Intervention de Stéphane Pénet

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 26 mai 2016 : 1ère réunion
Rapport « femmes et voitures » — Table ronde sur l'accidentalité routière et les différences de comportements entre les hommes et les femmes au volant

Stéphane Pénet, directeur des assurances de biens et de responsabilité de la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) :

J'interviens effectivement en tant qu'assureur, avec l'objectivité qu'apportent les statistiques. Je précise néanmoins que les dernières statistiques en matière de différence de sinistralité entre les hommes et les femmes datent de 2012, puisqu'il nous est désormais interdit d'établir des statistiques basées sur le sexe, et nous nous tenons à cette obligation. Je suppose néanmoins que la situation n'a guère évolué en trois ans. Je précise également que les tendances relèvent d'un échantillon beaucoup plus large d'accidents que ceux qui ont été jusqu'ici évoqués. En effet, les assureurs règlent chaque année neuf millions de sinistres, dont 8,930 millions d'accidents matériels et 70 000 accidents corporels. Parmi les accidents matériels, un grand nombre ne relèvent pas du comportement des conducteurs (vol, bris de glace, aléas naturels). En réalité, la base des sinistres qui relèvent d'un comportement au volant est de l'ordre de 70 000 accidents corporels et 1,830 million d'accidents matériels. Il faut savoir que 60 % de la prime d'assurance sont liés à l'accidentalité matérielle et 40 % à l'accidentalité corporelle. Le poids du matériel est donc important.

Nous analysons toujours la sinistralité à l'aune de deux critères : la fréquence et le coût moyen de l'accident. Cette analyse permet à nos actuaires de calculer le prix de l'assurance sur la base de ces deux axes de risques.

En plaçant l'ensemble des assurés automobiles à un niveau 100, nous constatons que les femmes se trouvent à une fréquence d'accidents (matériel et corporel) de 104 et les hommes à une fréquence de 98. Les femmes auraient donc un peu plus d'accidents que les hommes. Sur l'axe du coût moyen en revanche, les hommes se situent à 106 et les femmes à 91. Au total, là où la sinistralité générale se situe à 100, celle des hommes se situe à 108 et celle des femmes à 95. Cet écart significatif s'explique essentiellement par une gravité d'accident très faible et, de ce fait, un coût moyen plus faible chez les femmes.

Par ailleurs, il est intéressant de croiser l'ancienneté du permis et le genre : les écarts sont alors beaucoup plus importants. Dans le comportement des assurés vus par les assureurs automobiles, la courbe d'expérience est extrêmement forte dans les neuf années suivant l'obtention du permis de conduire. Ainsi, lorsque l'ensemble des assurés se situe à 100 dans un niveau global de sinistralité (cumul fréquence et coût moyen), pour les conducteurs ayant moins de deux ans de permis, les hommes conducteurs novices se situent à un niveau de 447 alors que les femmes conductrices novices se situent à 206. En clair, les jeunes conducteurs de moins de deux ans de permis ont une sinistralité 4,5 fois plus élevée que la moyenne française et les jeunes conductrices ont une sinistralité deux fois plus élevée que la moyenne française. C'est ici que nous trouvons, en tant qu'assureurs, la principale différence en matière de sinistralité. Au-delà de neuf ans de permis, on retrouve une sinistralité parfaitement comparable entre les hommes et les femmes. Je dois préciser que les chiffres comportent à la fois la sinistralité des véhicules quatre-roues et des deux-roues. Or, les conducteurs de deux-roues sont à 80 % masculins, ce qui pèse sur la sinistralité globale des hommes. Ainsi, dans les chiffres précédents, 50 % de l'écart entre hommes et femmes est lié au phénomène deux-roues et 50 % à d'autres facteurs (alcool, conduite agressive, prise de risque plus élevée...).

Comment les assureurs ont-ils tenu compte de ces différences jusqu'en 2012 ? Le législateur a contraint les assureurs à limiter les surprimes des jeunes conducteurs à 100 % de la prime faciale. Un assureur ne peut pas faire payer un jeune conducteur plus de deux fois le tarif de base. La sur-accidentalité des jeunes est donc payée par les moins jeunes, les assureurs étant contraints de mutualiser le surcoût lié à l'assurance des jeunes sur l'ensemble des conducteurs. Avant 2013, la plupart des assureurs appliquaient une surprime de 100 % sur les jeunes conducteurs de moins de deux ans de permis et limitaient cette surprime pour les jeunes conductrices. C'était essentiellement là qu'on trouvait une différence entre hommes et femmes dans les tarifs d'assurance automobile.

L'arrêt de la CJUE de 2011 a interdit aux assureurs d'utiliser le genre dans la tarification automobile. Les assureurs ont accueilli cet arrêt avec un enthousiasme évidemment très limité, dans la mesure où il remettait en cause un critère de segmentation. Il faut savoir que depuis 2004, il existait déjà une directive européenne, transposée en 2007 en France, qui interdisait d'effectuer une discrimination sur le sexe concernant la fourniture de biens et services, tout en prévoyant une exception pour l'assurance, dès lors que les assureurs pouvaient statistiquement et actuariellement prouver que le critère de segmentation utilisé était justifié. Régulièrement, chaque année, nous fournissions à la Commission européenne toute une série de chiffres pour justifier cette différenciation. Mais la dérogation autorisée par la directive de 2004 a été remise en cause par la décision de la CJUE de mars 2011, qui a pris effet en France au 1er janvier 2013. Les assureurs ont négocié pour que l'évolution se déroule de la manière la plus progressive possible, en demandant que les contrats antérieurement émis sur la base du critère du genre ne soient pas augmentés du jour au lendemain, mais à la faveur d'avenants ou de changements de contrats. Les assureurs ont donc supprimé cette différenciation. Ainsi, les jeunes conductrices ont vu en moyenne leur prime d'assurance automobile augmenter de 25 à 30 % sur plusieurs années. Un jeune assuré paie en moyenne son assurance automobile 400 à 450 euros. L'écart était de 100 à 115 euros annuels pour les femmes. À l'inverse, les primes d'assurance des hommes s'en sont parallèlement trouvées réduites en raison de la mutualisation.

La grande difficulté de l'assurance est que nous ne connaissons le prix de revient de nos produits qu'une fois qu'ils ont été utilisés, à la différence de la plupart des industries. Nous sommes contraints de travailler sur des statistiques, des prévisions et des estimations. Il faut savoir qu'en assurance automobile, les principaux critères d'appréciation du risque sont le véhicule assuré, mais aussi des critères de comportements : l'usage professionnel ou personnel du véhicule, l'historique du conducteur, l'ancienneté du permis et (jusqu'en 2013) le sexe. La suppression de l'un de ces critères constitue une remise en cause du principe de segmentation auquel nous sommes extrêmement attachés compte tenu de l'inversion du cycle du calcul des primes en assurance. Il nous semble essentiel de pouvoir conserver ces critères de segmentation. Il y a parfois confusion entre un critère de segmentation et une discrimination, le recours au critère du sexe étant clairement justifié dans notre cas. Or, nous craignons qu'il nous soit ensuite également interdit d'utiliser des critères liés par exemple à l'âge ou au lieu de résidence, aujourd'hui largement utilisés, sous couvert de discriminations. Cela remettrait en cause le fonctionnement même de l'assurance, qui deviendrait un grand secteur certes solidaire, mais non segmenté. Or, la segmentation a des vertus, puisqu'elle permet de faire payer le juste prix en fonction d'un critère de comportement présumé ou avéré des assurés.

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