section - Permalien
Patrick Drahi, président d'Altice Group

Nous sommes ouverts à la discussion.

Il est vrai que j'ai une holding basée à l'étranger ; mais résidant moi-même à l'étranger, je n'ai pas de raison de l'installer en France...Quant à mon choix d'habiter en Suisse, il s'explique par la difficulté de conduire des affaires sur notre territoire. En 1991, créer une société à responsabilité limitée (SARL) au capital de 50 000 euros relevait du parcours du combattant ; encore étais-je en mesure, à l'époque, de faire moi-même les fiches de salaire ! À New York, recruter prend deux minutes ; se séparer d'un salarié, deux minutes trente ; et celui-ci trouvera un autre travail en trois minutes... Nous sommes entourés de gens plus simples que nous. Certes, nous sommes intelligents, mais l'intelligence nuit à la rapidité, dont l'entrepreneur a grand besoin.

Cela empêche-t-il d'investir ? Au contraire, un groupe international a des capacités d'investissement plus importantes. L'optimisation fiscale n'est pas la fraude fiscale : qui, parmi vous, s'efforce en remplissant sa déclaration de revenus de payer plus d'impôts ? L'optimisation est une notion mathématique, et elle est confiée à des directeurs fiscaux.

Comment ai-je levé autant de capital ? À vrai dire, je suis moins bon que l'agence France-Trésor, qui en lève plus que moi, à de meilleurs taux, sur un bilan moins brillant que celui de mon groupe ! Nous avons les mêmes banquiers. De qui s'agit-il ? De fonds, qui sont rarement installés à Paris mais sont plutôt à Londres, New York ou Pékin. Ils sont gérés par des personnes physiques, parmi lesquelles il y a beaucoup de Français. À Londres, des Français prêtent à des Français...Comme ces fonds sont nombreux, je traite avec des intermédiaires : par exemple, BNP Paribas. Pourquoi ne sont-ils pas à Paris ? Parce que tout y est trop compliqué. À vous d'harmoniser tout cela...

J'ai appris ce qu'est le service public lorsque j'ai repris, en 1994, le réseau de Montreuil. Je signais alors des conventions avec les communes au gré à gré. J'ajoute que mes parents étaient professeurs.

Oui, SFR paie ses impôts en France, et il en paie beaucoup ! C'est grâce à moi - ou à cause de moi - puisque je l'ai rendu profitable. Numericable croulait sous les pertes et les dettes, et n'avait donc jamais payé d'impôts. Je l'ai repris, et à partir de 2009 il a fallu en payer.

La consolidation n'est pas indispensable pour moi. La France représente un peu moins de la moitié de mon chiffre d'affaires. Pourquoi ne s'est-elle pas faite ? Bonne question ! J'ai fait une proposition le 3 juin 2015, en mettant même un prix sur la table. L'État, qui avait dit oui, s'y est finalement opposé, un dimanche, publiquement. Et il a soutenu le champion national, six mois plus tard, mais l'opération s'est alors avérée trop compliquée. Je ne pense pas que le marché gardera longtemps quatre opérateurs, mais je n'ai pas l'intention de prendre l'initiative en ce domaine. La consolidation aurait été bénéfique au consommateur français et aurait aidé les industriels français à se développer à l'étranger. Résultat : Orange fait de petites acquisitions en Afrique au lieu d'acheter British Telecom ou Telecom Italia. De fait, le marché national, qui constitue 60 % de son chiffre d'affaires, est difficile. Devons-nous être fier qu'en France, un service qui coûte 80 euros ailleurs soit vendu 14 euros ? Les industriels chinois ont réussi en vendant cher sur le marché domestique et moins cher ailleurs. Après tout, prendre un café chaque jour coûte 45 euros par mois. Est-ce normal que ce soit plus cher qu'un abonnement au très haut débit, pour lequel des milliards d'euros ont dû être investis ?

Je suis très fier de ce que j'ai fait pour la presse. On ne m'a rien demandé, et j'ai sauvé un titre, puis un autre. J'ai trouvé un modèle économique qui sera imité, en intégrant ces titres dans un groupe télécom. Je n'interviens nullement dans les rédactions. Les titres disponibles sur l'application SFR sont visibles par douze millions de personnes, et vus par des centaines de milliers de lecteurs. Je numérise la presse, en développant notamment les vidéos. Nous avons lancé hier soir BFM Sports, et lancerons bientôt BFM Paris. Il y a longtemps que de nouvelles chaînes n'étaient pas apparues.

Mon concurrent n'a pas accéléré le déploiement de la fibre parce que le Gouvernement l'a décrété, mais parce que je l'avais fait et qu'il a essayé de me rattraper. Il est d'ailleurs étrange qu'il tire la fibre là où je l'ai déjà installée... En achetant SFR, j'ai trouvé une situation où Orange avait 80 % de la zone AMII. Cela me rappelait le plan câble ! En zone dense, SFR avait cinq ans d'avance. Pourquoi France Telecom aurait-il dû prendre la même avance sur moi ailleurs ? J'ai demandé un partage égal. Là où nous avions du câble, nous rétrocédions le droit de déploiement à Orange. Sinon, pourquoi nous limiter ? Je veux investir plus. Nous pourrions aller jusqu'à 7,5 millions de prises chacun. Cela dit, je suis prêt à faire des doublons, car je ne souhaite pas être locataire du réseau des autres. À moins que vous ne souhaitiez reconstituer un monopole en faveur d'Orange...Mais quand le câble était géré par France Télécom, cela ne fonctionnait pas. C'est moi qui l'ai fait marcher, après l'avoir acheté. À New York, le réseau téléphonique et le réseau câblé étaient concurrents : le premier n'a que 30 % du marché. En France, il en a 80 % !

Je suis moins gêné par les dispositions du projet de loi sur la République numérique que par les lois précédentes. Le plan fibre ne convient pas. Nous serons les seuls à atteindre l'objectif, qui était de 12 millions de foyers fibrés en 2017 : Orange n'atteindra que 9 millions de foyers.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Merci Monsieur le Président pour tous ces éléments.

La réunion est levée à 10 h 45.