Je constate en premier lieu que les femmes sont majoritaires autour de cette table, avec onze femmes et cinq hommes, ce qui contraste avec le groupe d'étude « route et sécurité routière » de l'Assemblée nationale, qui compte trente-neuf hommes pour cinq femmes. Il reste donc des progrès à accomplir dans le domaine de la féminisation, notamment en ce qui concerne la sécurité routière.
En contradiction avec l'action de la Ligue contre la violence routière, on nous ramène systématiquement au rôle d'une association de familles de victimes. La ligue a pourtant été créée par quatre femmes qui avaient décidé de faire de la prévention. Nous ne sommes pas une association de familles de victimes, bien que nous accueillions, recevions, aidions et orientions toutes les familles qui nous contactent chaque jour alors qu'elles sont en plein désarroi. Bien souvent, dans les débats dans les médias, il nous est reproché de tenir un discours lié à ce rôle prétendu d'association de familles de victimes. Cela revient à diminuer la portée de notre action : nous ne serions pas dans le rationnel et nous ne connaîtrions donc pas notre sujet. Cette tendance commence quand même à s'estomper.
Nous entendons depuis de longues années l'adage « Femme au volant, mort au tournant ». Au moment de la mise en place des radars pédagogiques et de la suppression des panneaux prévenant de leur présence, en 2011, Charb, de Charlie Hebdo, avait fait un très bon dessin intitulé « Radar pédagogique pour gros cons ». Il nous avait autorisés à utiliser son dessin - et d'autres - dans l'ouvrage que nous avons publié à l'occasion des trente ans de la Ligue contre la violence routière.
Quand survient un accident, il n'y a pas de différences pour les proches, les hommes sont aussi bouleversés que les femmes. Les ravages sont les mêmes. Nous assistons souvent à des suicides lorsque ces hommes sont isolés et ont peu de gens à qui parler, peu de mots à mettre sur une telle douleur. Il est vrai que les hommes ne feront peut-être pas la démarche d'aller demander de l'assistance, sans doute par manque de familiarité avec le corps médical, les femmes ayant une plus grande pratique de ce milieu.
Les blessés, pour leur part, doivent surmonter la rééducation puis la réinsertion dans la vie quotidienne. Nous connaissons tous des témoignages de familles qui doivent déménager, car leur logement n'est pas adapté au handicap du blessé. Lors d'une conférence de Coline Serreau à Berck, j'ai découvert une structure extrêmement intéressante qui apprend au couple à revivre ensemble à la sortie du milieu médical.
Manuelle Salathé rappelait les chiffres annuels des blessés graves et handicapés lourds (3 400 paraplégiques et tétraplégiques, chiffre sensiblement égal à celui du nombre de tués dans des accidents de la route). La société ne répond pas à leur demande et à leurs attentes. Les médias rapportent régulièrement leurs difficultés d'accéder aux transports, aux institutions - je ne parle même pas des loisirs et du parcours du combattant, permanent, pour aller, par exemple, au restaurant. Notre société ne répond pas à ce qui devrait être un niveau d'exigence normal. Face à ce constat, notre association ne peut pas se contenter de travailler en aval, lorsque la société a démontré son échec et son incapacité.
Notre combat est de faire en sorte que l'accidentalité diminue. Pour cela, des mesures prioritaires doivent être prises pour que ces drames soient moins nombreux. De nombreuses campagnes d'information jouent sur l'émotion, en montrant ce que vivent les familles. Les ministres se déplacent régulièrement pour montrer leur empathie. Ce n'est pas ce que nous attendons ! Nous demandons que notre société prenne les bonnes mesures pour éviter la mort sur les routes. Car, il faut en avoir conscience, l'empathie n'est que momentanée : notre société ne va pas aider ces familles en grande détresse, chaque jour de leur vie, après qu'un proche a été blessé très gravement.
Parlons maintenant des femmes. Après le décès du chef de famille, la disparité des revenus est telle que la femme est souvent plongée dans une grande détresse économique qui s'ajoute à ses autres épreuves. Nous voyons souvent que ces femmes qui viennent nous consulter, en plus de la perte d'un proche, sont dans l'obligation de vendre leur appartement ou leur maison. Les femmes sont quelquefois obligées de rechercher un emploi, qui ne sera pas forcément à la hauteur de ce à quoi elles pourraient prétendre, alors qu'avant le drame, elles s'occupaient de leurs enfants.
Notre société ne travaille pas assez en amont. La France est dans la moyenne haute des résultats en ce qui concerne le nombre de morts sur les routes. Elle ne travaille pas suffisamment sur la prévention et ne fait pas ce qu'elle devrait faire ensuite pour ceux qui sont touchés par les accidents de la route.