L'explication, à mon avis, est que ce stéréotype et cette image négative de la femme au volant visaient à maintenir les femmes au foyer, alors que l'automobile aurait pu être un moyen de favoriser la liberté et l'autonomie des femmes. Poser d'emblée les femmes comme incapables de conduire permettait de les garder au foyer et de maintenir la domination des hommes sur l'espace extérieur.
Les stéréotypes de sexe existent dès la naissance, voire avant. En effet, les parents, dès qu'ils connaissent le sexe de l'enfant, mettent en place autour de lui des attentes et des objets qui sont fonction de ce sexe. Dès l'âge de dix-huit mois à deux ans, les garçons comme les filles attribuent tous les objets roulants aux garçons. Ces stéréotypes touchent les jouets, comme vous l'avez mentionné. Ils ont aussi des conséquences sur les carrières.
S'agissant de la différence entre hommes et femmes dans la réussite au permis de conduire, les stéréotypes sur les compétences des femmes au volant jouent beaucoup sur leur rapport à l'apprentissage de la conduite. Les filles sont des apprenties conductrices très sérieuses, mais plutôt anxieuses, alors que les garçons arrivent aux cours de conduite en étant persuadés qu'ils savent déjà conduire. Ils sont moins à l'écoute des conseils des moniteurs. Ils réussissent mieux, car ils ont une confiance en eux beaucoup plus importante que les femmes, qui rencontrent plus de difficultés sur l'épreuve pratique. Les chiffres sont difficiles à obtenir, mais il semble pourtant qu'il n'existe pas de différence de réussite selon le sexe dans la partie théorique du Code de la route : il ne s'agit donc pas d'un problème de compréhension de l'espace routier ou de prise de décision rapide, mais d'une appréhension de cette activité pour laquelle on pose d'emblée que les femmes ne sont pas compétentes. On constate le même phénomène avec les mathématiques, pour lesquelles il existe une croyance encore forte en l'incapacité supposée des femmes.
En ce qui concerne les différences de mobilité en fonction du sexe, les derniers éléments dont nous disposons ont été fournis par l'enquête nationale Transports en 2008. Ces différences sont une répercussion des différences sexuées des tâches domestiques. Ainsi, les femmes ont des déplacements urbains courts plus nombreux, saccadés, en plusieurs étapes (aller chercher les enfants à l'école, faire les courses...), ce qui peut expliquer qu'elles aient plus d'accidents matériels, avec des vitesses moindres, car elles roulent en ville, sur des espaces limités à 50 voire 30 kilomètres heure.
S'agissant des campagnes de prévention, le danger d'une campagne comme le Manifeste des femmes pour une route plus sûre2(*) est le manque d'explication de ces différences de sexe dans l'accidentalité routière. Cette différence de sexe est posée comme un fait et n'est pas expliquée, ce qui tend à essentialiser les différences de sexe. Ainsi, le message laissait entendre que les comportements à risque étaient inhérents aux hommes, et que le travail des femmes était de les protéger. Cela accentuait encore les stéréotypes de sexe. Une telle campagne, à mon sens, est totalement contre-productive. Il faut savoir qu'il existe un continuum éducatif en matière de sécurité routière, avec des actions dès l'école maternelle. Un angle d'attaque pourrait être d'essayer de déconstruire dès le départ cette croyance en une compétence naturelle des hommes à conduire. Cela pourrait néanmoins s'avérer contre-productif, encourageant la prise de risque par les femmes si elles considèrent qu'elles conduisent aussi bien que les hommes. Il faudrait donc surtout faire prendre conscience aux hommes qu'ils sont aussi vulnérables que les femmes. En effet, dans les pratiques éducatives, aujourd'hui encore, il existe une croyance des parents en une sorte d'invulnérabilité des garçons, ce qui autorise de leur part une prise de risques plus importante, la fille étant perçue quant à elle comme vulnérable par essence. C'est pourquoi il vaudrait mieux mettre en exergue la vulnérabilité des hommes pour les encourager à la prudence.