Intervention de Chantal Perrichon

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 26 mai 2016 : 1ère réunion
Rapport « femmes et voitures » — Table ronde sur l'accidentalité routière et les différences de comportements entre les hommes et les femmes au volant

Chantal Perrichon, présidente de la Ligue contre la violence routière (LVR) :

Lorsque j'évoque des actions ciblées qui me sembleraient prioritaires, la première réponse qu'on me donne est qu'elles ne seraient pas utiles. Pourquoi ? Certaines campagnes sont pourtant importantes. L'une d'elles s'adressait notamment aux femmes dont le conjoint prend le volant sous l'emprise de l'alcool, ou alors trop fatigué, ou même qui ne respecte pas les règles. Il faut savoir que les campagnes de communication ne sont jamais suivies d'études de mesure d'impact. Elles sont simplement suivies de sondages réalisés par la Délégation à la sécurité et à la circulation routières (DSCR), qui montrent que certes les gens les mémorisent, mais cela ne suffit pas pour faire changer les comportements. Une étude menée aux États-Unis démontrait ainsi qu'il fallait quatre étapes pour arriver à une modification des comportements. Les campagnes touchent les gens, mais ne permettent pas de modifier leurs habitudes. Nous attendons qu'elles informent et qu'elles fassent comprendre à chacun pourquoi il existe des contraintes en matière de sécurité routière, de façon à ce que celles-ci soient acceptées.

Par ailleurs, nous attendons du gouvernement actuel qu'il ose enfin affronter la désinformation permanente des lobbys. L'alcool, depuis des décennies, est responsable de 30 % des morts sur la route : on n'arrive pas à faire baisser ce chiffre. Il y a pourtant eu une amélioration entre 2002 et ces dernières années car le « contrôle sanction » automatique, à travers la mise en place des radars automatiques, a joué sur la vitesse. À alcoolémie égale, les accidents ont baissé grâce à la diminution de la vitesse. Cependant, il y a mille fois moins de risques d'être contrôlé pour l'alcool que pour la vitesse. Il se pose en outre un problème d'effectifs des agents chargés des contrôles sur le bord des routes. À cela s'ajoute la publicité pour l'alcool, notamment sur Internet. Il faut savoir qu'actuellement, lorsqu'il y a des interceptions au bord des routes par les forces de l'ordre pour des problèmes d'alcool contraventionnels ou délictuels, dans 51 % des cas, il n'y a pas de retrait de points. Nous l'avons appris grâce au rapport des inspecteurs Jean Colin et Jean-Yves Le Gallou, missionnés par Claude Guéant à la suite du constat d'une différence entre les infractions relevées et les sanctions prononcées1(*). Remis à Manuel Valls en 2012, ce rapport n'a eu aucune suite. Nous l'avons rendu public, grâce aux médias, en septembre 2015. Il y avait à l'époque du rapport 50 % de non retrait de points après interception par les forces de l'ordre pour des cas d'alcoolémie. Le rapport révélait aussi que dans 46 % des cas d'excès de vitesse, il n'y avait pas de retrait de points. En septembre 2015, cette proportion était montée à 50 %. C'est consternant : la situation a empiré, puisque ces chiffres ont augmenté entre 2012 et 2015. Ce n'est pas ainsi que nous pouvons lutter contre la vitesse ou l'alcool au volant.

Nous menons de belles campagnes depuis trente ans. Elles n'ont pas permis de faire baisser la mortalité sur les routes. Les médias posent problème. Nous devons souvent débattre avec des hommes. Lorsque vous leur demandez avant l'émission combien de points il leur reste, vous pouvez être tranquille pour toute l'émission. Il en va de même pour les journalistes « essayeurs de voiture ». Les débats sont impossibles avec eux ! Des femmes journalistes se plaignent, dans les rédactions, de peiner à faire passer les messages de sécurité routière. Cela pose un réel problème.

Vous avez demandé quelles actions pourraient être menées. Nous sommes en train d'amorcer la troisième année d'augmentation du nombre de morts sur les routes, ce qui est inédit depuis trente-cinq ans. Et ce ne sont pas les 81 mesures prises tous azimuts par le ministère de l'Intérieur qui permettront à l'accidentalité de diminuer !

Il nous aurait semblé important d'interdire en priorité les avertisseurs de radars, alors que la première cause de mortalité sur les routes est la vitesse. Ces avertisseurs créent en outre une inégalité entre les citoyens, ceux qui en sont équipés et les autres. Par ailleurs, la présence de forces de l'ordre au bord de la route, que se signalent les automobilistes, peut être motivée pour des raisons diverses. Il peut s'agir de terrorisme ou d'enlèvement d'enfants, pas seulement de contrôle routier. Une priorité importante serait de mettre un terme aux dysfonctionnements dénoncés dans le rapport Colin/Le Gallou. Ce rapport proposait vingt-neuf préconisations pour le ministère de l'Intérieur et la Chancellerie, notamment afin de lutter contre l'alcool au volant. Je rappelle que l'alcool est présent dans 90 % des accidents mortels ou corporels. L'une de ces propositions était de mettre un terme au classement sans suite sous conditions, qui peut permettre à une personne ayant conduit sous l'emprise de l'alcool de sortir du tribunal avec un « stage de sensibilisation à la sécurité routière », que je qualifierais plutôt de stage de récupération de points, alors qu'une contravention lui aurait valu un retrait de points. Il n'est pas possible, avec de tels dysfonctionnements, de lutter contre l'alcool au volant, alors que même la loi « Évin » a été dénaturée.

Nous pensons que, dans ce pays, ceux qui ont la connaissance sont les experts et non les décideurs politiques. Les experts considèrent que la priorité absolue est de mettre en place une limitation à 80 kilomètres heure sur les routes dénuées de séparateurs médians et sur lesquelles les tués sont les plus nombreux, ce qui permettrait de sauver entre 350 et 400 vies par an. Une expérimentation a été lancée en juillet 2015 sur 81 kilomètres des 350 000 kilomètres de routes concernés, choisis au mètre près... Je suis persuadée que les services du ministère de l'Intérieur ne manqueront pas de nous communiquer les résultats de cette expérimentation. J'attends même des chiffres d'une précision extraordinaire dans le cadre de cette expérimentation...

La France perd du temps pour ne pas contrarier les lobbys, mais des gens meurent sur les routes. Il ne faut pas s'étonner que nous soyons quelquefois un peu désagréables.

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