Intervention de Ségolène Neuville

Commission des affaires sociales — Réunion du 8 juin 2016 à 16h35
Audition de Mme Ségolène Neuville secrétaire d'état chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion

Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion :

Je vous remercie de m'avoir invitée : c'est ma première audition par votre commission.

Je souhaite vous exposer, de manière générale, le sens de l'action du Gouvernement en matière de politique du handicap, tout en mettant l'accent sur l'actualité et les décisions prises par le Président de la République lors de la Conférence nationale du handicap du 19 mai. Je répondrai bien sûr à vos questions sur l'évaluation du troisième plan autisme et sur l'exode en Belgique de certaines personnes handicapées.

La politique du handicap mobilise la Nation toute entière, au-delà des alternances, au-delà des clivages. La dernière grande loi date de 2005. Notre responsabilité collective est de la mettre en oeuvre. Son objectif essentiel est que l'émancipation et la liberté de choix soient une réalité pour toutes les personnes en situation de handicap, conformément à la convention des Nations-Unies relative aux droits des personnes handicapées, que la France a ratifiée en 2010.

Pour que l'émancipation et la liberté de choix soient une réalité, nous devons diversifier les réponses proposées aux personnes en situation de handicap, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. La loi de 2005, puis la ratification de la convention des Nations-Unies en 2010, font que le temps où il y avait d'un côté l'ensemble de la société et de l'autre les personnes en situation de handicap est révolu. Désormais, nous devons aller vers une société beaucoup plus inclusive. C'est le sens qu'a donné le Président de la République à la Conférence nationale du handicap.

Qu'est-ce que l'inclusion ? Il ne s'agit pas que d'une exigence pour les pouvoirs publics. C'est une exigence collective, tant pour les responsables politiques, que pour les associations, les entreprises et toute la société.

Nous devons prendre conscience que le handicap d'une personne ne la résume pas. Les personnes en situation de handicap ont des compétences, des projets, des aspirations. Or, elles vivent des difficultés importantes au quotidien, que nous devons lever. Il nous faut rendre accessibles le bâti, les transports et l'espace public, rendre accueillante l'ensemble de la société - l'école, les entreprises, les loisirs, la culture... Cela implique de faire changer le regard sur le handicap. Enfin, il est nécessaire de permettre la compensation du handicap et donc de développer tous les accompagnements nécessaires.

La Conférence nationale du handicap, qui s'est tenue à l'Élysée, a été l'occasion de donner la parole à des personnes en situation de handicap et de rendre compte de la feuille de route du Gouvernement. Certains objectifs ont été tenus, d'autres restent à consolider. Pour aboutir à l'accessibilité universelle, de nouvelles avancées devront être accomplies par notre Gouvernement mais aussi par ceux qui lui succèderont.

Tout d'abord, quelques mots sur l'accessibilité des établissements recevant du public (ERP) : cet objectif a été fixé par la loi de 2005 puis est venue la loi de ratification de l'ordonnance accessibilité du 5 août 2015 qui a défini une méthode et des modalités pour y parvenir. Au 1er mai 2016, sur environ un million d'ERP en France, 490 000 étaient entrés dans une démarche de mise en accessibilité, dont 400 000 avaient déposé un Ad'AP et 90 000 avaient fait une demande de prorogation. En outre 300 000 ERP étaient déjà accessibles au 1er janvier 2015. On compte donc 200 000 établissements demeurés en dehors de la démarche Ad'AP. Leurs gestionnaires s'exposent aux sanctions pénales inscrites dans la loi de 2005 ainsi qu'aux sanctions administratives prévues dans l'ordonnance « accessibilité » du 26 septembre 2014 ratifiée par le Parlement et qui est désormais applicable puisque le décret a été publié le 13 mai.

Le déploiement du dispositif Ad'AP réclame toutefois une attention constante. C'est pourquoi le Président de la République a souhaité qu'une mission soit confiée à votre collègue Claire-Lise Campion afin de procéder au suivi concerté de ce dispositif car beaucoup de questions restent posées. Pour l'instant, nous avons eu un retour rapide sur le nombre d'Ad'AP déposés mais nous ne savons toujours pas s'il s'agit principalement d'Ad'AP sur trois ans et s'il y a beaucoup de demandes de dérogations. Un logiciel spécifique va permettre d'obtenir des remontées plus précises et plus rapides à partir de cet automne.

Pour une société plus accueillante, la première des priorités, c'est l'école : 290 000 élèves en situation de handicap sont désormais accueillis dans les écoles de la République, soit un tiers de plus qu'à la rentrée 2011. Plusieurs dispositifs existent, comme les classes réservées - les unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS) - mais aussi les enfants accueillis dans une classe mais accompagnés par un auxiliaire de vie scolaire (AVS). Actuellement, 85 000 personnes remplissent cette fonction. Jusqu'à présent, 55 000 étaient en contrat aidés et 30 000 en contrats d'accompagnement d'élève en situation de handicap, c'est-à-dire un contrat à durée déterminée signé avec l'éducation nationale. À partir de 2014, ces CDD ont été transformés en CDI, à condition que ces personnes aient effectué au moins six ans. Pour les contrats précaires, le Président de la République, a annoncé lors de la Conférence nationale du handicap, la transformation des contrats aidés d'accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) en postes pérennes. Au départ, ces personnes seront en CDD et, dès lors qu'elles auront travaillé six ans dans ce domaine, elles passeront en CDI. En parallèle, un nouveau diplôme de niveau V vient d'être créé par le ministère des affaires sociales, dénommé « accompagnant éducatif et social », qui prévoit trois spécialisations, dont l'une a trait à l'éducation inclusive.

Après l'école, il faut donner la possibilité aux personnes en situation de handicap de pouvoir travailler comme tout le monde, dans des conditions adaptées à chaque handicap. Dans le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s, il est prévu de créer l'emploi accompagné. Il s'agit d'apporter un soutien aux salariés handicapés ainsi qu'à leurs employeurs à tout moment du parcours professionnel. Pour l'instant, des prestations diverses existent, qu'il s'agisse de l'Agefiph, du FIPHFP, de certaines associations avec des financements non pérennes. Ainsi, l'adaptation du poste de travail pour une personne en fauteuil se fera grâce à l'Agefiph ou au FIPHFP. En revanche, une personne bipolaire aura besoin d'un accompagnement dans son emploi et l'employeur devra également être accompagné, afin de donner le meilleur environnement possible à cette personne pour qu'elle continue à travailler. Les associations qui représentent les personnes avec un handicap psychique souhaitent donc que cette disposition de la loi travail soit votée. Ce dispositif sera porté par le service public de l'emploi et ses partenaires, avec l'appui des établissements et des services d'aide par le travail, les ESAT, qui disposent d'une véritable expertise en ce domaine.

Pour soutenir le développement de l'emploi accompagné, 5 millions d'euros seront inscrits au projet de loi de finances pour 2017 afin de soutenir les projets locaux.

La formation professionnelle sera également renforcée car plus de 20 % des travailleurs en situation de handicap sont au chômage. Souvent, leur formation initiale est d'un niveau inférieur à celle de la population générale.

Les personnes en situation de handicap auront le droit au compte personnel d'activité (CPA) et au compte personnel de formation (CPF). En outre, ces comptes bénéficieront aussi aux personnes en établissement et service d'aide par le travail (Esat). C'est une avancée très importante car les personnes en Esat pourront obtenir un diplôme et travailler en milieu ordinaire. Des jeunes en Esat aimeraient bien, au cours de leur vie professionnelle, aller dans des milieux ordinaires, mais ils craignent de ne plus avoir ensuite de place en Esat. Le projet de loi prévoit un droit au retour.

Enfin, le soutien au pouvoir d'achat des travailleurs disposant de revenus modestes reste une priorité. C'est l'objectif de la nouvelle prime d'activité qui est cumulable avec l'allocation adulte handicapé (AAH). Les premiers versements auront lieu en juillet et le dispositif sera rétroactif à partir de janvier, ayant tardé à se mettre en oeuvre du fait que les caisses d'allocations familiales ne l'avaient pas prévu. Le simulateur comprend désormais l'AAH. Les personnes peuvent donc déposer leurs demandes, y compris les travailleurs en Esat. Le Président de la République a également annoncé que tous les bénéficiaires de pensions d'invalidité et de rentes accident du travail - maladie professionnelle, pourront cumuler ces pensions et ces rentes avec la prime d'activité.

L'émancipation concrète, c'est permettre à ceux qui le souhaitent d'avoir leur logement. La formule de l'habitat partagé se développe, ce qui implique une mise en commun d'une partie de la prestation de compensation du handicap, mais ce n'est pas très simple à mettre en oeuvre. Un groupe de concertation avec les départements essaye d'avancer sur cette question. Il n'est pas question de mutualiser la prestation de compensation du handicap, car il s'agit d'une prestation par nature individuelle, mais de faciliter sa mise en commun partielle pour favoriser les habitats partagés.

Nous travaillons avec Emmanuelle Cosse à lever les derniers obstacles juridiques qui pourraient bloquer le développement de ces formes de logements accompagnés. Une convention devrait être conclue entre l'État et l'Union sociale pour l'habitat. Le Président de la République souhaite créer 1 500 places supplémentaires par an en pensions de famille, c'est-à-dire en maisons relais spécifiquement dédiées au handicap. Pour l'instant, ces maisons concernent surtout les personnes en situation de précarité. Or, ces maisons relais permettent d'obtenir un financement pour avoir un maître de maison en permanence. Une maison relais permet de travailler avec un service d'accompagnement à la vie sociale : plusieurs personnes peuvent ainsi être accueillies.

Nous combattons aussi les lourdeurs administratives qui empêchent l'émancipation. C'était un des engagements pris lors de la Conférence nationale handicap de décembre 2014. Nous avons allongé la durée de l'AAH 2 qui est passée de deux à cinq ans pour éviter la reconstitution trop fréquente de dossiers, nous avons également allongé la durée de validité des certificats médicaux de trois à six mois, nous avons simplifié les procédures de reconnaissance du handicap pour l'accès à l'emploi, nous avons dématérialisé certains échanges avec les MDPH, même si des progrès doivent encore être accomplis. Simplification très attendue, la « carte mobilité-inclusion », votée par le Sénat à l'unanimité lors de l'examen du projet de loi pour une République numérique, remplacera à compter du 1er janvier 2017 les cartes de priorité, d'invalidité et de stationnement, au profit d'un document unique et moderne.

Enfin, le délai de renouvellement de l'AAH 1, qui concerne les allocataires dont le taux d'incapacité est supérieur à 80 %, sera allongé au-delà de dix ans. Il s'agit de l'une des propositions du rapport du député Christophe Sirugue sur la simplification des minima sociaux.

Créer les conditions de l'émancipation, c'est aussi donner au secteur médico-social toute sa place. Diverses réformes sont engagées qui paraissent extrêmement administratives et techniques. La réforme de la tarification est indispensable : les différences de coûts et de prix peuvent être considérables d'un établissement à un autre. Cette réforme est engagée depuis deux ans avec tous les acteurs concernés et elle est encore loin d'aboutir. La généralisation des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens permettra aux associations gestionnaires de plusieurs types d'établissements et de services d'avoir une vision plus globale et de faire passer les personnes d'un dispositif à un autre de façon plus souple. Les financeurs, qu'il s'agisse des conseils départementaux ou de l'assurance maladie, pourront fixer des objectifs plus généraux. Nous avons aussi transféré le financement des Esat de l'État à l'assurance maladie à partir de 2017.

J'en viens à la mise en oeuvre du troisième plan autisme. Ce plan avait pour objectif de mettre l'accent sur les bonnes pratiques recommandée par la Haute autorité de santé (HAS) et l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm) en 2012 avec notamment la question des diagnostics, des interventions précoces et de la scolarisation. Bien sûr, de nombreux chantiers demeurent, comme la question de l'égalité de l'accès des enfants à des diagnostics précoces et de qualité : un rapport récent de l'Igas sur les centres de ressource autisme relève des inégalités territoriales.

Il convient également de garantir les bonnes pratiques d'intervention pluridisciplinaires pour les enfants comme pour les adultes, de développer des parcours diversifiés de scolarisation et accroître l'offre d'accompagnement médico-social en particulier pour les adultes. Le Président de la République m'a demandé lors de la Conférence nationale de préparer, sur la base de l'évaluation du troisième plan autisme, un quatrième plan d'ici la fin de l'année. Ce plan sera construit avec les personnes autistes dans le souci constant de tenir compte de l'avancée des connaissances et des bonnes pratiques recommandées par la HAS et de l'Anesm. Pour mieux prendre en compte les expériences et rassembler les compétences, j'ai demandé à Josef Schovanec, qui lui-même a des troubles du spectre autistique, de travailler dans mon cabinet sur une mission sur l'insertion professionnelle et la participation sociale des adultes autistes. C'était un point faible du troisième plan. Il est temps d'y remédier. Josef Schovanec cite souvent l'exemple de Wikipedia qui est alimenté par des personnes autistes.

Au-delà de l'autisme, c'est l'ensemble du secteur médico-social qui évolue. Le Président de la République a fixé deux priorités essentielles à cette évolution. D'abord, il faut confirmer le virage inclusif des établissements et des services médico-sociaux. Nous avons là des compétences remarquables qui doivent être au service de l'éducation inclusive, de l'emploi, du logement, de la participation sociale. La seconde priorité est de répondre aux besoins des personnes qui nécessitent une attention toute particulière et ce, à tous les âges de la vie.

Afin de soutenir les réformes déjà engagées, le Président de la République a décidé de consacrer 240 millions d'euros supplémentaires au secteur médico-social. Cette stratégie pluriannuelle permettra d'apporter des réponses nouvelles. Plutôt que de parler de places, je préfère la notion de réponses car il faut prendre en compte les personnes et non les lieux. L'objectif n'est pas de caser des personnes dans des places mais d'apporter des réponses adaptées à leurs besoins. Sur cette enveloppe de 240 millions, 180 millions seront consacrés, sur cinq ans, à l'accompagnement des personnes et 60 millions à un plan d'aide à l'investissement incluant les Esat car la qualité de vie des personnes passe aussi par la qualité de l'environnement d'accueil.

Un volet de cette stratégie pluriannuelle devra être consacré au polyhandicap, qui conduit aujourd'hui à des situations parmi les plus complexes et les plus dramatiques qui soient pour les familles. Ce plan d'amélioration en faveur du polyhandicap devra être précisé rapidement, en concertation avec les associations et les personnes concernées.

Personne ne doit être laissé sans solution. C'est bien le sens de la mission que j'ai confiée à Marie-Sophie Desaulle au lendemain de la Conférence nationale du handicap de 2014 pour mettre en oeuvre la réponse accompagnée pour tous. Vingt-quatre départements pionniers se sont engagés dans la première phase de déploiement. Les MDPH qui s'engagent sont en première ligne et elles bénéficieront d'un soutien exceptionnel de 8 millions d'euros sur trois ans pour mieux assurer leur rôle.

En outre, un soutien de 15 millions d'euros sera aussi apporté aux départements pour la mise en place du nouveau système d'information harmonisé des MDPH qui permettra enfin de disposer d'une meilleure connaissance des besoins, d'améliorer le suivi des orientations et le parcours des personnes. Une semaine après mon arrivée dans ce secrétariat d'État, un grand quotidien national titrait sur le scandale des personnes qui partent en Belgique. S'il est aisé de savoir que nous disposons de 490 000 places dans le médico-social, il est bien plus compliqué de connaître le nombre de personnes en situation de handicap car certaines peuvent être comptabilisées deux fois tandis que d'autres échappent à tout recensement : il n'existe pas de surveillance épidémiologique pour le handicap. Passer par les MDPH pour obtenir ce chiffre n'est pas non plus possible car chaque maison a son propre système d'information. En outre, les MDPH ne suivent pas les personnes une fois qu'elles ont été orientées. L'enjeu de l'information est essentiel : nous y travaillons depuis deux ans avec la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Avec le soutien des 15 millions annoncé par le Président de la République, je suis persuadée que ce système sera aisément accepté par les MDPH.

Ces dispositifs permettront de lutter contre les départs forcés en Belgique.

Dans l'idée de promouvoir des innovations techniques, numériques et sociales, je lancerai bientôt un concours « Innovation et handicap » doté d'une enveloppe prévisionnelle de 2 millions par le Commissariat général à l'investissement, afin de soutenir le développement d'un certain nombre d'innovations.

Le caractère interministériel de cette politique est évident : lors de la Conférence nationale, la ministre de l'éducation nationale, la ministre du travail, la ministre du logement, le secrétaire d'État au budget et le Premier ministre étaient présents. Nous allons renforcer les fonctions du secrétariat général au Comité interministériel du handicap.

Je compte sur vous pour veiller de façon à la fois attentive et exigeante à ce que notre législation prévoie des adaptations pour nos concitoyens en situation de handicap. J'ai pu compter sur vous pour l'ordonnance « accessibilité » et pour la carte mobilité inclusive : je vous en sais gré. Je sais que vous serez attentifs aux dispositions en faveur du handicap dans la loi travail.

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