Le nombre et la qualité des questions montrent l'intérêt de votre commission pour le CNRS. Il est hors de question de polémiquer sur les annulations successives de crédits. Pour un certain nombre de raisons compréhensibles, les régulations budgétaires ont beaucoup touché la recherche ces dernières années, entraînant une baisse globale de l'emploi au CNRS et affectant son budget. Nous faisons avec. La recherche française, de grande qualité, a besoin d'un coup de pouce. Un rattrapage en 2017 favoriserait l'emploi des jeunes chercheurs, la valorisation et la consolidation de ce qui fonctionne bien.
Le spectre d'intervention du CNRS est large, mais nous faisons des choix. Si l'on cessait de recruter des mathématiciens pendant deux ou trois ans, on affecterait la communauté mathématique au point de s'approcher du décrochage. Je milite donc pour un rattrapage.
L'espace européen de la recherche a beau être difficile à construire, l'axe franco-allemand fonctionne très bien. Nous discutons beaucoup, de façon formelle ou non, avec les Allemands et nous nous retrouvons deux fois par an pour évoquer des projets communs. Mais le différentiel commence à se faire sentir. Le gouvernement fédéral a annoncé que le budget de la recherche et du développement avait augmenté de 75 % en dix ans au moment même de l'annonce du décret d'avance en France !
La dernière décennie, marquée par un grand bouleversement du paysage de l'enseignement supérieur et de la recherche, est celle de la révolution silencieuse en matière de transfert, de valorisation et d'innovation. Les chercheurs parlent de transfert lorsque les résultats de leurs recherches sortent de leur laboratoire. La valorisation est ce qu'on fait de ces résultats une fois transférés - gestion de la propriété intellectuelle, création de start up - ; l'innovation, c'est la mise sur le marché. L'innovation n'est pas forcément issue de la recherche scientifique. Celui qui a fixé des roulettes aux valises est un génie, mais il n'a pas eu besoin de beaucoup de recherche scientifique. L'innovation, c'est l'éclairage extraordinaire de quelqu'un sur quelque chose, sans forcément d'invention scientifique.
Après dix ans d'efforts budgétaires publics pour l'innovation - incubateurs, sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT), Inserm Transfert - la coordination s'améliore. Un rapport sera remis au ministre Emmanuel Macron, au secrétaire d'État Thierry Mandon et au commissaire général à l'investissement Louis Schweitzer aujourd'hui même. La barrière du transfert a été abaissée, et le fantasme du chercheur refusant de travailler avec une entreprise ne reflète pas la réalité.
Je vous invite à venir dans les laboratoires. On y parle toutes les langues, des jeunes viennent de tous les pays. Sur 300 chercheurs recrutés cette année, une centaine vient de l'étranger. Quant aux Français, ils ont forcément passé deux ou trois ans dans un autre pays. Lorsqu'ils reviennent, ils n'ont aucune difficulté à concevoir que les résultats de la recherche peuvent être valorisés.
Depuis les lois Allègre en 2000, 1 200 start up issues des laboratoires du CNRS ont été créées, dont 60 % existent encore. Un certain nombre d'entre elles a été racheté. Le problème ne réside pas dans leur création, mais dans leur très faible croissance. Nous ne savons pas encore collectivement faire « grossir » ces entreprises. Question de crédits, de levées de fonds, de mentalités aussi - un scientifique a besoin d'un partenaire qui bâtisse un plan d'affaires. On peut toutefois citer quelques réussites formidables, comme la société Supersonic Imagine, issue de l'École supérieure de physique et de chimie industrielles (ESPCI), qui travaille sur l'imagerie médicale non invasive et est désormais cotée en bourse. Preuve que le développement des start up est possible, même si la France n'est pas suffisamment dotée en grandes PME technologiques, contrairement à l'Allemagne, dont l'extraordinaire réseau explique les 3 % du PIB allemand consacré à la recherche et au développement - dont les deux tiers sont attribuables au secteur privé. La France est l'un des pays où le taux de création de start up est le plus élevé. Elle s'est familiarisée sans bruit à la culture de la start up. Mais il faut être patient et porter nos efforts sur la façon de leur faire atteindre une taille critique.
La position du CNRS est très claire sur la fouille de données : nous en avons besoin. On perdra du terrain si l'on ne peut pas en disposer.
La cartographie est un sujet plus politique que scientifique. On ne peut pas reprocher au Commissariat général à l'investissement de ne pas se pencher sur la question des territoires. L'excellence va à l'excellence, c'est la règle de base. L'État peut néanmoins mener des actions correctrices. L'Ouest, le Nord, le Sud sont concernés. Nous soutenons le projet lillois. De même, la recherche toulousaine est excellente, mais l'accord entre les institutions pose problème. Le CNRS ne se pose pas en donneur de leçons, mais il faut distinguer la qualité de la recherche et de la formation et les problèmes institutionnels. Il existe une myriade d'institutions qui ont chacune un président, un directeur, une histoire, une marque, un réseau, ce qui crée des difficultés. Le CNRS continuera à soutenir la recherche de qualité où qu'elle soit, mais l'entente institutionnelle est très importante pour l'avenir. Sans universités intégrées, unifiées, visibles, attractives à l'étranger, il ne se passera pas grand-chose.
Le CNRS n'a pas pour objectif de faire émerger de grands pôles en désertifiant le reste du territoire. Il faut au contraire une dizaine de grands pôles aux côtés de réseaux les connectant à de plus petits sites. L'excellence peut être partout. Le CNRS a parfois été mal compris, alors qu'il a pour but d'organiser des réseaux connectés.
L'emploi des doctorants est notre priorité absolue. À partir de 2012-2013, la situation est devenue compliquée en raison de la baisse des départs en retraite, alors qu'aucun emploi n'était créé - RGPP oblige - et que les budgets n'augmentaient pas. Un budget à euros constants, quand la masse salariale gonfle en raison du glissement vieillissement technicité (GVT) et de diverses taxes, se traduit par une baisse du niveau global d'emploi. Nous avons néanmoins continué à recruter en limitant les contrats à durée limitée subventionnés par l'État et en rationalisant. Les équipes ont souffert mais l'emploi permanent a été maintenu, tout comme le recrutement annuel de 300 chercheurs et 300 ingénieurs techniciens, indispensable pour la survie du CNRS et de la recherche française.