Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si l’on s’interrogeait encore sur l’utilité de l’accord de Paris, qui a conclu la COP 21, le dramatique épisode de crues qui vient de vivre la France en plein mois de juin nous la rappelle : il était plus que temps qu’un engagement international vienne battre en brèche le dérèglement climatique que connaît notre planète.
Le consensus scientifique est sans ambiguïté : les années 1983 à 2012 ont été la période de trente ans la plus chaude qu’ait connue l’hémisphère Nord depuis 1 400 ans. D’ici à 2100, la température pourrait augmenter de 5 degrés et le niveau de la mer croître d’un mètre. Une augmentation de la fréquence et de l’intensité des phénomènes extrêmes est, dès lors, prévisible.
Le coût économique de l’inaction de la communauté internationale serait immense, de l’ordre de 5 % à 20 % du produit intérieur brut mondial chaque année, d’après le rapport Stern de 2006, qui a eu le mérite d’amener le débat sur le terrain économique. Le coût de notre inaction pourrait atteindre 1 000 milliards de dollars par an en 2050.
Dans un rapport de notre commission, Cédric Perrin, Leila Aïchi et Éliane Giraud ont montré que les phénomènes de réchauffement, d’érosion côtière et de pénurie des ressources constituaient de puissants facteurs d’instabilité géopolitique.
On le voit, en particulier, en Arctique, où le réchauffement facilitera l’accès à des ressources géologiques et biologiques abondantes, jusque-là inaccessibles. Le recul de la glace ouvrira de nouvelles routes maritimes, tandis que la fonte du pergélisol libérera des terres agricoles. Ces perspectives, dans un contexte de concurrence entre États riverains et de tensions entre l’OTAN et la Russie, devraient être analysées avec attention.
Le risque d’une accélération des migrations environnementales est, lui aussi, particulièrement inquiétant.
L’arrivée en Europe d’un million de réfugiés n’est rien, comparée aux 72 millions de personnes qui seraient forcées de se déplacer si le niveau des mers ne s’élevait que de 50 centimètres, ce qui a des chances de se produire avant la fin du siècle si nous ne faisons rien. L’Organisation internationale pour les migrations estime à 200 millions le nombre de déplacés environnementaux d’ici à 2050.
Nous ne pouvons donc que saluer le succès de la COP 21, obtenu par la diplomatie française, et rendre hommage à l’action de Laurent Fabius et au travail inlassable de sa négociatrice Laurence Tubiana. Ils ont porté ces négociations, et je n’oublie pas non plus votre engagement personnel, madame la ministre, qui va bien évidemment se poursuivre tout au long des mois à venir.
Je veux aussi saluer ici l’action du Sénat, qui, bien avant le démarrage de la COP 21, s’est mobilisé pour préparer cet événement, grâce à l’action conjointe de nos deux commissions et de leurs présidents respectifs, Hervé Maurey et Jean-Pierre Raffarin.
L’accord de Paris traduit un engagement politique fort et quasiment unanime de la communauté internationale, des acteurs économiques, de la société civile et de l’opinion en vue de contenir l’élévation moyenne de température à 1, 5 degré et, en tout état de cause, nettement en dessous de 2 degrés.
Mais, en réalité, vous le savez bien, mes chers collègues, derrière ce très beau succès, tout reste à faire. Tout d’abord, le succès diplomatique de la COP 21 a pour contrepartie un faible degré de contrainte juridique.
L’accord a privilégié l’institution d’obligations de moyen plutôt que de résultat.
Il comporte aussi une possibilité de retrait. Souvenez-vous : le Canada, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la Russie s’étaient désengagés du protocole de Kyoto, que les États-Unis n’ont du reste jamais ratifié.
Une autre faiblesse de l’accord de Paris tient à l’absence de toute réelle sanction en cas de non-respect.
Ensuite, des difficultés découlent de l’hétérogénéité des engagements pris par les États.
Certains pays se sont engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de façon très significative. Ainsi, l’Union européenne s’est engagée sur le taux de 40 % entre 1990 et 2030, conformément à son paquet énergie-climat. C’est également l’objectif de la France, et nous ne pouvons que nous en féliciter.
Les États-Unis ont pris un engagement bien moindre, en promettant de réduire leurs émissions entre 26 % et 28 % sur la période 2005-2025. Le Canada et la Russie ont également proposé des réductions de cet ordre.
D’autres pays, notamment la Chine et l’Inde, ne se sont engagés que sur des objectifs d’intensité de leur croissance économique en émissions de gaz à effet de serre. La Chine promet par ailleurs d’atteindre un pic de ses émissions avant 2030.
Enfin, un troisième groupe de pays n’a pris, en réalité, aucun réel engagement quantifié.
De surcroît, ces contributions restent globalement très insuffisantes au regard des objectifs de l’accord : même appliquées à la lettre, elles conduiraient encore à un réchauffement de l’ordre de 3, 5 degrés.
Un second ordre de difficultés tient aux questions qui ont volontairement été éludées pour préserver une quasi-unanimité.
Il en est ainsi pour les émissions des transports aériens et maritimes, qui représentent 5 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales.
Oubliée aussi la protection des océans, qui absorbent environ un quart des émissions annuelles de CO2, et celle des zones les plus fragiles, notamment les pôles. À cet égard; nous attendons toujours, madame la ministre, la publication de la feuille de route française pour l’Arctique, à propos de laquelle vous pourrez, je l’espère, nous apporter quelques précisions.
L’accord s’est bien gardé d’évoquer les outils qui pourraient être mis en œuvre pour réorienter le mix énergétique dans un sens moins favorable aux énergies fossiles. La mise en place de systèmes de compensation est évoquée, mais les dysfonctionnements actuels du système européen d’échanges de quotas d’émission montrent que la tâche n’est pas simple.
Enfin, l’accord n’évoque pas la question des migrations environnementales, dont j’ai décrit l’impact potentiel.
Ma dernière observation est relative à l’entrée en vigueur puis à l’application de l’accord de Paris, qui a bien évidemment mobilisé notre commission. Cela va s’apparenter, dans les mois et les années qui viennent, à un véritable parcours d’obstacles.
Plusieurs signaux d’alerte sont préoccupants.
Alors que l’Union européenne a un rôle essentiel à jouer, le processus de ratification de l’accord est ralenti par les négociations entre États membres pour la mise en œuvre du paquet énergie-climat 2030. Les États-Unis et la Chine ayant promis de ratifier l’accord avant l’automne, il n’est pas impossible que celui-ci entre en vigueur sans l’Union européenne, nous réduisant temporairement au rôle de simple observateur, ce qui serait un comble… L’Europe doit montrer la voie !
Nous suivrons attentivement, madame la ministre, l’avancement de ce processus de ratification, notamment auprès de nos voisins européens.
Par ailleurs, les deux piliers de l’accord que sont les États-Unis et la Chine, qui représentent à eux deux près de 40 % des émissions mondiales, connaissent des évolutions incertaines. Aux États-Unis, notamment, les incertitudes juridiques et politiques sont fortes.
Je terminerai en évoquant la COP 22. La ministre de l’environnement du Maroc, championne de la protection du climat, Mme Hakima El Haite, est venue au Sénat exprimer avec beaucoup de ferveur et de conviction son engagement, mais aussi ses craintes.
La COP 22 sera peut-être plus difficile encore que la COP 21, car elle devra concrétiser les engagements pris à Paris. Il s’agira notamment de déterminer comment seront réunis les 100 milliards de dollars par an – excusez du peu ! – que les pays développés se sont engagés à mettre à la disposition des pays en développement et de réfléchir à l’accessibilité des pays les plus pauvres à ces fonds.
Je souhaite bien entendu saluer ici la mobilisation du Maroc pour réussir cette « COP de l’action ».
Mes chers collègues, la tâche à accomplir reste immense. Elle nécessite la mobilisation de tous, et singulièrement du Parlement français. Commençons donc par permettre l’entrée en vigueur de l’accord de Paris.
Nous souhaitons, madame la ministre, vous accompagner dans cette tâche. C’est pourquoi, au nom de la commission, je vous propose, mes chers collègues, d’adopter le projet de loi qui nous est soumis, ce qui fera de la France l’un des premiers grands pays au monde à ratifier l’accord de Paris.