Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

Réunion du 8 juin 2016 à 10h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

J'attire votre attention sur le changement d'horaire de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi pour renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias. Elle se tiendra mardi 14 juin à 12h30 au Sénat.

La commission soumet au Sénat la nomination de Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Hugues Portelli et Jean-Pierre Leleux, Mme Colette Mélot, M. David Assouline, Mme Sylvie Robert et M. Patrick Abate comme membres titulaires, et de Mme Maryvonne Blondin, MM. Philippe Bonnecarrère, Jean-Louis Carrère et Jacques Grosperrin, Mmes Mireille Jouve et Vivette Lopez, et M. Michel Savin comme membres suppléants de la commission mixte paritaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

La commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine se réunira mercredi 15 juin à 16h30 à l'Assemblée nationale.

La commission soumet au Sénat la nomination de Mme Catherine Morin-Desailly, M. Jean-Pierre Leleux, Mmes Françoise Férat et Colette Mélot, M. David Assouline, Mme Marie-Pierre Monier, M. Pierre Laurent comme membres titulaires, et de M. Pascal Allizard, Mmes Maryvonne Blondin et Nicole Duranton, M. Guy-Dominique Kennel, Mme Françoise Laborde, M. Philippe Nachbar, et Mme Sylvie Robert comme membres suppléants de la commission mixte paritaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Demain, nous aurons une audition conjointe avec la commission des affaires européennes et la commission des affaires économiques sur l'Union européenne et les enjeux du numérique. Trois thématiques seront évoquées : l'émergence d'une industrie numérique en Europe ; la régulation pour le numérique en Europe ; la souveraineté de l'Europe et le numérique.

À la demande de M. Loïc Hervé, président du groupe d'études Société numérique, nouveaux usages, nouveaux médias, une visite est organisée jeudi 16 juin à 9 heures dans l'entreprise française ADVANCED Schema de services numériques, qui répond aux besoins d'analyse et de valorisation du patrimoine de données de grands groupes. Cette entreprise nous fera part de ses difficultés pour recruter de jeunes ingénieurs capables de faire du développement informatique et nous parlera des enjeux de formation professionnelle et d'enseignement supérieur.

La semaine prochaine, nous auditionnerons M. Bruno Foucher, président de l'Institut français, après une visite du musée du Luxembourg pour découvrir les « Chefs d'oeuvre de Budapest ».

La commission auditionne M. Alain Fuchs, président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Nous accueillons M. Alain Fuchs, président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et sa directrice de cabinet, Mme Marie-Hélène Beauvais. La décision d'annuler 134 millions d'euros sur le programme 172 - recherches scientifiques et technologiques disciplinaires - à travers un décret d'avance, qui aurait amputé la dotation du CNRS de 50 millions d'euros dans son budget pour 2016, a non seulement suscité la colère de la communauté scientifique mais conduit aussi bien la commission des finances de l'Assemblée nationale que celle du Sénat à émettre un avis défavorable sur ledit projet de décret.

Cette annulation de 50 millions d'euros - sur un budget du CNRS de 3,2 milliards d'euros - pouvait paraître limitée, notamment au regard du fond de roulement de cet organisme. M. Fuchs nous expliquera certainement quelle aurait été la portée de cette mesure, finalement annulée. Cette menace d'annulation, même minime, d'une partie de la subvention de l'État, a mis le doigt sur les bouleversements du financement de la recherche depuis vingt ans, auxquels les instituts de recherche continuent de s'adapter : une stagnation des dotations - en réalité une diminution des crédits, compte tenu de l'augmentation automatique de la masse salariale ; une dépendance toujours plus forte vis-à-vis des crédits d'intervention de l'Agence nationale de la recherche (ANR), des fonds européens et des investissements d'avenir.

Au-delà du financement de la recherche, le CNRS a été confronté à d'autres évolutions : fort de ses 1 025 unités mixtes de recherche (UMR), il travaille en étroite collaboration avec les universités. Il a dû s'adapter aux différentes réformes de l'enseignement supérieur intervenues depuis une dizaine d'années. Cette audition est donc l'occasion de faire un point d'étape et d'échanger sur nos interrogations.

Debut de section - Permalien
Alain Fuchs, président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Merci de votre invitation. Les scientifiques sont sous le feu de l'actualité. Vous avez rappelé la tribune dans Le Monde de plusieurs lauréats du prix Nobel, reçus par le Président de la République. Le paysage de l'enseignement supérieur et de la recherche en France a fortement évolué depuis dix ans. Il n'y a pas d'exception culturelle française : la plupart des pays scientifiquement développés ont réfléchi à la façon de réorganiser les universités, les organismes de recherche et les agences de financement. Nos voisins allemands, avec une recherche-innovation efficace, ont créé des Excellence Initiatives - devenues en France les initiatives d'excellence (Idex), dans le cadre du programme d'investissements d'avenir.

En 2006 ont été mis en place les pôles de recherche et d'enseignement supérieur (Pres), devenus dans la loi de 2013 des communautés d'universités et établissements (Comue). Il y a, bon an mal an, un effort de continuité depuis plusieurs décennies - même si les réformes se sont accélérées depuis dix ans : on veut reconcentrer le système très morcelé des universités, avec les Pres-Comue et les Idex - outils du programme d'investissements d'avenir (PIA) qui rassemblent des établissements sur un site académique afin de donner aux universités de recherche la possibilité d'être bien classées au niveau mondial. Notre système, qui manque de grandes universités visibles à l'échelle internationale, doit opérer des regroupements avec les organismes de recherche, conduisant à des rapprochements entre les universités et les écoles sur des grandes villes académiques. La loi relative aux libertés et responsabilités des universités de 2007 et la loi Fioraso de 2013 y ont contribué. Même si les termes, les sigles et les statuts changent, ce mouvement va dans une même direction. On espère obtenir une différenciation - et non une discrimination - d'une dizaine de grandes universités, aux côtés d'un tissu d'universités de proximité capables de délivrer de très bonnes formations à des niveaux licence et master - mais peut-être pas dans tous les masters. Cette stratégie est transpartisane et consensuelle.

La création des Pres puis des Comue, qui fait travailler ensemble différents établissements, prend du temps. Ainsi, la ville de Lyon propose la création d'un Idex pour la fin de l'année, avec trois universités, dont l'École normale supérieure et l'Institut national des sciences appliquées... Néanmoins, dans certaines villes qui concentrent de nombreux établissements de grande qualité, il est parfois difficile de les regrouper sous une même bannière. En revanche, la fusion d'universités, qui ont un même statut, a été une vraie réussite, notamment à Marseille, Strasbourg, Bordeaux, en Lorraine... Sont apparus de véritables établissements multidisciplinaires. Le mouvement est en cours. Durant ces mouvements, les universités ont dû gérer leur masse salariale. Il a fallu construire des Comue, des Idex et rapprocher les établissements sur un même site. Cela a pris beaucoup de temps, d'énergie et de moyens pour passer ce cap de l'autonomie des universités. L'ANR a pu avancer des fonds mais après la crise de 2008, ceux-ci se sont réduits. Aujourd'hui, elle est dans une situation financière un peu critique.

Le PIA rassemble beaucoup d'argent extrabudgétaire mais ne paie pas le fonctionnement courant ; cela pose problème en cas de crise. Depuis dix ans, les universités et les organismes de recherche ont des budgets contraints, qui ont été maintenus - en dehors de l'apport des PIA. C'est déjà une bonne chose, par rapport à nos voisins. Lorsqu'on coupe dans le budget de la recherche, elle repart difficilement car les enseignants et les jeunes sont partis. Depuis dix ans, ces budgets se maintiennent en euros courants, mais cela signifie qu'ils ont baissé en euros constants, tandis qu'en Allemagne, le budget fédéral de la recherche augmente...

Les communautés scientifiques, conscientes de la crise économique et financière et de la nécessité de réformes importantes, ont fait preuve de bonne volonté. Le CNRS, très proche des universités - qui hébergent la plupart de nos laboratoires - s'est transformé et a accompagné ces réformes. Nos budgets sont contraints. L'événement d'il y a dix jours a mis en lumière certains problèmes : en milieu d'année, il aurait manqué 50 millions d'euros au CNRS - sur un budget de 3,3 milliards d'euros, certes, mais composé à 70 % de la masse salariale. Le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) aurait été amputé de 64 millions d'euros, l'INRA et l'INRIA de 10 millions d'euros. À partir du moment où les crédits ont été affectés aux laboratoires et que les cotisations aux organisations internationales - Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN), télescopes à Hawaï ou au Chili - ont été payées, le fonds de roulement ne dort pas. Une coupure de 50 millions d'euros nous aurait obligés à interrompre certaines opérations, c'est-à-dire à reprendre de l'argent à des laboratoires : vous imaginez les mécontentements. Telle était la situation il y a dix jours.

Des réformes sont en cours, et nous commençons à voir de réels succès, comme à Saclay, projet compliqué mais en bonne voie. La recherche française est fort renommée, avec de belles réussites scientifiques, une nette amélioration des transferts des résultats de la recherche par la création de start up ou l'interface avec l'industrie française. Dans ce contexte, le soutien à la recherche scientifique est très important.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

L'événement d'il y a dix jours s'était déjà déroulé l'année dernière, mi-novembre, alors que l'Assemblée nationale examinait le budget 2015. Un amendement gouvernemental avait retiré 70 millions d'euros aux universités. À ma demande, en tant que rapporteur pour avis du budget de l'enseignement supérieur au Sénat, nous avions voté le rétablissement des crédits. L'Assemblée nationale les avait de nouveau supprimés. Il avait fallu des manifestations de chercheurs et la mobilisation de la Conférence des présidents d'université (CPU) pour obtenir gain de cause et que le Président de la République rétablisse ces fonds le 12 décembre dernier.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

De nouveau récemment menacés, les crédits de la recherche ont été récupérés par la mobilisation des chercheurs, des universitaires et des prix Nobel. Au-delà du temps et de l'énergie pour sauver les crédits de la recherche, la pérennité de projets de recherche de long terme est remise en question. Les PIA ont été importants dans la période de crise. Pour la deuxième année consécutive, le message envoyé par le Gouvernement engendre de la prudence, voire une certaine frilosité dans le développement de projets de recherche. Quelle leçon tirez-vous de cette expérience ? Quel sera, à votre avis, votre budget pour les prochaines années ? Faut-il sanctuariser les crédits de la recherche, et le cas échéant, de quelle façon ?

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

Merci à notre présidente d'avoir invité M. Fuchs ; je souhaitais depuis longtemps que notre commission se penche sur ces sujets de la recherche, des programmes d'investissement d'avenir, des relations entre les organismes de recherche. Tous ne sont pas sous la tutelle du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche : certains relèvent des ministères de l'agriculture ou de l'environnement.

L'événement d'il y a dix jours a été réglé par le Président de la République. Ce n'est pas l'expression d'une politique gouvernementale sur la recherche mais l'exécution technique d'un procédé que l'on peut contester - notre commission l'a fait l'année dernière - pour faire face à de nouvelles dépenses et adopter un décret d'avance dans lequel les dépenses et les recettes sont équilibrées. Cet événement a apporté un éclairage particulier sur la recherche, vous l'avez souligné, avec l'implication de grands noms de la recherche française.

Depuis longtemps, la recherche nourrit la réflexion intellectuelle, construit la connaissance et contribue au développement économique par le transfert des produits de la recherche. Il s'agit pour nous de développer une culture commune de la recherche, secteur clé de la souveraineté nationale.

Hier, nous avons rencontré M. Roger Genet, ancien directeur général de la recherche et de l'innovation, nommé directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anset). C'est la première fois qu'un directeur général du ministère est resté si longtemps en poste, quatre ans. Lorsqu'il a été nommé, l'un de ses collègues scientifiques s'est interrogé, considérant que « plus la direction de la recherche est faible, mieux on se porte ». Or Roger Genet, par son empathie et son ouverture d'esprit, a mobilisé tous ses collègues chercheurs pour confirmer la place de la recherche française dans la stratégie nationale de recherche, dont il a remis un exemplaire au Premier ministre en décembre dernier.

La construction et le partage de la connaissance, le faire-savoir sont primordiaux. D'autres organismes de recherche, ne relevant pas de la tutelle du ministère de la recherche, participent à cette valorisation. Ont également été créées les sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT), tandis qu'un certain nombre de sociétés de valorisation de la recherche sont intégrées dans les organismes de recherche (comme l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et sa société de valorisation Transfert Inserm). Comment se coordonnent l'action de ces différents organismes ?

Que pensez-vous des décisions négatives du grand jury des programmes d'investissements d'avenir, qui estime que certains regroupements ne seraient pas à la hauteur de leurs engagements initiaux?

La libéralisation de l'autorisation du Text and Data Mining a été demandée par les chercheurs lors des débats sur le projet de loi pour une République numérique, et votée par l'Assemblée nationale. Le Gouvernement a fait un arbitrage injustifié : le Data Mining ne met pas en danger le droit d'auteur mais donne un outil nouveau à la recherche. Le Sénat, par amendement du rapporteur de notre commission, a apporté une réponse en demi-teinte, soumise à l'encadrement des éditeurs. À la veille de la CMP, quel est votre avis sur cette demande des chercheurs ?

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Bouchoux

Il y a le rêve et puis la réalité des rapprochements d'établissements d'enseignement supérieur et de recherche. Parfois, le diable se niche dans les détails. Les Comue se mettent en place, parfois très bien, parfois pas. Dans une unité de recherche reconnue internationalement comme le Centre de recherches historiques de l'Ouest (CERHIO), lorsqu'une université fait défection, ce sont quatre universités qui se retrouvent orphelines et, par effet collatéral, ne relèvent plus d'une UMR. Oui, cela bouge partout ; oui, nous avons de grandes unités, mais depuis cinq ans, nous assistons à une certaine incompréhension dans l'Ouest. Quid de cette région ? Les chercheurs et enseignants-chercheurs sont inquiets, déprimés. La cartographie a des trous, notamment dans le grand Ouest. Nous comptons sur vous.

Quid de l'emploi de doctorants au CNRS ? Les attentes sont fortes. Dans les universités, on incite les étudiants à s'engager dans un doctorat. Certes, l'entreprise est un débouché, mais le premier voeu des doctorants est plutôt la recherche publique. Comment concilier cela ?

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Gonthier-Maurin

Nombreux sont ceux qui ont été sidérés par l'annonce de ces restrictions supplémentaires, alors qu'ils étaient déjà inquiets sur le financement de la recherche publique. Nous nous appuyons aussi sur l'évolution des effectifs. Selon votre site, les financements et les investissements du CNRS ont repris leur croissance à partir de 2004, mais décrochent de nouveau. On ne peut pas parler de stagnation avec 1 389 agents perdus en douze ans, toutes catégories confondues. Des chercheurs et des techniciens en moins, ce n'est pas bon pour la recherche, d'autant que de nombreux contractuels sont recrutés et que nous n'atteignons pas l'objectif prévu en 2010 de consacrer 3 % du PIB à la recherche. Cette inquiétude va de pair avec le constat de la sanctuarisation d'une recherche privée financée sur fonds publics ...

Quel est le financement de l'ANR ? Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la mise en route, plus compliquée que prévue, de la gestion budgétaire et comptable ? Le transfert des anciens contrats pose problème, notamment au niveau européen. Une gestion plus rigoureuse des comptes des grands organismes publics, via des autorisations de paiement, peut donner une certaine souplesse aux directeurs de laboratoires pour disposer d'une visibilité plus longue sur le pilotage de leur recherche et pour connaître, au fur et à mesure, l'état d'engagement et de consommation du budget alloué.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Merci, monsieur Fuchs, vous montrez bien que notre pays veut continuer à mener une politique de soutien à la recherche et à l'enseignement supérieur. Pour nous tous, l'enseignement supérieur et la recherche permettent non seulement la croissance mais aussi la diffusion de la connaissance pour créer de la richesse. Nombre d'entre nous avons été stupéfaits lors de la récente annonce ; l'avenir des pays développés tient à cette capacité accrue de connaissances. Nous nous félicitons de la décision finale.

Je me suis rendu récemment à Berlin. Les Länder ont l'obligation de ne pas augmenter l'emprunt voire de le réduire. Selon eux, les dépenses nouvelles seront financées par la croissance : les mesures mises en place sous le gouvernement Schröder ont obtenu de tels résultats qu'elles pourront financer les dépenses des territoires et des universités. Ce cercle extrêmement vertueux doit nous pousser à réfléchir.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Je partage les propos de Corinne Bouchoux, que je souhaitais présenter sous l'angle de l'aménagement du territoire, même si les PIA n'avaient pas cette finalité. Nous devons nous interroger collectivement pour éviter de tomber dans des distorsions, des fractures territoriales considérables. Où en est, statistiquement, la création des start up ?

Debut de section - PermalienPhoto de René Danesi

Dans votre budget, quelle est la part des différentes sections et des secteurs d'intervention du CNRS ? Les contraintes budgétaires n'épargnent même pas la plus petite commune de France. Dans les sciences humaines, les universités pourraient prendre le relais, car ce ne sont pas les disciplines qui nécessitent le plus d'investissement matériel initial.

Debut de section - Permalien
Alain Fuchs, président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Le nombre et la qualité des questions montrent l'intérêt de votre commission pour le CNRS. Il est hors de question de polémiquer sur les annulations successives de crédits. Pour un certain nombre de raisons compréhensibles, les régulations budgétaires ont beaucoup touché la recherche ces dernières années, entraînant une baisse globale de l'emploi au CNRS et affectant son budget. Nous faisons avec. La recherche française, de grande qualité, a besoin d'un coup de pouce. Un rattrapage en 2017 favoriserait l'emploi des jeunes chercheurs, la valorisation et la consolidation de ce qui fonctionne bien.

Le spectre d'intervention du CNRS est large, mais nous faisons des choix. Si l'on cessait de recruter des mathématiciens pendant deux ou trois ans, on affecterait la communauté mathématique au point de s'approcher du décrochage. Je milite donc pour un rattrapage.

L'espace européen de la recherche a beau être difficile à construire, l'axe franco-allemand fonctionne très bien. Nous discutons beaucoup, de façon formelle ou non, avec les Allemands et nous nous retrouvons deux fois par an pour évoquer des projets communs. Mais le différentiel commence à se faire sentir. Le gouvernement fédéral a annoncé que le budget de la recherche et du développement avait augmenté de 75 % en dix ans au moment même de l'annonce du décret d'avance en France !

La dernière décennie, marquée par un grand bouleversement du paysage de l'enseignement supérieur et de la recherche, est celle de la révolution silencieuse en matière de transfert, de valorisation et d'innovation. Les chercheurs parlent de transfert lorsque les résultats de leurs recherches sortent de leur laboratoire. La valorisation est ce qu'on fait de ces résultats une fois transférés - gestion de la propriété intellectuelle, création de start up - ; l'innovation, c'est la mise sur le marché. L'innovation n'est pas forcément issue de la recherche scientifique. Celui qui a fixé des roulettes aux valises est un génie, mais il n'a pas eu besoin de beaucoup de recherche scientifique. L'innovation, c'est l'éclairage extraordinaire de quelqu'un sur quelque chose, sans forcément d'invention scientifique.

Après dix ans d'efforts budgétaires publics pour l'innovation - incubateurs, sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT), Inserm Transfert - la coordination s'améliore. Un rapport sera remis au ministre Emmanuel Macron, au secrétaire d'État Thierry Mandon et au commissaire général à l'investissement Louis Schweitzer aujourd'hui même. La barrière du transfert a été abaissée, et le fantasme du chercheur refusant de travailler avec une entreprise ne reflète pas la réalité.

Je vous invite à venir dans les laboratoires. On y parle toutes les langues, des jeunes viennent de tous les pays. Sur 300 chercheurs recrutés cette année, une centaine vient de l'étranger. Quant aux Français, ils ont forcément passé deux ou trois ans dans un autre pays. Lorsqu'ils reviennent, ils n'ont aucune difficulté à concevoir que les résultats de la recherche peuvent être valorisés.

Depuis les lois Allègre en 2000, 1 200 start up issues des laboratoires du CNRS ont été créées, dont 60 % existent encore. Un certain nombre d'entre elles a été racheté. Le problème ne réside pas dans leur création, mais dans leur très faible croissance. Nous ne savons pas encore collectivement faire « grossir » ces entreprises. Question de crédits, de levées de fonds, de mentalités aussi - un scientifique a besoin d'un partenaire qui bâtisse un plan d'affaires. On peut toutefois citer quelques réussites formidables, comme la société Supersonic Imagine, issue de l'École supérieure de physique et de chimie industrielles (ESPCI), qui travaille sur l'imagerie médicale non invasive et est désormais cotée en bourse. Preuve que le développement des start up est possible, même si la France n'est pas suffisamment dotée en grandes PME technologiques, contrairement à l'Allemagne, dont l'extraordinaire réseau explique les 3 % du PIB allemand consacré à la recherche et au développement - dont les deux tiers sont attribuables au secteur privé. La France est l'un des pays où le taux de création de start up est le plus élevé. Elle s'est familiarisée sans bruit à la culture de la start up. Mais il faut être patient et porter nos efforts sur la façon de leur faire atteindre une taille critique.

La position du CNRS est très claire sur la fouille de données : nous en avons besoin. On perdra du terrain si l'on ne peut pas en disposer.

La cartographie est un sujet plus politique que scientifique. On ne peut pas reprocher au Commissariat général à l'investissement de ne pas se pencher sur la question des territoires. L'excellence va à l'excellence, c'est la règle de base. L'État peut néanmoins mener des actions correctrices. L'Ouest, le Nord, le Sud sont concernés. Nous soutenons le projet lillois. De même, la recherche toulousaine est excellente, mais l'accord entre les institutions pose problème. Le CNRS ne se pose pas en donneur de leçons, mais il faut distinguer la qualité de la recherche et de la formation et les problèmes institutionnels. Il existe une myriade d'institutions qui ont chacune un président, un directeur, une histoire, une marque, un réseau, ce qui crée des difficultés. Le CNRS continuera à soutenir la recherche de qualité où qu'elle soit, mais l'entente institutionnelle est très importante pour l'avenir. Sans universités intégrées, unifiées, visibles, attractives à l'étranger, il ne se passera pas grand-chose.

Le CNRS n'a pas pour objectif de faire émerger de grands pôles en désertifiant le reste du territoire. Il faut au contraire une dizaine de grands pôles aux côtés de réseaux les connectant à de plus petits sites. L'excellence peut être partout. Le CNRS a parfois été mal compris, alors qu'il a pour but d'organiser des réseaux connectés.

L'emploi des doctorants est notre priorité absolue. À partir de 2012-2013, la situation est devenue compliquée en raison de la baisse des départs en retraite, alors qu'aucun emploi n'était créé - RGPP oblige - et que les budgets n'augmentaient pas. Un budget à euros constants, quand la masse salariale gonfle en raison du glissement vieillissement technicité (GVT) et de diverses taxes, se traduit par une baisse du niveau global d'emploi. Nous avons néanmoins continué à recruter en limitant les contrats à durée limitée subventionnés par l'État et en rationalisant. Les équipes ont souffert mais l'emploi permanent a été maintenu, tout comme le recrutement annuel de 300 chercheurs et 300 ingénieurs techniciens, indispensable pour la survie du CNRS et de la recherche française.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Vous avez évoqué la création de start up, leur taux de survie et regretté qu'elles ne passent pas du stade embryonnaire à celui de PME qui comptent pour le tissu économique. Les grands groupes sont-ils à l'initiative de leur création et les rachètent-ils pour externaliser leurs activités de recherche ? Ce serait regrettable.

Je suis très sensible à la recherche fondamentale. Au Sénat, le groupe CRC, quelques autres collègues et moi-même avions demandé avec force la révision de son budget. Quel coup de pouce allez-vous solliciter ? Dans une vie antérieure, j'ai été amené à faire voter une loi de programmation militaire ; le débat avait porté sur le delta nécessaire au passage d'une armée en régression à une armée capable d'assumer ses missions correctement. Quel est votre delta ? Qu'espérez-vous ? Nous aspirons à une recherche puissante qui irrigue notre pays et crée de l'emploi.

Debut de section - Permalien
Alain Fuchs, président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Les start up que je comptabilise sont nouvelles, créées pour valoriser les inventions de chercheurs. Il existe par ailleurs des start up adossées à de grands groupes, mais elles ne sont pas si nombreuses.

Le CNRS a ses grands comptes, un réseau d'entreprises privilégiées avec lesquelles il travaille au sein d'une centaine de laboratoires communs. Nos meilleurs partenaires sont attentifs aux start up, pas pour les racheter mais parce qu'elles constituent des gisements d'innovations ; ils les soutiennent par des fonds spécifiques destinés à identifier celles qui ont un potentiel et les aider à se développer.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Personne ne s'est emparé de l'imagerie médicale non invasive ?

Debut de section - Permalien
Alain Fuchs, président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Pas encore, même si des entreprises américaines sont intéressées. On ne peut contenir ce flux qu'en étant réactif. La circulation est importante : il faudrait aussi que nous soyons en capacité de racheter des start up.

Difficile pour moi de réclamer 3 % de budget en plus ; je connais les difficultés budgétaires de la France. Un budget constant à euros courants pendant dix ans, avec 1,5 % d'inflation, c'est un budget qui a baissé de 10 à 15 %. Il faudrait arrêter la dérive en tenant compte de l'inflation. La France est très bien dotée en gros équipements de recherche, qu'il s'agisse d'Iter, du synchrotron Soleil, du synchrotron ESRF de Grenoble, ou d'autres équipements à l'Institut Laue-Langevin, au plateau de Bure, à Pise avec Virgo, ou au Cern. Elle est l'un des opérateurs majeurs des instruments internationaux avec les États-Unis. Derrière les équipes de construction, il y a aussi des entreprises industrielles telles que Thalès. Actuellement, des commissions internationales réfléchissent aux instruments du futur, comme un radiotélescope géant - un projet à vingt ans. Nos équipes sont présentes, attendues, or je ne sais pas si nous pourrons nous engager financièrement. Si nous nous engageons, nous devrons réduire les subventions à des laboratoires ou l'emploi. Nous avons tenu dix ans en serrant fort les boulons ; nous avons besoin d'un nouveau souffle.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Merci de vos réponses. Nous avons tous conscience de la nécessité de porter un regard attentif à la recherche dans une économie mondialisée de la connaissance. Merci aussi de votre éclairage sur votre adaptation aux lois successives sur l'université et sur votre étroite collaboration avec les universités. Nous savons que vous faites face à une concurrence internationale rude avec des budgets limités. Nous y serons attentifs lors de l'examen du budget.

Je rappelle que nous auditionnerons M. Thierry Mandon le 29 juin pour compléter notre réflexion.

Debut de section - Permalien
Alain Fuchs, président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Merci. Je me tiens à votre disposition pour poursuivre ce dialogue.

La séance est levée à 11 h 20.