La séance est ouverte à quatorze heures trente.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
J’informe le Sénat que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente aux commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion, d’une part, du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine et, d’autre part, de la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias.
Ces listes ont été publiées et la nomination des membres de ces commissions mixtes paritaires aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.
M. Jean Desessard, président du groupe écologiste, m’a informé de la demande de son groupe, en application de l’article 6 bis du règlement, de la création d’une mission d’information sur l’inventaire et le devenir des matériaux et composants des téléphones mobiles.
La conférence des présidents sera saisie de cette demande lors de sa prochaine réunion.
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l’accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 (projet n° 614, texte de la commission n° 629, rapport n° 628, avis n° 652).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Monsieur le président du Sénat, je vous remercie d’être personnellement présent pour cet événement important qui engage non seulement l’avenir de notre pays, mais aussi celui de notre planète, cela six mois presque jour pour jour après l’adoption de l’accord de Paris, et à la veille d’un important colloque sur le climat dont vous avez pris l’initiative et auquel j’aurai le plaisir de participer.
Monsieur le président de la commission du développement durable, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, l’accord de Paris sur le climat conclu en décembre dernier, dont le projet de loi de ratification vous est soumis aujourd’hui, a souvent été qualifié d’historique, à juste titre.
Il l’est certainement par son objet : il ne s’agit pas de fixer des frontières, mais de fonder une alliance nouvelle pour assurer notre survie collective en donnant le signal d’un changement de modèle économique, social et environnemental.
Il l’est aussi par sa construction, puisque chaque nation y contribue en fonction de ses caractéristiques propres et que les acteurs non étatiques – les régions, les villes, les organisations non gouvernementales, les entreprises et les citoyens – y sont étroitement associés.
Il l’est, enfin, par ses modalités, qui ne sont pas gravées dans le marbre, mais, au contraire, évolutives et dynamiques.
L’accord de Paris porte une nouvelle civilisation de réconciliation entre les activités humaines et la nature pour construire un développement sobre en carbone, résiliant aux effets du dérèglement climatique. Il fixe pour objectif de contenir la hausse des températures bien en deçà des 2 degrés et même de s’efforcer de la limiter à 1, 5 degré.
À cette fin, il appelle à un pic des émissions de gaz à effet de serre le plus tôt possible et à la neutralité des émissions dans la seconde moitié du siècle.
Il prévoit que chaque pays mette à jour, tous les cinq ans, de façon toujours plus ambitieuse, sa contribution nationale. D’ores et déjà, la France s’est engagée, par la voix du Président de la République, à augmenter l’ambition de la sienne.
À ce jour, 190 pays sur 196 ont déposé leur contribution nationale ; la quasi-totalité des émissions est donc couverte. Un bilan collectif est prévu tous les cinq ans pour faire le point sur les engagements des pays. Le premier bilan aura lieu en 2023, et la décision qui accompagne l’accord de Paris prévoit que les États se rencontrent une première fois en 2018 pour évaluer leur progrès.
Relever ce défi, c’est aussi faire reculer les drames liés au dérèglement climatique. C’est une chance extraordinaire à saisir, qui réserve de nombreuses potentialités de développement économique, de créations d’emplois, d’innovation, de lutte contre la pauvreté et l’extrême pauvreté. Il y a en effet un lien très direct entre accès à l’énergie et à l’eau, potable notamment, d’une part, et, d’autre part, agriculture, laquelle permet de satisfaire les besoins les plus élémentaires, avec une alimentation saine.
On pourrait se sentir écrasés par ces enjeux considérables, mais, en réalité, l’objectif est à portée de main, et nous contribuons à relever le défi chaque fois que l’une de nos actions permet de réduire les émanations de carbone.
Ces décisions nécessitent bien entendu du courage, de l’imagination, de l’action. Je sais que vous ne manquez pas de courage, mesdames, messieurs les sénateurs, et que, les choix, vous les avez déjà faits.
Soyez donc remerciés de participer ainsi à la mise en avant des solutions promues par la France au cours de la Conférence de Paris sur le climat, et de donner aussi à notre pays, par votre vote, la force de continuer à entraîner l’ensemble des États du globe, dans cette phase transitoire délicate. Après être venus en décembre à Paris puis à New York pour signer l’accord, beaucoup de pays pensent que les choses sont faites. Mais la ratification doit encore avoir lieu.
La France, par le vote de ses parlementaires, va envoyer un signal extrêmement fort qui donnera non seulement envie à l’Union européenne d’accélérer le processus, mais aussi aux autres continents de la planète de s’engager pour que la parole forte émise à Paris soit le plus rapidement possible traduite en actes.
Tous ceux qui sont menacés dans leur vie et leur survie par le dérèglement climatique, par la montée du niveau de la mer et par l’accélération des phénomènes de désertification doivent pouvoir reprendre espoir grâce au vote que vous allez émettre, mesdames, messieurs les sénateurs, et je vous remercie infiniment de votre contribution.
Applaudissements.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si l’on s’interrogeait encore sur l’utilité de l’accord de Paris, qui a conclu la COP 21, le dramatique épisode de crues qui vient de vivre la France en plein mois de juin nous la rappelle : il était plus que temps qu’un engagement international vienne battre en brèche le dérèglement climatique que connaît notre planète.
Le consensus scientifique est sans ambiguïté : les années 1983 à 2012 ont été la période de trente ans la plus chaude qu’ait connue l’hémisphère Nord depuis 1 400 ans. D’ici à 2100, la température pourrait augmenter de 5 degrés et le niveau de la mer croître d’un mètre. Une augmentation de la fréquence et de l’intensité des phénomènes extrêmes est, dès lors, prévisible.
Le coût économique de l’inaction de la communauté internationale serait immense, de l’ordre de 5 % à 20 % du produit intérieur brut mondial chaque année, d’après le rapport Stern de 2006, qui a eu le mérite d’amener le débat sur le terrain économique. Le coût de notre inaction pourrait atteindre 1 000 milliards de dollars par an en 2050.
Dans un rapport de notre commission, Cédric Perrin, Leila Aïchi et Éliane Giraud ont montré que les phénomènes de réchauffement, d’érosion côtière et de pénurie des ressources constituaient de puissants facteurs d’instabilité géopolitique.
On le voit, en particulier, en Arctique, où le réchauffement facilitera l’accès à des ressources géologiques et biologiques abondantes, jusque-là inaccessibles. Le recul de la glace ouvrira de nouvelles routes maritimes, tandis que la fonte du pergélisol libérera des terres agricoles. Ces perspectives, dans un contexte de concurrence entre États riverains et de tensions entre l’OTAN et la Russie, devraient être analysées avec attention.
Le risque d’une accélération des migrations environnementales est, lui aussi, particulièrement inquiétant.
L’arrivée en Europe d’un million de réfugiés n’est rien, comparée aux 72 millions de personnes qui seraient forcées de se déplacer si le niveau des mers ne s’élevait que de 50 centimètres, ce qui a des chances de se produire avant la fin du siècle si nous ne faisons rien. L’Organisation internationale pour les migrations estime à 200 millions le nombre de déplacés environnementaux d’ici à 2050.
Nous ne pouvons donc que saluer le succès de la COP 21, obtenu par la diplomatie française, et rendre hommage à l’action de Laurent Fabius et au travail inlassable de sa négociatrice Laurence Tubiana. Ils ont porté ces négociations, et je n’oublie pas non plus votre engagement personnel, madame la ministre, qui va bien évidemment se poursuivre tout au long des mois à venir.
Je veux aussi saluer ici l’action du Sénat, qui, bien avant le démarrage de la COP 21, s’est mobilisé pour préparer cet événement, grâce à l’action conjointe de nos deux commissions et de leurs présidents respectifs, Hervé Maurey et Jean-Pierre Raffarin.
L’accord de Paris traduit un engagement politique fort et quasiment unanime de la communauté internationale, des acteurs économiques, de la société civile et de l’opinion en vue de contenir l’élévation moyenne de température à 1, 5 degré et, en tout état de cause, nettement en dessous de 2 degrés.
Mais, en réalité, vous le savez bien, mes chers collègues, derrière ce très beau succès, tout reste à faire. Tout d’abord, le succès diplomatique de la COP 21 a pour contrepartie un faible degré de contrainte juridique.
L’accord a privilégié l’institution d’obligations de moyen plutôt que de résultat.
Il comporte aussi une possibilité de retrait. Souvenez-vous : le Canada, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la Russie s’étaient désengagés du protocole de Kyoto, que les États-Unis n’ont du reste jamais ratifié.
Une autre faiblesse de l’accord de Paris tient à l’absence de toute réelle sanction en cas de non-respect.
Ensuite, des difficultés découlent de l’hétérogénéité des engagements pris par les États.
Certains pays se sont engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de façon très significative. Ainsi, l’Union européenne s’est engagée sur le taux de 40 % entre 1990 et 2030, conformément à son paquet énergie-climat. C’est également l’objectif de la France, et nous ne pouvons que nous en féliciter.
Les États-Unis ont pris un engagement bien moindre, en promettant de réduire leurs émissions entre 26 % et 28 % sur la période 2005-2025. Le Canada et la Russie ont également proposé des réductions de cet ordre.
D’autres pays, notamment la Chine et l’Inde, ne se sont engagés que sur des objectifs d’intensité de leur croissance économique en émissions de gaz à effet de serre. La Chine promet par ailleurs d’atteindre un pic de ses émissions avant 2030.
Enfin, un troisième groupe de pays n’a pris, en réalité, aucun réel engagement quantifié.
De surcroît, ces contributions restent globalement très insuffisantes au regard des objectifs de l’accord : même appliquées à la lettre, elles conduiraient encore à un réchauffement de l’ordre de 3, 5 degrés.
Un second ordre de difficultés tient aux questions qui ont volontairement été éludées pour préserver une quasi-unanimité.
Il en est ainsi pour les émissions des transports aériens et maritimes, qui représentent 5 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales.
Oubliée aussi la protection des océans, qui absorbent environ un quart des émissions annuelles de CO2, et celle des zones les plus fragiles, notamment les pôles. À cet égard; nous attendons toujours, madame la ministre, la publication de la feuille de route française pour l’Arctique, à propos de laquelle vous pourrez, je l’espère, nous apporter quelques précisions.
L’accord s’est bien gardé d’évoquer les outils qui pourraient être mis en œuvre pour réorienter le mix énergétique dans un sens moins favorable aux énergies fossiles. La mise en place de systèmes de compensation est évoquée, mais les dysfonctionnements actuels du système européen d’échanges de quotas d’émission montrent que la tâche n’est pas simple.
Enfin, l’accord n’évoque pas la question des migrations environnementales, dont j’ai décrit l’impact potentiel.
Ma dernière observation est relative à l’entrée en vigueur puis à l’application de l’accord de Paris, qui a bien évidemment mobilisé notre commission. Cela va s’apparenter, dans les mois et les années qui viennent, à un véritable parcours d’obstacles.
Plusieurs signaux d’alerte sont préoccupants.
Alors que l’Union européenne a un rôle essentiel à jouer, le processus de ratification de l’accord est ralenti par les négociations entre États membres pour la mise en œuvre du paquet énergie-climat 2030. Les États-Unis et la Chine ayant promis de ratifier l’accord avant l’automne, il n’est pas impossible que celui-ci entre en vigueur sans l’Union européenne, nous réduisant temporairement au rôle de simple observateur, ce qui serait un comble… L’Europe doit montrer la voie !
Nous suivrons attentivement, madame la ministre, l’avancement de ce processus de ratification, notamment auprès de nos voisins européens.
Par ailleurs, les deux piliers de l’accord que sont les États-Unis et la Chine, qui représentent à eux deux près de 40 % des émissions mondiales, connaissent des évolutions incertaines. Aux États-Unis, notamment, les incertitudes juridiques et politiques sont fortes.
Je terminerai en évoquant la COP 22. La ministre de l’environnement du Maroc, championne de la protection du climat, Mme Hakima El Haite, est venue au Sénat exprimer avec beaucoup de ferveur et de conviction son engagement, mais aussi ses craintes.
La COP 22 sera peut-être plus difficile encore que la COP 21, car elle devra concrétiser les engagements pris à Paris. Il s’agira notamment de déterminer comment seront réunis les 100 milliards de dollars par an – excusez du peu ! – que les pays développés se sont engagés à mettre à la disposition des pays en développement et de réfléchir à l’accessibilité des pays les plus pauvres à ces fonds.
Je souhaite bien entendu saluer ici la mobilisation du Maroc pour réussir cette « COP de l’action ».
Mes chers collègues, la tâche à accomplir reste immense. Elle nécessite la mobilisation de tous, et singulièrement du Parlement français. Commençons donc par permettre l’entrée en vigueur de l’accord de Paris.
Nous souhaitons, madame la ministre, vous accompagner dans cette tâche. C’est pourquoi, au nom de la commission, je vous propose, mes chers collègues, d’adopter le projet de loi qui nous est soumis, ce qui fera de la France l’un des premiers grands pays au monde à ratifier l’accord de Paris.
Applaudissements.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’accord de Paris, adopté le 12 décembre dernier, est incontestablement historique, et c’est pourquoi nous allons le ratifier sans tarder.
Je retiens à son sujet quatre objectifs qui me paraissent essentiels : contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 degrés par rapport aux niveaux préindustriels et s’efforcer de la limiter à 1, 5 degré ; placer l’adaptation au cœur des priorités des États, afin de renforcer la résilience aux changements climatiques ; construire un cadre de transparence visant à renforcer la confiance entre les parties ; mettre en œuvre une clause de révision qui engage les parties à actualiser et à faire progresser leurs engagements nationaux tous les cinq ans – s’ils restaient en l’état, les engagements pris se solderaient par une élévation de la température de l’ordre de 3 degrés, et ne permettraient pas de contenir l’élévation sous le seuil des 2 degrés.
On peut assurément parler d’un accord universel, ambitieux et équitable, construit à partir d’une démarche bottom-up innovante et efficace. La démarche inverse avait connu quelques succès, mais ils restaient insuffisants pour aboutir à l’accord que l’on qualifie aujourd’hui d’historique.
Pour autant, il nous faut désormais nous projeter dans les mois et les années à venir. Évidemment, beaucoup reste à faire. L’opinion publique est convaincue que l’accord de Paris entrera en application le lendemain du jour où il sera ratifié. En réalité, il entrera en vigueur à partir de 2020. D’ici là, nous restons sous le régime du protocole de Kyoto, dont nous avions prolongé l’application en votant le projet de loi autorisant la ratification de l’amendement au protocole de Kyoto du 11 décembre 1997, que j’avais eu l’honneur de rapporter. Il n’en demeure pas moins qu’il faut préparer l’après-2020, car, si l’accord a été souscrit, le rendre efficace prendra du temps.
Votre détermination sur le processus de ratification traduit l’optimisme que l’on vous connaît, madame la ministre, avec un résultat indiscutable en la matière. À ce stade, dix-sept parties ont déjà ratifié l’accord et la France sera effectivement le premier grand État membre du Conseil de sécurité des Nations unies à le ratifier.
Certaines évolutions sont cependant inquiétantes. La possibilité d’un Brexit soulève des questions sur le calendrier. Les positions prises par certains pays amis comme la Pologne, la Slovaquie ou la Tchéquie suscitent aussi des inquiétudes.
Se posent également des questions sur la future répartition de l’effort européen entre les États membres. Tant que ce problème ne sera pas réglé, certains pays pèseront de tout leur poids dans la négociation en s’abstenant de ratifier l’accord.
Aux États-Unis, le positionnement du candidat républicain Donald Trump fait peser une inquiétude sur la mise en œuvre future de l’accord, et je ne parle pas des débats juridiques passionnés qui se tiennent aux États-Unis sur les pouvoirs respectifs des États et de l’État fédéral américain, une question sur laquelle se penche actuellement la Cour suprême. Là aussi, nous aurions besoin d’éléments d’information, afin d’être éventuellement rassurés sur ces zones d’ombre.
Sur le fond, plusieurs points présents dans l’accord appellent encore des précisions et des négociations pour pouvoir être mis en œuvre.
La question des contributions nationales est importante. Je participais ce matin à un colloque à l’UNESCO avec la Plateforme Océan et Climat où Jean Jouzel a de nouveau évoqué le problème de l’évolution des contributions nationales pour tenir l’objectif des 2 degrés.
L’adaptation au changement climatique et le mécanisme des pertes et préjudices figurent parmi les enjeux centraux des négociations avec les pays en développement.
Le financement de l’accord de Paris, évoqué par le rapporteur, est fortement lié à cette capacité d’adaptation. Il s’agit, d’ici à la COP 22, d’établir la feuille de route permettant la mobilisation des 100 milliards de dollars. Nous en parlons depuis longtemps ; il va être temps d’organiser de façon précise leur financement et, surtout, de le crédibiliser.
En plus de ces sujets qui devront être traités pour rendre l’accord de Paris opérationnel, certaines problématiques laissées en marge de celui-ci doivent désormais faire l’objet de négociations. Je pense notamment à l’instauration d’un prix mondial du carbone et, son corollaire, à l’inclusion des transports aériens et maritimes dans l’effort de lutte contre le changement climatique. Je n’entrerai pas dans le détail, mais la fixation d’un prix réel du carbone est essentielle pour inciter les entreprises et les ménages à faire des efforts pour modifier leurs comportements.
Autre sujet pour l’heure non traité, l’océan revendique aussi sa part dans l’évolution du regard que l’on porte sur les accords climatiques – je le dis à dessein en ce 8 juin, Journée mondiale de l’océan.
Vous avez joué un rôle absolument déterminant, madame la ministre, sur ce sujet. Votre conseiller spécial Gilles Bœuf l’a redit ce matin à l’UNESCO : la mise en valeur des océans et leur capacité à capter le carbone constituent un sujet central.
Jean Jouzel nous a rappelé que le rapport intermédiaire du GIEC sur les océans ne serait publié qu’en 2018, pour la COP de 2024. Nous attendons tous ce rapport avec beaucoup d’intérêt et nous devons développer la prise en compte des océans, compte tenu de leur importance dans le mécanisme du climat pour les années qui viennent.
Je profite également de l’examen de ce projet de loi pour rappeler que tous ceux qui s’intéressent à ces questions auront la chance de se retrouver demain matin à l’occasion du colloque organisé sur l’initiative du président du Sénat et du président Hervé Maurey. Vous en serez, madame la ministre, l’un des hôtes de marque, aux côtés de votre homologue marocaine Mme El Haite.
Je veux redire également que le groupe de travail relatif aux négociations internationales sur le climat et l’environnement constitué au sein de notre assemblée, qui avait permis l’adoption à l’unanimité par le Sénat d’une résolution pour favoriser la COP 21, s’est remis au travail, avec un ordre du jour assez chargé jusqu’à la préparation de la prochaine COP.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a émis un avis très favorable sur la ratification de l’accord de Paris, même si elle considère que celui-ci ne constitue qu’un premier pas dans cette année remplie de défis. C’est un signal important pour maintenir la dynamique lancée à Paris, mais nous devrons tous rester mobilisés pour passer désormais de la décision à l’action.
Applaudissements.
La parole est à M. Hervé Maurey, rapporteur de l’Union interparlementaire pour la Conférence sur le climat.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, MM. Christian Cambon et Jérôme Bignon ont présenté, avec conviction et talent, l’accord de Paris. Je n’y reviendrai donc pas.
Je voudrais néanmoins, comme eux, me féliciter de ce grand succès diplomatique français. Je crois que nous pouvons tous être fiers que l’accord soumis à notre ratification ait été conclu à Paris et que plus de 150 chefs d’État et de gouvernement s’y soient réunis, malgré un contexte difficile, celui des attentats, pour tenter de trouver une réponse ambitieuse et universelle au phénomène de dérèglement climatique qui touche notre planète.
Tous ceux qui sont allés au Bourget, comme Jérôme Bignon, Ronan Dantec ou moi-même, ont ressenti une réelle prise de conscience quant à la nécessité d’agir face à l’urgence de la situation.
Cette prise de conscience, je l’ai bien sûr également ressentie aux côtés du Président de la République à New York, le 22 avril dernier, lors de la cérémonie de signature, en entendant s’exprimer les chefs d’État et de gouvernement. C’est d’ailleurs cette prise de conscience qui a permis cet accord historique.
À Paris comme à New York, tous les pays présents ont affirmé la nécessité de trouver des solutions, tout en s’adaptant bien sûr à la situation de chacun et aux intérêts des uns et des autres, qu’ils soient géographiques, économiques, démographiques, sociaux ou environnementaux, et quelles que soient leurs différences.
Certes, tout n’est pas réglé, loin de là, et tous les États ne sont pas encore prêts à s’engager de la même façon. Mais la mobilisation à laquelle cette conférence a donné lieu est bien réelle et constitue à elle seule un point très positif.
Les États n’ont d’ailleurs pas été les seuls à se mobiliser et à s’engager.
Les entreprises ont compris leur rôle dans le nouveau modèle qu’il va falloir mettre en place : elles sont décidées à y prendre toute leur part, en faisant preuve d’innovation. C’est une nouvelle croissance qu’elles doivent construire. Elles en sont conscientes et commencent à mesurer les fruits qu’elles pourront en tirer.
Les collectivités locales sont aussi en première ligne, non seulement parce qu’elles subissent les conséquences du dérèglement climatique – nous le voyons malheureusement depuis quelques jours –, mais aussi du fait leur capacité à apporter des solutions face au changement.
Des collectivités de toute taille prennent ainsi des mesures pour faire face à la montée des eaux, lutter contre la pollution, favoriser les nouvelles formes de mobilité, mettre en place des circuits courts ou encourager le recyclage.
Les communes sont des sources d’innovation et de solutions face au réchauffement climatique. Nous devons veiller à faciliter leur action et à sensibiliser celles – il y en a –, qui n’ont pas encore perçu l’acuité du sujet.
L’opinion publique, enfin, soit à travers des associations, soit à titre individuel, est également mobilisée.
Qui peut aujourd’hui prétendre ne pas savoir qu’il est devenu nécessaire, partout dans le monde, d’adopter de nouveaux comportements, plus vertueux ? D’économiser l’eau ou l’énergie, de repenser nos méthodes de production…
C’est dans ce contexte que les Parlements, comme représentants de tous ces acteurs, au carrefour de l’action publique, économique ou sociale, ont un rôle à jouer.
Le 6 décembre dernier, sous l’égide de l’Union interparlementaire, plus de quatre-vingt-dix pays étaient représentés par leurs parlementaires, dans cet hémicycle et en votre présence, madame la ministre.
Durant deux jours, à l’Assemblée nationale puis au Sénat, nous avons pu débattre et arriver à l’adoption, par consensus, d’un document final destiné à faire entendre la voix des parlementaires dans la négociation.
Je voudrais rappeler pourquoi cette prise de parole parlementaire est importante.
Si les COP réunissent un nombre très significatif de délégués, d’observateurs, d’experts ou de représentants de la société civile, elles ne donnent malheureusement pas une place réelle aux représentants des Parlements, dont on ne peut que regretter qu’ils soient avant tout des spectateurs. Les Gouvernements et leurs négociateurs ne doivent en revanche pas oublier que ce sont les Parlements, comme le nôtre aujourd'hui, qui autoriseront la ratification de l’accord de Paris, condition indispensable à son entrée en vigueur.
Nous savons bien que cet accord historique ne s’appliquera que lorsque 55 % des pays représentant 55 % des émissions de gaz à effet de serre l’auront ratifié. Nous savons que cela ne se fera pas en quelques semaines ni en quelques mois.
Ce sont également les Parlements qui voteront les budgets nécessaires à la mise en œuvre de l’accord et les législations permettant d’appliquer ses différents points.
Ce sont enfin les Parlements qui contrôlent l’action des Gouvernements pour que soient respectés les engagements qui ont été pris.
Autrement dit, sans les Parlements, l’accord de Paris ne sera pas suivi d’effets concrets.
L’Union interparlementaire en est d’autant plus convaincue qu’elle a adopté en mars dernier, à Lusaka, un plan d’action parlementaire sur les changements climatiques, destiné à accompagner l’accord de Paris par une action parlementaire efficace.
Le président de l’Union interparlementaire mène également une campagne pour inciter les Parlements à ratifier rapidement l’accord.
Chacun d’entre nous, dans les contacts qu’il peut avoir avec des parlementaires étrangers, doit faire ce travail de conviction quant à la nécessité d’obtenir des ratifications rapides dans l’ensemble des pays. Je l’ai moi-même fait, la semaine dernière, au Parlement indien.
Les parlementaires ont donc un rôle important à jouer dans la mise en œuvre de l’accord de Paris, car ils veulent – nous voulons – être au premier rang pour relever le défi du changement climatique, qui est l’un des principaux que notre planète va devoir affronter au cours du XXIe siècle.
Applaudissements.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi de ratification de l’accord de Paris a été adopté à l’Assemblée nationale, le 17 mai dernier, à l’unanimité.
Il a été examiné favorablement par la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat.
Si, cet après-midi, le Sénat suit l’avis des rapporteurs, la France sera, grâce à l’adoption de ce projet de loi, le premier pays de l’Union européenne et le premier pays industrialisé à ratifier cet accord.
Adopté le 12 décembre 2015 à l’issue de la Conférence et signé formellement à New York, au siège des Nations unies, le 26 avril 2016 par 175 États – 177 aujourd’hui, ce qui constitue un record de signatures historique pour un texte international –, l’accord de Paris est le point de départ d’une profonde mutation pour notre planète.
C’est un accord historique qui marque la prise de conscience de la communauté internationale quant à la gravité de la menace du réchauffement climatique sur les équilibres internationaux.
Cet accord, nous l’attendions depuis longtemps !
Les négociations climatiques, paralysées depuis de nombreuses années, et l’échec de Copenhague nous appelaient à prendre nos responsabilités face à ce défi.
C’est incontestablement un succès diplomatique, très bien préparé par un considérable travail en amont.
À Paris, la France était au rendez-vous de l’histoire. Elle a su mobiliser toutes les énergies pour parvenir à un accord universel, ambitieux, équilibré et contraignant. C’est une victoire, madame la ministre, de « l’équipe France » ! Et c’est un premier accord multilatéral sur le changement climatique.
Madame la ministre, vous avez également, durant l’année 2015, mené les discussions sur la loi de transition énergétique et, comme mes collègues l’ont fait avant moi, je tiens à saluer votre travail, exemplaire, celui de Laurent Fabius, ainsi que l’implication personnelle du Président de la République.
Exclamations ironiques sur quelques travées du groupe Les Républicains.
Cet accord confirme l’ambition de contenir l’augmentation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre l’action pour la limiter à 1, 5°degré Celsius.
Il fait de la réduction des émissions de gaz à effet de serre l’affaire de tous, grâce à la soumission ou à l’actualisation, tous les cinq ans, des contributions nationales.
Il réserve une place accrue à l’adaptation aux effets du dérèglement climatique.
Il ouvre la voie à un renforcement progressif des engagements d’atténuation et d’adaptation de tous les pays sur une base quinquennale, notamment à travers un bilan mondial, une révision à la hausse des contributions, un cadre de transparence renforcé et des mécanismes de coopération en matière de financements, de transferts de technologies et de renforcement des capacités.
La principale force de cet accord est qu’il repose sur la mobilisation de l’ensemble des acteurs publics, privés et associatifs, à tous les niveaux : la société civile, les entreprises, les collectivités territoriales, les villes.
C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’en votre présence, madame la ministre, la région Rhône-Alpes avait accueilli le sommet mondial Climat et territoires les 1er et 2 juillet 2015. Ce sommet, auquel le Président de la République a également participé, a été celui de la mobilisation des acteurs non étatiques et, à travers eux, de la reconnaissance de la dimension territoriale de l’action climatique.
L’accord de Paris est donc le fait de tous et va bien au-delà des seules considérations climatiques : la sécurité alimentaire, les migrations, les nouvelles cartes géopolitiques, la guerre et la paix sont aussi en jeu.
La mobilisation des parlementaires comme celle des élus des communes, des départements, des régions sont indispensables.
La ratification de cet accord doit aussi marquer la poursuite du travail diplomatique engagé, qui sera également prolongé à l’occasion du passage de témoin avec le Maroc.
Le Président de la République le rappelait aux maires, la semaine dernière, à l’occasion de leur congrès, « vous êtes d’abord de France, en France, et vous travaillez pour la France sans distinction ». Cet accord passera aussi par le travail qu’ils vont faire.
Nous ne pouvons pas non plus oublier que ce sommet se tenait au terme d’une année durant laquelle la France avait été meurtrie, mais aussi entourée par un soutien international considérable.
À la demande de son président, j’ai participé, avec Leila Aïchi et Cédric Perrin, à un travail de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat sur les conséquences du réchauffement climatique en Arctique, qui a montré que les répercussions du changement climatique n’étaient pas seulement environnementales, mais aussi géostratégiques.
Un monde se redessine.
En effet, lutter contre le réchauffement climatique, c’est lutter contre les inégalités à l’échelle du monde, contre l’instabilité, contre les conflits.
Les changements climatiques mettent sous tension nos systèmes économiques, sociaux et politiques.
À titre d’exemple, la problématique des déplacés environnementaux, dont le nombre pourrait atteindre 200 millions d’ici à 2050, nous oblige à repenser la vision du monde, tel qu’il est établi depuis de nombreuses années, et à anticiper ces mouvements.
Nous devons aussi avoir conscience que l’ouverture de nouvelles routes maritimes en Arctique modifie les relations géopolitiques.
L’accord de Paris était donc indispensable. Il ne règle pas tout, mais il a redonné confiance et a créé une nouvelle solidarité internationale.
Cet accord ne doit pas rester une simple déclaration d’intentions. L’urgence est toujours là et notre devoir est d’agir pour les générations futures et le devenir de l’humanité.
Agir vite, en concentrant l’essentiel de notre effort dans la mise en œuvre des contributions nationales.
Agir efficacement, en mettant en mouvement en Europe l’ensemble des dirigeants locaux, des investisseurs, des chercheurs, des acteurs économiques et sociaux et des citoyens.
Agir utilement, en encourageant les collaborations régionales et internationales ainsi que la coopération décentralisée.
Agir ensemble, élus et citoyens, pour répondre au défi global du changement climatique.
En route pour la COP 22, nous devons œuvrer au prolongement de l’accord, rester mobilisés et faire vivre l’esprit de Paris, ici au Sénat, mais également sur nos territoires, en intégrant les impératifs du climat dans notre législation, nos actions et nos décisions.
Quel lien, mes chers collègues, entre la photographie, diffusée sur tous les réseaux sociaux ce week-end, du zouave du pont de l’Alma, les pieds dans l’eau, l’ours épuisé qui n’arrive plus à atteindre la rive et les images, terribles, des migrants le long des routes ?
Je ne répondrai pas, car la réponse est complexe. Mais je sais que le désordre du monde a quelque chose à voir avec celui de la planète.
Je sais aussi que le désordre de la planète a quelque chose à voir avec moi, vous, nous tous.
C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste et républicain votera, avec beaucoup de plaisir, madame la ministre, ce projet de loi autorisant la ratification de l’accord de Paris.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE. – Mme Évelyne Didier et M. Jean-François Husson applaudissent également.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’adoption de l’accord de Paris, lors de la COP 21, a suscité dans le monde un réel enthousiasme, tant cet accord apparaît, sur certains points, plus ambitieux que ce qui était attendu : je pense par exemple à l’inscription de 1, 5°degré Celsius comme objectif de limitation de la hausse des températures mondiales, objectif qui témoigne, six ans après Copenhague, de la prise de conscience planétaire de la gravité de cette crise.
Il faut ici le redire avec force, stabiliser le climat n’est pas un enjeu environnemental périphérique ; c’est tout simplement éviter un XXIe siècle de crises alimentaires et migratoires qui déboucheraient inévitablement sur des guerres civiles et des affrontements guerriers. Le drame syrien nous dit déjà l’inéluctable de cet enchaînement, si nous continuons de faire passer nos intérêts de court terme avant notre intérêt bien compris de long terme.
Le sommet international des ministres de la défense sur les thèmes climat et défense a d’ailleurs reconnu comme un risque stratégique à part entière le changement climatique. Je tiens à souligner que son organisation était la première recommandation du livre vert de la défense, publié sur l’initiative de ma collègue Leila Aïchi.
Aujourd’hui, tout le monde s’affirme en faveur, la main sur le cœur, d’une action climatique en général, mais ce consensus ne survit guère aux intérêts particuliers…
En France, le lobby de l’aviation continue de refuser une taxation du kérosène, voire demain une taxation du carbone, et certains rêvent même encore de nouveaux aéroports…
Les transporteurs routiers sont prêts à bloquer le pays si l’on favorise par trop les transports de marchandises par rail ou canal.
L’industrie automobile met en avant les enjeux d’emploi pour refuser des normes d’émissions trop drastiques et les éleveurs bovins ne veulent même pas que nous comptabilisions les émissions de méthane entérique.
Bref, le climat n’est encore, pour beaucoup, qu’une priorité totalement théorique !
Madame la ministre, notre premier défi est bien de convaincre, et de convaincre encore, de l’urgence absolue d’une action résolue et coordonnée à toutes les échelles, du local à l’international, en passant par le niveau européen.
À ce propos, je me dois de vous faire partager mon inquiétude, après avoir discuté avec des collègues parlementaires slovaques, à Bratislava, dans le cadre justement d’une conférence d’échanges sur le bilan de la COP 21.
La Slovaquie présidera l’Union européenne durant la COP 22 et ne prévoit pourtant de ratifier l’accord de Paris qu’à la fin de 2017, après la conclusion des négociations sur la répartition de l’effort européen dans le cadre du paquet énergie-climat. Leurs réticences sont explicites et claires : hors de question, pour eux, de menacer leurs propres intérêts économiques – charbon ou sidérurgie.
Or, vous le savez, madame la ministre, la négociation s’annonce particulièrement délicate. Qui plus est, elle aura lieu, au second semestre 2017, potentiellement sous présidence britannique…
Après des déclarations communes en faveur d’une ratification rapide de l’accord en provenance des États-Unis, de la Chine ou de l’Inde – vous venez d’en parler –, l’Europe, travaillée par ses propres lobbys du charbon, de la sidérurgie ou de la construction automobile, peut perdre son leadership climatique acquis dans les années 1990 et 2000.
Il appartient donc à la France de poursuivre son action pour une ratification rapide. Les parlementaires français peuvent être utilement mobilisés pour aider à la dynamique européenne, et je salue nos collègues Hervé Maurey et Jérôme Bignon, qui n’ont pas ménagé leurs efforts en ce sens et restent mobilisés. Hervé Maurey l’a dit, l’Union interparlementaire peut être un outil intéressant à notre disposition.
Le climat représente à la fois des engagements des États et de l’action concrète des collectivités, des entreprises et des citoyens. Sans l’action concrète de ceux que nous appelons, dans le langage onusien, les acteurs non étatiques, aucun État n’atteindra les engagements qu’il s’est fixés.
En tant que porte-parole pour le climat de la principale organisation mondiale de collectivités territoriales, je peux redire ici notre détermination à poursuivre notre mobilisation et à tenir les engagements que nous avons nous-mêmes pris, notamment lors du sommet Climat et territoires à Lyon en juillet 2015 – nous y étions ensemble – ou à la mairie de Paris pendant la COP 21.
L’accord de Paris offre un cadre opérationnel de suivi et de renforcement de l’action non étatique – ce n’est pas uniquement une déclaration d’intentions ! La COP 22 devra le préciser et renforcer l’accès aux financements, qui reste la clé de la réussite de cette mobilisation mondiale, en liant tout particulièrement les enjeux de climat et de développement.
Le sommet Climate Chance, principal sommet mondial des acteurs non étatiques, qui se tiendra à Nantes du 26 au 28 septembre prochain et dont nous dévoilerons demain le programme, sera d’ailleurs une étape importante pour avancer sur la question de la définition des outils financiers les plus pertinents.
Il s’agira aussi, à travers la vingtaine de coalitions thématiques transversales qui seront présentes à Nantes et qui continueront leurs travaux ensuite, de mesurer réalité et potentiel de ces actions afin de préparer la réévaluation, dès 2018, des contributions volontaires, qui sont encore bien trop faibles aujourd’hui. C’est un point absolument essentiel.
Nous savons aujourd’hui que l’agrégation de ces contributions volontaires nous place dans le scénario d’une augmentation de 3 degrés Celsius. En tant qu’acteurs non étatiques, notre ambition est de contribuer, le plus rapidement possible, dès la première réévaluation de 2018, à ce que les États mettent sur la table des propositions plus ambitieuses.
Madame la ministre, la route est encore longue avant que nous puissions vraiment dire que nous avons garanti, à nos enfants et petits-enfants, un XXIe siècle vivable.
La COP 21 a suscité un réel espoir, et nous n’avons d’autres choix que de l’entretenir et de le concrétiser.
La ratification unanime par le Sénat de l’accord de Paris est une étape nécessaire sur ce long chemin : le groupe écologiste la votera bien évidemment.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour donner au Gouvernement l’autorisation de ratifier l’accord de Paris obtenu par la France lors de la COP 21. Cela fait des années que vous organisez de grands raouts abondamment médiatisés, et pourtant rien ne change…
Il est d’ailleurs intéressant de noter que les décisions qui, elles, ont un impact très concret sont généralement discutées et prises dans une opacité bien plus prononcée ; je pense au TAFTA – le Transatlantic Free Trade Agreement, ou traité de libre-échange transatlantique US-UE – et à ses conséquences dramatiques pour notre planète. Finalement, l’impact des décisions internationales est inversement proportionnel à leur médiatisation et à leur transparence !
En outre, je crois plus à des mesures peut-être moins ambitieuses, mais plus concrètes sur le terrain – je pense, par exemple, au plan de M. Borloo pour l’électrification de l’Afrique.
Certes, à la lecture de cet accord, on peut voir que le sujet environnemental, en particulier l’impact de l’activité humaine sur la nature, est un enjeu fondamental pour les années à venir : pour preuve, 195 États étaient parties prenantes.
En revanche, il est plus inquiétant que cet accord ne remette pas en cause le modèle de développement reposant sur une mondialisation sans limites qui accentue l’impact de l’activité humaine sur la nature, car elle ne répond qu’aux seules logiques de rentabilité et d’intérêt financier. Finalement, cet accord n’est qu’un outil visant à essayer de préserver la nature tout en gardant nos mauvaises habitudes !
De plus, comme le souligne le rapporteur, de nombreux sujets fondamentaux ne sont pas traités et, malheureusement, il s’agit bien souvent de sujets transnationaux.
En effet, pour engager une diminution des gaz à effet de serre, pas besoin de l’accord des voisins : on peut commencer à le faire soi-même, ce qui n’empêche d’ailleurs pas de prendre des mesures pour inviter les voisins à le faire… En revanche, lorsqu’il s’agit de transports, qu’ils soient maritimes ou aériens, ou lorsqu’il s’agit de la protection des mers ou des océans, on ne peut le faire qu’avec les autres pays.
L’énergie fossile est, elle aussi, une grande absente de l’accord. Étonnant, lorsque l’on sait la lourde part de ce type d’énergie dans l’impact environnemental de l’activité humaine.
Bref, cet accord me semble peu efficace, car il est malheureusement limité par des questions idéologiques. Quand comprendrez-vous que les frontières et la souveraineté réelle qui en découle sont des outils indispensables à l’écologie ? En effet, elles permettent de contrebalancer les décisions de pays qui, certes, pour l’affichage, …
… s’intéressent à l’environnement – je pense, par exemple, à la Chine ou aux États-Unis –, mais pour lesquels ces préoccupations passent bien loin derrière leurs intérêts diplomatiques et économiques.
M. David Rachline. Pour réduire l’impact environnemental de nos activités, il existe une mesure finalement assez simple : favoriser le « produire local ». Comme le marché, malheureusement guidé par la seule main de la finance, ne le permet pas, il faut donc légiférer, et le faire sans avoir à demander l’avis de je ne sais quel technocrate bruxellois soumis aux assauts des lobbyistes et récitant son credo de concurrence libre et non faussée qui, en plus de son impact environnemental, se fait souvent sur le dos des salariés !
Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Alors, à quand une loi pour acheter français ? À quand la priorité nationale pour les marchés publics ? À quand des droits de douane pour les produits venant de pays pollueurs ?
Comme ce texte a des objectifs louables, nous ne voterons pas contre, mais comme il ne remet nullement en cause le modèle qui a entraîné les perturbations environnementales que nous connaissons, nous ne voterons pas pour !
Merci de votre attention, chers collègues. Pour me rappeler à l’ordre, le président est là. Je vous demanderai donc de le laisser faire, si c’est nécessaire.
M. Claude Bérit-Débat remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis vingt ans que sont menées des négociations climatiques multilatérales, les occasions n’ont pas été nombreuses de se féliciter d’un réel engagement de la communauté internationale face à la menace du réchauffement climatique.
Aussi, ne boudons pas notre plaisir face à l’accord adopté le 12 décembre 2015 à Paris en marge de la COP 21 et signé le 22 avril dernier à New York, car il s’agit tout de même du premier texte universel qui vise à « contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 degrés Celsius ». Comme l’ont rappelé nos collègues Leïla Aïchi, Éliane Giraud et Cédric Perrin, dans leur très bon rapport, le dérèglement climatique serait susceptible de causer des dommages de l’ordre de 1 000 milliards de dollars par an en 2050 ! Il y avait donc urgence à s’accorder sur un plan d’action qui soit à la fois partagé et audacieux.
Il faut, de ce point de vue, souligner le travail effectué par l’ensemble de la diplomatie française depuis près de deux ans pour tirer les leçons des échecs du passé – je pense à la COP 15 de Copenhague, bien sûr – et associer au mieux les États au processus. Rappelons tout de même que 175 États ont apposé leur signature, faisant de l’accord de Paris celui qui a réuni le plus grand nombre de signatures d’un accord international dans l’histoire !
Appelés à soumettre à la conférence une contribution nationale à l’effort de réduction des gaz à effet de serre – et non en leur imposant les décisions d’en haut –, les États, sous le regard de leurs opinions publiques respectives, ont été mis en situation de se responsabiliser pour tendre vers un objectif soutenable et ambitieux pour la planète.
Le point clé de l’accord réside naturellement dans le maintien du réchauffement « bien en dessous du seuil de 2 degrés » et si possible sous celui de 1, 5 degré. Même si ce volontarisme peut sembler affaibli par l’absence d’objectifs chiffrés à long terme, il n’en demeure pas moins supérieur aux engagements publiés par les États au début de la Conférence, qui permettraient seulement de limiter l’élévation de la température moyenne à environ 2, 8 degrés.
En outre, il faut saluer la différenciation des efforts demandés aux pays, en fonction de leur responsabilité historique dans le changement climatique et de leur niveau de richesse – opposition récurrente entre Nord et Sud. Ce système d’équité devrait conduire à ce que les 100 milliards de dollars par an d’aide promise par les pays du Nord d’ici à 2020, afin d’aider ceux du Sud à faire face aux conséquences du dérèglement climatique, ne soient qu’un niveau plancher, appelé par conséquent à augmenter.
Enfin, même si l’on peut regretter l’absence de contrainte juridique – taillée sur mesure pour éviter un passage devant le Sénat américain – ou de réelles sanctions en cas de non-respect des engagements, la mise en place d’un cadre de transparence, donnant une image claire des mesures prises et des résultats obtenus par chacun, devrait empêcher les États de se soustraire à leurs objectifs – on peut légitimement l’espérer.
En outre, et c’est un point crucial, les engagements concernant les contributions nationales de réduction des émissions de gaz à effet de serre seront revus tous les cinq ans à partir de 2020. Il reviendra alors aux Parlements nationaux et, plus largement, aux peuples, de rappeler les dirigeants oublieux à leurs responsabilités.
Restent toutefois quelques limites que l’enthousiasme ne doit pas conduire à passer sous silence.
La possibilité de retrait pour un pays, sur simple notification « dans un délai de trois ans après l’entrée en vigueur de l’accord », laisse planer un risque, celui d’un effet boule de neige semblable aux divers désengagements qu’on avait pu déplorer après la signature du protocole de Kyoto en 1997.
Au demeurant, plusieurs aspects du réchauffement climatique ont été laissés de côté. Je pense, notamment, aux transports aériens et maritimes, qui représentent tout de même plus de 5 % des émissions de gaz à effet de serre. Il faudra à un moment se colleter avec ce sujet, sachant que le secteur maritime doit d’abord mettre en place un dispositif de mesure des émissions qu’il rejette avant même de s’interroger sur leur limitation.
Il faut se réjouir d’avoir fixé des objectifs ambitieux tout en demeurant lucide sur le chemin restant à parcourir. En effet, en privilégiant l’institution d’obligations de moyen plutôt que de résultat, il reste à transformer la feuille de route en plan d’action crédible, car les engagements actuels des États ne suffisent pas à passer sous la barre des 2 degrés.
En étant à l’origine de la COP 21, la France se devait de montrer l’exemple en ratifiant au plus vite cet accord – conformément à ce qui est prévu, l’accord entrera en vigueur trente jours après avoir été ratifié par cinquante-cinq pays représentant 55 % des émissions de gaz à effet de serre. Puisse notre pays entraîner dans son sillage l’ensemble des pays industrialisés, car seuls seize pays ont ratifié l’accord à ce jour, démontrant que, au-delà des bonnes intentions, tout reste encore à faire pour être au rendez-vous de l’histoire.
Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et de l'UDI-UC.
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous devons rapidement ratifier cet accord pour que ce succès diplomatique soit un succès climatique. Notre groupe adoptera donc ce projet de loi avec enthousiasme ! Je pourrais m’arrêter là, mais je vais poursuivre malgré tout…
Sourires.
Il est bien difficile de conclure des accords multilatéraux dans un monde qui se tourne vers le régionalisme. C’est d’autant plus difficile lorsque l’on aborde les questions environnementales, car la tentation est forte de les faire passer après les enjeux économiques et financiers. Reconnaissons franchement que l’accord de Paris est un succès diplomatique.
C’est une très bonne nouvelle pour le multilatéralisme, parce que l’Organisation des Nations Unies doit être confortée dans son rôle, à un moment où, pour l’essentiel, les enjeux que nous devons affronter sont globaux : ils dépassent les frontières des États et, surtout, le temps court des générations politiques.
C’est aussi une bonne nouvelle parce qu’est reconnu un principe qui m’est très cher et qu’ont défendu les délégations aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, ici comme à l’Assemblée nationale, de même que le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Je veux parler du principe de l’autonomisation des femmes. Cet accord pose les bases et représente donc un progrès par rapport aux précédentes discussions.
Ce succès diplomatique, nous le devons au remarquable travail des équipes françaises. Nous le devons aussi à un accord politique unanime – et le Sénat a joué un rôle moteur à ce titre –, ainsi qu’à la mise en œuvre d’une nouvelle méthode, dite bottom-up.
Toutefois, cette méthode est aussi une cause de fragilité et il ne faudrait pas que ce succès diplomatique représente une fragilité climatique.
En premier lieu, pratiquement tous les orateurs l’ont rappelé, l’accord de Paris n’est qu’un socle, encore insuffisant, puisque l’engagement de limitation du réchauffement à 2 degrés Celsius n’est pas respecté – et encore moins, a fortiori, celui d’une limitation à 1, 5 degré Celsius.
C’est donc un socle, mais encore faudrait-il que tous les pays tiennent tous leurs engagements. Et encore faudrait-il que, pendant cette première période qui verra une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, on n’observe pas d’effet boule de neige. Nous n’avons donc qu’un seul vœu : que cet accord soit très rapidement dépassé.
En deuxième lieu, l’accord de Paris n’est pas encore opposable. Sur ce point, il est important que la France soit l’un des tout premiers pays d’Europe à le ratifier, si elle n’est le premier, ce qu’elle aurait été si, contrairement à la Hongrie, premier pays à le ratifier, elle n’avait pas la chance d’avoir deux chambres : si nous n’avions eu qu’une chambre, nous serions en réalité le premier pays européen.
P rotestations sur diverses travées .
Il faut que la France redouble d’efforts pour que tous les États d’Europe s’engagent et que l’Europe ratifie cet accord sans attendre la discussion sur la répartition du fardeau. En effet, comme on l’a vu pour les énergies renouvelables, cette discussion peut être longue et, si l’Europe attend pour ratifier, d’autres grandes régions attendront également.
Je pense, bien évidemment à la Chine, même si j’ai plutôt confiance en elle. En revanche, la ratification des États-Unis est peut-être un peu plus épineuse, puisqu’elle dépend de l’arrivée au pouvoir d’un étrange personnage qui considère que le réchauffement climatique est une invention chinoise !
En troisième lieu, pour que l’accord de Paris soit un succès climatique, encore faut-il aller au-delà des mots pour passer à l’action. En réalité, le succès de la COP 21 dépend totalement de la COP 22, qui devra régler les questions les plus opérationnelles, à savoir le Fonds climat, les systèmes de vérification, l’inclusion des secteurs oubliés. Tout reste à faire également pour créer un système de tarification du carbone efficient à travers le monde. Le sujet est délicat, mais il ne faut pas, pour autant, renoncer à cette ambition. Enfin, il faut faire en sorte que les systèmes de subvention aux énergies fossiles soient remis en question, comme l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’a demandé.
Cet accord est un succès diplomatique, mais de nombreuses marches restent à franchir pour qu’il soit un succès climatique. C’est la raison pour laquelle il faut s’empresser de les franchir en ratifiant cette convention internationale.
Pour être crédible, il faut agir. J’avais de nombreuses observations pas forcément agréables à vous présenter, madame la ministre, notamment sur les questions budgétaires, mais j’ai bien compris que le ton était plutôt à l’unanimité aujourd’hui. Je vais réserver ces observations pour le débat budgétaire et, surtout, pour vos collègues de Bercy. Je me limiterai donc à des questions beaucoup plus consensuelles.
Premièrement, pour que la COP 21 soit un succès en France, nous devons repenser profondément notre système fiscal. Or la réforme de la fiscalité écologique a été enterrée. C’est bien dommage, car le travail à fournir dans ce domaine est énorme.
Deuxièmement, pour que cet accord soit un succès, donnez aux territoires les clés de la réussite, madame la ministre ! Donnez-les vraiment, et non pas symboliquement en lançant des appels à projets ou des opérations d’exemplarité. Laissez aux territoires un droit à l’expérimentation dans le domaine de l’environnement et, surtout, donnez-leur les clés en tenant le plus possible à l’écart ces préfets qui ont pour seule ambition de bétonner !
Voilà, en quelques mots, ce que je souhaitais vous dire, madame la ministre.
Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’accord de Paris, signé le 22 avril dernier à New York, est un succès diplomatique pour la France et les instances onusiennes. Après plus de vingt ans de discussions et l’échec de Copenhague, 190 pays se sont engagés sur le long terme dans la lutte contre le dérèglement climatique.
Ce succès est le fruit d’un processus innovant, dont la France a pris l’initiative, reposant sur une logique d’engagement volontaire des pays et la mobilisation de la société civile. En donnant la parole aux territoires, aux collectivités, aux citoyens, l’accord a été nourri par toutes ces expériences. L’agenda des solutions a pris corps dans la COP 21 et démontré l’intérêt de la mobilisation conjointe des acteurs étatiques et non étatiques.
La réussite de la COP 21 était vitale. En témoigne la hausse du niveau des mers qui menace déjà de disparition certains États insulaires. Actuellement, plus de 600 millions de personnes vivent dans les zones littorales affectées et elles seront plus d’un milliard d’ici à 2060 : c’est demain ! L’ampleur et la gravité des phénomènes climatiques appelaient de façon urgente cette prise de conscience collective et la solidarité des États et des peuples. D’où l’importance de la dimension universelle de l’accord de Paris.
Nous sommes désormais au pied de la montagne et nous nous sommes collectivement engagés à la gravir suivant le programme ambitieux qu’il nous faut désormais concrétiser, préciser et préserver.
En premier lieu, il faut concrétiser l’objectif central de limitation de la hausse des températures par rapport aux niveaux préindustriels en deçà de 2 degrés, l’optimum étant de 1, 5 degré. Le travail est engagé au niveau international pour proposer une feuille de route à Marrakech. À cette fin, il a été décidé de rechercher l’équilibre entre les émissions liées aux activités humaines et leur absorption par les puits de carbone, avec l’objectif de neutralité des émissions dans la seconde moitié du siècle. Or cela ne signifie pas forcément la fin de l’exploitation des énergies fossiles. La possibilité de compenser pourrait s’avérer un piège…
Pourtant, de nombreuses personnalités scientifiques affirment qu’il faudra que les énergies renouvelables représentent 100 % de notre consommation d’énergie pour rester en deçà des 2 degrés. La traduction concrète de cet objectif appelle donc une réflexion, une réorientation des politiques énergétiques nationales la plus rapide possible et des engagements en progression. En France, la loi de transition énergétique répond à cette ambition ; nous verrons si elle donne tous les résultats attendus.
Malheureusement, dans le monde, d’autres choix sont faits actuellement. Ainsi, le Royaume-Uni développe une stratégie nationale en faveur de l’extraction du gaz de schiste. Aux États-Unis, Donald Trump a annoncé que, s’il était élu, il remettrait en cause la signature de l’accord par son pays, qu’il réactiverait le projet d’oléoduc Keystone XL et qu’il renforcerait l’exploitation déjà massive des gaz de schistes. Total, EDF et Engie se sont positionnés sur les marchés et vont nous vendre du gaz de schiste américain, à moins que… Madame la ministre, nous comptons sur vous !
Par ailleurs, et globalement, les contributions nationales sont insuffisantes. En l’état, la croissance des émissions devrait entraîner une hausse des températures de l’ordre de 3 degrés à l’horizon de 2100. Il faut donc revoir de façon anticipée les engagements nationaux. Les États doivent adopter une politique responsable et transparente, et cesser de mener des politiques contradictoires. Ajoutons que l’exercice ne sera pas simple dans l’Union européenne, qui devra trouver un accord entre des pays très nombreux et très divers.
En deuxième lieu, il faut préciser un certain nombre de dispositions. Là encore, je citerai un exemple. L’accord est fondé sur l’équité et le rappel des responsabilités communes, mais différenciées, des parties. Il reconnaît l’importance du renforcement des capacités d’adaptation pour tous les pays, grâce notamment à des mécanismes de coopération et de transferts de technologies. C’est pourquoi il est nécessaire de préciser la nature et le fléchage des transferts financiers pour y arriver. L’aide publique au développement bénéficiant aux pays les plus pauvres doit donc absolument être renforcée et activée. Convenons qu’aujourd'hui les prêts sont bien plus importants que les dons, pour un niveau global d’aide encore insuffisant.
Nous savons la difficulté qu’il y a à mobiliser les financements publics pour le climat, alors que les subventions publiques aux énergies fossiles sont consolidées. Ainsi, 42 milliards de dollars d’aides publiques internationales ont permis de soutenir l’industrie du charbon entre 2007 et 2015, et cela continue. Il faut donc réorienter ces financements.
En troisième lieu, enfin, l’accord de Paris doit être préservé, dans un monde où, comme le dit un ancien directeur du FMI, et il n’est pas communiste
Sourires.
L’accord mentionne le développement des marchés du carbone. Or l’expérience européenne a montré l’inefficacité, voire la nocivité de ce dispositif. Au-delà de son injustice sociale, ce « permis de polluer » a enrichi les fameux « pollueurs-payés ». Ainsi, le cimentier Lafarge aurait engrangé 485 millions d’euros en revendant des crédits carbone entre 2008 et 2014 pour des usines qui sont à l’arrêt. Cela montre à quel point la transparence et le contrôle démocratique des entreprises sont importants. Convenons que, dans ce domaine, l’Europe est clairement défaillante.
Ensuite, la politique commerciale internationale, avec le TAFTA ou encore le CETA, ou Canada-EU Trade Agreement, qui minimisent les enjeux sociaux et environnementaux, illustre l’antagonisme entre les intérêts économiques et financiers, d’une part, et les enjeux climatiques, d’autre part.
Les dernières révélations sur le TISA, le traité sur les services, confortent nos inquiétudes, celui-ci ayant pour objectif affiché de supprimer toutes les règles « plus contraignantes que nécessaires pour assurer la qualité du service ».
Les obligations environnementales, les autorisations d’exploitation, les licences seraient aussi susceptibles d’être attaquées en justice, car elles brideraient l’initiative privée.
Ce modèle économique mondialisé, fondé sur la consommation de masse et l’exploitation excessive des hommes et des ressources, vient percuter les objectifs de lutte contre le dérèglement climatique, ainsi que les objectifs de développement durable pour éradiquer la pauvreté, protéger la planète et garantir la prospérité, adoptés en septembre 2015 par les États membres des Nations unies, dans le cadre des Objectifs du millénaire pour le développement. Les États et les citoyens doivent donc prendre leurs responsabilités et se réapproprier le pouvoir.
Pour conclure, je dirai que l’accord de Paris est une étape importante dans l’action internationale de lutte contre les dérèglements climatiques. Il a redonné espoir, mais le défi est désormais de le traduire concrètement, dans le contexte que je viens de décrire. En tout cas, la célérité du processus de ratification de l’accord de Paris par le Parlement français montre notre volonté de concrétiser nos engagements. Il n’y a pas de temps à perdre, car l’accord doit entrer en vigueur dès 2020.
Notre vote est un premier pas, et il serait heureux que notre pays soit parmi les premiers à le ratifier. Aussi, le groupe CRC votera pour cette ratification.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.
Madame la ministre, l’accord de Paris est un succès diplomatique que je voudrais saluer, en y associant Mme Tubiana, mais aussi votre prédécesseur pour les négociations climatiques, Laurent Fabius, ainsi que les services de votre ministère et ceux du Quai d’Orsay.
Une belle et importante étape a été franchie dans la coopération et la diplomatie multilatérales qu’évoquait tout à l’heure Chantal Jouanno.
Nous voici maintenant face à l’étape concrète, c’est-à-dire la mise en œuvre, le passage à l’action. « La COP 22 sera la conférence de l’action », a déclaré la présidence marocaine. Ces objectifs, désormais adoptés, doivent être traduits en mesures opérationnelles, partagées et financées.
Permettez-moi de saluer à mon tour le travail transversal du Sénat sur ce sujet, ce qui a constitué une première, je crois. Sous l’impulsion du président Gérard Larcher, cette action a été coordonnée par Jérôme Bignon, notre rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire. Y ont participé la commission des affaires étrangères, sous la présidence de Jean-Pierre Raffarin, la commission des affaires européennes, la commission des finances, la délégation aux droits des femmes, la délégation aux collectivités territoriales et d’autres encore. Tous ces organes ont contribué à imprimer un caractère très transversal au débat, illustrant bien la multidisciplinarité de la thématique écologique.
Madame la ministre, je vais maintenant dérouler quelques enjeux concrets à différents échelons, en commençant par l’échelon européen, qui est très important. C’est d’ailleurs à ce niveau que s’est déroulée la négociation concrète, que nous avions déléguée à l’Union européenne. Dès le 24 octobre 2014, le Conseil européen avait affiché une vraie ambition en adoptant son cadre d’action à l’horizon 2030 : réduire d’au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre.
C’est ainsi que l’Union européenne a été l’une des premières parties à la négociation à déposer des contributions décidées au niveau national, mieux connues sous l’acronyme anglais de INDC, ou Intented Nationally Determined Contributions, mais j’essaie de défendre le français.
Maintenant, je le répète, il s’agit de mettre en œuvre l’accord.
Madame la ministre, vous avez évoqué concrètement le marché du carbone. Ce dernier fonctionne depuis 2009 et couvre à peu près la moitié des émissions. Afin de renforcer son efficacité, vous appelez de vos vœux la mise en place d’un prix plancher. Mais comment cela peut-il s’organiser, s’agissant d’un marché sur lequel les certificats détenus par les entreprises et d’autres acteurs s’échangent ? Si nous voyons bien l’intérêt de votre proposition, nous ne comprenons pas bien comment elle peut devenir opérationnelle.
Ensuite, il y a la question du partage de l’effort. La Commission européenne serait, semble-t-il, prête à soumettre au prochain Conseil environnement une proposition. Madame la ministre, pouvez-vous nous en décrire l’économie générale ?
Par ailleurs, si nous sommes tous heureux de pouvoir faciliter l’adoption de l’accord par le Parlement français – malgré ses deux chambres
Mme Chantal Jouanno sourit.
Après avoir évoqué quelques problématiques européennes – il y en a bien d’autres ! –, j’en viens à l’échelon national. Toujours dans une logique de passage à l’action concrète, pourriez-vous nous préciser la date de publication de la programmation pluriannuelle de l’énergie, la fameuse PPE, que nous attendons depuis longtemps ? Nous avons compris que le travail progressait pour les énergies renouvelables, mais qu’en est-il de votre vision globale sur l’ensemble des énergies ? En d’autres termes, comment envisagez-vous l’articulation entre la loi de transition énergétique, que vous avez fait adopter, et ces engagements diplomatiques ? Nous devons être exemplaires en la matière.
Dans le cadre du paquet énergie-climat, engagement européen datant de 2008, nous avons l’obligation de porter les énergies renouvelables à 23 % de notre mix énergétique en 2020.
Madame la ministre, nous avons du mal à trouver des chiffres précis, mais ce taux ne nous semble plus très atteignable. Les spécialistes pensent que nous serons au mieux à 17 % ou 18 %, ce qui porterait atteinte à l’exemplarité de la France en matière de transition énergétique. Pouvez-vous nous donner des informations sur les actions que vous allez mettre en œuvre pour respecter nos engagements ?
Enfin, après avoir évoqué les échelons européen et français, j’en viens à l’échelon international, celui de l’accord de Paris, que nous allons très majoritairement approuver.
À cet égard, je voudrais saluer l’initiative de Bill Gates, dont l’engagement a provoqué la création d’un fonds de recherche très utile dans le domaine de la transition énergétique.
Mais qu’en est-il exactement du fonds dont tout le monde parle beaucoup et qui devrait s’élever à 100 milliards d’euros en 2020 ? Je rappelle qu’il est censé épauler les pays victimes de la double peine, c’est-à-dire ceux qui n’émettent pas, mais qui sont les premiers à subir les conséquences du réchauffement climatique.
À ce jour, il s’agit d’un point faible de la politique française, puisque les financements de l’adaptation ne représentent que 12 % de notre aide publique au développement. Les pays les moins avancés, les PMA, qui sont les principaux concernés par l’adaptation, ne représentent quant à eux que 9 % de l’aide publique au développement. Madame la ministre, quelles sont les initiatives que vous envisagez de prendre pour donner des perspectives financières concrètes à ce fonds ?
Nous avons connaissance d’opérations financières destinées à recycler des montants déjà investis plutôt par le secteur privé. Or nous savons bien que ces pays, notamment les îles, ont plus besoin de subventions que de prêts pour se préparer à la catastrophe écologique que constitueront à terme la montée des eaux et la salinisation des terres.
Je vous remercie par avance, madame la ministre, des réponses que vous pourrez nous apporter. Elles montreront que vous avez la volonté d’agir concrètement pour l’environnement.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que l’année 2015 a battu tous les records de chaleur et que les dérèglements climatiques n’épargnent aucun pays, comme le montrent peut-être encore – on ne le sait pas, le réchauffement et la météorologie n’étant pas forcément liés – les événements météorologiques les plus récents, il n’est plus temps de discourir sur l’urgence de la situation. Il faut agir dès maintenant, à l’échelle mondiale, car c’est bien l’avenir de notre planète et de l’humanité qui est en jeu, ainsi que le prouvent toutes les études scientifiques.
En se fixant l’objectif de maintenir l’augmentation de la température mondiale en dessous de 2 degrés Celsius par rapport au niveau préindustriel et d’intensifier les efforts en vue de limiter cette augmentation à 1, 5 degré Celsius, les États reconnaissent enfin le danger irréversible qui nous menace tous si nous persistons dans l’aveuglement et l’inertie.
Historique dans son contenu et dans son ampleur géographique, l’accord de Paris témoigne de cette prise de conscience désormais universelle : le temps nous est compté ! Il s’agit certes d’un véritable succès diplomatique pour la France, comme beaucoup de mes collègues l’ont dit, mais c’est avant tout d’un signal fort envoyé par toute la communauté internationale aux générations actuelles et futures : elle leur dit qu’elle les a entendues et qu’elle s’engage dès aujourd’hui à tout faire pour leur garantir des conditions de vie respectueuses des équilibres écologiques. À cet égard, nous ne pouvons que saluer la belle unité de la représentation nationale, qui est à la hauteur des défis qui sont devant nous.
L’accord de Paris a été rendu possible, car il prend en compte de façon concrète et réaliste la question des responsabilités communes, mais différenciées, de tous les pays, en s’appuyant sur les contributions de réduction des gaz à effet de serre dont ils auront l’initiative.
En rompant avec le multilatéralisme contraignant et sélectif, cette approche peut, certes, susciter des interrogations légitimes, mais elle permet surtout d’enclencher le mouvement le plus largement consenti jamais observé à l’échelle internationale.
Certes, tout le monde sait qu’il sera difficile de rester sous les 2 degrés de réchauffement et qu’il faudra aller encore plus loin, mais les décisions qui accompagnent cet accord abordent précisément les financements à déployer pour réaliser ces ambitions et les nécessaires coopérations qu’il conviendra d’encourager et d’amplifier dans tous les secteurs de l’économie et à tous les niveaux de l’action publique.
N’oublions pas que la COP 22 sera une COP africaine, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre. Il conviendra donc d’être en mesure de passer des discours aux actes, car force est de constater que les engagements financiers pris en faveur des pays en développement depuis la Conférence de Copenhague en 2009 n’ont toujours pas été tenus. C’est le moins que l’on puisse dire !
Madame la ministre, en cette Journée mondiale de l’océan, je souhaiterais revenir sur ce qui aurait pu être l’un des angles morts de cet accord et des négociations climatiques en général sans votre engagement personnel : la prise en compte des mers et des océans, premiers puits de carbone.
Si l’article 5 encourage la mise en œuvre et le financement de la lutte contre la déforestation dans les pays en développement, aucune disposition particulière ne traite des questions maritimes, de la biodiversité marine, ni même du transport maritime.
Des négociations sont certes en cours, mais les liens étroits entre climat et océans, qu’il s’agisse de la régulation des températures, de la séquestration du carbone ou de l’acidification des eaux doivent nous conduire à aller beaucoup plus loin en la matière.
J’en profite pour saluer à ce sujet l’engagement tout particulier de nos départements et territoires ultra-marins. Confrontés souvent à une insularité et à un éloignement problématiques pour leur développement, ils n’ont cependant jamais relâché la garde et se montrent bien souvent exemplaires dans la protection et la valorisation de leurs ressources naturelles, ainsi que dans la gestion de leurs espaces maritimes.
Cela m’amène tout naturellement à insister sur un enjeu cher à notre Haute Assemblée, celui de la place des collectivités locales.
L’ONU a clairement établi que « 50 % à 80 % des actions concrètes de réduction des émissions de gaz à effet de serre et près de 100 % des actions d’adaptation sont conduites au niveau infra-étatique », c’est-à-dire par les collectivités locales. Même si quelques avancées ont heureusement pu être enregistrées au cours des sessions de négociations depuis Copenhague, il serait extrêmement dommageable que la nouvelle méthode ascendante, et donc très favorable, au cœur de l’accord de Paris s’arrête aux frontières des États. C’est une question de justice et d’efficacité.
Que l’on songe à l’article 11 sur le renforcement des capacités individuelles et collectives, ou à l’article 12, consacré à l’éducation, à la formation et à la participation du public, les collectivités locales ne sauraient être reléguées au rang de supplétifs des États chargés de prendre des décisions dont elles devront par la suite assumer l’exécution et les coûts.
Je sais que ce sujet vous tient à cœur, madame la ministre.
Il faut que les collectivités trouvent toute leur place dans le processus diplomatique, car leurs responsabilités opérationnelles sont extrêmement lourdes. Elles demeurent et demeureront en effet des acteurs décisifs sur le chemin de l’exemplarité climatique, en France comme ailleurs dans le monde. Des progrès significatifs ont été accomplis dans notre pays, notamment grâce à la loi de transition énergétique ou à d’autres textes, mais il nous faudra encore amplifier ce mouvement.
Pour toutes ces raisons, nous approuverons avec un grand plaisir la ratification de l’accord de Paris, mais nous resterons pleinement mobilisés pour le doter des moyens juridiques et financiers nécessaires, afin d’en faire le point de départ d’une véritable révolution climatique.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du groupe CRC.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec l’accord de Paris, la COP 21 a connu une issue heureuse. Nous nous en sommes tous réjouis.
Nous y avons d’ailleurs tous travaillé, à commencer par les instances du Sénat.
Le président Gérard Larcher l’avait voulu et organisé ainsi, de la journée de l’Union interparlementaire à l’engagement total de chacune des commissions permanentes du Sénat et des délégations, jusqu’à la constitution du groupe de travail présidé par Jérôme Bignon.
La COP 21 s’est donc conclue avec succès par l’adoption de l’accord de Paris, qui doit encore être ratifié. Tel est l’objet de notre débat.
Il s’agit d’une étape sur un long chemin, d’un succès diplomatique plus que d’une avancée concrète, laquelle reste à confirmer.
Le réchauffement climatique progresse toujours plus vite que les mesures pour le limiter ou pour s’y adapter, car on ne parle plus, hélas, de le stopper. L’humanité ne peut plus arrêter la machine mise en route depuis la révolution industrielle.
Rappelons brièvement les étapes du chemin que j’ai évoqué : 1972 à Stockholm ; 1979 à Genève ; 1982 à Nairobi ; 1992 à Rio, où une centaine de chefs d’État signe la fameuse déclaration qui fera date. Surtout, il y aura Johannesburg en 2002, où le discours du Président Jacques Chirac marquera l’histoire : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer, et nous refusons de l’admettre. L’humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au Nord comme au Sud, et nous sommes indifférents. La Terre et l'humanité sont en péril, et nous en sommes tous responsables. »
Depuis, les sommets internationaux se succèdent.
La prise de conscience s’est élargie avant d’être contrariée par la crise financière mondiale, qui a souvent modifié l’ordre des priorités, faisant repasser les enjeux de court terme avant ceux de long terme.
Les Américains sont allés rechercher la croissance en exploitant les gaz de schiste et les Russes voudraient sauver la leur en prolongeant leur activité rentière vers l’Arctique.
Les climatosceptiques trouvent un écho dans des pays industrialisés. On aurait pu les penser plus éclairés, mais il est vrai que même les créationnistes peuvent y tenir en échec les évolutionnistes. Donc, tout est possible !
Alors, quand l’intérêt économique immédiat peut s’appuyer sur des prédispositions obscurantistes ou complotistes, la recherche du bien commun ne va pas de soi. C’est bien la difficulté principale.
Les climatosceptiques, cependant, n’ont pas gagné la bataille intellectuelle et la vérité scientifique s’impose à la communauté internationale. Le diagnostic fait consensus, consensus de plus en plus partagé.
Les parties prenantes à Rio étaient une centaine. Elles étaient près de 200 à Paris – 195, me semble-t-il – mais le bât blesse avec les premières puissances économiques et les premières émettrices de gaz à effet de serre.
Il fallait avancer malgré le blocage américain.
L’humanité avait – et aurait – besoin d’un accord contraignant, mais un tel accord suppose l’approbation du Congrès américain dont on connaît l’opposition, une opposition regrettable, mais qui est un fait.
Le caractère non contraignant permet de surmonter l’obstacle, en même temps qu’il ne nous garantit plus d’atteindre la destination.
Une autre difficulté concerne la Chine, dont la croissance jusqu’alors effrénée connaît les premiers ralentissements. Elle ne s’engage à réduire ses émissions qu’à partir de 2030. L’objectif de la COP 21 est donc atteint en théorie, mais d’ici à 2030 beaucoup d’eau passera sous les ponts du Mékong !
On aboutit donc à un accord non contraignant, qui détermine des objectifs communs et propose des outils, mais sans garantir de moyens.
Les objectifs communs sont de limiter la hausse des températures en deçà de 2 degrés, voire à 1, 5 degré, et, pour se faire, d’obtenir que les pays développés mobilisent, à partir de 2020, 100 milliards de dollars par an afin de permettre aux pays en voie de développement de lutter contre le dérèglement climatique.
Je disais que le consensus se confirmait sur le diagnostic. Oui, la température moyenne s’élève inexorablement. La banquise et les glaciers fondent. Le désert gagne. La mer monte. Le vivant est perturbé. Les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient.
La main de l’homme est le facteur principal. Les autres ne jouent qu’à la marge.
On sait que pour garder quelques chances de tenir l’objectif des 2 degrés, l’humanité ne devra pas avoir émis plus de 2 900 gigatonnes de CO2 depuis 1870. Or, les deux tiers de ce volume ont déjà été émis !
L’accord de Paris propose de répondre à l’enjeu par l’actualisation des « contributions climat » de chaque pays tous les cinq ans, par des financements pour l’atténuation, la transition énergétique et l’adaptation aux conséquences du dérèglement climatique – et non plus pour l’arrêter… –, par la création d’un fonds de 100 milliards de dollars par an jusqu’en 2025, par la mise en place d’un mécanisme de contrôle de la conformité et de l’application de l’accord.
À défaut de système contraignant, des dispositifs sont mis en place pour aider la transition énergétique des nations parties prenantes : l’alliance solaire internationale, plateforme de coopération entre des pays développés disposant de technologies dans le solaire ; la mission innovation, laquelle rassemble vingt pays qui s’engagent à doubler leurs investissements dans la recherche et le développement des énergies propres ; le projet de débloquer ces 100 milliards de dollars par an à partir de 2020.
Il y a beaucoup de bonnes intentions, mais quelques actions seulement ! Mais nous devons nous engager et ratifier cet accord, quelles que soient ses insuffisances et les carences de notre propre pays.
Je reconnais, madame la ministre, le talent de l’exécutif français dans la préservation des apparences : il a fait passer pour un succès diplomatique un accord non contraignant, alors que tous s’accordaient initialement sur la nécessité d’un accord contraignant.
Je lui reconnais aussi le talent d’avoir entraîné la communauté internationale par le verbe, alors que son action en la matière n’était pas exemplaire : elle venait de se caractériser par le piteux abandon de l’écotaxe poids lourds, contre le travail des deux chambres du Parlement, et alors que nos voisins européens la pratiquent depuis longtemps !
Ratifions cet accord en espérant qu’il se concrétise puisqu’il ne donne aucune garantie.
Qu’en sera-t-il en France ? J’espère que le Gouvernement, coutumier des zigzags, empruntera la bonne direction au cours des quelques mois qui lui restent et que le débat pour l’alternance nous épargnera toute « trumpisation ».
Qu’en sera-t-il aux États-Unis ? On a bien entendu John Kerry annoncer des milliers de milliards de dollars, mais la vraie réponse sera donnée à brève échéance par la présidentielle américaine et les votes du Sénat.
Chaque contribution nationale attendue sera un moment de vérité.
L’absence de caractère contraignant soulève une objection légitime dans chaque État, celle de sa propre compétitivité dès lors que ses concurrents et partenaires ne s’imposent pas, en même temps, les mêmes contraintes. Ce débat est présent chez nous, comme dans l’Union européenne.
À l’échelle mondiale, quarante ans après le premier sommet international sur le climat, nous n’avons toujours pas engagé une mécanique globale pour enrayer la machine infernale.
Toutefois, au niveau local, grâce aux initiatives des collectivités et aux comportements des citoyens consommateurs, des mécaniques se développent, confortées, il est vrai, par les sommets mondiaux.
Telles sont les raisons pour lesquelles malgré toutes les réserves et en toute lucidité, nous devons ratifier cet accord, avec un certain enthousiasme et, surtout, avec la volonté forte de le mettre en œuvre !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
Je tiens à vous remercier, les uns et les autres, notamment vous, messieurs les présidents, messieurs les rapporteurs, de la qualité de vos interventions. Elles constituent un apport appréciable alors qu’il nous revient désormais de poursuivre notre tâche dès lors qu’il y a aura ratification de l’accord après les signatures.
Les différentes interventions montrent que les territoires dont vous êtes les élus sont eux aussi en mouvement. Ce sont non seulement les actions des entreprises et des villes, mais aussi des territoires ruraux, qui sont très fortement engagés dans la transition énergétique, qui viennent nourrir l’agenda des solutions. C’est aussi ces actions qui permettent à la France de peser dans les différentes coalitions et, surtout, d’être exemplaire.
Exemplaires, nous le sommes en pratiquant cet exercice de débat parlementaire à mon sens assez unique, que l’ensemble des autres pays de l’Union européenne vont observer, notamment grâce d’ailleurs aux initiatives prises par le président de votre assemblée en direction de la coalition des présidents des différents Parlements de l’Union européenne. Nous espérons qu’en incitant les autres pays de l’Union européenne à se saisir du débat vous allez donner un coup d’accélérateur au processus de ratification.
Vous avez posé, mesdames, messieurs les sénateurs, un certain nombre de questions concrètes, évoquant notamment les aspects financiers et soulignant l’importance du prix du carbone. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet et d’avoir des échanges lors de la discussion du projet de loi de finances, puisque c’est le moment où sera fixé le prix du carbone.
Ce sera l’occasion aussi d’apprécier le comportement des entreprises. D’ores et déjà, il y a une coalition d’entreprises françaises qui se sont imposées à elles-mêmes un prix du carbone afin d’améliorer la rentabilité de leurs investissements dans l’économie verte. J’observe là encore que les entreprises françaises jouent un rôle d’exemplarité dans la coalition sur le prix du carbone, dans laquelle environ 400 entreprises sont désormais engagées à l’échelle mondiale.
Je vous renouvelle mes remerciements pour la qualité de ce débat qui sera, je le crois, observé par les Parlements du monde entier. Sans doute allez-vous leur donner l’envie de se saisir à leur tour des textes de ratification, qui recevront de ce fait une réelle caution démocratique.
Je pense aussi que les Parlements qui auront observé ce débat voudront faire en sorte que le contenu et l’application de ce traité international sur le climat se traduisent en actes opérationnels porteurs de bien-être pour les différentes populations qui pourront en bénéficier.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Est autorisée la ratification de l'accord de Paris adopté le 12 décembre 2015, signé par la France à New York le 22 avril 2016, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Joël Guerriau, pour explication de vote.
Nous voterons bien évidemment à l’unanimité la ratification de l’accord de Paris, en soulignant toutefois qu’il est a minima pour relever le défi humanitaire qui est le nôtre.
Nous souhaitons pourtant qu’un fossé ne se creuse pas entre les intentions et leur mise en œuvre.
Trop de pays ne l’ont toujours pas ratifié.
La mobilisation des financements est fondamentale. Or, nous sommes encore loin des 100 milliards d'euros promis.
L’essentiel sera à mon avis le suivi auquel chaque Parlement procédera pour veiller à l’application de l’accord et pour suivre de très près les politiques environnementales nationales.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi d’abord de m’associer aux différents compliments adressés tout au long de ce débat à nos rapporteurs, qui ont parfaitement synthétisé les enjeux de cette vingt-et-unième conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.
Ensuite, et j’associe bien évidemment le groupe Les Républicains du Sénat à mon propos, il convient de féliciter du travail accompli la diplomatie française, alors conduite par M. Laurent Fabius, solidement épaulé par Mme Laurence Tubiana, ambassadrice chargée des négociations climatiques.
Si certains se rappellent surtout le faste de cette procession diplomatique que fut la COP 21, je retiendrai, pour ma part, le travail de l’ombre qui a été fourni depuis maintenant plus d’un an. Instruite par l’expérience malheureuse de Copenhague, la diplomatie écologique a opéré sa mue pour passer d’une méthode ex cathedra à une méthode fondée sur les contributions volontaires.
La diplomatie française a alors subtilement pris le relais, forte de notre réseau d’ambassades et de ses diplomates. Elle a parfaitement appréhendé les attentes de nos partenaires et est parvenue à ce que nous pensions hier impossible : trouver un dénominateur commun entre pays qui aspirent au développement et pays déjà développés. L’affrontement stérile Nord-Sud a été dépassé et l’implication des milieux industriels est réelle.
Je regrette, en revanche, l’absence, à défaut d’un mécanisme de sanction, d’au moins un mécanisme d’évaluation sur le respect des engagements.
Je regrette également – cela a été dit par les uns et les autres – l’absence de mention d’un prix du carbone à l’échelle mondiale, mention remplacée par une rapide référence à l’importance des politiques de tarification du carbone, formulation, vous l’avouerez, équivoque.
Si ces raisons devaient me conduire à émettre un vote favorable à l’endroit de ce projet de loi, je vais pourtant être contraint de m’abstenir. Pourquoi ? Tout simplement, madame la ministre, parce que je dénonce votre incohérence, l’incohérence entre les propos que vous tenez sur la scène internationale et l’action que vous menez sur le plan national.
Il n’est pas admissible, et je ne citerai ici que deux exemples, que vous ne respectiez pas deux directives environnementales majeures, l’une sur la libre circulation des poissons migrateurs et la seconde, l’autre sur la qualité des eaux – je le dis en présence de M. le secrétaire d'État aux affaires européennes.
Par ailleurs, même s’il semble que le Président de la République soit revenu sur cette annonce, il n’est pas admissible que l’on diminue les crédits de la recherche au moment même où il nous faut faire des sauts technologiques majeurs pour protéger notre environnement. Or la France ne participera pas à ces sauts technologiques et ne détiendra pas les brevets afférents. (
Vous m’excuserez, mais je ne participerai pas de cette béatitude environnementale. Et, à titre personnel, je m’abstiendrai.
Vous avez un problème local ! Franchement, ce n’est pas d’un haut niveau !
M. Jean-Pierre Raffarin . Si je tiens, madame la ministre, à expliquer monvote, c’est parce qu’il n’arrive pas si souvent que majorité et opposition émettent le même vote sur le même texte : c’est quand même une joie qu’il nous faut partager !
Sourires.
Je comprends ce que disent nos collègues Jean Bizet et François Grosdidier. Personnellement, je vais pourtant voter ce texte parce que cette COP 21 a permis d’allumer quatre lumières dans un ciel mondial tellement sombre que nous aurions tort de ne pas mesurer les progrès accomplis.
Je veux d’abord souligner le fait que, dans ce monde particulièrement dangereux où les tensions et les querelles sont multiples, on assiste à un consensus sur un diagnostic. D’accord, il faudra aller plus loin. D’accord, nous attendons le discours que prononcera Chantal Jouanno lors de la discussion budgétaire. D’accord, il y aura quantité de choses à dire. Néanmoins, il y a dans ce monde tellement de divisions et de raisons de s’opposer qu’il faut savoir profiter de la lueur que nous donne le fait de voir les pays s’accorder et partager un diagnostic.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Autre sujet très important que Chantal Jouanno a évoqué à juste titre, c’est le renforcement du multilatéralisme. Nous avons besoin de l’Organisation des Nations Unies et d’organisations internationales. Il est très important que tous les chefs d’État se soient récemment précipités pour soutenir l’assemblée générale de l’ONU.
Il est tout aussi important que la Chine participe maintenant au financement de l’ONU. La Chine, qui nous avait habitués à traiter les questions de manière plutôt bilatérale, entre dans un système multilatéral ! Or, nous avons besoin que les pays entrent dans le multilatéralisme. C’est ainsi que l’on pourra essayer de rechercher la paix, car il ne faut pas compter sur la simple gestion des rapports de forces pour obtenir les équilibres importants.
Nous assistons donc à la victoire de deux lignes directrices qui sont des lignes d’avenir. Deux autres lignes directrices concernent la France.
D’abord, tout ce qui rapproche la société civile de la représentation politique est important. Tout ce qui sépare l’élu de l’électeur est un danger pour la démocratie et pour la République. Très franchement, il y a aujourd'hui une opposition très forte à l’égard de la classe politique, du monde représentatif. Et là, pour une fois, on a vu la société civile, les collectivités territoriales, la représentation nationale, tout le monde s’associer pour les mêmes causes !
Ensuite, dernier élément que je veux souligner parce qu’il ne faut pas bouder notre plaisir, au fond, les images de la France dans le monde ne sont pas si bonnes que cela en cette année 2016. Voyez comment sont utilisées actuellement les images des voitures de police qui brûlent, voyez comment sont quelquefois utilisées les images des inondations pour discréditer la France, voyez comment les grands journaux de pays amis font des articles à la Une intitulés, par exemple, « Les quatorze raisons pour ne pas venir en France » ! Alors, réjouissons-nous d’avoir eu là un succès et que de France soit parti un message positif, un message d’espoir, un message de rassemblement !
M. Jean-Pierre Raffarin . Je crois vraiment que tous les Français attachent une très grande importance à l’image de leur pays, et il est vrai que cette image a elle-même une très grande importance pour l’emploi, pour notre attractivité. Madame la ministre, mes chers collègues, tout ce qui sert l’image de notre pays nous appartient à tous, et cela me suffit pour voter ce texte !
Applaudissements.
Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l'article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification de l’accord de Paris adopté le 12 décembre 2015.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures trente.
Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants des commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion, d’une part, du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine et, d’autre part, de la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias.
Les listes des candidats établies par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication ont été publiées conformément à l’article 12 du règlement.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, ces listes sont ratifiées, et je proclame représentants du Sénat à ces commissions mixtes paritaires :
Pour le projet de loi :
Titulaires : Mme Catherine Morin-Desailly, M. Jean Pierre Leleux, Mme Françoise Férat, Mme Colette Mélot, M. David Assouline, Mme Marie-Pierre Monier et M. Pierre Laurent.
Suppléants : M. Pascal Allizard, Mme Maryvonne Blondin, Mme Nicole Duranton, M. Guy-Dominique Kennel, Mme Françoise Laborde, M. Philippe Nachbar et Mme Sylvie Robert.
Pour la proposition de loi :
Titulaires : Mme Catherine Morin-Desailly, M. Hugues Portelli, M. Jean Pierre Leleux, Mme Colette Mélot, M. David Assouline, Mme Sylvie Robert et M. Patrick Abate.
Suppléants : Mme Maryvonne Blondin, M. Philippe Bonnecarrère, M. Jean-Louis Carrère, M. Jacques Grosperrin, Mme Mireille Jouve, Mme Vivette Lopez et M. Michel Savin.
M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre l’avenant n° 1 à la convention du 19 septembre 2014 entre l’État et le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, action « Calcul intensif », et la décision n° 2016-ENUMBPI de redéploiement de fonds de l’action « Fonds national pour la société numérique » dans le cadre du programme d’investissements d’avenir.
Acte est donné du dépôt de ces documents.
Ils ont été transmis à la commission des affaires économiques, à celle de la culture, ainsi qu’à celle des finances.
Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 8 juin 2016, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation lui a adressé un arrêt de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’alinéa 6 de l’article 1397 du code civil (date d’effet d’un changement de régime matrimonial soumis à homologation judiciaire) (2016-560 QPC).
Le texte de cet arrêt de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de la commission des affaires européennes, de la proposition de résolution européenne relative au régime de sanctions de l’Union européenne à l’encontre de la Fédération de Russie, présentée en application de l’article 73 quater du règlement (proposition n° 643, texte de la commission et rapport n° 659).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, au nom de la commission des affaires européennes.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, mes chers collègues, la thématique que nous abordons aujourd’hui en séance publique est éminemment sensible d’un point de vue politique, diplomatique, mais aussi économique.
Les positions des uns et des autres concernant le sujet des sanctions de l’Union européenne à l’encontre de la Russie et la vision des relations entre notre pays, l’Union européenne et la Russie sont malheureusement très largement caricaturées. C’est pourquoi Simon Sutour et moi-même avons souhaité vous soumettre la proposition de résolution européenne la plus équilibrée et la plus réaliste possible. Elle fait suite au rapport d’information que nous avions rédigé au mois de juin 2015.
N’oublions pas, chers collègues, que l’équilibre diplomatique qui a été trouvé sur le continent européen au moment de la chute du mur de Berlin et de la réunification allemande résultait d’une volonté commune des Américains et des Soviétiques. Une partie des accords de 1989, même s’ils ne sont pas écrits, doit permettre de comprendre la situation actuelle. Dans ce cadre, la France a un rôle particulier à jouer. Nous pouvons être à la fois les garants de l’intégrité territoriale de l’Ukraine par la défense des accords de Minsk et les initiateurs d’une reprise de relations, que je qualifierai de « normales », avec la Russie. C’est tout l’enjeu du texte que nous examinons.
L’objectif principal de cette proposition de résolution est bien d’essayer de dénouer la crise ukrainienne rapidement, pour relancer les relations entre l’Union européenne et la Russie.
Les positions du Gouvernement et de l’Union européenne sont identiques et lient la levée des sanctions visant la Russie à l’application des accords de Minsk.
Nous savons que le Président de la République – à qui je veux rendre un hommage particulier, tant son implication a été majeure – et la Chancelière allemande ont joué un rôle décisif dans la conclusion de ces accords. Nous avons une feuille de route et il faut nous y tenir, d’autant que sa mise en œuvre n’est pas aisée, même si des avancées sont constatées depuis le 12 février 2015. Y renoncer, ne serait-ce que partiellement, serait un très mauvais signal adressé aux protagonistes.
Notre objectif ultime doit être de dénouer la crise ukrainienne le plus rapidement possible. Chacune des parties y a intérêt.
L’Ukraine, parce qu’elle a un besoin urgent de réformes d’envergure, économiques et politiques, et ne peut légitimement pas avancer avec un conflit dans ses provinces orientales. À ce titre, je rappelle l’initiative du président Larcher sur la contribution du Sénat dans la mise en œuvre du volet politique des accords de Minsk relatif à la décentralisation.
La Russie, parce que son économie pâtit des sanctions européennes.
L’Union européenne, parce ses relations avec la Russie sont gelées. Or des relations confiantes et solides sont indispensables pour relever les défis communs, tels que la lutte contre le terrorisme, la sécurité internationale, la situation au Proche-Orient, et aboutir au partenariat stratégique que nous appelons de nos vœux. Je rappelle en outre que ces sanctions ont un impact sur le PIB européen : 0, 3 % en 2014, contre 0, 4 % en 2015, soit, pour ceux qui aiment les chiffres, l’équivalent du plan Juncker. Pour être franc, cette diminution du PIB européen est due aussi bien au ralentissement de l’économie russe qu’aux sanctions.
Les États membres, enfin, parce qu’ils souffrent à la fois des opportunités perdues sur le marché russe et des effets des contre-sanctions russes, comme le montre la crise de la filière porcine en France.
Le dispositif de cette proposition de résolution consiste en une levée progressive et différenciée des sanctions sous conditions. Ainsi, le régime de sanctions à l’encontre de la Russie pourrait être modifié selon le schéma suivant.
D’abord, les sanctions économiques sectorielles seraient progressivement allégées en fonction de progrès significatifs et ciblés dans la mise en œuvre des accords de Minsk.
Ensuite, et selon les mêmes conditions, les sanctions diplomatiques et politiques feraient l’objet d’une réévaluation. Ainsi, la suppression de l’exigence de visas de court séjour pourrait de nouveau s’appliquer. Néanmoins, nous avons écarté cette idée.
Enfin, le Gouvernement pourrait appeler nos partenaires européens à lever les sanctions individuelles visant les parlementaires russes, qui constituent un obstacle au dialogue politique. Je rappelle que la présidente du Conseil de la Fédération – l’équivalent du Sénat – ne peut se rendre ni en France ni dans le reste de l’Europe.
Naturellement, l’allégement de ces sanctions européennes doit s’accompagner de mesures identiques du côté russe. Le président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale est aussi frappé par ces sanctions, ce qui n’est pas admissible. Nous pensons plus particulièrement, bien sûr, aux sanctions sanitaires. Il serait envisageable de parvenir à un allégement progressif de l’embargo sanitaire dans les pays qui ne présentent pas de cas de fièvre porcine africaine, ce qui est le cas de la France.
Cette proposition de résolution européenne n’a pas la prétention de tout régler. Elle constitue une étape dans le chemin du rétablissement des relations normales entre l’Union européenne et la Russie. Il est essentiel que le Parlement et le Gouvernement puissent s’exprimer avant le Conseil européen des 28 et 29 juin prochain.
Sans tomber dans la caricature, nous pouvons débattre sereinement de ce sujet et adopter cette proposition de résolution, comme l’ont fait la commission des affaires étrangères et celle des affaires européennes.
Applaudissements sur certaines travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. Jean-Louis Carrère applaudit également.
La parole est à M. Simon Sutour, au nom de la commission des affaires européennes.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les sanctions à l’encontre de la Russie sont le résultat de l’annexion de la Crimée. Cette violation inacceptable du droit international, puis les événements dramatiques dans l’est de l’Ukraine ont conduit l’Union européenne et ses États membres à mettre en œuvre un régime de sanctions graduées. Dans le même temps, la France et l’Allemagne ont joué un rôle décisif dans la conclusion des accords de Minsk, qui constituent la seule base acceptée par l’ensemble des parties pour une solution au conflit. Le Conseil européen a clairement établi un lien entre le sort des sanctions et la mise en œuvre des accords de Minsk appréciée au sein du format « Normandie ».
Chacun sait qu’au prochain Conseil européen, les 28 et 29 juin, la position franco-allemande sur la mise en œuvre de ces accords sera déterminante pour la reconduction éventuelle des sanctions. En effet, jusqu’à présent, les Vingt-Huit ont toujours su préserver leur unité face à la Russie. C’est la force du Conseil européen. C’est aussi le mérite de la diplomatie française d’exprimer, avec l’Allemagne, la position européenne sur cette question. Nous savons que proposer des évolutions représente pour nos deux pays une lourde responsabilité compte tenu de la situation sur le terrain qui reste précaire.
Yves Pozzo di Borgo et moi-même revenons d’un déplacement à Bruxelles qui a eu lieu lundi dernier. Chez nos interlocuteurs, pour qualifier le dossier des sanctions, un mot est revenu à plusieurs reprises : « embarras ». Comme si l’Union européenne ne savait plus comment sortir de la situation figée qu’ont créée les sanctions…
Nous sommes convaincus qu’il est nécessaire d’insuffler de la dynamique dans les relations russo-européennes, qui sont aujourd’hui au point mort ou quasiment. C’est l’objectif de cette proposition de résolution européenne. Il s’agit de débloquer une situation qui n’a que trop duré et dont on n’aperçoit pas l’issue. D’ailleurs, il se dit qu’à Bruxelles on réfléchit à des solutions techniques pour moduler le régime de sanctions, par exemple sur la durée de leur reconduction.
Si quelques États membres sont dans l’état d’esprit d’une « glaciation » des relations avec la Russie, ce n’est le cas ni de la France ni de l’Allemagne. Au contraire, nous sommes favorables à un dialogue stratégique, ce qui est aussi le cas de plusieurs commissaires européens. La France a joué un rôle important dans le consensus qui s’est dessiné au conseil Affaires étrangères du 14 mars dernier pour arrêter les cinq principes directeurs pour les relations avec la Russie. Nous devons nous en féliciter.
Cette proposition de résolution européenne se fixe le même objectif. Elle ne vise pas à accorder un blanc-seing ou une absolution aux parties en présence. Elle cherche à aller de l’avant. Nous sommes en effet persuadés que dénouer la crise ukrainienne rapidement pour relancer les relations entre l’Union européenne et la Russie est indispensable. Ces relations sont trop stratégiques pour être retenues indéfiniment en otage d’un débat récurrent sur les sanctions. Je pense à la situation au Proche-Orient et à la lutte contre le terrorisme. Elles méritent mieux et doivent pouvoir se projeter au-delà du dossier ukrainien. Je rappelle d’ailleurs que, parmi les cinq principes directeurs pour les relations avec la Russie arrêtés lors du conseil Affaires étrangères du 14 mars dernier, figure « la possibilité d’une coopération sélective avec la Russie sur des questions présentant un intérêt pour l’Union européenne ».
Nous devons refuser la logique de « glaciation » que certains cherchent à promouvoir. Il est certain que la confiance réciproque sera longue et difficile à restaurer. La commission des affaires européennes abordera d’ailleurs la question de l’avenir des relations russo-européennes dans les prochains mois d’une manière plus complète.
Monsieur le secrétaire d'État, je conclurai en vous adressant un grand merci, et même un très grand merci. En effet, les remarques que le ministère des affaires étrangères et du développement international a adressées à la commission ont été intégralement prises en compte dans cette proposition de résolution.
M. Simon Sutour. Elles lui donnent force et crédibilité. Ainsi sont donc créées les conditions d’une large approbation de ce texte par la Haute Assemblée. C’est à cela que je vous invite, mes chers collègues.
Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, si les sanctions s’inscrivent dans un rapport de force avec la Russie, le « coût » qu’elles imposent à celle-ci n’a pas permis jusqu’à présent de réelles avancées dans le sens d’un règlement du conflit.
D’un point de vue économique, ce coût est estimé à 1, 5 point de PIB, mais reste difficilement isolable des autres « chocs » subis par la Russie, en particulier la forte baisse des cours du pétrole. Certes, les entreprises russes souffrent des restrictions d’accès aux marchés internationaux de capitaux, mais force est de constater que la Russie oppose à ces sanctions la résilience dont elle est coutumière.
Les sanctions européennes, l’embargo sur les produits agroalimentaires occidentaux que la Russie applique en retour et, plus généralement, la détérioration du climat d’affaires entre l’Union européenne et la Russie se traduisent par une baisse sensible de nos échanges, dont nous subissons l’impact négatif ; nos filières agricoles sont particulièrement touchées. Il conviendrait à cet égard, monsieur le secrétaire d'État, que le Gouvernement se montre plus insistant auprès des autorités européennes, pour obtenir une levée de l’embargo sanitaire sur la filière porcine, qui, vous le savez, lui est antérieur.
Enfin, la pérennisation des sanctions et contre-sanctions freine, sur le plan diplomatique, la relance des relations entre l’Union européenne et la Russie, alors même que celle-ci est un interlocuteur incontournable sur la scène internationale, notamment pour le règlement de nombreuses crises.
Tout cela doit nous inciter à trouver rapidement un moyen de faire évoluer les choses. Cette proposition de résolution nous en fournit peut-être l’opportunité.
Il ne s’agit pas de nier les violations du droit international commises par la Russie, encore moins de passer par pertes et profits l’annexion de la Crimée. Par cette proposition de résolution, le Sénat condamne le recours de la Russie à la force sur le territoire ukrainien et son annexion de la Crimée et rappelle son attachement à l’intégrité territoriale, à la souveraineté et à l’indépendance de l’Ukraine. Le dispositif proposé combine un allégement progressif et partiel des sanctions économiques sectorielles – moyennant des progrès « significatifs et ciblés » –, une réévaluation des sanctions diplomatiques et politiques.
Par ailleurs, les sanctions individuelles qui touchent les parlementaires semblent constituer un obstacle à la reprise du dialogue, qui était le cœur du message de notre commission, en particulier dans son rapport de la fin de l’année dernière. Il me semble qu’une différence de traitement s’impose entre les parlementaires et les personnes sanctionnées au titre de responsabilité. C’est pourquoi il est demandé une levée aussitôt que possible des sanctions sur les parlementaires russes : une trentaine sur les 146 sanctions individuelles.
La proposition nous paraît équilibrée et responsable. Elle explore en effet toutes les marges de manœuvre disponibles dans le respect de la feuille de route fixée par les accords de Minsk.
Mes chers collègues, nous espérons qu’un tel dispositif, que nous appelions déjà de nos vœux dans notre rapport, enclenchera une dynamique positive en faveur de la résolution du conflit et qu’il débouchera aussi, réciproquement, sur l’allégement des contre-mesures russes. Il y aurait un gagnant des deux côtés.
Enfin, ce dispositif doit constituer, à notre sens, un signal politique de notre aspiration à renouer une relation normale et forte avec la Russie, qui était l’un des messages de notre rapport.
À titre personnel, j’ajoute qu’au sein de l’Union interparlementaire, qui réunit les parlementaires du monde entier, sont présents les Russes et les Ukrainiens. Nous sommes parvenus à l’accord suivant : tous les parlementaires se rendront à l’assemblée générale, qui se tiendra l’année prochaine à Saint-Pétersbourg, et la Russie délivrera des visas à tous les participants. Ce sera peut-être là l’occasion de dialoguer.
La levée des sanctions concernant les parlementaires me semble le point le plus important de cette disposition. Cela va dans le sens des démarches que nous avons engagées, en phase avec la présidence du Sénat et avec nos homologues du Conseil de la Fédération, et que nous poursuivons régulièrement.
Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. Jean-Louis Carrère applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les sanctions européennes ont été une manifestation indispensable de la fermeté des États membres de l’Union européenne. Ceux-ci ont su se montrer unis sur cette question, d’abord autour de l’initiative de la France, de l’Allemagne et de la Pologne pour tenter d’arrêter le conflit, puis avec la mise en place du format « Normandie » afin d’élaborer les accords de Minsk.
Les sanctions étaient de fait le seul instrument dont nous disposions pour réagir aux violations graves du droit international, touchant à la souveraineté et à l’intégrité d’un État, commises par la Russie après l’annexion de la Crimée. C’était les sanctions, la guerre ou rien !
Nous n’approuvons pas le texte adopté à l’Assemblée nationale au mois d’avril dernier.
L’efficacité des sanctions n’est que relative, mais celles-ci ont permis un premier cessez-le-feu, qui n’a pas duré, un nouveau cessez-le-feu entré en vigueur le 1er mai dernier, une désescalade – l’expansion des séparatistes à l’est de l’Ukraine a été arrêtée –, la progression du retrait des armes légères, le rétablissement du paiement des pensions, les échanges de prisonniers ; tout le monde a en tête la libération, le 25 mai dernier, de la pilote ukrainienne Nadia Savtchenko.
Cependant, ces sanctions n’ont pas permis de progresser dans le sens du règlement du conflit et de la pleine mise en œuvre des accords de Minsk.
La situation sécuritaire demeure fragile. Il reste encore beaucoup à faire. Le déminage est un problème majeur, tout comme le retrait des armes lourdes.
Mais, et c’est sur ce point qu’il faut insister, le volet politique des accords n’avance pas. La responsabilité en incombe à parts égales à la Russie et à l’Ukraine.
Les accords de Minsk prévoyaient deux réformes institutionnelles en Ukraine : la révision constitutionnelle relative à la décentralisation, laquelle n’a été adoptée en première lecture que par la Rada, et le statut spécial pour les territoires de l’est, lequel, s’il a été adopté définitivement le 16 septembre 2015, n’est pas entré en vigueur.
Les élections locales à l’est ne peuvent pas se tenir, du fait, en partie, de l’opposition des séparatistes : ces derniers refusent la composition actuelle de la commission électorale, la participation des partis ukrainiens et des médias ukrainiens, ainsi que le vote de 1, 5 million de réfugiés. La situation est incontestablement bloquée.
En conditionnant la levée des sanctions à la mise en œuvre intégrale des accords de Minsk, le dispositif ne permet pas d’enclencher une quelconque dynamique susceptible d’ouvrir le dialogue et de conduire au règlement du conflit.
La proposition de résolution que nous examinons aujourd'hui, laquelle reprend le rapport d’information d’octobre 2015 rédigé, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, par Robert del Picchia, Gaëtan Gorce et moi-même et intitulé France-Russie : pour éviter l’impasse, vise à trouver la voie de la reprise d’un dialogue avec la Russie, notamment avec les parlementaires.
C’est par la voie du dialogue parlementaire rétabli et donc de la levée des obstacles que constituent les sanctions individuelles – et seulement les sanctions individuelles – visant les parlementaires russes – et seulement les parlementaires russes – que nous pourrons progresser.
Précisons tout de même que les sanctions diplomatiques ne sont pas liées aux accords de Minsk.
En conclusion, nous réaffirmons notre attachement indéfectible aux principes d’intégrité, de souveraineté et d’indépendance des États, qui sont le fondement de l’ordre international. Nous condamnons l’agression de l’Ukraine par la Russie et l’annexion de la Crimée, mais nous pensons que c’est par le dialogue rétabli – en premier lieu entre parlementaires – que nous pourrons trouver le chemin de la paix
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le président de la commission des affaires européennes, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, la Haute Assemblée est appelée à se prononcer sur une proposition de résolution européenne relative au régime de sanctions de l’Union européenne à l’encontre de la Fédération de Russie pour ses agissements en Ukraine.
À quelques jours du Conseil européen des 28 et 29 juin prochain, qui doit aborder la question de la prolongation des sanctions à l’encontre de la Russie, ce débat me donne l’occasion de rappeler la position du Gouvernement, mais aussi ses efforts en faveur du règlement du conflit dans l’est de l’Ukraine. Je me réjouis de la grande convergence des orateurs qui se sont exprimés à l’instant et de la qualité des travaux effectués par le Sénat et sa commission des affaires étrangères à l’occasion de cette proposition de résolution.
La Russie est un partenaire stratégique de la France, comme elle doit l’être pour l’Union européenne. Il est dans notre intérêt commun d’avoir une coopération aussi large que possible dans de très nombreux domaines. Tel est le sens des conclusions adoptées par le conseil Affaires étrangères le 14 mars dernier sur la relation stratégique entre l’Union européenne et la Russie. Cette coopération repose toutefois sur des principes clairs, au premier rang desquels figure le respect du droit international.
La France fonde sa diplomatie sur le droit international et sur son respect en toutes circonstances : pour nous, c’est la condition de la sécurité comme de la paix. Il faut donc le redire : les sanctions ne sont pas une fin en soi. Chacune des mesures restrictives adoptées par l’Union européenne l’a été pour des raisons très précises. Ces mesures constituent des réactions à des violations graves du droit international et leur adoption vise en premier lieu à conduire la Russie à se mettre en conformité avec ses obligations et à créer les conditions qui nous permettront de les lever.
Tout d’abord, des sanctions ciblées ont été adoptées le 17 mars 2014 à l’encontre d’individus ou d’entités russes et séparatistes ayant tiré profit de l’annexion illégale de la Crimée ou ayant directement joué un rôle dans les suites de cette annexion.
Le prétendu référendum du 16 mars 2014, qui s’est déroulé en présence de forces armées russes, comme l’a reconnu le président Poutine lui-même, et en l’absence de tout observateur international, a été condamné par toute la communauté internationale, tout comme l’annexion de la Crimée, au travers des résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies.
Ces sanctions ont été par la suite étendues à une liste d’individus et d’entités dont l’action entrave la bonne mise en œuvre des accords de Minsk.
Au-delà de ces mesures individuelles, l’Union européenne a également adopté des sanctions économiques dites « sectorielles », en juillet 2014, du fait des actions de déstabilisation menées par la Russie en Ukraine, en particulier après le crash du vol MH17 provoqué par un tir de missile dans l’est du pays, qui a fait 298 morts civils.
Ces sanctions ont été renforcées le 12 septembre 2014 en raison de l’aggravation du conflit dans l’est de l’Ukraine, qui a fait plus de 9 000 morts et 21 000 blessés au cours des deux dernières années et dans lequel la Russie apporte un soutien direct aux séparatistes.
Les sanctions sectorielles ne pourront être levées qu’en fonction de la mise en œuvre des accords de Minsk. Il a en effet été décidé lors du Conseil européen des 19 et 20 mars 2015 de lier la levée des sanctions à la mise en œuvre intégrale de ces accords, négociés dans le cadre du format « Normandie » sur l’initiative du Président de la République lors des commémorations du soixante-dixième anniversaire du débarquement.
C’est la première fois qu’était rétabli un dialogue direct entre le président Poutine et le président Porochenko, sous l’égide du Président de la République et de la chancelière Angela Merkel.
Face à cette agression armée contre un État souverain, l’Union européenne a répondu par des instruments permettant d’encourager le règlement pacifique de la crise en évitant le risque d’une escalade plus importante encore sur le terrain. Elle a répondu par des instruments qui respectent intégralement le droit international et les personnes visées par ces mesures restrictives disposent sans exception d’une voie de recours au niveau de l’Union européenne.
En effet, toute personne visée par des sanctions peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne pour en contester le bien-fondé, et le juge a procédé à des annulations lorsque cela s’est révélé justifié.
À l’inverse, la Russie n’assure pas de réciprocité en la matière : les personnalités européennes interdites de séjour en Russie n’ont aucune voie de recours pour obtenir la levée des restrictions dont elles font l’objet.
Votre projet de résolution aborde également la question très importante de l’effet des sanctions sur les économies russe et européenne, en particulier sur les entreprises européennes. C’est un point important. Les sanctions ont en effet des conséquences négatives pour l’économie russe – c’est leur principe même –, mais également, dans une certaine mesure, pour l’économie européenne.
Je souligne néanmoins, tout d’abord, que les entreprises françaises présentes en Russie avant 2014 sont toutes restées sur ce marché. Un grand nombre d’entre elles ont réduit leur présence, mais pas une ne s’est retirée. Certaines sont même entrées sur le marché russe depuis deux ans.
Ensuite, comme cela a déjà été dit, l’analyse des causes des difficultés que connaissent certains acteurs économiques français présents sur les marchés russes ne doit pas occulter le fait que les fragilités structurelles de l’économie russe, accentuées par la baisse des prix du pétrole et la dévaluation du rouble qui a suivi, participent aussi à la dégradation de nos relations commerciales avec la Russie.
Par ailleurs, les mesures restrictives adoptées par l’Union européenne depuis le début de la crise ukrainienne ont été conçues afin de minimiser leur impact sur l’économie européenne et d’imposer une pression sur la Russie. Le Gouvernement y a particulièrement veillé, en insistant par exemple pour que l’embargo sur les armes ne s’applique pas aux contrats conclus avant la date d’entrée en vigueur de cette mesure. Le secteur spatial et le secteur gazier sont aussi explicitement exclus du champ des sanctions.
Les sanctions ont donc été à la fois graduelles et proportionnées, et elles demeurent circonscrites à quelques secteurs précis de l’économie russe. Les relations économiques avec la Russie restent donc possibles et se poursuivent dans de nombreux domaines.
Enfin, je dirai un mot de l’embargo sur les viandes porcines. Cet embargo, cela a été rappelé, a été adopté par la Russie en janvier 2014, soit avant l’annexion de la Crimée et les premières sanctions européennes, pour des motifs présentés comme sanitaires, qui ne concernaient en réalité que certaines régions de l’Union européenne. Il a donc été décrété non pas en réponse aux sanctions européennes, mais bien de façon unilatérale.
Quoi qu’il en soit, notre objectif est d’obtenir la levée de cet embargo, qui ne repose sur aucun fondement sanitaire sérieux, du moins en ce qui concerne notre pays, puisque nous ne présentons aucun cas de fièvre porcine africaine.
Des contacts réguliers ont lieu, avec l’implication de la Commission européenne, pour y parvenir. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, s’est notamment rendu à Moscou le 8 octobre 2015 pour défendre cette position. Il a eu d’autres contacts avec son homologue depuis lors. Il a aussi obtenu de la Commission européenne l’adoption d’un paquet de mesures de compensation de 500 millions d’euros pour faire face à la crise.
Le Premier ministre, Manuel Valls, s’en est entretenu avec son homologue, Dimitri Medvedev, à Davos, et Jean-Marc Ayrault a également évoqué cette question lors de sa visite à Moscou, le 19 avril dernier.
Pour nos agriculteurs, toutes les démarches que la France a entreprises auprès de la Commission européenne et qu’elle effectue à Moscou, auprès du Gouvernement russe, sont utiles et devraient être soutenues sur l’ensemble de ces travées.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, les sanctions adoptées par l’Union européenne sont des instruments au service de la résolution du conflit en Ukraine. À l’heure où nous débattons de ce texte, ce conflit n’est malheureusement pas résolu et l’intensification des violations du cessez-le-feu que l’OSCE, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, observe sur le terrain est extrêmement préoccupante.
La trêve instaurée le 1er mai a permis une baisse significative des violations du cessez-le-feu, même si elles persistent et continuent à faire des victimes.
Néanmoins, la médiation de la France et de l’Allemagne dans le format « Normandie » a permis de mettre un terme à la phase la plus violente des combats. D’après les estimations de l’ONU, le nombre de victimes parmi les populations civiles a été divisé par neuf depuis la signature des accords de Minsk le 12 février 2015, qui fixent une feuille de route pour le règlement du conflit.
Plus de deux ans après le début de la crise, la Russie reste à la table des négociations pour parvenir à un règlement dans le cadre des accords de Minsk.
Aux termes de ceux-ci, la Russie a réaffirmé reconnaître et vouloir respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Elle a reconnu le caractère unitaire de l’État ukrainien tout en appelant à l’adoption d’une organisation décentralisée. Elle doit cependant pleinement respecter ses engagements et contribuer à la mise en œuvre complète des accords de Minsk.
Nous devons avancer dans cette direction. C’est bien là l’objectif de ces régimes de sanction – il s’agit de disposer d’un levier pour revenir à la négociation – et c’est tout le sens de l’action menée par Jean-Marc Ayrault, en concertation avec son homologue allemand, Frank-Walter Steinmeier.
La France et l’Allemagne poursuivent leurs efforts pour aboutir à cette fin. Ils sont la seule chance crédible de mettre un terme à cette guerre qui se déroule aux portes de l’Europe. Ces efforts nécessitent avant toute chose que les deux parties respectent leurs engagements en mettant en œuvre des actions concrètes.
L’Ukraine a déjà adopté en première lecture la réforme constitutionnelle instaurant une décentralisation dans le pays. Elle doit poursuivre la mise en œuvre de ses engagements, en particulier sur les élections et sur la loi d’autonomie pour les régions de l’est de l’Ukraine, qui leur donnera un statut spécial.
La Russie aujourd’hui sait ce qu’il lui appartient de faire pour que les armes se taisent dans le Donbass. Il lui revient en effet d’assurer le respect du cessez-le-feu, d’exercer les pressions nécessaires sur les séparatistes pour qu’ils cessent leurs activités militaires sur le terrain et qu’ils laissent la mission d’observation de l’OSCE se déployer jusqu’à la frontière internationale. Il faut également que les séparatistes, comme les Russes, contribuent positivement aux discussions sur la loi électorale, condition nécessaire au déroulement des élections dans le Donbass.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne nous résignons pas à la situation actuelle en Ukraine, qui n’est bonne ni pour l’Ukraine, ni pour la Russie, ni pour la sécurité du continent européen.
L’ambition de la France, comme de l’Allemagne, est de parvenir à une paix durable et négociée, conformément aux accords de Minsk, seule feuille de route agréée par l’ensemble des parties. Son respect intégral permettra la levée des sanctions. Chaque pas dans la mise en œuvre de la feuille de route de Minsk doit être encouragé et soutenu.
Notre ambition commune doit être de rétablir les conditions qui permettront à la Russie de redevenir pour l’Union européenne le partenaire politique, économique et commercial de premier plan qu’elle doit être. La géographie, l’histoire, les échanges culturels et humains : tout milite en faveur d’une Russie partenaire de l’Europe.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement français est résolu à maintenir le dialogue avec la Russie dans tous les domaines, en particulier ceux où la sécurité internationale est en jeu. Je pense à la Syrie, à l’Iran, à la lutte contre la prolifération nucléaire, à la situation au Proche-Orient et, bien sûr, à la lutte contre le terrorisme.
Fermeté, cohérence, responsabilité : tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les principes qui ont guidé et qui continuent de guider l’action du Gouvernement dans ce dossier. Nous ne transigerons pas avec nos principes et nous ne dévierons pas de notre feuille de route, les accords de Minsk.
Oui, nous souhaitons la levée des sanctions, en lien avec le règlement de la crise dans le Donbass.
Oui, si les accords de Minsk sont respectés, les sanctions seront levées.
Ce serait une erreur de sortir de ce cadre. §Ce cadre, c’est le règlement pacifique négocié du conflit en Ukraine, c’est l’unité des Européens, en appui au processus de Minsk et aux efforts franco-allemands au sein du format « Normandie ».
Telle est la position de l’Union européenne et du Gouvernement.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Je suis saisi, par M. Maurey, d'une motion n°27.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de résolution européenne relative au régime de sanctions de l’Union européenne à l’encontre de la Fédération de Russie, présentée en application de l’article 73 quater du règlement (n° 659, 2015-2016).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe, pour la motion.
La parole est à M. Hervé Maurey, pour la motion.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, si j’interviens devant vous aujourd’hui pour défendre cette motion tendant à opposer la question préalable et pour vous inviter à rejeter la proposition de résolution portée par notre commission des affaires européennes, c’est parce que je pense que cette proposition de résolution, certes dépourvue de force contraignante pour le Gouvernement, n’est pas opportune.
Si nous l’adoptions, nous enverrions en effet un signal politique désastreux au peuple ukrainien tout d’abord, mais aussi à l’ensemble des pays de l’Europe de l’Est et à toute la communauté internationale.
Nos rapporteurs se sont efforcés d’élaborer un texte en des termes mesurés. Je leur sais gré de leurs efforts pour ne pas tomber dans une caricature grossière, comme ont, hélas ! pu le faire nos collègues députés le mois dernier lorsqu’ils ont examiné et voté une proposition de résolution dont l’objet était similaire.
Pour autant, la démarche est, hélas ! la même. Certes, sur la forme, cette proposition de résolution réaffirme les principes d’indépendance et de souveraineté territoriale de l’Ukraine et prend la précaution de regretter, si ce n’est de condamner, l’annexion de la Crimée. Toutefois, sur le fond, malgré les précautions de langage, cette proposition de résolution aboutit, ni plus ni moins, au même résultat que celle qui a été votée par l’Assemblée nationale à la fin du mois d’avril, à savoir exiger la levée des sanctions contre la Russie.
De ce point de vue, la contradiction entre l’exposé des motifs et le texte même de la résolution est patente.
L’exposé des motifs évoque la corrélation entre respect des accords de Minsk et levée des sanctions alors que la proposition de résolution propose de revenir sur cette corrélation.
Chacun connaît les motivations des auteurs de cette proposition de résolution : d’une part, la lutte contre le terrorisme en général, et contre Daech en particulier, incite à un renforcement de nos liens avec la Russie ; d’autre part, les difficultés rencontrées par nos éleveurs, notamment dans la filière porcine, conduisent à chercher une solution à la crise qu’ils traversent actuellement.
Sur ce point, permettez-moi de rappeler, comme l’a fait M. le secrétaire d’État, que les premières mesures d’embargo sanitaire décidées par la Russie sont antérieures à la crise ukrainienne et que rien ne nous assure d’ailleurs qu’un infléchissement de la France dans ce dossier conduirait à une sortie de crise durable pour nos éleveurs. Il y a même lieu de penser malheureusement que les éleveurs allemands bénéficieraient bien plus que les éleveurs français d’une telle mesure.
Mes chers collègues, ne faisons pas peser sur l’Ukraine la responsabilité de la tragique situation de l’agriculture française. Ce serait trop facile !
Au-delà, la France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la France, dont chacun connaît l’attachement au droit international et à l’intangibilité des frontières, la France, patrie des droits de l’homme, terre de liberté, qui, par son histoire, jouit d’une position singulière sur la scène internationale, la France ne peut pas, au nom d’une pseudo-realpolitik, accepter l’annexion de la Crimée, au terme d’un processus que l’Assemblée générale des Nations unies a reconnu comme illégal, accepter la déstabilisation de l’Ukraine avec l’occupation de l’est de son territoire, faire fi des milliers de morts et de blessés, d’un million et demi de personnes déplacées, auxquels il faut malheureusement ajouter les victimes du vol MH17 à l’été 2014, en demandant la levée des sanctions prises à l’égard des responsables de cette situation.
Les accords de Minsk de février 2015, adoptés dans le cadre du format « Normandie », et dans la négociation desquels la France et l’Allemagne ont joué un rôle déterminant, prévoient notamment un cessez-le-feu, le retrait des armes lourdes du Donbass et la restauration des frontières ukrainiennes. Ils ont été signés par la Russie et doivent être appliqués par la Russie.
Le Président de la République a déclaré la semaine dernière que « les sanctions seront donc maintenues tant que ce processus [de Minsk] n’est pas pleinement mis en œuvre, mais [qu’]elles peuvent être modulées s’il est prouvé que cet accord se trouve appliqué ». C’est ce qu’a rappelé M. le secrétaire d'État à l’instant. La France considère – et elle a raison – comme un préalable le respect du cessez-le-feu prévu par les accords de Minsk et l’engagement d’élections dans le Donbass.
Les sanctions ne sont de toute évidence pas une fin en soi, mais elles sont un levier de négociation pour inciter la Russie à mettre un terme à sa politique de déstabilisation de l’Ukraine, mise en place lorsque ce pays a eu l’audace de vouloir se rapprocher de l’Union européenne en signant un accord d’association dont nous avons, je vous le rappelle, autorisé la ratification à la quasi-unanimité de notre assemblée le 7 mai 2015.
Je serai le premier à plaider en faveur de la levée des sanctions lorsque la Russie aura fait preuve de bonne volonté et aura montré de véritables signes d’apaisement, notamment dans l’est de l’Ukraine.
Nous en sommes malheureusement très loin. Loin de s’apaiser, loin de se calmer, loin de se pacifier, la situation dans le Donbass est à nouveau en de train de se dégrader. Pas un jour ne passe sans que des soldats ukrainiens soient tués ou blessés sur la ligne de front.
L’OSCE a par exemple recensé la semaine dernière près de 300 explosions non identifiées autour de Donetsk en une seule nuit. Tout indique que non seulement les « séparatistes » soutenus par Moscou ne respectent pas le cessez-le-feu, mais qu’ils disposent en outre d’un soutien logistique et d’armements sophistiqués qui ne peuvent venir que de Russie.
Dans ces conditions, comment peut-on envisager sérieusement l’organisation d’élections dans le Donbass ?
Que demandent les Ukrainiens ? Le retrait des armements russes, l’accès des organisations internationales à la zone et la mise en place d’une mission de police sous l’égide de l’OSCE pour assurer la protection des populations.
Est-ce extravagant ? Peut-on transiger sur des points comme cela, surtout après avoir réaffirmé dans l’exposé des motifs de la résolution un attachement « indéfectible à l’intégrité territoriale, à la souveraineté et à l’indépendance de l’Ukraine » ?
J’admets bien volontiers que, depuis le début de la crise, les autorités ukrainiennes n’ont pas toujours eu le comportement exemplaire que nous aurions souhaité. J’ai déjà eu l’occasion de dire qu’elles tardent à mettre en œuvre les réformes auxquelles elles se sont engagées, qu’il s’agisse de la réforme territoriale, fortement soutenue par notre assemblée, des réformes économiques ou de la mise en place d’un véritable État de droit.
Mais vous admettrez, mes chers collègues, que la situation dans le Donbass – je ne parle même pas de la Crimée – ne facilite pas la mise en place des réformes ! Et que, dans cette situation, la Russie porte une part de responsabilité écrasante.
C’est pourquoi, je le répète, l’adoption de cette proposition de résolution, en évoquant la levée des sanctions alors même que les conditions sont loin d’être réunies et qu’en particulier la Russie continue à s’affranchir des engagements qu’elle a elle-même pris à Minsk, serait particulièrement inopportune.
Au-delà de la seule question ukrainienne, l’adoption de cette proposition de résolution enverrait un très mauvais signal.
Un très mauvais signal à la Russie, d’abord, qui pourrait y voir – et elle aurait raison – une sorte de « blanc-seing », accordé sur tous les territoires qui ont appartenu à l’Union soviétique et qui constituent aujourd’hui ce qu’elle appelle son « étranger proche », au mépris des aspirations des peuples.
Dois-je souligner que, de ce point de vue, l’instabilité et le pourrissement que la Russie entretient dans le Donbass ne sont pas sans rappeler la situation de plusieurs autres territoires tels que la Transnistrie, l’Abkhazie ou l’Ossétie du Sud ?
Qu’avons-nous à gagner à la prolifération, sur le continent européen, de territoires sur lesquels des organisations criminelles et des trafics en tous genres peuvent prospérer en toute quiétude ? N’y a-t-il pas là une véritable menace à moyen terme pour notre sécurité ? L’objectif de lutte contre le terrorisme et la situation du Moyen-Orient ne sont-ils pas en train de nous faire perdre de vue ce risque-là ?
Corrélativement, l’adoption de cette proposition de résolution serait un signal très négatif adressé à nos amis d’Europe de l’Est, voisins de la Russie ou de l’Ukraine. Nous savons que de très nombreux pays de l’ancienne URSS sont inquiets de la situation en Ukraine et craignent d’être à leur tour victimes d’une telle situation et de tels agissements si nous n’y mettons pas un terme.
Quel message de solidarité leur adresserions-nous en votant une résolution qui dit en substance que, passés les premiers émois et les premiers cris, l’Union européenne, et en son sein la France, peut fort bien s’accommoder d’une Russie toute-puissante à qui l’on reconnaît tous pouvoirs sur les peuples vivant à ses frontières ?
Le statut historique et politique de la France, patrie des droits de l’homme et membre de Conseil de sécurité des Nations unies nous oblige, je le répète, à plus d’exemplarité.
Mes chers collègues, je crois que la France s’est honorée, dès les premiers jours de la crise ukrainienne, par les positions fermes qu’elle a soutenues et par le rôle déterminant qu’elle a tenu, avec l’Allemagne, pour tenter de trouver une solution de sortie acceptable par tous.
Les accords de Minsk ne sont sans doute pas parfaits, mais ils existent, ils ont été acceptés par les Russes comme par les Ukrainiens, et ils constituent à ce jour la seule feuille de route possible pour une sortie de crise.
N’allons pas remettre en cause l’autorité et la crédibilité de notre politique étrangère en votant cette proposition de résolution à un moment où tout indique que la Russie ne respecte pas ses engagements.
Cela serait également regrettable pour le Sénat, et en contradiction avec la démarche de coopération interparlementaire que nous avons mise en place avec la Rada de la République ukrainienne sur l’initiative du président Larcher. Ce dernier m’avait demandé de porter un message d’amitié au président de la Rada, aujourd’hui Premier ministre. Au cours de l’année écoulée, nous avons accueilli plusieurs délégations de parlementaires ukrainiens avec lesquelles nous avons eu des échanges très fructueux.
Enfin, je vous signale que le président du Sénat recevra dans quelques jours le président de la République ukrainienne, M. Porochenko, en visite officielle à Paris, et j’espère que nous n’aurons pas à l’accueillir dans le contexte du vote de cette proposition de résolution.
Je serai le premier à me prononcer en faveur de la levée des sanctions le jour où la Russie montrera des signes clairs et non équivoques de sa volonté de respecter le droit international et les engagements qu’elle a pris auprès de ses partenaires. La situation en Ukraine témoigne, hélas ! chaque jour que ce n’est manifestement pas le cas aujourd'hui.
C’est la raison pour laquelle je vous invite à rejeter cette proposition de résolution en votant cette motion tendant à opposer la question préalable.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, à titre liminaire, je veux d’abord insister sur le caractère équilibré de la proposition de résolution, adoptée par la commission des affaires européennes, que nous examinons aujourd’hui. Nous le savons, une initiative récente a manqué de nuances et donné l’impression d’un parti pris sans doute excessif. Notre texte est donc à porter au crédit du travail effectué au Sénat.
Car ce texte, j’espère que vous y serez sensible, monsieur le secrétaire d'État, est le fruit d’un travail concerté entre la présidence du Sénat, les commissions des affaires européennes et des affaires étrangères et le Quai d’Orsay. C’est aussi ce qui nous a permis d’aboutir à un texte que je qualifierai d’impartial.
J’entends certes les critiques adressées à la proposition de résolution : d’aucuns la considèrent comme pro-russe, d’autres comme pro-ukrainienne. Ces jugements contradictoires me font penser que le texte est au contraire équilibré !
La situation sur le terrain est complexe, et la mise en œuvre des accords de Minsk délicate, même si des avancées peuvent être constatées par rapport à la situation qui prévalait avant le 12 février 2015.
C’est pourquoi nous ne devons pas voter la motion tendant à opposer la question préalable que nous présente notre collègue Hervé Maurey.
Celui-ci nous dit que la proposition de résolution appelle à une levée des sanctions européennes contre la Russie. Cette présentation est pour le moins réductrice. Le texte n’invite pas à une levée inconditionnelle des sanctions. C’est tout le contraire ! Il pose notamment des conditions précises pour « un allégement progressif et partiel » des sanctions économiques sectorielles, dès lors que « des progrès significatifs et ciblés » seraient constatés dans la mise en œuvre des accords de Minsk.
Notre collègue développe deux arguments en faveur de sa motion.
En premier lieu, notre proposition de résolution serait « inopportune », car elle encouragerait la Russie à ne pas respecter ses engagements au titre des accords de Minsk. Ces accords reposent précisément sur un équilibre de contreparties réciproques que la proposition de résolution vise à faire respecter.
Leur mise en œuvre est délicate, personne ne le nie. Aussi chacune des parties doit-elle respecter ses engagements, la Russie comme l’Ukraine. Or ce pays connaît une situation politique tendue qui ne facilite pas l’adoption de réformes. En particulier, le volet politique des accords de Minsk, la révision de la constitution ukrainienne et la loi électorale pour le Donbass ne progressent guère. À ce titre, nous devons saluer la coopération mise en place avec la Rada sur l’initiative du président Larcher pour élaborer la réforme constitutionnelle.
En second lieu, notre proposition de résolution serait « contre-productive », car elle enverrait « un signal désastreux » aux autorités russes et au peuple ukrainien.
Je ne le crois pas ! Au contraire, le texte envoie un signal positif pour aller de l’avant et pour s’engager dans un cercle vertueux. Nous disons ceci aux parties des accords de Minsk : « Appliquez mieux et plus vite ces accords et, sous cette condition, les sanctions seront allégées ; appliquez-les intégralement, et les sanctions seront complètement levées. » Cela sera favorable pour tout le monde ! Formons le vœu que le vote de cette proposition de résolution européenne permette d’enclencher ce cercle vertueux.
En outre, le Sénat joue pleinement son rôle en invitant le Gouvernement à engager ce débat au Conseil européen des 28 et 29 juin prochains. À ma connaissance, il est le seul parlement national à agir en ce sens. Les relations de l’Union européenne avec la Russie et les sanctions ne doivent pas relever du domaine exclusif du pouvoir exécutif. Les parlementaires aussi ont le droit et le devoir de s’exprimer sur ce dossier essentiel pour l’avenir et la sécurité de notre continent.
J’entends les arguments de nos collègues qui s’émeuvent à juste titre de la violation du droit international que constitue l’annexion de la Crimée. Celle-ci doit être fermement condamnée, et c’est précisément l’objet de l’alinéa 14.
La rédaction du texte n’est naturellement pas figée. C’est tout l’intérêt du débat parlementaire que de le faire évoluer jusqu’à son point d’équilibre. Certains amendements me semblent bienvenus. C’est le cas de l’amendement tendant à renforcer la condamnation de l’annexion illégale de la Crimée à l’alinéa 5, et de l’amendement ayant pour objet les sanctions visant les parlementaires russes à l’alinéa 19. Je les voterai.
En votant la motion tendant à opposer la question préalable, nous nous priverions de toute influence sur ce sujet. Il serait inutile et dangereux de revenir à l’esprit de la guerre froide, lorsque deux blocs s’observaient avec hostilité. Ce n’est pas en nous coupant de la Russie que nous y diffuserons nos valeurs et que nous soutiendrons la démocratisation de ce régime, au contraire.
L’Union européenne, personne ne le conteste aujourd’hui avec le recul, a fait des erreurs dans son approche des relations avec son voisin qu’est la Russie dans le cadre du partenariat oriental. Je remercie nos collègues Pascal Allizard et Gisèle Jourda, qui se sont particulièrement penchés sur cette question.
Pour autant, l’Union européenne a bien pris conscience de la nécessité de bouger, comme le montrent les conclusions du conseil Affaires étrangères du 14 mars dernier. Je pense que nous avons manqué de clarté hier, quand la Commission Barroso a parlé de contrat d’association : cela n’avait pas valeur de contrat d’adhésion. C’est cette ambiguïté qui a généré des crispations de notre voisin, ce qui ne gomme en rien son action dans le Donbass et en Crimée.
Le Président Junker a ainsi prévu de se rendre au Forum économique international de Saint-Pétersbourg le 16 juin prochain. C’est un signe positif que nous devons encourager. Je crois que notre proposition de résolution européenne va dans ce sens.
Pour conclure, je pense que nous devons regarder au-delà des sanctions. Nous avons besoin d’une politique européenne envers la Russie. Je note le rendez-vous particulier que nos deux rapporteurs de la commission des affaires européennes Simon Sutour et Yves Pozzo di Borgo ont eu avec notre ambassadeur Pierre Sellal et avec le secrétaire général au service européen pour l’action extérieure, Alain Le Roy. J’oserai dire que, pour reprendre les propos de Simon Sutour, nous sommes passés de l’embargo à l’embarras.
M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.
M. Jean Bizet. Au travers de cette résolution européenne se dessine un engagement de l’Union européenne à penser autrement les relations avec la Russie, et c’est pourquoi je ne voterai pas la motion tendant à opposer la question préalable proposée par notre collègue Hervé Maurey.
Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE et du groupe CRC.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
La commission a émis un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable.
Je préciserai tout d’abord qu’il s’agit d’un avis fondé, découlant des travaux que la commission mène depuis déjà un certain temps sur ces sujets, et du rapport approfondi signé l’année dernière par nos collègues Robert del Picchia, Josette Durrieu et Gaëtan Gorce. Préconisant une désescalade, celui-ci allait dans le sens de la résolution qui nous est aujourd'hui proposée. C’est donc une démarche déjà ancienne à laquelle nous adhérons.
Deuxièmement, l’Assemblée nationale s’étant montrée très imprudente sur ce sujet, je crois qu’il était nécessaire d’apporter détermination et tempérance à cette approche. C’est le rôle du Sénat, qui, après un examen approfondi en commission des affaires européennes, puis un autre examen en commission des affaires étrangères, discute d’un texte qui, me semble-t-il, donne toute satisfaction.
Troisièmement, sur l’essentiel, ce texte n’est pas du tout ambigu eu égard à nos convictions. Oui, nous condamnons l’annexion de la Crimée, et puisque vous y teniez, monsieur le secrétaire d'État, nous l’avons condamnée deux fois : au début et à la fin, dans l’alinéa 5 et dans l’alinéa 14. Nous affirmons clairement que nous sommes favorables aux accords de Minsk, qui font partie de la solution pour une sortie de crise, et dont l’application nous permettra d’envisager l’évolution des sanctions. Cette proposition de résolution est ainsi l’occasion de réaffirmer nos convictions sans ambiguïté, notamment en condamnant l’annexion de la Crimée, qui est une atteinte fondamentale au droit international.
Mais, quatrièmement, nous affirmons dans le même temps que nous voulons favoriser le dialogue politique. L’on nous dit, et je le comprends bien, que les parlementaires russes ne sont pas comme nous. Mais quand on veut sortir d’une crise politique par la discussion, on ne choisit pas toujours ses interlocuteurs, et il faut quelquefois parler avec des gens que nous avons combattus ! La paix se trouve dans le dialogue, quelquefois même avec l’ennemi. Par définition, la voie du dialogue amène à négocier avec des interlocuteurs qui nous sont désignés plus que nous ne les désignons, et qu’il faut essayer de convaincre. Il est important de faire ce travail-là aujourd'hui.
M. Jacques Mézard opine.
Le président du Sénat et les commissions des affaires étrangères et des affaires européennes ont d’ailleurs engagé un dialogue avec le Conseil de la Fédération et les parlementaires russes.
Nous n’avons pas le sentiment de trahir nos convictions, mais nous pensons que l’avenir de notre pays et de notre politique étrangère ne peut se faire sans construire un véritable dialogue avec la Russie, sans essayer de comprendre un certain nombre de ses objectifs et de la faire évoluer ; autrement dit, sans retrouver la véritable voie de la France, c'est-à-dire l’indépendance, la capacité de pouvoir parler avec les États-Unis, la Russie, l’Iran. L’indépendance nationale se construit dans l’équilibre de tous les dialogues, et c’est pour cela que nous avons été une majorité à approuver ce texte.
Applaudissements
Le président de la commission des affaires étrangères vient de démontrer que la sagesse était son guide. Sa parole était d’or, et la voie me semble ouverte pour une résolution claire.
Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée concernant cette motion tendant à opposer la question préalable.
Notre groupe unanime votera contre cette motion tendant à opposer la question préalable.
Le président de la commission des affaires étrangères Jean-Pierre Raffarin a conclu son propos sur l’indépendance de la diplomatie française et sur la nécessité de renouer un dialogue avec la Russie. J’aurai l’occasion d’en redire un mot lors de la discussion générale, mais ce point nous est particulièrement cher. Le Parlement, le Sénat ont une parole diplomatique, et la diplomatie parlementaire est positive lorsqu’elle se donne pour objectif de conforter, de restaurer l’indépendance de la diplomatie française.
Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
Notre collègue Hervé Maurey considère que cette proposition de résolution est inopportune ; elle envoie, selon lui, un signal de faiblesse et d’encouragement à la Russie. Le groupe CRC ne partage pas cet avis.
D’une part, parce que cette proposition de résolution condamne clairement l’annexion de la Crimée et réaffirme l’intangibilité des frontières.
D’autre part, parce qu’elle ne dédouane ni la Russie ni l’Ukraine des difficultés que nous observons dans la mise en œuvre des accords de Minsk.
En revanche, nous ne pouvons que constater l’impasse dans laquelle nous a conduits la logique des sanctions. À nos yeux, il est urgent de s’interroger sur l’efficacité de cette logique dans la mesure où les sanctions ne débouchent pas sur une solution politique ou diplomatique.
C’est pourquoi nous considérons que cette proposition de résolution nous donne, au contraire, l’opportunité de proposer une initiative qui va dans le sens d’un dépassement de la crise que nous connaissons. C'est la raison pour laquelle notre groupe votera contre la motion tendant à opposer la question préalable.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
La commission des affaires étrangères et la commission des affaires européennes ont tant travaillé sur cette proposition de résolution que nous pouvons dire aujourd'hui qu’elle est équilibrée. Ayant fait la part des choses, celle-ci est là pour ouvrir en quelque sorte des perspectives. Elle ne contient pas d’injonction ; elle exprime le souhait que les parlementaires français rouvrent les perspectives d’un dialogue avec la Russie. Tout était jusqu’à présent fondé sur l’idée même que l’expression du Parlement français était celle de l'Assemblée nationale. Mais le texte débattu par l'Assemblée nationale était tellement excessif, tellement outrancier, je le redirai ultérieurement dans la discussion générale, que nous ne pouvions en rester là.
Amendée telle qu’elle l’a été, retravaillée comme elle l’a été, nous voterons la proposition de résolution qui est aujourd'hui soumise à notre approbation et nous nous exprimerons donc contre la motion tendant à opposer la question préalable.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
Je mets aux voix la motion n° 27, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de résolution.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 241 :
Le Sénat n'a pas adopté.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Leila Aïchi.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous examinons cet après-midi aborde un sujet d’actualité éminemment complexe et sensible. Et c’est justement la raison pour laquelle je tiens, tout d’abord, à saluer l’approche de conciliation adoptée lors de l’élaboration de ce texte.
En ouvrant la réflexion aux commissions des affaires européennes et des affaires étrangères, mais aussi à la présidence du Sénat ainsi qu’au ministère des affaires étrangères, vous êtes parvenus à un texte qui, tout en soulevant un certain nombre de questions, a rassemblé en commission.
Sur la forme, ce texte s’inscrit de plain-pied dans la diplomatie parlementaire à laquelle nous sommes particulièrement attachés ici.
En effet, au travers de cette initiative, vous invitez le gouvernement français à une reprise du dialogue ainsi qu’à un allégement progressif et partiel du régime des sanctions applicables à l’encontre de la Russie, conditionné par la mise en œuvre des accords de Minsk II. Vous appelez également à une réciprocité de ces engagements du côté russe.
L’approche est donc radicalement différente de celle qui a été défendue par la proposition de résolution adoptée par l’Assemblée nationale le 28 avril dernier, qui demandait le non-renouvellement et la levée immédiate des sanctions européennes dans leur ensemble ; ce point doit être souligné.
En outre, vous l’avez rappelé, le régime des sanctions européennes trouve son origine dans l’annexion illégale de la Crimée par la Russie et la violation de l’intégrité du territoire d’une puissance souveraine.
Le groupe écologiste condamne fermement cette violation du droit international, et il était impératif que cela apparaisse dans cette proposition de résolution, même s’il est vrai que le terme « regrettant » figurant à l’alinéa 5 reste faible, eu égard au contexte.
Nous ne pouvons pas faire l’impasse sur l’attitude du régime russe à la fois sur son territoire au regard des droits de l’homme, mais également au niveau de son voisinage. Cette proposition de résolution ne peut constituer un blanc-seing pour la Russie.
Face à cette situation, si les sanctions européennes ont constitué, au moment où elles ont été prises, un signal fort et une manifestation indispensable de la fermeté européenne, elles n’ont pas eu jusqu’à présent tous les effets escomptés. Leur utilité à ce moment-là ne peut pas être remise en cause. Mais, force est de constater que, près de deux ans après le début du conflit, la situation est aujourd’hui gelée et que nous nous trouvons dans une impasse diplomatique.
Alors que le Conseil européen du 19 mars 2015 conditionne la levée des sanctions à une application intégrale des accords de Minsk II, leur mise en œuvre, plus d’un an après, est loin d’être satisfaisante, et ce malgré tous les efforts déployés par les médiateurs : la situation sécuritaire sur le terrain demeure précaire, avec des violations répétées du cessez-le-feu ; les réformes politiques en Ukraine n’ont pas particulièrement avancé ; la question de la Crimée se pose toujours et la Russie contrôle encore près de 400 kilomètres de frontières communes.
Certes, quelques avancées récentes permettent d’équilibrer légèrement ce bilan, mais elles restent bien minimes face à la situation réelle sur le terrain.
Celle-ci ne saurait perdurer, et nous devons, par la voie diplomatique, impulser une relance du processus de résolution.
Plus encore, sur le plan international, alors que nous traversons une période de grande instabilité, notamment dans notre voisinage proche et éloigné, l’Union européenne peut-elle se passer d’un partenaire tel que la Russie ?
Face aux défis multidimensionnels auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés, à la fois sécuritaires, diplomatiques et humanitaires, nous devons placer notre action dans le cadre d’une coalition internationale la plus large possible.
Force est de constater que la Russie est un interlocuteur incontournable sur la scène internationale et constitue un partenaire dans notre engagement au Moyen-Orient dans la lutte contre Daech. Il paraît donc nécessaire de multiplier les échanges, afin de répondre à ces enjeux communs.
Je me permets ici de citer un passage du livre intitulé Qui est l’ennemi ? du ministre de la défense : « Face à cette menace, dont l’ambition et les canaux sont mondiaux, il nous faut suivre une stratégie elle-même mondiale qui puisse associer tous ceux – et ils sont nombreux – qui se retrouvent désignés par Daech comme ses ennemis, mais aussi, plus largement, tous les membres des Nations unies. » Dont acte.
Une fois cela dit, je ne souhaite pas non plus laisser entendre que seules les sanctions européennes ont un impact sur nos relations avec la Russie. En effet, non seulement la Russie a violé le droit international, mais elle a également mis en place un certain nombre de mesures de rétorsion au travers, notamment, d’embargos sur les produits alimentaires. Et la persistance de cette situation se fait au détriment direct des populations et des entreprises des deux côtés.
Le volume des échanges entre l’Union européenne et la Russie a été divisé par deux et, en un an, les exportations alimentaires européennes vers la Russie ont chuté de 29 %.
C’est pourquoi il était important que la réciprocité des engagements du côté russe soit explicitement intégrée au dispositif de la résolution, notamment en ce qui concerne l’embargo décidé antérieurement à la crise ukrainienne et qui pénalise grandement nos agriculteurs.
Dans l’état actuel du texte, tout en saluant la démarche de conciliation qui a été entreprise, tout en rappelant l’objectif final de s’acheminer vers une mise en œuvre effective et complète des accords de Minsk II et tout en reconnaissant l’impasse diplomatique dans laquelle nous sommes, la majorité du groupe écologiste, avec des divergences de points de vue, s’abstiendra.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, si la proposition de résolution de notre collègue promeut un allégement progressif des mesures restrictives et des sanctions économiques visant la Russie, je regrette qu’elle ne demande pas tout simplement leur levée immédiate. Car, du point de vue économique autant que géostratégique, les conséquences de ces sanctions sont un désastre.
À la suite des mesures prises par l’Union européenne lors de la crise ukrainienne, la sanction russe ne s’est pas fait attendre : depuis le 7 août 2014, fruits, légumes, viandes, poissons, lait et produits laitiers ne peuvent plus être importés en Russie.
Selon Eurostat, au premier trimestre 2015, nos exportations agroalimentaires vers la Russie ont chuté de 33, 6 %. La France exportait vers la Russie 70 000 tonnes de porc, soit un cinquième de la consommation dans ce pays. L’interdiction de l’exportation de porc vers la Russie a, selon l’interprofession nationale porcine, coûté 500 millions d’euros de février à août 2014.
Cette situation est absolument dramatique pour nos agriculteurs ; c’est même, je le dis, un véritable coup de poignard de l’Union européenne et de notre gouvernement. Et le temps joue contre nous ; le terrain perdu sera difficile à reprendre. Il est illusoire de croire que la production française arrivera, une fois les sanctions levées, à récupérer la totalité des marchés perdus, d’autant que d’autres pays comme l’Allemagne et ses grands groupes agroalimentaires, en particulier Tönnies, groupe leader en Europe, peuvent s’engouffrer dans la brèche.
De plus, les Russes saisissent l’occasion de cet embargo pour développer leur propre production.
Rappelons, par ailleurs, que ce sont 1 200 entreprises françaises qui sont présentes sur le territoire russe, créant près de 100 000 emplois indirects en France par les projets russes de la France.
Pour parachever ce tableau, on constate que, pendant que nos agriculteurs se suicident, les Américains continuent de commercer avec la Russie : les échanges entre ces deux pays ont même augmenté de 7 %. « Cocus et contents ! »
« L’Europe est aussi précieuse à un Russe que sa Russie ; chaque pierre y est douce à son cœur », disait Dostoïevski. Alors, il est temps, mes chers collègues, de reconsidérer nos relations et notre géostratégie, et de saisir l’occasion d’envoyer un signal positif à la Russie, alliée historique de la France.
Car les sanctions dont nous débattons relèvent en réalité d’une logique idéologique : Bruxelles a saisi au bond la crise russo-ukrainienne pour jeter l’opprobre sur Moscou. À grands coups de « bien-pensance » béate et de recours au droit international à géométrie variable, l’Union européenne méprise l’histoire et le droit à l’autodétermination.
Pourtant, la Crimée s’était exprimée sans hésitation en 1991 sur ses attaches avec la Russie, avant même l’indépendance de l’Ukraine.
Avant 1989, il était naturel d’être les alliés des États-Unis. Maintenant que la menace soviétique n’existe plus à l’Est, l’OTAN est devenue un instrument d’assujettissement des nations occidentales par Washington.
La France doit en sortir pour retrouver sa liberté et reprendre son rôle à la tête d’une grande Europe des nations. Une Europe de « l’Atlantique à l’Oural » conforme au désir du général de Gaulle, qui savait, même à l’époque du communisme, que, derrière l’URSS, il y avait la Russie.
Dans un contexte économique difficile, il serait judicieux de favoriser et de développer nos échanges avec un pays détenant 20 % des richesses naturelles mondiales. Revenir sur ces sanctions est une nécessité absolue.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, notre groupe votera unanimement cette proposition de résolution.
À quelques jours du prochain Conseil européen, nous saluons l’initiative de nos collègues Yves Pozzo di Borgo et Simon Sutour, auteurs de ce texte, qui ont bien travaillé et ont œuvré dans le bon sens. Ce débat nous permet aujourd'hui d’évaluer à la fois l’efficacité et l’opportunité du régime des sanctions instauré à l’encontre de la Russie dans le contexte de la crise ukrainienne.
En vérité, il est plus que temps de regarder avec lucidité les limites de cette décision plusieurs fois renouvelée et conditionnée sur le terrain à l’application des accords de Minsk. De ce point de vue, je salue le travail accompli par le président de la commission des affaires étrangères, fort de son expérience et de son sens de la diplomatie réaliste ; nous sommes sensibles à la nécessité, qu’il a rappelée, d’une diplomatie française indépendante.
Au demeurant, monsieur le secrétaire d’État, il est incontestable que le Président de la République a joué dans la conclusion des accords de Minsk un rôle efficace et utile. Si les sanctions ont pu freiner les initiatives russes dans le Donbass et encourager les accords, c’est tant mieux.
Reste que l’issue du conflit dépend aussi de la capacité de l’Ukraine à appliquer les réformes politiques prévues. Or le projet de révision constitutionnelle sur la décentralisation, qui prévoit la reconnaissance d’un statut spécifique pour le Donbass, n’a toujours pas été examiné en seconde lecture par le parlement de ce pays, pour des raisons politiques que nous connaissons tous.
Les progrès dans la mise en œuvre des accords de Minsk sont réels, mais, nous le concédons, timides. Toujours est-il que des processus ont été engagés, et que la France y a pris une large part.
En attendant que ces processus aboutissent complètement, soyons lucides, je le répète, sur les conséquences du régime de sanctions, qui s’avèrent de plus en plus négatives pour l’Union européenne et donc pour la France.
En plus des sanctions économiques, des sanctions personnelles ont été décidées contre certains parlementaires russes. Je considère cette idée comme saugrenue et contraire à la recherche d’un progrès pour la résolution du conflit local : penser que l’on pourrait régler les problèmes en prenant des sanctions personnelles contre des parlementaires est absurde !
MM. Christian Cambon, vice-président, et Robert del Picchia, rapporteur de la commission des affaires étrangères, opinent.
Je ne reviendrai pas, monsieur le secrétaire d’État, sur les conséquences économiques des sanctions pour notre pays dans les domaines agricole et industriel. Je n’en remettrai pas non plus une couche en ce qui concerne les Mistral, que l’on a refusé de vendre aux Russes pour les vendre aux Égyptiens, qui ont des accords avec les Russes et dont le régime actuel ne s’est pas véritablement illustré sur le plan des droits de l’homme, chers à certains en dehors de cet hémicycle, en faisant tirer à la mitrailleuse sur des manifestants et en exécutant plusieurs centaines d’entre eux…
De grâce, redevenons réalistes : l’embargo russe qui nous a frappés en réplique aux sanctions a eu des conséquences. Soyons aussi logiques et lucides, monsieur le secrétaire d’État : on ne peut pas sérieusement appeler la Russie à participer à une grande coalition contre Daech, une coalition militaire, tout en maintenant les sanctions actuelles ; et on ne peut pas vouloir reconduire ces sanctions tout en demandant aux Russes de lever l’embargo sur nos produits agricoles.
Vous le savez d’ailleurs très bien, monsieur le secrétaire d’État.
En matière de diplomatie, il faut du temps, de la patience et de la sagesse pour que les choses évoluent peu à peu.
J’ajoute, car il faut le dire, qu’il est trop facile de lancer des anathèmes au nom des droits de l’homme.
Mme Sophie Joissains et M. Claude Kern opinent.
L’Occident s’est-il illustré en Irak ? Et en Libye ? Une diplomatie sur laquelle pèsent ou sembleraient peser les déclamations de philosophes comme Bernard-Henri Lévy est-elle une bonne diplomatie ? Nous ne le croyons pas !
Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains. – M. David Rachline applaudit également.
Il ne s’agit pas d’être seulement pragmatique : nous sommes, en effet, le pays des droits de l’homme, et nous y sommes attachés ; mais sachons faire preuve de mesure, et aussi respecter l’histoire et la géopolitique.
D’où vient la Russie ? Voilà plus de trente ans, imaginions-nous que l’Union soviétique allait s’effondrer ? Que des États allaient se reconstituer dans une situation de crise ? Avons-nous suffisamment mesuré les problèmes de la Russie avec les islamistes ? Avant de condamner, soyons lucides, je le répète, et efforçons-nous d’être efficaces.
Rappelons donc, à la suite du Président de la République et de notre diplomatie, qui ont beaucoup œuvré pour les accords de Minsk, nos grandes conceptions, à commencer par la nécessité de résoudre les conflits par le dialogue et non pas la guerre, mais sachons aussi être réalistes.
Un amendement a été déposé pour condamner ce qui s’est passé en Crimée. Sans doute, il n’est pas bien de passer outre aux règles internationales ; mais souvenez-vous tout de même que lorsqu’une immense majorité de citoyens appellent à une solution dans un sens, il est difficile de ne pas les suivre !
Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – MM. Christian Cambon, vice-président, et Robert del Picchia, rapporteur de la commission des affaires étrangères, applaudissent également.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de résolution sur les sanctions à l’encontre de la Fédération de Russie est soumise à notre examen dans le contexte d’un regain de tension entre ce pays, l’Alliance atlantique et certains membres de l’Union européenne. C’est dans ces circonstances que, les 28 et 29 juin, le Conseil européen doit aborder de nouveau la question de la reconduction de ces sanctions.
Notre groupe considère que cette proposition de résolution présentée par nos collègues Yves Pozzo di Borgo et Simon Sutour est opportune, car elle nous permet de débattre avec le Gouvernement de la position qui pourrait être celle de la France lors de ce sommet.
Malheureusement, ce Conseil européen ne s’ouvrira pas sous les meilleurs auspices. Voilà quelques jours, en effet, la Haute Représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Mogherini, envisageait une nouvelle prolongation des sanctions économiques qui frappent la Russie depuis août 2014.
Près de deux ans après les événements qui ont provoqué cette crise, il faut malheureusement constater la persistance d’une guerre sourde que se livrent l’Union européenne, l’OTAN et la Russie sur les plans économique et géostratégique. Il faut donc regarder la situation avec lucidité, afin de pouvoir rapidement prendre des initiatives permettant de résoudre progressivement cette crise. Or il me semble que les suggestions faites au Gouvernement par les auteurs de la proposition de résolution peuvent y contribuer.
L’un des principaux points de blocage réside dans le gel du processus des accords de Minsk signés entre Kiev et Moscou en février 2015 pour ramener la paix dans les régions orientales séparatistes de l’Ukraine. Aujourd’hui, les deux principaux artisans de ces accords, l’Allemagne et la France, soupçonnent la Russie, sans doute avec quelques raisons, de ne rien entreprendre pour faire évoluer la situation dans le bon sens et, même, de continuer à armer les séparatistes. De fait, la Russie ne semble pas très empressée de rétablir la confiance entre les différents protagonistes de ces accords. Quant au président ukrainien, il persiste à entraver la mise en œuvre de l’une des clauses importantes des accords : une révision de la constitution ukrainienne permettant la tenue d’élections dans les régions séparatistes.
La Russie sait jouer de la méfiance qui s’est instaurée entre les différentes parties prenantes et du rapport de force sur lequel elle veut établir ses relations avec l’Union européenne. Voilà quinze jours, le Premier ministre russe a ainsi menacé de prolonger de dix-huit mois l’embargo alimentaire sur les produits européens, si les sanctions de l’Union européenne sont reconduites. Cette attitude, symétrique de celle qu’ont adoptée certains pays de l’Union européenne, montre bien les dangers d’escalade de la tension et l’impasse politique dans laquelle nous sommes tous engagés.
Cette politique de sanctions instaure un rapport de force stérile et dangereux ; elle ne résout rien et ne peut constituer une solution politique ni diplomatique.
De surcroît, elle a des conséquences néfastes pour les uns et pour les autres. Sur le plan financier, l’addition pour l’Europe se monterait à environ 9, 5 milliards d’euros. En France, pour la seule filière agroalimentaire du porc, dont les exportations vers la Russie s’élevaient avant 2015 à 70 000 tonnes de viande, les pertes sont estimées à 800 millions d’euros. Dans les secteurs du bâtiment et des transports, nous avons eu à souffrir, plus que d’autres peut-être, de la perte de marchés.
Outre cette dimension économique, le conflit présente un second aspect marquant : la guerre militaire.
Depuis le début de la crise ukrainienne, l’OTAN multiplie ses manœuvres aériennes, maritimes et terrestres à l’Est. Le mois dernier, les chefs de la diplomatie des pays membres de l’OTAN se sont retrouvés à Bruxelles pour mettre sur pied un projet de renforcement militaire sur le flanc est-européen. Lors du prochain sommet de l’organisation, qui se tiendra au mois de juillet à Varsovie, cette décision sans doute sans précédent depuis la fin de la guerre froide devrait être finalisée. Elle se concrétisera par l’envoi de nouvelles troupes de combat aux frontières de la Russie, dans les pays baltes et en Pologne.
Face à une situation qui se dégrade et risque de se tendre davantage, il est temps de prendre des initiatives susceptibles d’enclencher une véritable dynamique politique et diplomatique de règlement du conflit. La France et l’Allemagne, son partenaire privilégié, doivent à nouveau être à l’initiative et faire entendre leur voix avec force.
Cette proposition de résolution est suffisamment équilibrée et diplomatique pour ménager les sensibilités au sein de l’Union européenne, ne pas ajouter au contentieux avec la Russie et, ainsi, permettre le rétablissement de relations de confiance entre les protagonistes du conflit.
Elle condamne clairement le fait accompli de l’annexion de la Crimée et ne cède pas sur le principe de l’intangibilité des frontières : des concessions en la matière auraient pu être interprétées par Moscou comme un aveu de faiblesse. Avec un allégement progressif et partiel des sanctions, conditionné à une réelle mise en œuvre des accords de Minsk, elle ouvre la voie à une solution réaliste qui peut être rapidement mise en œuvre.
Nous espérons que, lors du Conseil européen qui se tiendra dans quelques jours, le chef de l’État ne cédera pas, au prétexte de se rallier à une unité européenne de façade, aux arguments des États membres qui veulent obstinément et aveuglément prolonger le régime de sanctions. Nous souhaitons donc que l’invitation du Sénat à agir pour obtenir un allégement partiel et progressif de celles-ci soit entendue et partagée.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sous réserve des amendements qui pourraient être adoptés, le groupe communiste républicain et citoyen votera la proposition de résolution !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain, de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains. – MM. Christian Cambon, vice-président, et Robert del Picchia, rapporteur de la commission des affaires étrangères, applaudissent également.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, voilà des mois que la situation dans l’est de l’Europe et les relations de l’Union européenne avec la Russie préoccupent le Sénat. De fait, l’examen de la présente proposition de résolution fait écho à certaines de nos discussions antérieures : je pense aux débats préalables à un Conseil européen ou à la ratification d’accords d’association, qui ont chaque fois fait ressortir la difficulté à trouver une position équilibrée, tant les situations sont complexes et les torts, souvent, partagés.
Pour ma part, je considère que tout doit être entrepris pour restaurer les liens d’amitié et de confiance entre l’Union européenne et la Russie. Pour autant, on doit à ses amis de dire la vérité. Il faut donc rappeler que les opinions européennes ont été profondément choquées par certaines opérations en Tchétchénie comme par la guerre éclair de Géorgie. Depuis des mois, c’est à l’évidence la situation ukrainienne qui inquiète les Européens, après l’annexion par la force de la Crimée, en violation de l’intégrité territoriale de l’Ukraine et en méconnaissance du principe fondamental d’intangibilité des frontières. Personne ne conteste cela, en tout cas pas les auteurs de la proposition de résolution.
Face à cet état de fait, condamné par la communauté internationale, les sanctions européennes prennent tout leur sens, même si, comme il a été rappelé, l’embargo russe pèse sur les puissances agricoles de l’Union européenne, à commencer par la France.
Les Ukrainiens ont fait le choix de la démocratie, de l’économie de marché et de l’Europe. L’Europe doit les aider à s’y tenir et veiller à ce que leur révolution ne soit pas détournée au profit de quelques-uns.
La relation Union européenne-Russie postérieure à la guerre froide, pourtant prometteuse, s’est compliquée sous le double effet d’un élargissement rapide à l’Est, mésestimant l’environnement régional, et du Partenariat oriental de l’Union européenne, censé asseoir la stabilité des contours orientaux de celle-ci, mais qui a conduit à une sorte d’impasse en plaçant les anciens pays du bloc soviétique devant un choix cornélien : l’Union européenne ou la Russie.
De plus, en permettant d’intégrer l’acquis communautaire, Bruxelles a entretenu l’ambiguïté sur le devenir des pays du Partenariat oriental et fait craindre à la Russie d’être marginalisée par les normes.
À ce contexte européen s’ajoutent les activités intenses de l’OTAN, au demeurant compréhensibles, pour élargir le cercle de ses membres aux pays d’Europe centrale et orientale, voire au Caucase.
Tous ces bouleversements ont été perçus par Moscou comme autant d’immixtions dans son « étranger proche » ; des immixtions auxquelles, il faut bien le dire, la Russie a parfois surréagi.
Reste que la Russie ne gagnera rien à provoquer l’Europe ; à cet égard, il faut être clair. Quant à l’Europe, à bien des égards, elle n’a rien à gagner non plus à affaiblir la Russie.
Malgré des investissements importants, notamment dans le domaine de la défense et de l’énergie, la Russie demeure un pays fragile. La volonté de la faire entrer de plain-pied dans le XXIe siècle ne suffit plus. Son économie marque le pas, plombée notamment par la baisse des cours des hydrocarbures. En somme, alors que les heures les plus sombres pour elles paraissent passées et qu’elle n’est plus tout à fait la puissance pauvre décrite par les experts, il semble que la Russie demeure une puissance fragile, bien qu’elle ait su de nouveau se doter du solide outil diplomatique et militaire qui a souvent fait sa force au cours de l’histoire.
Aujourd’hui, il ne me paraît pas responsable de laisser perdurer des situations d’extrême tension qui peuvent dégénérer. Les conditions d’une désescalade avec la Russie doivent être trouvées.
Je considère, pour ma part, que cette proposition de résolution traduit une vision équilibrée ; elle doit être comprise comme un signe en faveur d’une relation renouvelée avec la Russie, mais un signe conditionné, étant entendu que chacun devra faire un pas. Voilà pourquoi je voterai la proposition de résolution, qui me paraît en tout point conforme à l’esprit des accords de Minsk !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Bernard Vera applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, chacun conviendra que la situation qui règne aux portes de l’Europe, à nos portes, n’est pas tenable : après que la Russie eut annexé la Crimée en mars 2014, l’Union européenne a, à juste titre, mis en place des sanctions à son encontre ; mais nous pouvons constater que la situation a peu évolué. Aujourd’hui, j’en ai la conviction, le statu quo n’est pas possible.
Parce que la France est l’amie de la Russie, nous entretenons avec elle une relation exigeante. C’est dans cet esprit que des sanctions ont été prises. Nous savons bien pourtant que, pas plus ici et aujourd’hui qu’en d’autres lieux et en d’autres époques, les sanctions ne suffisent pas à dénouer un conflit.
La signature des accords de Minsk, pour laquelle le président Hollande et la chancelière Merkel ont joué un rôle moteur, a constitué un premier pas vers le retour au dialogue. Pourtant, plus d’un an après, ces accords ne sont toujours pas pleinement appliqués.
Que devons-nous donc faire ? Regarder ailleurs en espérant que cela passe ne serait pas responsable. Renforcer les sanctions ne serait pas plus utile. C’est parce que nous en avons parfaitement conscience que la commission des affaires européennes, sur l’initiative d’Yves Pozzo di Borgo et de Simon Sutour, a élaboré une proposition de résolution visant à une levée partielle et progressive des sanctions à l’encontre de la Russie.
Le statu quo n’étant ni possible, comme je l’ai dit d’emblée, ni souhaitable, il nous semble que la levée des sanctions proposée – une levée, j’y insiste, progressive et partielle – permettrait de renouer le dialogue avec la Russie. Parler sereinement avec la Russie est dans l’intérêt de chacune des parties, parce que notre objectif commun doit être de dénouer le plus rapidement possible la crise ukrainienne.
Si dénouer la crise ukrainienne est absolument nécessaire, le dégel des relations avec la Russie l’est aussi. En effet, nous avons des défis communs à relever : la lutte contre le terrorisme, la résolution de la situation au Proche-Orient ou encore les négociations climatiques. Il y va de notre sécurité ; il y va de notre avenir commun.
Cela est également nécessaire parce que nous avons des intérêts à défendre : les États membres souffrent de la perte d’opportunités sur le marché russe et des effets des contre-sanctions. La crise de la filière porcine en France en est une terrible illustration et je sais que vous êtes nombreux ici à en constater quotidiennement les effets dans vos régions. C’est également le cas de la filière laitière. In fine, presque tous les pans de notre agriculture sont touchés et nous devons agir pour la protection des intérêts de nos territoires.
Rappelons également l’affaire des vaisseaux Mistral et les conséquences de cet épisode pour notre industrie de la défense.
Le temps des sanctions doit désormais faire place à celui du dialogue. Pour toutes ces raisons, il semble nécessaire d’alléger les sanctions européennes sous réserve, évidemment, que les Russes prennent des mesures similaires à notre égard.
Nous sommes profondément attachés au rôle que doivent jouer la France et l’Union européenne pour parvenir au dénouement de cette situation, et cette proposition de résolution va dans le bon sens. Ouvrir la voie à la discussion est profondément ancré dans nos valeurs et c’est ce que nous proposons ici.
Chacun des membres du groupe UDI-UC votera selon sa conscience. Pour ma part, après une profonde réflexion et après en avoir évalué les avantages et les inconvénients, je voterai en faveur de la proposition de résolution, que je trouve équilibrée et, par-dessus tout, résolument nécessaire.
Applaudissements sur certaines travées de l’UDI-UC, du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain, ainsi qu’au banc des commissions.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes appelés à nous prononcer sur une résolution initiée par la commission des affaires européennes et relative à la prolongation des sanctions émises contre la Russie, sujet à l’ordre du jour du Conseil européen des 28 et 29 juin. Ces sanctions font suite à l’annexion de la Crimée par la Russie en mars 2014 et au soutien manifeste des séparatistes du Donbass par les Russes.
Ce conflit a causé près de 10 000 morts, 20 000 personnes ont été blessées et des centaines de milliers d’habitants ont été contraints de fuir les zones de combat, ce qui a créé une situation humanitaire insupportable.
Ce rappel est nécessaire pour lever toute ambiguïté quant aux objectifs de cette proposition de résolution et il justifie l’amendement de notre groupe visant à condamner, à l’alinéa 5 du texte, cette annexion, pour souligner ainsi qu’il y a un agresseur, la Russie, et un agressé, l’Ukraine. Bien qu’ayant conclu plusieurs accords reconnaissant les frontières des deux États et l’appartenance de la Crimée à l’Ukraine, la Russie a délibérément violé le droit international, et elle a remis en cause l’intangibilité des frontières, l’ordre européen et la stabilité du continent.
Cette proposition de résolution réaffirme notre volonté d’une issue au conflit et d’une mise en œuvre rapide des accords de Minsk. Elle pose une question, celle de l’efficacité des sanctions, et elle fait une proposition.
C’est tout à fait légitimement que le Conseil européen a décidé, dès mars 2014, d’appliquer un régime de sanctions contre la Russie en réponse à des actions d’une extrême gravité. C’était légitime et légal, car approuvé par les vingt-huit États membres dans le respect des traités.
Ces sanctions sont de plusieurs ordres. Elles sont d’ordre individuel, d’ordre diplomatique et politique et d’ordre économique, avec la limitation de l’accès des banques et grandes entreprises d’État russes aux marchés financiers et aux capitaux européens, limitation assortie d’embargos sectoriels.
Pour la Russie, les conséquences économiques sont réelles. L’impact de ces sanctions est estimé par le Fonds monétaire international à 1, 5 point de produit intérieur brut. Cela amplifie les difficultés du pays liées à la dégradation des cours du pétrole, à la chute du rouble et aux déficiences structurelles que sont le manque flagrant d’investissement et la grande dépendance aux matières premières.
Pour l’Union européenne, les conséquences des sanctions adoptées en réaction sont significatives, en particulier pour les filières agricoles, bien que – rappelons-le – les sanctions qui concernent la filière porcine aient été prises antérieurement.
Toutefois, quel que soit l’impact de ces sanctions, les difficultés engendrées ne peuvent justifier, contrairement à ce que certains plaident, la levée des sanctions. Celles-ci sont un instrument au service d’une politique, avec pour objectif un changement de comportement de la Russie.
Or, de l’avis général, ces mesures prises entre mars et septembre 2014 ont entraîné une désescalade et ont permis de contenir le conflit. Elles ont contribué à amener la Russie à la table des négociations dans le format « Normandie », sous l’égide du Président de la République et de la chancelière allemande, et l’ont conduite à ratifier les accords de Minsk. Elles ont été jugées utiles et elles le restent ; elles sont notre unique moyen de pression, personne n’ayant sérieusement envisagé de s’opposer militairement à la Russie.
Des avancées ont été obtenues : signature d’un protocole sur le retrait des armes légères, progression du déminage, rétablissement du paiement des pensions, redémarrage des échanges et premier échange officiel de prisonniers, le 25 mai dernier, entre la pilote Nadia Savtchenko et deux militaires russes.
Néanmoins, les négociations n’ont pas permis d’aller plus loin dans la mise en œuvre des accords, et la situation reste particulièrement tendue. Plusieurs soldats ukrainiens ont été tués cette semaine ; des progrès importants sont donc indispensables.
La Russie doit peser auprès des séparatistes pour que le cessez-le-feu soit intégralement respecté, que les armes lourdes soient retirées, que les observateurs de l’OSCE puissent circuler librement et en sécurité et que les échanges de prisonniers soient généralisés.
Les autorités ukrainiennes sont, elles aussi, attendues, notamment pour ce qui concerne la mise en œuvre du statut spécial pour le Donbass, la réforme de la Constitution, l’adoption d’une loi de décentralisation et l’organisation d’élections locales sans sous-estimer pour autant l’intransigeance des représentants séparatistes.
Le chemin entre fermeté et dialogue est étroit. Les Russes sont non pas des adversaires, mais des partenaires avec lesquels nous pouvons avoir des divergences ; et nous en avons une d’importance en ce qui concerne l’Ukraine. Cela dit, la France doit préserver une relation privilégiée avec la Russie, car il existe entre nos deux pays de puissants intérêts communs, en matière tant économique, technologique, spatiale et culturelle que, bien évidemment, politique et diplomatique. Nous sommes deux puissances membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et deux acteurs indispensables de la résolution des conflits internationaux, de la lutte contre Daech et d’une solution politique en Syrie.
Néanmoins, la Russie de M. Poutine ne reconnaît trop souvent que le rapport de force. Aussi faut-il, lorsque c’est nécessaire, en établir un ; c’est ce qu’ont fait les vingt-huit États membres de l’Union. Ce rapport de force doit être maintenu, sans pour autant s’apparenter à une punition humiliante. Le régime des sanctions est un moyen d’aboutir à la paix.
On peut toutefois s’interroger, à l’heure de la prolongation des sanctions et alors que les progrès sont insuffisants, sur la décision du Conseil européen du 19 mars 2015 de verrouiller le dispositif en conditionnant la levée des sanctions à la mise en œuvre intégrale et préalable des accords. Cela ne prive-t-il pas aujourd’hui le dispositif de la souplesse nécessaire pour qu’il puisse avoir dorénavant un réel effet incitatif ?
M. Simon Sutour s’exclame.
Trois pistes s’ouvrent actuellement à l’Union européenne. La première – le durcissement des sanctions – ne nous paraît pas la plus adaptée, car elle ne ferait qu’accentuer les tensions.
La seconde consiste à donner du temps, sans relâcher la pression, en prolongeant les sanctions de quelques mois et en espérant que cela contraigne les Russes à faire des progrès. Elle a le mérite de susciter l’unité de l’Union européenne et c’est celle qui semble aujourd’hui privilégiée.
La troisième, que suggère cette proposition de résolution, procède d’une attitude équilibrée alliant fermeté, dialogue et vigilance, et consiste à rendre possible une atténuation des sanctions en les hiérarchisant dès lors que des progrès substantiels seraient actés. On commencerait par travailler à la levée des sanctions affectant les parlementaires russes, sans précipitation, mais non sans délai, pour poursuivre un dialogue parlementaire utile. C’est ce qui justifie notre amendement à l’alinéa 19.
Nous voterons donc cette proposition de résolution, avec les deux amendements proposés par le groupe socialiste et républicain, résolution dont les termes ont été, monsieur le secrétaire d’État – félicitons-en les auteurs –, soigneusement pesés, ce qui justifierait qu’elle soit adoptée dans le texte de la commission des affaires étrangères.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC, et au banc des commissions. – M. Jean Bizet applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Poutine : 1, Europe : 0, Ukraine : - 1. En ce temps d’Euro 2016, on pourrait ainsi résumer l’esprit de cette résolution, qui m’afflige. Si, par malheur, le gouvernement français devait la suivre – mais j’ai cru comprendre avec plaisir, monsieur le secrétaire d’État, que vous faisiez preuve d’une certaine fermeté en la matière –, ce serait la victoire de Poutine. Comme tous les autocrates et les colonels du KGB, celui-ci sait qu’avec les démocraties il suffit d’attendre ; elles cèdent toujours les premières.
Cette résolution, c’est le drapeau blanc qu’il attend depuis deux ans. Pourtant, qu’est-ce qui, pendant cette période, a changé qui justifierait un changement de notre position ? Rien sur le terrain, au contraire ; les dernières semaines ont ainsi été en Ukraine les plus meurtrières de ces derniers mois. Les prorusses du Donbass et du Donetsk se sont renforcés, avec l’appui des Russes. Qu’est-ce qui a changé en Ukraine, qu’est-ce qui a changé en Crimée, qu’est-ce qui a changé en Abkhazie, en Ossétie, en Transnistrie, au Haut-Karabagh ? Qu’est-ce qui a changé en Syrie, où Poutine bombarde ceux que nous soutenons et épargne l’État islamique ?
Dans ces conditions, je ne comprends pas pour quelle raison il faudrait changer notre position. Était-elle belliqueuse ? Au contraire ! Lors de l’invasion de l’Ukraine, le couple franco-allemand a répondu en cherchant désespérément une négociation, qui a débouché sur les accords de Minsk. Personne ici ne les a contestés ; tout le monde – majorité comme opposition – les a soutenus. Qu’est-ce qui peut justifier qu’aujourd’hui on nous propose de les modifier ?
Les auteurs de la résolution sont d’ailleurs d’accord avec moi sur ce point. Ainsi, l’exposé des motifs indique ceci : « La France et l’Allemagne ont joué un rôle décisif dans la conclusion des accords de Minsk. Ceux-ci constituent une feuille de route à laquelle il faut se tenir […]. Y renoncer, ne serait-ce que partiellement, serait un très mauvais signal adressé aux protagonistes sur le terrain. »
Or la résolution propose exactement le contraire. En l’adoptant, le Sénat proposerait la levée des sanctions, conditionnelles pour certaines et inconditionnelles pour d’autres, c’est-à-dire l’opposé de la feuille de route, laquelle prévoit que les sanctions ne seront levées que lorsque les conditions contenues dans les accords de Minsk seront intégralement respectées.
On prétend ne proposer que des changements progressifs, partiels et sous condition de progrès sur le terrain. Les auteurs de cette résolution ont bien compris que la position caricaturale du texte Mariani à l’Assemblée nationale est tellement scandaleuse qu’elle est contre-productive et ils savent qu’elle ne passera pas au Sénat.
Ils proposent donc un changement « minime » pour ne pas choquer, pour ne pas effrayer, mais ce changement n’est pas minime, il est majeur ! Il s’agit de l’abandon de la ligne de Minsk. Une fois qu’on aura cédé sur quelques points mineurs, il sera si simple de tout détricoter, ce n’est qu’une question de temps.
D’ailleurs, c’est exactement ce qui est indiqué dans l’exposé des motifs : « Cette proposition de résolution ne constituerait qu’une première étape. En effet, les relations de l’Union européenne avec la Russie sont trop stratégiques pour être retenues indéfiniment en otage d’un débat récurrent sur les sanctions. » Cette phrase est un tour de passe-passe, un renversement inacceptable de la charge de la preuve. Les relations entre l’Europe et la Russie ne sont pas l’otage d’un débat récurrent sur les sanctions, elles sont l’otage de la présence des troupes russes en Ukraine et de l’annexion de la Crimée !
Le drame de cette résolution est qu’elle capitule devant Poutine. Si elle était suivie par la France, et si j’étais Poutine, je me dirais : « Ça y est, c’est fait, comme toujours, ils sont en train de céder, de reculer sans que j’aie eu besoin de bouger le petit doigt. »
Contrairement à ce que croient les auteurs de cette résolution, les dictateurs ne s’arrêtent que devant les obstacles et non devant les barrières levées ni devant les ventres mous. Les Européens, notamment nos parents, ont payé au XXe siècle assez cher pour que nous sachions tous cela aujourd’hui. Nos parents avaient l’excuse de la surprise et de l’incompréhension ; nous ne l’avons plus. Adopter cette résolution reviendrait à s’agenouiller une nouvelle fois devant les dictateurs, ce serait une grave erreur !
MM. Hervé Maurey, Jacques Legendre et Bernard Lalande applaudissent.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je dispose de quatre minutes ; c’est court, surtout quand on passe après notre collègue Claude Malhuret.
Je souhaite vous faire part d’une histoire personnelle. Mon grand-père est né à Kiev, à l’époque en Russie. Il a participé à la Première Guerre mondiale, durant laquelle il a été fait prisonnier par les Allemands à Sébastopol, en Crimée, toujours en Russie. Je connais donc bien l’histoire de cette région.
Depuis lors, il y a évidemment eu des guerres, des traités internationaux et des redécoupages des frontières. Nous vivons une centaine d’années plus tard. Nous allons prochainement célébrer les accords Sykes-Picot et l’on connaît bien les difficultés causées par les découpages résultant de ces traités, de ces guerres, qui sont parfois contraires à la volonté de peuples. D’où, précisément, un certain nombre de problèmes que nous devons affronter aujourd’hui dans une sorte de Rubik’s cube, notamment au Proche-Orient et au Moyen-Orient.
La proposition de résolution européenne qui nous est soumise manque sacrément de références européennes, elle est franco-française et elle appelle l’Europe à lever les sanctions contre la Russie. Cela étant dit, sa rédaction est particulièrement ambiguë, monsieur le secrétaire d’État.
D’abord, elle se contente de « regretter » ; nous avons donc adopté ce matin en commission des affaires étrangères un certain nombre d’amendements qui visent à « condamner », car le simple regret n’est pas acceptable notamment en ce qui concerne l’occupation de la Crimée.
Bien des choses ont été mentionnées jusqu’à présent, mais le texte de la proposition de résolution ne vise pas uniquement à lever les sanctions contre les parlementaires russes ; si l’on s’était contenté de cela, cette proposition aurait été parfaitement audible, tout à fait compréhensible dans le cadre d’une reprise des négociations, mais ce n’est pas du tout de cela qu’il s’agit : on nous demande de lever aussi les sanctions économiques !
Or le régime des sanctions, avouez-le, mes chers collègues, c’est tout de même le règne du « deux poids, deux mesures ». Nous venons de le constater avec le nucléaire iranien ; chacun s’est félicité au sein de cet hémicycle des sanctions contre l’Iran, qui ont produit des effets. Donc, dans un cas, elles seraient efficaces, mais, dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui, elles seraient sans importance ! Et je ne parle pas des pays ni des conflits dans lesquels les sanctions sont tout à fait exclues ! Ainsi, il n’est jamais, jamais question de sanction dans le conflit israélo-palestinien !
On a donc un double discours sur les sanctions, qui porteraient avec l’Iran, mais pas avec la Russie.
Le recours à la force est inadmissible, tout le monde l’a souligné. Certes, les conséquences économiques pour la France sont lourdes, nous sommes d’accord, mais c’est le poids du respect ; est-ce une raison pour autoriser unilatéralement un pays membre de l’Organisation des Nations unies à occuper le territoire de son voisin, en violation du droit international ?
En outre, Claude Malhuret l’a rappelé, que fait-on de l’Abkhazie et l’Ossétie, de la Transnistrie, qui vous est tellement chère, madame la rapporteur Josette Durrieu, sans parler du Nagorno-Karabakh ? Il existe des conflits gelés, qui sont le lot de la politique russe dans cette région.
Le temps de la Russie, monsieur le secrétaire d’État, n’est pas celui de l’Europe. Le calendrier russe n’a jamais correspondu à celui de l’Europe ! Je me souviens à cet égard de ce que disait mon grand-père, qui avait attendu avec impatience que Hitler envahît la Russie, arguant qu’il lui arriverait exactement ce qui est arrivé à Napoléon, que cela ne fonctionnerait pas. La Russie n’est pas un partenaire ni un adversaire comme les autres.
Par ailleurs, il faut se rendre compte que la proposition de résolution que nous nous apprêtons à adopter aujourd’hui aura un effet absolument catastrophique pour nos partenaires polonais et baltes, qui, eux, ont l’habitude, ont une histoire, ont des frontières avec la Russie et qui savent comment tout cela fonctionne.
Pour toutes ces raisons, je ne voterai pas cette proposition de résolution et je regrette qu’elle soit aussi large, car, si elle s’était limitée aux sanctions prononcées contre les parlementaires russes, je l’aurais peut-être votée.
MM. Claude Malhuret et Hervé Maurey applaudissent.
Mme Jacqueline Gourault remplace M. Claude Bérit-Débat au fauteuil de la présidence.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant tout chose, je veux répéter ici ce que nous avons déjà exprimé en commission, à savoir que le groupe socialiste et républicain n’a pas vraiment souhaité l’examen d’une proposition de résolution relative au régime de sanctions de l’Union européenne à l’encontre de la Fédération de Russie. Même dépourvue de caractère contraignant, cette résolution serait un signal politique envoyé aux protagonistes de la crise ukrainienne et serait donc sujette à interprétation par les parties prenantes, comme l’a été la résolution portée par M. Mariani à l’Assemblée nationale, résolution qui, elle, va clairement à l’encontre des efforts de la France en faveur de la résolution de la crise.
L’Assemblée nationale a adopté le 28 avril dernier une résolution européenne proposant ni plus ni moins qu’une levée des sanctions à l’égard de la Russie sans attendre la fin du processus de Minsk, au seul motif de la relation historique que la France entretiendrait avec la Russie. Comme si les relations que l’on pouvait avoir avec un État, fût-il un partenaire de longue date, fournissaient matière à excuser les graves violations du droit international…
Bien évidemment, telle n’est pas l’intention des auteurs de la présente proposition de résolution puisque, cela a été rappelé par les rapporteurs, il s’agit aussi d’amender la position de l’Assemblée nationale, que nous sommes nombreux à juger aussi excessive qu’outrancière.
Nous savons les efforts de la France, qui, avec l’Allemagne, joue un rôle essentiel dans cette crise, celui de pays médiateur et donc de puissance de paix.
Comme cela a été dit par plusieurs d’entre vous, la situation demeure complexe. Si, comme l’ont rappelé les rapporteurs, quelques progrès ont été constatés, je rappelle tout que même que, ces derniers jours, plusieurs soldats ont péri lors d’accrochages sur la ligne même de contact. On ne peut pas dire que cela soit très encourageant. La vigilance reste donc de mise.
Cette démarche s’inscrit, nous le comprenons, dans le cadre de la préparation du Conseil européen des 28 et 29 juin prochain, qui abordera la question du régime de sanctions à l’endroit de la Fédération de Russie.
Dès le 19 mai, Mme Federica Mogherini, la Haute Représentante de l’Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune, a déclaré que les sanctions économiques prises à l’encontre de la Russie par l’Union européenne seraient sans doute reconduites en juillet compte tenu de l’application plus que mesurée des accords de Minsk.
C’est aussi dans ce contexte que le président Poutine a effectué une visite en Grèce, ajoutant ainsi à la division des Européens sur cette question, à l’approche d’un Conseil européen. On sait l’Italie très dépendante du gaz russe et l’on connaît le penchant de la Hongrie pour un allégement du dispositif.
On le voit, cette résolution, qui fait déjà en France quelques vagues dans la presse, fera également l’objet d’une instrumentalisation de part et d’autre.
Ce contexte motive la position constante défendue par notre groupe depuis le début du processus engagé pour sortir de la crise, qui épouse totalement celle de l’exécutif. Celle-ci repose sur le triptyque que vient de rappeler Didier Marie autour de la nécessaire vigilance, de la fermeté avec l’application de l’intégralité des accords de Minsk qui reste à ce jour le mantra d’une sortie de crise et doit conditionner la levée ou non des sanctions, et naturellement du dialogue.
Ce dialogue, je le souligne à mon tour, n’a jamais, tant s’en faut, été interrompu avec Moscou. Il a été maintenu par le biais de divers canaux, d’abord par le Conseil de sécurité, dont la gestion des crises internationales est la raison d’être, ou encore l’OSCE, qui joue un rôle essentiel dans le suivi des accords de Minsk, mais aussi par l’OTAN. On le sait peu, mais, alors que le 1er avril 2014, en réponse au rattachement – plus exactement à l’annexion – de la Crimée à la Russie, l’OTAN avait mis un terme à la coopération avec la Russie et suspendu dans le même temps le conseil OTAN-Russie, une session de ce conseil s’est pourtant tenue le 20 avril dernier.
Si nous sommes d’accord pour estimer que la situation demeure très compliquée, il reste que les hommes de bonne volonté doivent s’efforcer de trouver les voies de sortie de la crise. C’est cette attitude que nous avons adoptée en commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur cette résolution proposée par la commission des affaires européennes.
Comme nous l’avons exprimé en commission, le texte initial nous semblait perfectible sur plusieurs points.
D’abord, il nous a paru qu’il manquait en effet une condamnation plus ferme de l’annexion de la Crimée, le terme « regrettant » étant trop faible. Un amendement a donc été proposé par notre groupe, qui rejoint d’ailleurs dans son esprit celui de notre collègue Claude Malhuret.
Enfin, s’agissant de la levée des sanctions contre les parlementaires, et bien qu’étant partisans du dialogue, nous avons estimé que le terme « sans délai » était une injonction un peu excessive. Nous savons bien que ce sont ces parlementaires qui ont autorisé le recours à la force sur le territoire d’un État souverain.
Il n’est pas possible que les sanctions individuelles soient levées sans délai, dans la mesure où il sera bien évidemment nécessaire de procéder à une étude au cas par cas. On sait aussi que certains parlementaires russes font aujourd’hui l’objet de mandat d’arrêt international de la part de Kiev.
Autant certaines missions parlementaires en ces contrées gênent, par leur incongruité, l’action diplomatique de la France et paraissent peu opportunes, autant nous pensons que la poursuite d’un dialogue parlementaire peut être utile, à l’exemple des réceptions de délégations ukrainiennes ou russes ici même au Sénat ou du déplacement du président du Sénat en Russie.
Nous voterons donc cette résolution telle qu’elle a été amendée par le Sénat, car elle exprime, différemment de celle de l’Assemblée nationale, la position du Parlement français.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collèges, il est toujours plus difficile de défendre une position nuancée que de fustiger des sanctions ou au contraire de se draper dans la défense vertueuse des droits de l’homme pour en réclamer le maintien.
Pourtant, la diplomatie est l’art du compromis. Un compromis n’a pas à être une compromission, et une négociation fructueuse nécessite l’existence d’un dialogue. Au contraire, les sanctions positionnent la négociation sous l’angle du seul rapport de force. C’est une vision bien pauvre et binaire des relations internationales. C’est aussi une vision dangereuse, qui pourrait aisément glisser vers le rapport de force militaire. Certains États membres de l’OTAN pourraient d’ailleurs être tentés de défendre une telle évolution lors du prochain sommet de Varsovie.
Il me semble pour ma part indispensable de travailler sur toute la palette d’outils dont nous disposons pour défendre la souveraineté de l’Ukraine tout en renouant des relations constructives avec la Russie.
Face aux violations manifestes du droit international dont s’était rendue coupable la Russie à la fin de 2013 et au début de 2014, et que j’avais pu constater directement en me rendant à Kiev sur la place Maïdan, j’avais réclamé une réaction vigoureuse, sous forme de sanctions personnelles et ciblées.
De manière générale, et pas seulement en Russie, je suis favorable au gel d’avoirs de dirigeants criminels ou corrompus. C’est d’ailleurs une position que je défends aux côtés d’autres collègues du GOPAC, l’Organisation mondiale des parlementaires contre la corruption.
En revanche, quelques mois plus tard ont suivi des sanctions économiques. Je me méfie toujours de ces mesures « punitives », dictées sous le coup de l’émotion, à la portée plus symbolique qu’effective, a fortiori lorsqu’elles entraînent de graves effets collatéraux, en particulier sur nos agriculteurs et nos entrepreneurs français en Russie. En Europe, 900 000 emplois ont été perdus, soit un manque à gagner de 11 milliards d’euros pour l’Union européenne.
Le renouvellement perpétuel des sanctions économiques ne me paraît pas adapté à l’évolution du contexte géopolitique, en Ukraine comme au Moyen-Orient. Quels sont les objectifs de ces sanctions ? Si la priorité est de défendre la souveraineté de l’Ukraine, alors il nous faut investir davantage dans la formation des élites locales et leur rappeler qu’elles doivent par exemple voter, elles aussi, certaines lois et tenir leurs engagements.
En effet, la faiblesse du Gouvernement actuel est, autant que les ingérences de la Russie, responsable de la mauvaise application des accords de Minsk. Le groupe d’amitié France-Ukraine, sous la houlette d’Hervé Maurey, réalise un formidable travail de coopération parlementaire. Toutefois, il faut aller plus loin, car c’est de la faiblesse et de l’instabilité politique que se nourrissent les séparatismes et les ingérences étrangères.
Vous l’aurez compris, je suis favorable à la poursuite des sanctions personnelles et ciblées, y compris sur les parlementaires, dont beaucoup sont responsables de l’état de fait actuel. Je suis donc hostile à l’alinéa 19 de la résolution dans sa rédaction actuelle. En revanche, je suis pour un assouplissement graduel des sanctions économiques.
Cela permettrait en effet de concilier fermeté et dialogue, et d’adapter notre positionnement en fonction des progrès constatés dans l’application des accords de Minsk.
La Russie est un allié incontournable dans la lutte contre le terrorisme. Mais nous ne devons pas être naïfs quant aux ambitions territoriales de ce grand pays. Nous devrions également écouter ses voisins européens en Europe du Centre-Est, mais aussi les États baltes.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, allons à l’essentiel : avec la disparition de l’URSS et la chute du rideau de fer est apparue la possibilité d’une Russie démocratique avec laquelle la France pourrait renouer les liens d’alliance et d’amitié qui sont de tradition entre nos deux peuples.
La disparition de l’URSS a aussi permis l’affirmation et la reconnaissance internationale d’une nouvelle nation slave de 50 millions d’habitants, la République d’Ukraine, avec laquelle la France se doit aussi d’entretenir des rapports suivis qui répondent d’ailleurs à une tradition culturelle dont témoigne, par exemple, à deux pas du Sénat, l’église ukrainienne à Saint-Germain-des-Prés et le square Taras-Chevchtenko, du nom d’un grand intellectuel ukrainien.
La vie politique, parfois tumultueuse de l’Ukraine, a été marquée par la volonté affirmée d’une partie au moins de son peuple de se rapprocher de l’Union européenne, voire d’y adhérer comme l’avaient fait ses voisins polonais et slovaques.
Cette volonté s’est exprimée avec force lors des événements dits du Maïdan, qui ont entraîné la fuite du président Ianoukovitch et la mise en place d’un nouveau gouvernement dirigé par le président Porochenko.
C’est alors que la Russie a réagi en soutenant des mouvements sécessionnistes dans le Donbass, en autorisant, le 1er mars 2014, le recours à la force sur le territoire ukrainien et en annexant, le 20 mars 2014, la Crimée, jusqu’alors territoire reconnu internationalement comme territoire ukrainien, et ce après un référendum considéré comme dépourvu de validité par les Nations unies.
Pour la première fois en Europe, un pays de notre continent s’autorise au XXIe siècle à annexer une partie du territoire d’un autre État européen et à agir militairement, directement ou indirectement, sur le territoire de cet État. On croyait définitivement révolus de tels actes, qui sont d’une gravité particulière. J’y songeais voilà exactement un an en entendant le canon tonner aux abords du port ukrainien de Marioupol, où je me trouvais alors.
L’Union européenne, et plus particulièrement l’Allemagne et la France, a évidemment réagi. L’Union a édicté des sanctions diplomatiques et économiques auxquelles la Russie a répondu en édictant le 7 août 2014 des sanctions, dont un embargo sur les produits alimentaires européens.
La France, l’Allemagne, la Russie et l’Ukraine réunies en format « Normandie » ont signé des accords le 12 février à Minsk. Ces accords ont sans doute permis de diminuer la violence des affrontements militaires, mais on continue tout de même, mes chers collègues, à mourir actuellement sur le front du Donbass.
Peut-on accepter que la situation se transforme en conflit gelé ? Certainement pas. La diplomatie doit poursuivre son action dans la perspective des prochains rendez-vous diplomatiques. Je ne cache pas avoir été très choqué par l’initiative prise par certains de nos collègues à l’Assemblée nationale, qui ont déposé et fait adopter en catimini un texte déséquilibré qui tend à supprimer les sanctions qui touchent la Russie avant d’avoir obtenu d’elle la moindre avancée réelle.
Certes, le texte que propose aujourd’hui au Sénat la commission des affaires européennes se veut plus équilibré. Toutefois, il n’en comporte pas moins un glissement sémantique, comme l’a souligné à juste titre M. Malhuret, qui affaiblirait considérablement la position de notre pays et de l’Union européenne dans les discussions avec la Russie.
Ne nous y trompons pas, mes chers collègues : nous sommes tous à la recherche de rapports équilibrés, de rapports d’amitié, avec la Russie et avec l’Ukraine. Néanmoins, il n’est sans doute pas le moment de donner le sentiment que le mot appeasement, cher à Neville Chamberlain, est aussi un mot du vocabulaire de notre diplomatie. Nous savons que cet apaisement-là nous avait conduits au déshonneur.
M. Jacques Legendre. Nous serons utiles, pour l’Ukraine et pour la Russie, si nous savons proposer des solutions. Mais cela ne peut se faire que dans l’honneur !
Mme Nathalie Goulet, MM. Claude Malhuret et Jean-Yves Leconte applaudissent.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Le Sénat,
Vu l’article 88-4 de la Constitution,
Vu les conclusions du Conseil européen du 6 mars 2014 et des 19 et 20 mars 2015,
Vu les conclusions du Conseil Affaires étrangères de l’Union européenne du 3 mars 2014, du 17 mars 2014, du 22 juillet 2014, du 19 janvier 2015 et du 14 mars 2016,
Regrettant que la Fédération de Russie ait autorisé le recours à la force sur le territoire ukrainien le 1er mars 2014 puis annexé la Crimée le 20 mars 2014 après un référendum considéré comme dépourvu de validité par les Nations unies ;
Regrettant la situation dans certaines régions de l’Est de l’Ukraine qui a conduit à un conflit entre l’armée ukrainienne et des forces se déclarant pro-russes et défiant l’autorité de l’État ukrainien ;
Soulignant qu’à la suite de ces événements, l’Union européenne a progressivement mis en place un régime de sanctions à l’encontre de la Russie qui comporte des mesures politiques et diplomatiques, des sanctions individuelles ou visant des entités, et des sanctions économiques sectorielles, au détriment des populations et des entreprises ;
Soulignant que ces sanctions ont été complétées, renforcées ou prolongées à plusieurs reprises, en fonction de la dégradation de la situation en Ukraine ou de l’absence de progrès constatés ;
Observant qu’en réaction aux sanctions européennes, la Fédération de Russie a décidé le 7 août 2014 de mettre en place des sanctions, en particulier un embargo sur les produits alimentaires pour une durée d’un an, et qu’elle l’a prolongé pour la même durée en août 2015 ;
Soulignant qu’à la suite de plusieurs initiatives diplomatiques, la France, l’Allemagne, la Russie et l’Ukraine, réunies en format « Normandie », ont obtenu la signature des accords de Minsk, qui constituent la seule voie conduisant à une solution du conflit dans certaines régions de l’Est de l’Ukraine ;
Rappelant la contribution du Sénat dans la mise en œuvre du volet politique des accords de Minsk relatif à la décentralisation, en particulier la coopération mise en place avec la Rada lors de l’élaboration de la réforme constitutionnelle ukrainienne en ce sens ;
Constatant le caractère partiel de la mise en œuvre de l’ensemble de mesures du 12 février 2015 sur l’application des accords de Minsk ;
Constatant dans le même temps que les sanctions de l’Union européenne à l’encontre de la Fédération de Russie et les sanctions russes ont des conséquences négatives, sur le plan tant économique que politique, pour l’ensemble des parties, et sur les relations entre l’Union européenne et la Russie ;
Réaffirme son attachement indéfectible à l’intégrité territoriale, à la souveraineté et à l’indépendance de l’Ukraine et condamne l’annexion de la Crimée par la Russie, comme il ressort de la résolution 68/262 de l’Assemblée générale des Nations unies du 27 mars 2014 ;
Regrette la détérioration des relations entre l’Union européenne et la Russie et considère que le rétablissement de relations confiantes et solides est indispensable pour relever les défis communs et aboutir au partenariat stratégique avec la Russie que le Sénat appelle de ses vœux ;
Invite toutes les parties à mettre en œuvre, dans les meilleurs délais et dans leur intégralité, l’ensemble de mesures du 12 février 2015 en vue de l’application des accords de Minsk ;
Appelle de ses vœux un allégement progressif et partiel du régime des sanctions de l’Union européenne à l’encontre de la Russie, en particulier des sanctions économiques, en liant cet allégement à des progrès significatifs et ciblés dans la mise en œuvre des accords de Minsk par rapport à la situation prévalant au moment de l’adoption, le 12 février 2015, de l’ensemble des mesures sur l’application des accords, et invite le Gouvernement à poursuivre les négociations avec la Russie et l’Ukraine, dans le cadre du format « Normandie », ainsi qu’avec ses partenaires européens ;
Invite le Gouvernement, selon les mêmes conditions, à réévaluer les sanctions diplomatiques et politiques et à préconiser en particulier la reprise des discussions en vue de la tenue, dans un premier temps, de réunions bilatérales de haut niveau entre les États membres de l’Union européenne et la Russie ;
Invite le Gouvernement à appeler ses partenaires européens à lever sans délai les sanctions individuelles visant les parlementaires russes, qui constituent un obstacle au dialogue parlementaire et politique ;
Invite le Gouvernement à s’assurer que l’allégement ou la levée de sanctions européennes s’accompagne nécessairement de mesures du même ordre de la part de la Fédération de Russie ;
Rappelant les initiatives du Gouvernement pour obtenir la levée de l’embargo phytosanitaire et des contremesures russes visant le secteur agricole, invite celui-ci à renforcer ses démarches vis-à-vis de la Russie, en liaison avec la Commission européenne et les États membres de l’Union européenne, afin d’obtenir la levée rapide des embargos, y compris ceux adoptés avant la crise ukrainienne, tel que l’embargo sur certains produits porcins - qui aggravent la situation d’un secteur agricole déjà fragilisé ; souligne en particulier que ces embargos entraînent des pertes importantes pour la filière porcine française ;
Invite le Gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations en cours.
Je suis saisie de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les amendements n° 10 rectifié et 26 sont identiques.
L'amendement n° 10 rectifié est présenté par MM. Reiner et Sutour, Mme Durrieu et les membres du groupe socialiste et républicain.
L'amendement n° 26 est présenté par M. Malhuret.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
Condamnant le recours à la force par la Russie sur le territoire ukrainien le 1er mars 2014, puis l’annexion de la Crimée le 20 mars 2014 après un referendum considéré comme dépourvu de validité par les Nations unies ;
La parole est à M. Daniel Reiner, pour présenter l’amendement n° 10 rectifié.
Cet amendement vise à réécrire l’alinéa 5. « Regrettant » est un terme insuffisant s’agissant de la violation du droit international. Nous avons donc remplacé cet alinéa par les termes suivants : « Condamnant le recours à la force par la Russie sur le territoire ukrainien le 1er mars 2014, puis l’annexion de la Crimée le 20 mars 2014 après un referendum considéré comme dépourvu de validité par les Nations unies ; »
Par ailleurs, un sous-amendement de la commission vise à remplacer les termes relatifs à la date du 1er mars 2014. Cet amendement étant suffisamment explicite, il ne nécessite aucune précision supplémentaire.
Ce matin, M. le président de la commission des affaires étrangères m’a dit que je devais être satisfait, puisque la commission a majoritairement adopté cet amendement qui vise à remplacer le mot « regrettant », par le mot « condamnant », modifiant ainsi légèrement le sens de la phrase. Je l’en remercie, ainsi que mes collègues membres de la commission. Néanmoins, ils le savent, cette mesure est loin de suffire à mon contentement. C’est un lot de consolation, mais c’est vraiment le minimum…
Non seulement, sur le fond, ce texte est un renoncement, comme je l’ai dit tout à l’heure, mais à chaque ligne, nous avons l’air de nous excuser.
Le mot « regrettant » se comprendrait s’il s’agissait d’une inondation, de l’éruption d’un volcan ou d’une catastrophe naturelle. Or il y a des responsabilités dans ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine.
Quant aux termes « que la Fédération de Russie ait autorisé le recours à la force », c’est une litote ! La Russie n’a pas autorisé le recours à la force ; la Russie a envahi l’Ukraine et annexé la Crimée ! Pourquoi ne peut-on pas le dire ? Pourquoi faudrait-il dire des choses inexactes ?
« Regrettant la situation dans certaines régions de l’est de l’Ukraine » : comme c’est beau ! Pas moins de 9 000 morts, les 250 passagers du Boeing de la Malaysia, etc. Regrettons-nous ces faits ou les condamnons-nous ?
Le minimum était de condamner. Mais que de précautions dans ce texte ! Même à l’ONU, où pourtant les soutiens de Poutine ne manquent pas, on a condamné. Or ici, on se contente de regretter. On ne sait jamais, cela pourrait déplaire et, comme on dit, être défavorable au dialogue, puisqu'une fois l’Ukraine envahie, la Crimée annexée, l’Ossétie et l’Abkhasie empochées, le Haut-Karabakh et la Transnistrie neutralisés, il paraît qu’il n’y a rien de plus urgent que de dialoguer avec Poutine. Même le ton de cette résolution telle qu’elle a été proposée était un abandon. L’adoption de cet amendement améliorerait un peu la situation.
Le sous-amendement n° 28, présenté par M. del Picchia et Mme Durrieu, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Amendement n°10 rectifié, alinéa 3
Remplacer les mots :
le 1er mars 2014, puis
par le mot :
et
La parole est à M. Robert del Picchia, rapporteur.
Cette mesure devrait satisfaire M. Malhuret, puisque ce sous-amendement tend à préciser et à renforcer le sens des amendements identiques n° 10 rectifié et 26. En effet, la date du 1er mars 2014 vise l’autorisation donnée par la Russie de recourir à la force et non le recours à la force. En proposant de supprimer cette date, nous nous concentrons sur le recours à la force, qui est ce que nous voulons condamner.
L'amendement n° 2, présenté par M. Leconte, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
ait autorisé le recours à la force
par les mots :
ait effectué une intervention militaire
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
Il me semblait scandaleux d’écrire « que la Fédération de Russie ait autorisé le recours à la force ». Toutefois, dans la mesure où il est fait état du recours à la force en soi, je retire mon amendement au profit de l’amendement n° 10 rectifié.
Le terme « regrettant » est effectivement trop faible au regard de la gravité des violations commises. Nous sommes donc favorables au terme « condamnant », qui nous paraît plus approprié.
Par conséquent, la commission émet un avis favorable sur ces deux amendements identiques, sous réserve de l’adoption de son sous-amendement n° 28.
Conformément à la position constante de la France, qui consiste à condamner l’annexion de la Crimée et le recours à la force, car ils constituent des violations du droit international, le Gouvernement émet un avis favorable sur ces amendements, ainsi que sur le sous-amendement n° 28.
Le sous-amendement est adopté.
Je mets aux voix l’amendement n° 10 rectifié, modifié, ainsi que l’amendement n° 26, considéré comme modifié.
Les amendements sont adoptés.
L'amendement n° 3, présenté par M. Leconte, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Rédiger ainsi cet alinéa :
Regrettant l’implication de la Russie et de Russes dans la déstabilisation de certaines régions de l’Est de l’Ukraine qui a conduit à un conflit entre l’armée ukrainienne et des forces se déclarant pro-russes défiant l’autorité de l’État ukrainien et remettant en cause l’intégrité territoriale de l’Ukraine ;
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
Si nous souhaitons contribuer à une résolution de ce conflit, nous devons dire les choses telles qu’elles sont.
M. Poutine l’a reconnu lors d’un entretien télévisé : une intervention russe a eu lieu dans l’est de l’Ukraine. Les troubles du Donbass ont, pour une très grande majorité, été amorcés par des mercenaires qui n’étaient pas issus de cette région, mais qui venaient de Russie. Ces événements ont prolongé l’entreprise d’annexion de la Crimée. Je le répète, ce sont là les propos du président russe lui-même.
En refusant de dresser ce constat, on semble s’accommoder de la situation actuelle, à savoir un conflit gelé.
Or, en la matière, nous sommes face à des risques terroristes. L’Ukraine était une puissance nucléaire jusqu’en 1993. À cette époque, des garanties lui ont été apportées pour ce qui restait de son arsenal.
J’ajoute qu’un conflit gelé en Ukraine ferait courir des risques à l’Europe tout entière. Il fragilise déjà la solidarité européenne.
À cet égard, la France ne saurait dévier de la ligne qu’elle a suivie depuis Yalta. Cette ligne a été fixée par le général de Gaulle et confirmée par François Mitterrand. Elle a également été adoptée par l’Allemagne, en particulier par Willy Brandt dans le cadre de son Ostpolitik. Elle consiste à refuser tout partage de l’Europe.
Aujourd’hui, nous devons exiger que l’ensemble de l’Ukraine soit souveraine. Aussi, nous devons dénoncer les interventions extérieures qui se déroulent sur son territoire !
Monsieur Leconte, j’ai bien entendu vos arguments. Néanmoins, cet amendement tend à déséquilibrer le présent texte. Mieux vaut s’en tenir à la description à laquelle procède l’alinéa 6 dans sa rédaction actuelle.
Voilà pourquoi la commission émet un avis défavorable.
Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 24, présenté par M. Malhuret, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Supprimer les mots :
, au détriment des populations et des entreprises
La parole est à M. Claude Malhuret.
Avec l’alinéa 7, nous continuons à nous excuser, à nous auto-flageller : « Nous sommes les méchants ! Les sanctions sont prises au détriment des populations et des entreprises ! » Mais cette proposition de résolution n’accorde aucune phrase, aucun mot de compassion aux victimes de ce conflit, aux 9 000 morts déplorés en Ukraine, aux passagers du Boeing malaisien. À aucun moment elle n’évoque la misère absolue dans laquelle vit la population de l’est de l’Ukraine. À aucun moment elle ne rappelle que ce pays est lentement saigné par son voisin.
Tout ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine n’est-il pas, beaucoup plus que les sanctions que nous prenons, au détriment des populations et des entreprises ? À défaut de le dire clairement dans le présent texte, abstenons-nous de cette auto-flagellation : supprimons ce membre de phrase qui n’apporte rien, et qui introduit même une restriction !
À notre sens, la précision que cet amendement tend à supprimer ne vise pas uniquement les populations et les entreprises russes : elle concerne tout aussi bien les populations et les entreprises européennes. Elle souligne les dommages causés par les sanctions, des deux côtés.
Aussi, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Bien entendu, les sanctions adoptées emportent des conséquences économiques : c’est là leur objet même. Mais, malgré d’indéniables impacts de court terme, tous les acteurs, y compris les acteurs économiques, ont intérêt au respect du droit international et à la mise en œuvre des accords de Minsk.
À ce titre, je rejoins le raisonnement suivi par M. Malhuret : nous devons assumer l’utilisation de cet outil diplomatique que sont les sanctions, pour aboutir à une solution diplomatique et politique.
Le Gouvernement est donc favorable à cet amendement.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 4, présenté par M. Leconte, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Rédiger ainsi cet alinéa :
Observant qu’en réaction aux sanctions européennes, la Fédération de Russie a décidé le 7 août 2014 de mettre en place des sanctions, en particulier en généralisant un embargo sur les produits alimentaires qu’elle avait déjà mis en œuvre dès l’été 2013 pour certains produits et pour certains pays de l’Union européenne ;
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
Cet amendement tend à rétablir la chronologie des faits mentionnés.
L’embargo dont il est question n’a pas été décidé en réaction aux sanctions européennes : il est antérieur à l’ensemble de la crise ukrainienne. À cet égard, l’alinéa 9 entre en contradiction avec l’alinéa 21, lequel précise bien la chronologie.
À propos de l’embargo qui visait un certain nombre de pays d’Europe avant la crise ukrainienne, la France n’a pas manifesté de solidarité européenne. Au contraire, nous avons profité d’un défaut de solidarité. La Russie ne visait pas tous les pays européens. Elle limitait son embargo à un certain nombre d’États.
Au demeurant, cette proposition de résolution, que le Sénat va sans doute voter, n’est pas non plus un signe de solidarité européenne.
Or, si nous voulons travailler et dialoguer avec la Russie, nous devons avant tout être solidaires entre Européens. C’est faute d’une telle solidarité en 2013 que le problème posé par cet embargo s’est envenimé.
Je le répète, la cause initiale, c’est non pas la crise ukrainienne, mais le manque de solidarité entre Européens, que le vote d’une telle proposition de résolution ne pourra que réaffirmer.
Une fois de plus, on m’opposera qu’une telle rédaction n’est pas équilibrée. Mais on ne peut savoir où l’on va en avançant les yeux fermés !
Monsieur Leconte, le présent amendement tend à introduire une confusion relativement dangereuse.
Dès 2013, soit avant la crise ukrainienne, la Russie a instauré un embargo sur les porcs. Cette décision légitime était une réaction à la découverte de quelques cas de peste porcine africaine au sein des élevages européens.
Ensuite, à l’été 2014, la Russie a décrété un embargo économique en réaction aux sanctions européennes.
Techniquement et juridiquement, ces deux embargos n’ont rien à voir. Or vous mélangez les deux ! Il n’est absolument pas dans notre intérêt d’assimiler le premier au second. Bien au contraire, nos efforts doivent tendre à les dissocier.
M. le secrétaire d’État l’a rappelé : M. le ministre de l’agriculture est allé à Moscou plaider pour que la France soit exemptée de l’embargo sanitaire lié à la peste porcine. Ce dispositif pénalise injustement et fortement la filière française du porc, alors même que nos élevages ne sont pas affectés par cette maladie.
Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur votre amendement.
Le présent amendement tend bel et bien à introduire une confusion entre les diverses mesures édictées par la Fédération de Russie. Il ne faut pas mélanger l’embargo sanitaire, antérieur au conflit ukrainien, et les contre-mesures russes.
En conséquence, le Gouvernement émet lui aussi un avis défavorable sur cet amendement.
Je me permets d’insister : peut-être les responsables politiques français n’ont-ils seulement pas remarqué que, dès l’été 2013, divers pays européens avaient été visés par un embargo russe !
L'amendement n'est pas adopté.
Je suis saisie de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 5 rectifié, présenté par M. Leconte, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Rédiger ainsi cet alinéa :
Constatant que l’absence de retrait des armes lourdes, les violations de cessez-le-feu provoquant chaque semaine sur le territoire ukrainien la mort de plusieurs soldats ukrainiens, l’incapacité pour les autorités ukrainiennes de se déplacer et d’envisager la mise en place d’un processus électoral dans les régions occupées rendent difficile d’exiger au préalable la mise en œuvre de la partie institutionnelle des accords de Minsk ;
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
À mon sens, la rédaction de l’alinéa 12 mérite d’être précisée.
Quand on regarde la situation de très loin, on observe que la ligne de front n’a globalement pas bougé depuis un peu plus d’un an. On en déduit que la Russie a respecté sa part du contrat. Dans le même temps, on ne retient qu’une seule obligation, incombant à l’Ukraine : la réforme constitutionnelle, au sujet de laquelle M. Porochenko s’est bel et bien engagé à Minsk.
Toutefois, la situation ne peut pas être examinée de manière aussi lointaine ! Dans le détail, elle est plus complexe que cela.
Sur le terrain, des soldats ukrainiens meurent encore chaque semaine. Et je ne parle pas du respect des droits de l’homme, qui, en Crimée, régresse jour après jour ! Or on ne saurait envisager l’organisation d’élections dans un territoire où il est impossible de se déplacer.
Si nous voulons convaincre nos homologues ukrainiens de conduire à son terme la réforme constitutionnelle, d’aller avec confiance vers une loi électorale spécifique aux régions du Donbass, vœu que traduisent les accords de Minsk, alors on ne saurait se contenter de survoler le problème.
Il faut préciser les difficultés existantes et montrer que nous en sommes conscients. De loin, on peut avoir le sentiment que c’est maintenant à l’Ukraine de tout faire. Mais la situation n’est pas si simple !
L'amendement n° 12 rectifié, présenté par M. Maurey, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Après le mot :
caractère
insérer les mots :
très
La parole est à M. Hervé Maurey.
Cet amendement, très modeste, tend à préciser que le cessez-le-feu est respecté de manière « très partielle » et non simplement « partielle ».
Évoquer un respect « partiel », revient véritablement à verser dans la litote. Je me suis rendu à Marioupol aux côtés de Jacques Legendre, et je le confirme : nous y avons entendu le son du canon.
Des armes lourdes sont déployées sur le terrain, des militaires russes sont présents en Ukraine. La moindre des choses est donc de reconnaître que le cessez-le-feu n’est respecté que de manière « très partielle ».
L'amendement n° 25, présenté par M. Malhuret, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Après le mot :
caractère
insérer les mots :
seulement très
La parole est à M. Claude Malhuret.
À quelques nuances sémantiques près, cet amendement a exactement le même objet que le précédent.
Que voulons-nous dire ? Que la situation en Ukraine s’est améliorée ? Dans ce cas, il faut en rester à la rédaction actuelle. Que cette situation s’est détériorée ? Dans ce cas, il faut opter pour une autre formulation.
La situation en Ukraine est en train de se dégrader. Je suis loin d’être seul à dresser ce constat. Ce dernier semble même faire l’unanimité. La consolidation des forces rebelles se poursuit dans la région de Donetsk et dans le Donbass. Tôt ou tard, si nous ne faisons pas preuve de fermeté, les troubles s’étendront jusqu’à Marioupol.
La mention d’un respect « partiel » peut avoir une connotation positive. Nous devons affirmer au contraire que nous sommes très préoccupés par le caractère seulement très partiel de la mise en œuvre des accords de Minsk. C’est là un signal important que nous devons émettre !
Il importe que chacune des parties avance indépendamment des progrès accomplis par l’autre. En justifiant l’inaction de l’une par les insuffisances de l’autre, on ne les incite pas à agir. Au contraire, on contribue à consolider le statu quo. Voilà pourquoi la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 5 rectifié.
L’amendement n° 12 rectifié vise à souligner le caractère « très partiel » des progrès faits dans l’application des accords de Minsk.
Il nous semble hasardeux de vouloir estimer le niveau des progrès accomplis en la matière. Aucun des acteurs engagés dans la mise en œuvre des accords ne s’y risque, que ce soient l’OSCE, qui est présente sur le terrain, l’Union européenne ou encore ses États membres !
Cet alinéa 12 doit donc se borner à constater les avancées accomplies. On peut objectivement citer certaines d’entre elles, sans chercher à les atténuer ou à les valoriser : la réforme constitutionnelle en cours, l’accord relatif au retrait des armes légères, le rétablissement partiel des échanges économiques, les échanges de prisonniers, etc.
Dans ce cadre, l’adjectif « partiel » est le terme le plus neutre, celui qui reflète la réalité objective.
L’amendement n° 12 rectifié appelle donc, de la part de la commission, un avis défavorable.
Pour les mêmes raisons, la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 25.
Pour ce qui concerne ces trois amendements, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Monsieur le rapporteur, je vous ai écouté avec attention.
À propos de l’amendement n° 5 rectifié, vous déclarez que l’on observe de l’inaction d’un côté et des insuffisances de l’autre. En conséquence, il faudrait adopter une ligne médiane. Mais la situation n’est pas symétrique : il y a un agresseur et un agressé ! Nous ne devons pas accréditer l’idée selon laquelle se trouvent, face à face, deux adversaires à égalité.
À propos de l’amendement n° 12 rectifié, vous assurez que l’on ignore ce qui se passe réellement en Ukraine. Aussi, vous plaidez pour le terme « partiel », qui serait à la fois objectif et neutre.
Après tout, j’aurais pu vous proposer un amendement évoquant une régression, plutôt que le caractère « partiel » de l’amélioration. Je me suis contenté d’ajouter « seulement très partiel ».
Je ne suis pas d’accord avec Robert del Picchia quand il affirme qu’aucun des acteurs engagés sur le terrain ne nous permet de connaître la situation.
Une des dernières réunions du Conseil de sécurité de l’ONU a donné lieu à un communiqué qui rend compte ainsi des propos du vice-secrétaire général de l’ONU, M. Eliasson : « Les accords de Minsk, dont la plupart des dispositions sont restées lettre morte, doivent pleinement être mis en œuvre, a-t-il insisté, appuyé en ce sens par la quasi-totalité des intervenants. » Il est ensuite directement cité : « La plupart des dispositions des accords de Minsk sont restées lettre morte […]. Ces difficultés menacent le processus politique dans son ensemble. »
Mon cher collègue, vous avez évoqué l’OSCE, dont le secrétaire général, Lamberto Zannier, a été interviewé il y a quelques semaines par le journal Le Monde. À la question « Quelle est la situation sur le terrain dans l’est de l’Ukraine ? », il répond : « Pas bonne. Les violations du cessez-le-feu sont systématiques et nos personnels se voient entravés dans leur liberté de mouvement, surtout à l’est. […] »
« D’où viennent ces violations ? », demande Le Monde.
Réponse : « Les forces séparatistes procèdent à des exercices militaires assez systématiques. C’était encore le cas la nuit dernière entre Donetsk et la frontière. Ça a duré presque toute la nuit. Nous constatons par ailleurs que des armements lourds sont sortis des zones de dépôt et déployés près de la zone de contact. La situation est donc en train de se détériorer. »
Mon cher collègue, le secrétaire général de l’OSCE estime non seulement que l’amélioration n’est pas « partielle », mais que la situation se détériore !
Je ne peux que confirmer ce que vient de dire notre collègue Claude Malhuret à propos de l’évolution de la situation localement.
Monsieur le rapporteur, c’est une question non pas de rapport de force ou d’équilibre, mais de conviction. Du côté ukrainien, nous cherchons aujourd’hui à mettre en confiance le Conseil suprême d’Ukraine afin de finaliser la réforme constitutionnelle. Il est indispensable que nous y travaillions afin de montrer à ses membres que cette réforme sécurisera l’évolution de leur pays.
Dans cette enceinte, nous savons que ce n’est pas parce que le Président de la République souhaite une réforme constitutionnelle que le Parlement s’exécute ! §Ce qui est vrai pour la France l’est aussi pour l’Ukraine, parce qu’il s’agit d’une démocratie, quoi que l’on pense de son fonctionnement, avec des parlementaires qui ont, autant que les nôtres, besoin d’être convaincus lorsqu’on leur demande de voter une réforme constitutionnelle.
Notre rôle est de les accompagner. Nous avons la conviction que cette réforme est nécessaire, qu’elle sera positive pour eux, pour la stabilité et pour l’Europe, nous devons donc leur donner confiance.
À cette fin, il nous faut leur offrir des garanties. Je crains qu’en ne disant pas les choses, nous ne parvenions pas à obtenir leur confiance et que nous n’échouions à les accompagner dans cette modification constitutionnelle, qu’il leur est difficile d’accepter, même si nous avons la conviction qu’elle est indispensable.
Nous avons besoin que la Russie évolue, parce que, si ce n’était pas le cas, ils ne pourraient pas nous suivre. C’est la raison pour laquelle il me semble important de dire les choses et de montrer à nos partenaires ukrainiens que nous les avons compris et que nous sommes prêts à les accompagner.
Je m’étonne que la commission soit défavorable à ce que l’on souligne que le respect des accords de Minsk est très partiel. Encore une fois, cette formule est une litote ! Claude Malhuret a cité certaines déclarations récentes qui confirment que, malheureusement, ces accords ne sont pas appliqués sur le terrain.
J’ai eu la chance de rencontrer sur le terrain, à Marioupol, des représentants de l’OSCE, lesquels nous ont malheureusement confirmé qu’ils ne parvenaient pas à se rendre dans les zones de combat, qu’ils y rencontraient de très grandes difficultés et s’y sentaient très directement menacés dans leur sécurité et dans leur intégrité.
Je suis donc étonné et déçu que l’on aille jusqu’à contester l’expression « très partiel ».
Comme notre collègue Hervé Maurey, je me souviens d’avoir entendu les observateurs de l’OSCE à Marioupol nous expliquer qu’ils n’avaient pas les moyens de passer de l’autre côté de ce qu’il faut bien appeler la ligne de front. Cela s’apparente clairement à une situation de guerre, nous ne pouvons pas considérer que nous assistons au retour à une situation à peu près normale.
Nous devons en être conscients et il est temps, selon moi, de le dire ici. Si nous ne dépeignons pas la situation telle qu’elle est, nous ne saurons pas construire les conditions d’une paix.
Je voudrais revenir sur les propos de Jacques Legendre et Claude Malhuret. Compte tenu du rapport de force, de l’occupation en Ukraine et de ce qui se passe en Russie, on ne peut pas avoir une position entièrement équilibrée dans l’appréciation de la situation.
Cette assemblée s’oriente vers l’adoption de cette résolution, qui va lever les sanctions, …
… ou tout au moins, suggérer leur levée.
Afin de justifier la position que nous sommes en train d’adopter, compte tenu des votes précédents, il serait selon moi beaucoup plus crédible de décrire la situation.
Dans l’adoption de cette résolution, le Sénat peut considérer que les accords ont été très partiellement mis en œuvre. Le descriptif que propose M. Leconte est peut-être un peu long, mais si nous voulons susciter l’adhésion à notre position, nous devons l’asseoir sur des éléments concrets.
Afin de ne pas complètement perdre la confiance de nos collègues ukrainiens, du Parlement, du président et du peuple de ce pays, notre intérêt est de débattre de cette situation sans nous contenter d’ouvrir le robinet d’eau tiède. La situation locale est loin d’être complètement équilibrée et il faut que cette résolution émanant du Sénat reflète la réalité sur place, même si ses conclusions ne nous conviennent pas complètement.
L’amendement n’est pas adopté.
L’amendement n’est pas adopté.
L’amendement n’est pas adopté.
Je suis saisie de trois amendements identiques.
L’amendement n° 6 est présenté par M. Leconte.
L’amendement n° 13 est présenté par M. Maurey.
L’amendement n° 19 est présenté par M. Malhuret.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 13
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour présenter l’amendement n° 6.
Par cet amendement, je propose de supprimer l’alinéa 13. En effet, c’est bien l’objet de sanctions que d’emporter des conséquences obligeant la partie sanctionnée à changer de comportement.
Par ailleurs, les échanges entre la Russie et l’Union européenne ont d’abord subi, d’une part, la crise économique en Russie, qui date de 2013, indépendante de la politique des sanctions et aggravée par la chute des revenus pétroliers, qui recouvrent une part importante de l’activité du pays, et, d’autre part, les nécessaires adaptations de l’agriculture européenne aux exigences des marchés mondiaux, en particulier dans le domaine sanitaire. Sur ce point, nous sommes confrontés depuis très longtemps à une difficulté dans nos échanges avec la Fédération de Russie, qui fait valoir des exigences particulières.
Oublier ces deux causes principales de la baisse des échanges et en rendre responsables les sanctions ne conduit qu’à repousser la prise de conscience des difficultés économiques réelles que nous rencontrons, ce qui à moyen et long terme ne peut servir ni nos deux économies ni les échanges commerciaux entre l’Union européenne et la Russie.
Je souhaite la suppression de cet alinéa afin que nous ne fassions pas croire que les difficultés actuelles découlent des sanctions.
Cet amendement a le même objectif. Le propre des sanctions est d’emporter des conséquences négatives. Cet alinéa me paraît donc sans objet.
Concernant la question des sanctions, certains orateurs ont affirmé précédemment qu’elles n’avaient pas eu d’effet. Personne ne peut dire cela. S’il n’y en avait pas eu, la situation serait peut-être encore pire !
Ensuite, lorsque l’on met en place des sanctions pour des causes précises, réelles et sérieuses – l’annexion de la Crimée et la présence dans l’est de l’Ukraine sous couvert de pseudo-séparatisme –, elles doivent être maintenues tant que ces causes demeurent ! Il s’agit d’un principe général. Au nom de quoi pourrions-nous dire tout d’un coup que, finalement, les sanctions n’étant pas très efficaces – certains l’on dit ! –, autant les lever ? Ce serait un aveu de faiblesse absolument dramatique.
Je suis tout simplement choqué de la rédaction de cet alinéa. Cette présentation des faits est impensable, elle est à l’exact opposé de la réalité. Les sanctions auraient des conséquences négatives sur les relations entre l’Union européenne et la Russie ? Mais la cause des détériorations de ces relations, c’est l’invasion de l’Ukraine et l’annexion de la Crimée !
Ainsi, nous serions encore les coupables, les méchants ! Il y a là un retournement de la charge de la preuve qui nous désigne comme les responsables de la situation. Est-ce que ce sont les armées européennes qui sont en Ukraine ? Est-ce l’Europe qui a annexé la Crimée ? Le lobby pro-russe présente toujours les choses de la même façon, sous l’inspiration directe de la propagande russe elle-même : les Russes sont les gentils, les bad boys sont les Européens et les Américains.
Rappelons tout de même que la réaction européenne et américaine a été particulièrement modérée. À Washington, M. Obama a refusé, contre l’avis de la plupart de ses conseillers, de fournir des armes à l’Ukraine. L’Europe s’est contentée de sanctions et des accords de Minsk, contre une invasion et une annexion. Et nous serions les responsables ?
On nous présentait déjà les choses comme cela auparavant. Combien de fois nous a-t-on dit que l’Europe avait été imprudente en proposant des accords à l’Ukraine ? C’était pourtant le minimum ! Nous avons toujours pris la précaution d’annoncer que l’Ukraine n’entrerait pas dans l’OTAN, nous lui avons proposé un simple accord commercial – je suis bien placé pour le savoir, je l’ai présenté au Sénat – comme à des dizaines de pays dans le monde.
C’était déjà trop. C’était déjà une provocation aux yeux de Vladimir Poutine ! Dans quel monde vivons-nous, où certains estiment normal qu’un accord commercial soit suivi d’une invasion en représailles ? Depuis quand un pays indépendant, l’Ukraine, n’est-il pas libre d’établir des accords commerciaux avec qui il veut ? Il ne s’agissait pas d’un accord militaire, d’un accord de défense pour contrer une éventuelle agression, mais seulement d’un accord commercial. C’était déjà une provocation !
J’ai beaucoup apprécié le raisonnement de M. le secrétaire d’État : bien entendu, les sanctions emportent des conséquences négatives à court terme, parce qu’elles sont là pour faire en sorte qu’à long terme, les conséquences, beaucoup plus négatives de la situation, cessent et que le droit international soit respecté.
Non, ce ne sont pas les sanctions qui sont responsables de la détérioration des relations.
Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements identiques ?
Permettez-moi deux observations. La première est destinée à Nathalie Goulet : il n’est absolument pas question dans le texte ni dans nos esprits respectifs de lever les sanctions. Ce n’est pas l’objet du débat d’aujourd’hui.
On ne peut pas dire imprudemment que le Sénat a demandé la levée des sanctions : la demande vient de l’Assemblée nationale. Soyons prudents ! Nous rétablissons, au contraire, l’équilibre, et nous nous positionnons de façon sage.
Les causes sont suffisamment graves, vous l’avez dit, monsieur Malhuret. Personne ici n’a omis de rappeler que l’Ukraine a été agressée et que la Crimée a été annexée. C’est clair dans nos esprits.
Deuxième observation, j’entends ce que vient de dire M. Malhuret, et cela correspond absolument à ce que nous craignions : la situation se dégrade et nous allons au-devant d’un risque évident de redémarrage du conflit.
Comme personne, ici, ne veut l’usage de la force, nous retombons sur nos pieds en suivant la commission. On ne peut nier que les sanctions diplomatiques et individuelles ont rendu plus difficile la conduite du dialogue avec la Russie. Il est nécessaire de le réamorcer, mais avec les parlementaires. Tout cela me semble se mettre en cohérence.
Quant aux sanctions sectorielles, elles ont produit un effet économique, c’était l’objectif, d’un côté comme de l’autre, nous l’avions montré dans notre rapport d’octobre dernier. Pour ne citer que les chiffres que les uns et les autres ont repris, le FMI estime à 1, 5 point de PIB l’effet économique des sanctions sur la Russie ; les exportations de l’Union européenne vers la Russie ont diminué de plus de 40 % durant l’année 2015.
Incontestablement, ces sanctions ne suffisent pas à débloquer la situation. Alors, que voulons-nous ? Poursuivre vers ce conflit que nous voyons se réamorcer ou tenter de débloquer la situation politique par un dialogue avec les parlementaires ?
Sur ces trois amendements identiques, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Les précisions qu’a apportées Mme Durrieu au sujet des sanctions sont tout à fait nécessaires. En relisant le texte, je constate que nous sommes en effet tout à fait d’accord, madame la rapporteur.
Monsieur Leconte, on ne peut pas dire, naturellement, que les problèmes des pays concernés ne sont dus qu’aux sanctions.
On constate pourtant la responsabilité de l’embargo sur un certain nombre de licenciements. Beaucoup de parlementaires connaissent des entreprises qui subissent des dégâts du fait de l’embargo. Un grand désarroi règne parmi les hommes d’affaires français en Russie, les agriculteurs subissent des pertes d’exploitation très importantes, ainsi que les industriels.
Je pourrais citer beaucoup d’exemples, dans différentes régions. Dans mon département est installée la plus importante entreprise de porcelaine de France : Deshoulières APILCO Porcelaine de Sologne. Cette entreprise employant trois cents personnes a rencontré de grosses difficultés en 2002, qui ont conduit à son rachat par des Russes, lesquels ont injecté 70 millions d’euros. Ils disposaient d’une usine à Saint-Pétersbourg.
Aujourd’hui, ils font face à des problèmes en raison de l’embargo. Ils ont investi dans le pétrole et dans les banques et toutes leurs affaires en Russie souffrent. De ce fait, ils se dégagent totalement de l’entreprise de ma ville. Ils sont partis, et celle-ci est en redressement. Comme il n’y aura sans doute pas de repreneur, elle risque d’être mise en liquidation.
Il faut donc mesurer les effets de l’embargo, qui sont négatifs pour un certain nombre d’entreprises. Au cours d’une réunion organisée par l’excellent président du groupe d’amitié, notre collègue Jean Bizet disait que les échanges de la France avec la Russie subissaient une baisse considérable, quand ceux des Américains – qui ne manquent pas une occasion de nous donner des leçons ! – connaissent une augmentation considérable. Apparemment, tout le monde ne partage donc pas la même conception !
On ne peut donc pas dire que ces sanctions n’emportent pas de conséquences fâcheuses pour l’économie russe, mais aussi pour l’économie française.
Je suis absolument d’accord avec ce que vient de dire notre collègue Fouché.
J’ai été un peu trop vif tout à l’heure et j’ai corrigé en disant qu’il y avait bien d’autres causes et pas exclusivement les sanctions. Effectivement, le cas que vous nous indiquez est lié aux sanctions. Cependant, j’attire votre attention sur le fait que l’on ne peut pas considérer les seules sanctions européennes, en particulier concernant le financement des entreprises. Je connais des exemples d’investissements russes en France et dans plusieurs pays européens, ou encore en Serbie, qui sont bloqués.
En réalité, il faut tenir compte des sanctions européennes, mais aussi des sanctions américaines. Même si l’Europe lève toutes les sanctions, les entreprises bloquées pour les raisons que vous indiquez ne pourront rien faire parce qu’elles seront toujours visées par les sanctions américaines, qui visent l’ensemble des financements. Les banques françaises, vous le savez bien, n’agissent pas dès lors que plane la menace d’une sanction américaine. C’est vrai pour l’Iran, c’est vrai pour la Russie. Le problème est général pour le commerce qui n’est pas nécessairement sous embargo entre l’Union européenne et la Russie.
En l’absence d’une parole forte de l’Union européenne avec les États-Unis pour éviter que les sanctions américaines ne s’imposent unilatéralement sur les entreprises européennes, les entreprises n’obtiendront pas les financements, quelle que soit la position de l’Union européenne. Pendant que les banques françaises ont peur des amendes américaines, il faut savoir que Goldman Sachs finance des milliards d’euros d’investissements vers la Russie.
Ne disons pas que tout vient des sanctions européennes. Si nous voulons travailler sur le blocage des entreprises et sur les cas que vous indiquez, sachons que même la levée des sanctions européennes ne résoudra pas le moindre problème tant que l’Union européenne n’aura pas coordonné sa politique de sanctions avec celle des États-Unis. Je regrette que ce point fondamental ne figure pas dans la résolution. Il est inexact de faire croire que la difficulté sera résolue en votant cette résolution !
C’est vrai aussi pour l’Iran.
Nous avons un problème global dans la manière dont les sanctions sont mises en œuvre parce que les États-Unis ont une pratique différente. L’Union européenne doit s’impliquer dans cette affaire.
Permettez-moi de rebondir sur les derniers propos qui viennent d’être tenus par notre collègue Leconte. Si je suis globalement en désaccord avec l’ensemble de ses amendements, je suis en revanche tout à fait d’accord avec lui lorsqu’il fait état de l’extraterritorialité des lois américaines, mais ce n’est pas l’objet de la proposition de résolution.
Nous sommes précisément en train d’aborder le sujet collatéralement dans le cadre du traité transatlantique, où il nous faut affirmer la puissance de l’Europe en la matière. Les textes sont prêts, mais il manque de la cohérence entre les vingt-huit États membres. L’extraterritorialité des lois américaines est un sujet sur lequel nous pourrons nous retrouver ultérieurement.
Les amendements ne sont pas adoptés.
Je suis saisie de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 20, présenté par M. Malhuret, est ainsi libellé :
Alinéa 17
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Claude Malhuret.
Nous en arrivons à un sujet de fond de cette résolution. Monsieur le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, il faut vraiment que le Gouvernement donne sa position dans cette affaire par rapport à la Russie et par rapport à nos engagements européens, et vous avez commencé à le faire.
Jusqu’à présent, en définitive, les choses étaient assez simples. À l’Assemblée nationale, le groupe socialiste s’est opposé, avec votre accord, à une résolution scandaleuse préconisant la levée immédiate de toutes les sanctions, résolution proposée par une conjonction d’idiots utiles, comme les appelait Lénine, qui n’ont pas encore compris que Poutine était un dictateur, et de professionnels de l’antiaméricanisme et de l’antieuropéisme, pour lesquels, lorsque la Russie envahit l’Ukraine et la Crimée, c’est la faute des Américains et de l’Europe !
Aujourd'hui, la résolution que nous étudions est présentée notamment par un sénateur socialiste et il apparaît qu’elle va être votée par son groupe. En tout cas, elle l’a été en commission. Certes, cette résolution est moins indécente que celle de l’Assemblée nationale, mais elle n’en traduit pas moins un changement de cap radical puisqu’elle prend le contre-pied des accords de Minsk, pourtant négociés par le Président de la République.
Je voudrais vous poser directement la question, monsieur le secrétaire d'État : le Gouvernement a-t-il changé de position ? Est-il désormais pour une levée progressive des sanctions avant même que toutes les conditions des accords de Minsk ne soient réunies ? Le Gouvernement est-il prêt à lever sans aucune condition, comme l’indique la résolution et contrairement à ce que dit Mme Durrieu, les sanctions contre les parlementaires russes qui ont appelé à l’invasion de l’Ukraine et de la Crimée ?
Vous avez déjà répondu, monsieur le secrétaire d'État, et j’ai cru comprendre que le Gouvernement s’en tenait exclusivement aux accords de Minsk. Je voudrais que vous le confirmiez, car si vous donnez un avis favorable sur ce texte ou si vous vous en remettez à la sagesse du Sénat, les commentateurs et nos alliés, à la veille du sommet européen de la fin juin, comprendront qu’il s’agit d’un infléchissement de la position française. Si nous votons cette résolution, les journaux titreront demain, ne nous faisons aucune illusion : « La France pour une levée partielle des sanctions » !
J’aimerais donc que vous répétiez, monsieur le secrétaire d'État, la position qui me paraissait très ferme et très agréable à mes oreilles que vous avez exprimée en début de séance.
L'amendement n° 7, présenté par M. Leconte, est ainsi libellé :
Alinéa 17
Rédiger ainsi cet alinéa :
Appelle de ses vœux une évaluation puis un allégement progressif et partiel du régime des sanctions de l’Union européenne à l’encontre de la Russie, en particulier des sanctions économiques, en liant tout allégement à des progrès significatifs et ciblés dans la mise en œuvre des accords de Minsk par rapport à la situation prévalant au moment de l’adoption, le 12 février 2015, de l’ensemble des mesures sur l’application des accords, et invite le Gouvernement à coordonner avec les États-Unis d’Amérique cette évaluation ainsi que l’évolution des sanctions afin que celles appliquées par les États-Unis d’Amérique n’impactent pas nos entreprises tandis qu’elles laissent les entreprises américaines en mesure d’obtenir des dérogations aux sanctions par l’intermédiaire de l’Office of Foreign Assets Control (OFAC) ;
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
Vous remarquerez, même si je suis d’accord avec mon collègue Malhuret sur le fond, que cet amendement diffère du sien. Je dis à ceux qui souhaiteraient une évolution progressive des sanctions que cela ne sert à rien tant que l’on ne travaille pas avec les États-Unis d’Amérique sur l’évolution de leurs sanctions. À défaut, vous dites aux entreprises que vous réglez leur problème, mais il n’en est rien !
Je suis favorable à l’amendement de Claude Malhuret, mais j’invite ceux qui souhaitent une évolution progressive des sanctions à travailler pour qu’elles évoluent réellement, non pas dans les déclarations européennes, mais dans la manière dont elles s’appliquent aux entreprises.
L'amendement n° 15, présenté par M. Maurey, est ainsi libellé :
Alinéa 17
Remplacer les mots :
à des progrès significatifs et ciblés dans la mise en œuvre des accords de Minsk par rapport à la situation prévalant au moment de l’adoption, le 12 février 2015, de l’ensemble des mesures sur l’application des accords
par les mots :
au plein respect des accords de Minsk et en particulier du cessez-le-feu dans le Donbass
J’appelle également en discussion l'amendement n° 16, toujours présenté par M. Maurey, et ainsi libellé :
Alinéa 17
Supprimer les mots :
par rapport à la situation prévalant au moment de l’adoption, le 12 février 2015, de l’ensemble des mesures sur l’application des accords
La parole est à M. Hervé Maurey, pour présenter ces deux amendements.
Ces deux amendements visent à ce que la levée des sanctions soit directement liée au respect des accords de Minsk, notamment à la question du cessez-le-feu dans le Donbass.
Comme je l’ai rappelé précédemment, pour rebondir sur la demande adressée par M. Malhuret à M. le secrétaire d'État, le Président de la République a réaffirmé, voilà quelques jours seulement, qu’une levée des sanctions, même progressive, dépendait d’un cessez-le-feu dans le Donbass et de l’organisation d’élections en Ukraine, les deux étant liés tant il est difficile d’organiser des élections sur un territoire où le cessez-le-feu n’est pas respecté.
J’attends donc avec beaucoup d’impatience, moi aussi, la position du Gouvernement.
L’amendement n° 20 de M. Malhuret tend à supprimer ce qui est l’objet même de la résolution, à savoir un allégement progressif et partiel du régime de sanctions de l’Union européenne en fonction de progrès significatifs et ciblés dans la mise en œuvre des accords de Minsk.
L’adaptation proposée vise à doter le régime de sanctions d’un caractère incitatif, alors que dans sa forme actuelle il contribue à figer la situation et empêche le progrès. La commission a donc émis un avis défavorable sur l’amendement n° 20.
Concernant l’amendement n° 7, monsieur Leconte, faire entrer les États-Unis dans le jeu nous paraît tout à fait malvenu. Ce serait donner raison à la Russie, qui dénonce volontiers un alignement de l’Union européenne sur les États-Unis. Je pense que nous devons veiller, au contraire, à conforter notre indépendance tant dans notre analyse que dans notre action.
Le format « Normandie », c’est d’abord la France et l’Allemagne et, à travers elles, l’Europe. L’avis de la commission est donc très défavorable.
L’amendement n° 15 de M. Maurey tend à supprimer toute référence à des progrès significatifs et ciblés, à conditionner tout allégement des sanctions à la mise en œuvre intégrale des accords de Minsk. Cela va à l’encontre du dispositif prévu par la résolution que nous soutenons.
Les qualificatifs « significatifs et ciblés », s’agissant des progrès, sont importants, parce qu’ils font écho à la ligne exprimée par le Président de la République et le ministre allemand des affaires étrangères, qui, dans deux récentes déclarations, ont évoqué la possibilité d’une modulation des sanctions ou d’une levée graduelle en fonction de l’application des accords. Il est donc souhaitable d’employer ces mêmes termes pour marquer notre soutien à la position diplomatique française.
L’amendement n° 16, qui est un amendement de repli par rapport au précédent, vise à changer la situation de référence pour apprécier les progrès enregistrés. Cependant, sa portée ne nous semble pas évidente. Pour que la disposition de l’alinéa 17 soit pleinement opérante, nous pensons qu’il est nécessaire de définir clairement une situation de référence. L’avis de la commission est donc également défavorable.
Madame la présidente, ces quatre amendements sont très différents.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement n° 7, dont la deuxième partie, comme cela vient d’être souligné par le rapporteur, introduit un lien qui n’a pas lieu d’être établi entre une décision européenne et la politique de sanctions des États-Unis.
Nous dialoguons évidemment avec les États-Unis, avec tous les acteurs de la communauté internationale pour œuvrer dans le même sens à la résolution du conflit en Ukraine. Je tiens à préciser, d’abord, que la politique de la France est indépendante. Ensuite, elle vise à l’existence d’une unité européenne. Même si des débats ont lieu entre les États membres de l’Union européenne, nous avons toujours eu pour ligne de conduite, premièrement, de viser à créer les conditions du retour à un dialogue politique entre la Russie et l’Ukraine pour une résolution diplomatique du conflit et, deuxièmement, de faire en sorte que les Européens prennent à l’unanimité, à chaque étape, des décisions concernant les sanctions, leur extension et le lien avec la mise en œuvre complète de la feuille de route de Minsk. De ce point de vue, notre position n’a pas changé - et là, je réponds à Claude Malhuret.
C'est pourquoi, d'ailleurs, nous nous en remettons à la sagesse du Sénat sur les amendements n° 20, 15 et 16.
La levée des sanctions est liée à la mise en route des accords de Minsk. Notre position n’a pas changé. Le Président de la République a d'ailleurs eu l’occasion de s’exprimer, le 27 mai, à l’occasion du G7 : « Les sanctions seront modulées en fonction de l’application, notamment par la partie russe, de l’accord de Minsk. » Il ajoutait : « Les sanctions seront donc maintenues tant que ce processus n’est pas pleinement mis en œuvre, mais elles peuvent être modulées s’il est prouvé que cet accord se trouve appliqué. »
Cette position doit être exprimée de façon extrêmement claire, parce qu’elle est comprise par les deux parties au conflit. Je l’ai dit tout à l’heure, nous demandons aux deux parties d’honorer les engagements qu’elles ont pris, au terme des accords qui ont été négociés à Minsk, en présence du Président de la République et de la chancelière d’Allemagne. L’Ukraine doit mettre en œuvre un certain nombre de réformes et la Russie faire cesser les combats par les séparatistes, permettre à l’OSCE d’installer la mission d’observation, faire en sorte que les élections puissent être organisées et reconnaître l’intégrité territoriale de l’Ukraine et sa frontière internationale.
Je ne reviens pas sur les autres éléments qui ont été rappelés de façon très juste par les différents orateurs.
Il n’est donc pas contradictoire de dire que la levée des sanctions est liée à la mise en œuvre intégrale des accords de Minsk et que nous encourageons chacune des deux parties à progresser dans cette voie, que les sanctions, de même qu’elles ont été renforcées quand les engagements n’étaient pas tenus, peuvent être modulées, progressivement levées au fur et à mesure de l’accomplissement des engagements.
De même, si les accords de Minsk étaient mis en œuvre, et nous faisons tout pour qu’ils le soient le plus vite possible, puis de nouveau remis en cause, les sanctions pourraient être rétablies. Il existe vraiment, à présent, une position européenne commune qui établit clairement ce lien. Nous pensons que c’est l’intérêt de l’Ukraine et de la Russie, et qu’il n’y a pas d’autre voie à la résolution de ce conflit.
Je me suis permis d’intervenir un peu longuement, madame la présidente, le sénateur Malhuret ayant souhaité que le Gouvernement précise, à l’occasion de l’examen de ces amendements à l’alinéa 17, la position qui est la sienne. Cependant, sur ces trois amendements, nous nous en remettons à la sagesse du Sénat, à qui il revient de décider. Que ces amendements soient ou non adoptés, excepté l'amendement n° 7 faisant le lien avec les décisions d’un autre État, les États-Unis, nous pensons que la clarté de notre position n’est pas remise en cause.
Notre collègue Malhuret ayant posé le problème sur ce terrain-là, je voulais simplement lui faire observer que tous les idiots utiles présents dans cet hémicycle ne sont pas tous utiles au même pays !
Concernant la liaison avec les États-Unis, comme je le disais à propos d’amendements précédents, si nous ne disons pas les choses telles qu’elles sont, nous ne sommes pas crédibles.
Nos banques acceptent-elles de travailler sur les transactions autorisées avec la Russie ? La réponse est non ! Nos banques acceptent-elles de travailler sur des transactions autorisées avec l’Iran ? La réponse est non ! Pourquoi ? Parce que, effectivement, un autre pays entre en jeu.
À partir de là, nous pouvons laisser penser que nous pouvons un jour décider seuls de lever les sanctions, mais c’est faux, non pas que nous soyons soumis, mais parce que nous avons un défi à relever et que notre souveraineté est atteinte. Je préfère que nous en soyons conscients, parce que les entreprises qui souffrent aujourd'hui des sanctions savent parfaitement qu’elles ne pourront retrouver aucune activité tant que la décision n’aura pas été prise aussi de l’autre côté de l’Atlantique. Il est préférable de le dire. Ce n’est pas de la soumission, c’est une observation, et la connaissance est le début de l’émancipation.
Je ne m’exprimerai pas à cet instant en qualité de président du groupe d’amitié France-Russie. J’estime que ces groupes d’amitié doivent être l’occasion d’approfondir les connaissances mutuelles, mais qu’il appartient aux commissions compétentes d’exprimer leur conviction et, naturellement, à chacun des groupes et à l’assemblée de prendre parti.
Je voudrais traiter un sujet que mon collègue et ami Claude Malhuret a évoqué sur un mode qui me paraît excessif.
Il n’appartient pas aux entreprises françaises, aux paysans français de payer directement l’instabilité d’une partie du monde qui n’a connu l’ordre que dans le cadre stalinien.
Car le problème ukrainien est ancien. Certes, Anne de Kiev a été reine de France, mais, soyons honnêtes, cette région du centre de l’Europe était en proie à un immense désordre et à des conflits entre l’Ouest et l’Est bien avant que ces concepts n’existassent. Que la Grande Catherine ait absorbé l’Ukraine et imposé à la Pologne une annexion avec la complicité de l’Autriche, c’est une certitude. Que Vladimir Poutine ne soit pas le modèle de démocrate auquel nous sommes habitués en Europe de l’Ouest, c’est aussi une certitude. Mais il n’est pas à l’origine du désordre ukrainien, il en est l’héritier.
C’est une très longue histoire, que les trente-huit secondes de temps de parole qui me restent ne me permettent pas d’évoquer.
M. Poutine essaye peut-être de marquer un point, mais est-ce à l’économie française de payer pour un désordre dont elle n’est nullement responsable et qui relève – vous avez raison de le souligner, monsieur le secrétaire d’État – d’une conviction européenne forte et constante ? Je vous pose la question, mes chers collègues.
Cette résolution est compatible avec les convictions européennes, et l’avis de sagesse du Gouvernement montre d’ailleurs que vous êtes extrêmement partagé, monsieur le secrétaire d’État.
Nous faisons notre travail de parlementaires, nous exprimons une conviction et cette conviction est que les intérêts français ne doivent pas être sacrifiés à un désordre séculaire.
Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
En entendant parler d’histoire, l’historien que je suis est nécessairement interpellé. Il me semble tout de même que l’on ne peut pas, au nom des désordres passés…
… de cette partie du monde, refuser à un État de devenir une nation européenne parmi les autres. L’Ukraine a tenté d’exister de manière indépendante de la Russie à plusieurs reprises. Ce fut notamment le cas en 1918, mais l’Armée rouge s’est assez vite chargée de calmer son désir d’indépendance. Elle s’est parfois trouvée compromise avec Hitler, parce que Staline l’avait tellement brimée qu’elle avait cru à tort que l’arrivée de l’Allemagne pourrait la libérer. Elle a ensuite combattu aux côtés de l’Armée rouge pour chasser les nazis.
Maintenant, elle a obtenu de devenir un État indépendant et elle veut prendre toute sa place dans le concert des nations européennes. Je crois que nous devons aider les Ukrainiens dans cette voie, et ne pas être tributaires des tourments qui peuvent parfois se manifester dans ce pays. Ne nous y trompons pas, mes chers collègues, je me suis rendu, moi aussi, place Maïdan, lors de ces événements qui nous ont tous un peu surpris, et j’ai vu que la jeunesse ukrainienne aspirait à avoir une place en Europe et à ressembler aux nations voisines comme la Pologne.
Personne n’ira reprocher à la Pologne d’être devenue une nation indépendante, fière de l’être et membre de l’Union européenne. L’Ukraine n’a sûrement pas atteint le même degré d’évolution, mais nous avons tout de même le devoir de manifester un peu de sympathie envers ce pays et sa volonté de devenir pleinement indépendant, ce qui n’exclut pas de veiller aussi à ce que l’Ukraine ne soit pas utilisée contre la Russie. C’est pourquoi nous devons aussi leur dire clairement qu’ils n’ont actuellement pas leur place dans l’OTAN.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n'est pas adopté.
Mes chers collègues, il est presque vingt heures, et il reste neuf amendements à examiner. Je veux bien prolonger de quelques minutes encore nos travaux pour que nous puissions terminer la discussion de cette importante proposition de résolution, mais je suis tenue par les dispositions du règlement. Un autre texte est inscrit à l’ordre du jour après le dîner, sa discussion ne peut commencer à vingt-trois heures et je suis tenue de suspendre la séance pendant au moins une heure trente. Je vous invite donc, mes chers collègues, à faire preuve de concision. Sinon, nous devrons reprendre la suite de cette discussion après le dîner.
Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 21, présenté par M. Malhuret, est ainsi libellé :
Alinéa 18
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Claude Malhuret.
Je ne m’étendrai pas sur cet amendement, très proche du précédent. Puisque nous restons peu ou prou dans le cadre de la même discussion, je voulais dire à Harlem Désir que sa réponse m’avait quelque peu déçu.
En début de séance, j’avais cru comprendre qu’il s’agissait d’appliquer tous les accords de Minsk, et rien que les accords de Minsk, qui prévoyaient une levée des sanctions lorsque toutes les conditions posées par ces accords seraient satisfaites. Or la position que vous exprimez à présent est plutôt celle d’une modulation progressive – vous avez d’ailleurs parlé de « mise en route » des accords, et non de « mise en œuvre ». Je perçois un certain infléchissement de la ligne du Gouvernement et je crains qu’elle ne soit pas identique à celle de nos partenaires européens. Mais il se peut aussi que je me trompe.
L'amendement n° 17, présenté par M. Maurey, est ainsi libellé :
Alinéa 18
Après le mot :
politiques
insérer les mots :
au regard des signes clairs et non équivoques de respect de ses engagements par la Russie
La parole est à M. Hervé Maurey.
Le présent amendement prévoit de lier la réévaluation des sanctions à la manifestation de signes clairs et non équivoques par la Russie de son intention de respecter ses engagements, en particulier qu’elle mette un terme à l’instabilité qu’elle entretient dans l’est de l’Ukraine.
La commission est défavorable à l’amendement n° 21. Incontestablement, il est important de renouer le dialogue – on tourne en permanence autour de ce mot.
Il est tout de même nécessaire de pouvoir apprécier politiquement la situation, d’essayer d’anticiper et peut-être aussi de mieux apprécier les intentions de M. Poutine. Chaque fois que l’on prononce son nom, on se demande ce qui va arriver de nouveau. Il n’est pas imprévisible, il a une stratégie et il suit son chemin. Il nous revient de mieux analyser cette situation politique et de renouer le dialogue avec les responsables politiques et nos collègues parlementaires.
Il apparaît également pertinent à la commission d’entretenir les relations bilatérales. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait avec les rapporteurs et le président de la commission lorsque nous avons accepté de recevoir une délégation russe du Conseil de la Fédération conduite par M. Kossatchev, responsable du comité des affaires internationales. Ensemble, nous avons débattu de façon approfondie du rapport de la commission des affaires étrangères du Sénat, qu’ils avaient fait traduire en russe. Ils nous ont proposé de venir débattre de leur contre-rapport à l’automne, en vue d’établir une éventuelle synthèse. Nous verrons jusqu’où la démarche nous conduit, mais il ne faut désespérer de rien. Peut-être est-ce la bonne voie.
La commission est également défavorable à l’amendement n° 17.
Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur ces deux amendements.
Je redis aussi à Claude Malhuret que la position du Gouvernement n’a pas changé : les sanctions seront maintenues tant que les accords de Minsk ne seront pas complètement mis en œuvre. Cela n’empêche pas que nous sommes prêts à prendre en compte tous les pas qui seront faits dans cette direction. Mais la condition de la levée complète des sanctions, c’est la mise en œuvre complète des accords.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n'est pas adopté.
L’amendement n° 8, présenté par M. Leconte, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 18
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Invite le Gouvernement à préconiser une réouverture des discussions Union européenne-Russie sur la libéralisation des visas pour les ressortissants russes dans l’espace Schengen, et sa réciproque ;
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
Les sanctions ont été justifiées par la politique de l’État russe, mais nous devons maintenir et développer tous les échanges avec la société. C’est important pour la bonne compréhension des choses et l’évolution de la situation.
L’Union européenne a émis un avis favorable sur la levée des visas pour la Géorgie, l’Ukraine, le Kosovo et la Turquie, mais a gelé les négociations avec la Russie depuis 2014, comme conséquence des sanctions visant l’action de la Russie en Ukraine.
Il me semble que les ressortissants russes doivent aussi pouvoir circuler dans l’espace Schengen, et qu’il n’est pas opportun de sanctionner ainsi les citoyens. Il convient donc selon moi d’ouvrir le plus rapidement possible des négociations avec la Russie afin de lever à terme les visas pour les ressortissants russes dans l’espace Schengen. Nous espérons que l’Union européenne y sera favorable.
Cet amendement est hors sujet. La libéralisation des visas sera étudiée ultérieurement.
En conséquence, l’avis est défavorable.
L’avis est également défavorable. La suspension des discussions entre l’Union européenne et la Russie sur la libéralisation des visas fait partie des mesures restrictives dites « de phase 1 ». Si nous sommes favorables à l’utilisation des sanctions, nous ne devons pas renoncer à celle-là. Le Gouvernement estime que les conditions ne sont pas réunies pour la levée de ces mesures.
L'amendement n'est pas adopté.
Je suis saisie de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 22, présenté par M. Malhuret, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Claude Malhuret.
J’ai en effet trois choses essentielles à dire sur cet alinéa 19, qui me semble être celui qui pose le plus de problèmes. Ne pouvant les exprimer en deux minutes trente, je vais donc non seulement utiliser tout mon temps de parole pour présenter mon premier point, mais je reprendrai aussi la parole lors des explications de vote pour exposer les deux suivants.
Cet alinéa joue sur la corde sensible des parlementaires que nous sommes pour tenter d’aller beaucoup plus loin que précédemment, en appelant à la levée immédiate, sans délai et sans condition des sanctions à l’égard des parlementaires russes. C’est exactement le contraire de la philosophie des accords de Minsk.
Je voudrais en premier lieu me tourner vers mes collègues des différents groupes politiques composant cette assemblée : aujourd’hui, de la même façon que les parlementaires russes sont interdits de séjour en Europe, 89 personnalités européennes sont interdites de séjour en Russie. Parmi elles, on compte notamment, mesdames, messieurs du groupe socialiste et républicain, Bruno Le Roux, à la suite du scandale pour lequel Claude Bartolone a été obligé de se fâcher – d’autres socialistes européens sont aussi interdits de séjour –, mais aussi, mesdames, messieurs les membres du groupe écologiste, Daniel Cohn-Bendit, ancien parlementaire européen. Mesdames, messieurs des groupes UDI-UC et Les Républicains, sachez également que Guy Verhofstadt, ancien Premier ministre belge libéral, Karl-Georg Wellmann, député allemand, et Nick Clegg, ancien vice-premier ministre libéral du Royaume-Uni – excusez du peu ! –, sont également interdits de séjour en Russie.
Allez-vous, mes chers collègues, voter sans amender ce texte qui prévoit la levée inconditionnelle et sans délai des sanctions pour les parlementaires russes, sans exiger dans le même temps que les parlementaires français et européens soient admis en Russie ?
Puisqu’on joue sur la corde sensible des parlementaires, allons jusqu’au bout et exigeons au minimum que nous soyons traités de la même manière. Je dirai tout à l’heure de quelle façon nous devons, me semble-t-il, respecter les parlementaires russes, qui ne sont pas les mêmes que les nôtres.
L'amendement n° 1, présenté par M. Roger, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Rédiger ainsi cet alinéa :
Invite le Gouvernement à appeler ses partenaires européens à reprendre le dialogue avec les parlementaires russes, tout en réaffirmant son ferme soutien au gouvernement et au peuple de l’Ukraine dans leur combat pour l’indépendance et l’intégrité territoriale ;
La parole est à M. Gilbert Roger.
Cet amendement me paraît plus précis et moins ambigu que l’amendement n° 11. Si je suis favorable au dialogue parlementaire, je n’apprécie guère la rédaction de ce dernier amendement, qui prévoit de « travailler à la levée des sanctions individuelles », des termes qui établissent un parallèle avec les sanctions économiques, évoquées plus loin dans le texte, en même temps que l’embargo phytosanitaire, dont je ne comprends d’ailleurs pas vraiment la mention dans cette proposition de résolution.
Selon moi, cet amendement serait utile si l’application progressive des accords de Minsk pouvait conditionner la levée progressive des sanctions politiques à l’égard des parlementaires.
Comme notre collègue Claude Malhuret, j’ai aussi observé que la Russie n’assure aucune réciprocité en la matière et que des personnalités européennes sont interdites de séjour en Russie, en particulier certains parlementaires français, dont mon ami Bruno Le Roux.
C’est la raison pour laquelle je vous propose, mes chers collègues, d’adopter cet amendement, qui invite à reprendre le dialogue avec les parlementaires russes, sans toutefois que les sanctions soient levées, et en réaffirmant notre ferme soutien au gouvernement et au peuple de l’Ukraine dans leur combat pour l’indépendance et l’intégrité territoriale.
L'amendement n° 18 rectifié, présenté par M. Maurey, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Rédiger ainsi cet alinéa :
Invite le Gouvernement à appeler ses partenaires européens à lever progressivement les sanctions individuelles visant les parlementaires russes, à mesure des progrès constatés dans l’application des accords de Minsk, et à réaffirmer leur soutien à l’Ukraine dans la restauration de son intégrité territoriale ;
La parole est à M. Hervé Maurey.
Cet amendement vise à la reprise du dialogue, mais en fonction des progrès constatés dans la mise en place des accords de Minsk.
L'amendement n° 9, présenté par M. Leconte, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Rédiger ainsi cet alinéa :
Invite le Gouvernement à appeler ses partenaires européens à lever sans délai les sanctions individuelles visant les parlementaires russes, qui constituent un obstacle au dialogue parlementaire et politique, à convaincre l’Ukraine et la Russie de devenir membres de la Cour pénale internationale et à s’engager à coopérer avec elle pour que tout crime commis au cours de ce conflit puisse y être déféré ;
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
Je suis favorable à ce que les parlementaires puissent librement circuler et, sur ce point, la proposition de résolution me semble correctement rédigée. Nous devons défendre la liberté des parlementaires, même si nous avons aussi le droit de critiquer parfois telle action ou tel déplacement. En revanche, il n’est pas acceptable qu’une personne présumée coupable de crimes de guerre en Ukraine puisse librement passer ses vacances à Courchevel.
C’est pourquoi je souhaite qu’on maintienne les choses telles qu’elles sont aujourd’hui. Et si l’on souhaite les faire évoluer en les durcissant un peu, pourquoi pas ?
Mais en tout état de cause, il me semble important d’inciter à la fois l’Ukraine et la Russie à devenir membres de la Cour pénale internationale pour faire en sorte que ces deux pays n’acceptent pas de laisser impunis des crimes de guerre, y compris ceux commis sur leur territoire.
L’amendement n° 11, présenté par MM. Reiner et Sutour, Mme Durrieu et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Rédiger ainsi cet alinéa :
Invite le Gouvernement à appeler ses partenaires européens à travailler à la levée des sanctions individuelles visant les parlementaires russes, qui constituent un obstacle au nécessaire et utile dialogue parlementaire et politique ;
La parole est à M. Didier Marie.
Cet amendement, déposé par le groupe socialiste et républicain, vise à appeler les partenaires européens à travailler à la levée des sanctions individuelles visant les parlementaires russes.
Il n’est évidemment pas possible que de telles sanctions soient levées de façon inconditionnelle et sans délai.
Il est nécessaire que cela s’accompagne d’avancées réelles et sérieuses de la part de la Russie et que les parlementaires en question prennent position en faveur de telles avancées.
C’est la raison pour laquelle nous souhaitons modifier la rédaction originelle de l’alinéa 19.
L’avis est défavorable sur les amendements n° 22, 1, 18 rectifié et 9.
En ce qui concerne l’amendement n° 22 de M. Malhuret, nous n’allons pas nous répéter éternellement… Selon nous, il faut promouvoir le dialogue et, pour cela, il faut lever les sanctions contre les parlementaires et rétablir un échange à ce niveau.
Pour l’amendement n° 1, il a semblé à notre commission que l’avancée proposée par Gilbert Roger était peu significative, car le dialogue parlementaire est déjà une réalité. Néanmoins, ce dialogue reste entravé par les sanctions individuelles ; par conséquent, il est nécessaire de les lever pour le réactiver.
L’amendement n° 18 rectifié de M. Maurey va dans le bon sens, mais il est concurrent de l’amendement n° 11, présenté notamment par MM. Reiner et Sutour et par moi-même, sur lequel, comme Robert Del Picchia va vous l’indiquer dans quelques instants, l’avis de la commission est favorable.
Enfin, l’amendement n° 9 de M. Leconte affiche comme objectif d’inciter l’Ukraine et la Russie à devenir membres de la Cour pénale internationale, ce qui est légitime et louable. Mais il n’a pas sa place dans le texte dont nous débattons précisément aujourd’hui et qui concerne principalement les sanctions. La commission considère cette question comme hors sujet. L’avis est donc défavorable.
Il s’agit d’une rédaction de compromis, à laquelle nous sommes favorables.
Comme nous l’avons vu lors des débats en commission, la formulation de l’alinéa 19 soulève, il est vrai, des questions, notamment au regard de la situation de certains parlementaires placés sous mandat d’arrêt international.
Cet amendement conserve l’objectif de lever les sanctions individuelles à l’encontre des parlementaires, tout en permettant de le faire avec discernement.
L’avis est donc favorable.
Sur les amendements n° 22, 1 et 18 rectifié, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
En ce qui concerne l’amendement n° 9 de M. Leconte, la mention de la Cour pénale internationale n’est pas cohérente avec le reste de la proposition de résolution. Ce sont deux sujets différents. Nous y sommes donc défavorables.
Enfin, le Gouvernement s’en remet également à la sagesse de la Haute Assemblée sur l’amendement n° 11 de MM. Reiner et Sutour et Mme Durrieu. La présentation qui vient d’en être faite par M. Del Picchia est excellente.
Comme je vous l’ai dit, madame la présidente, il s’agit de ma dernière intervention sur les amendements et je souhaite compléter mon propos précédent.
De quels parlementaires s’agit-il ?
On nous dit qu’il faut renouer le dialogue parlementaire et politique, mais on se moque du monde !
Un parlementaire français et un à la Douma, ça n’a rien à voir !
A-t-on oublié les gigantesques manifestations de Moscou, à la suite des dernières élections législatives, totalement trafiquées ? Ce sont d’ailleurs les dernières qui ont eu lieu, parce qu’après, la répression policière les a empêchées…
Des candidats interdits de se présenter !
Un bourrage des urnes systématique avec une majorité absolue pour le parti de Poutine… Je vous en donne les résultats : en Mordovie, 92 % ; en Ingouchie, 91 % ; en Tcherkessie, 90 % ; en Tchétchénie, 99, 5 % avec une participation de 99 % !
Vous appelez ça des parlementaires ? Vous voulez dialoguer avec eux ?
Continuez, mais je pense qu’on aurait plus intérêt à le faire directement avec Lavrov qu’avec ces marionnettes !
Et parmi les parlementaires avec lesquels vous voulez dialoguer, il va falloir vous boucher un peu le nez, parce qu’ils n’ont pas été sanctionnés au hasard.
Dix d’entre eux l’ont été, parce qu’ils ont appelé au déploiement officiel de troupes russes en Ukraine.
Parmi eux, Sergueï Jelezniak a organisé et conduit la manifestation pour l’envoi de l’armée russe en Ukraine.
Une autre « colombe », Sergueï Mironov, est l’auteur d’une proposition de loi « autorisant la Russie à admettre en son sein, dans le cadre de la protection des citoyens russes, des territoires d’un pays étranger sans l’accord de ce dernier ou sans un traité international ».
En allemand, ça a un nom : l’Anschluss !
Ce brave député, comme quelques autres, fait l’objet d’un mandat d’arrêt international de l’Ukraine.
Dès qu’on aura levé les sanctions, il se précipitera à Paris pour plastronner, peut-être invité – pour le remercier – par les parlementaires français qui sont allés nous faire honte en se rendant, dans les fourgons de l’armée russe, en Crimée occupée. Et lorsque son avion se posera à Roissy, le gouvernement ukrainien demandera immédiatement son arrestation. Bonjour les complications diplomatiques !
Je dirai une dernière chose : en proposant de lever les sanctions contre les parlementaires et en les gardant à l’encontre des autres personnalités, vous épargnez les cerveaux et tapez sur les bras !
Ceux qui ont exécuté les ordres restent sanctionnés, mais vous épargnez les sanctions à ceux qui sont parlementaires – donc des collègues…
Qui a pris les décisions, si ce n’est le gouvernement russe ? Qui a voté les crédits ? Qui a approuvé les moyens de l’intervention ? Ce sont bien les parlementaires !
On laisse donc frapper les bras et on épargne les cerveaux !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement est adopté.
L’amendement n° 23, présenté par M. Malhuret, est ainsi libellé :
Alinéa 20
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Claude Malhuret.
Il s’agit d’un amendement de coordination, qui n’a plus de sens à ce stade. Par conséquent, je vais le retirer.
Néanmoins, je voudrais vous rappeler que nous venons de voter la levée de sanctions contre les parlementaires russes, sans réciprocité de la part de la Russie.
Pas du tout, la réciprocité n’est pas dans le texte, même modifié !
Je retire l’amendement, madame la présidente.
Avant de mettre aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de résolution européenne relative au régime des sanctions de l’Union européenne à l’encontre de la Fédération de Russie, je donne la parole à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
Je souhaite simplement dire que je voterai cette proposition de résolution, parce qu’elle me semble refléter la complexité de la situation.
L’opposition entre un ogre russe tyrannique et un Petit Poucet démocratique ukrainien ne me paraît pas conforme à la réalité, comme le montre d’ailleurs le spectacle donné actuellement par le gouvernement de ce pays.
Je m’étonne d’ailleurs qu’en matière financière, on ait été plus raide avec la Grèce que nous ne le sommes avec l’Ukraine…
Je voterai également ce texte, parce que les sanctions contre la Russie sont aussi des sanctions contre nous-mêmes.
En l’état actuel de l’Europe, invoquer la solidarité, comme on nous le dit en matière de réfugiés, me paraît un peu excessif. Je cherche où est actuellement la solidarité entre Européens !
En tout état de cause, je pense que la politique extérieure de la France, comme celle de l’Europe d’ailleurs, gagnerait à être réellement indépendante.
Je suis tout de même un peu stupéfait que les entreprises européennes soient sanctionnées par les États-Unis, qui, dans le même temps, augmentent leurs échanges avec la Russie. C’est quand même quelque peu paradoxal…
Affirmer que nous voulons que les choses évoluent ne me paraît pas une mauvaise chose…
MM. Yvon Collin et Jacques Mézard approuvent.
La plupart des collègues avec lesquels j’ai discuté en dehors de cet hémicycle depuis que nous avons commencé d’étudier ce texte – qu’ils s’apprêtent ou non à le voter – m’ont dit à peu près la même chose : avait-on vraiment besoin de se mettre dans cette galère ?
Le Gouvernement n’est absolument pas demandeur. Il a d’ailleurs donné un avis de sagesse sur quasiment tous les amendements pour bien montrer qu’il n’est pas concerné et qu’il n’est pas lié…
Les deux principaux groupes du Sénat vont donner une consigne de vote favorable, sous un prétexte bizarre, rappelé par notre collègue Daniel Reiner et par le président de la commission des affaires étrangères et de la défense : il faudrait voter une résolution moins ridicule que celle de l’Assemblée nationale pour montrer que le Parlement français n’a pas totalement disjoncté…
Les sénateurs membres de ces groupes vont voter par discipline, en se demandant pourquoi on leur propose cette gymnastique inutile, qui, de toute façon, ne liera pas le Gouvernement.
Pour moi, c’est une drôle d’idée de penser qu’on peut atténuer un mauvais coup par une erreur !
Si nous pensons que la résolution votée à l’Assemblée nationale la nuit, à la sauvette, par un genre d’entourloupe que nous connaissons tous est une aberration – je pense que nous sommes une majorité ici à le penser –, il vaudrait beaucoup mieux laisser l’Assemblée nationale à ses errements.
L’extravagance même du texte l’a spontanément discrédité, sans qu’il obtienne la notoriété souhaitée par ses auteurs.
Au lieu de cela, le Sénat, même si la rédaction proposée est beaucoup moins choquante en apparence, va nous associer à cette démarche et contribuer à lui assurer une publicité qu’elle ne méritait pas.
Surtout, même s’il est plus modéré – et je salue évidemment cette modération –, notre texte, qui prévoit, d’une part, une levée conditionnelle de certaines sanctions, d’autre part, une levée – je le répète – inconditionnelle des autres aura un effet évident : demain, les journaux européens titreront que le Parlement français demande la levée des sanctions.
C’est sans doute ce que veulent certains ; je ne pense pas que ce soit le cas de la plupart de ceux qui vont, quand même, tout à l’heure, voter ce texte.
Le Parlement a-t-il le droit d’avoir une réflexion en matière de relations internationales ?
La réponse est manifestement oui.
Nous avons, les uns et les autres, une culture de la vie parlementaire. Certes, reconnaissons que celle-ci souffre, sous notre République, d’un écrasement par le fait présidentiel et l’exécutif !
Au fond – et mon collègue Claude Malhuret n’a pas tort –, ce sont des initiatives, que je qualifierais de malicieuses si le sujet n’était pas aussi grave – le terme me gêne, bien sûr –, de certains de nos collègues de l’Assemblée nationale qui ont conduit et la commission des affaires européennes et la commission des affaires étrangères du Sénat à prendre position.
Ces commissions ont exprimé une idée qui me semble partagée par la majorité de nos compatriotes : nous avons un devoir de dialogue et l’intérêt bien compris de la France est d’établir des relations avec la Russie, dont les gouvernements passent, mais dont les problèmes, en se sédimentant, risquent de créer un fossé infranchissable.
L’intérêt objectif de notre pays, c’est de trouver les chemins d’un dialogue avec la Russie.
Nous sommes en train de commémorer la Première Guerre mondiale. Souvenons-nous que, lorsque le président Poincaré était en visite officielle à Saint-Pétersbourg en juillet 1914, les différences entre nos régimes politiques étaient au moins aussi marquées que maintenant et que nous avons pourtant su, en nous parlant, établir un équilibre.
Beaucoup de pays européens n’ont pas le même sens des responsabilités.
À travers cette proposition de résolution, nous rappelons que la France a une politique étrangère indépendante, qui prend en considération certes la situation des États, mais aussi, et peut-être d’abord, nos intérêts nationaux, qui, en l’espèce, je le pense profondément, se confondent avec ceux de l’Europe, à savoir établir avec la Russie des relations plus constructives, en dépit des difficultés.
C’est ce que nous propose ce texte. Je reconnais les concessions qu’il contient, mais elles sont sans doute moins importantes que ne l’est la perspective de rétablir le dialogue.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.
À l’issue de ce débat, j’ai une impression de gâchis. Je crois que nous aurions pu en faire l’économie, parce que pesait sur lui la mauvaise image initiale donnée à l’Assemblée nationale par un texte qui, lui, était outrancier et absolument déséquilibré.
Monsieur le secrétaire d’État, j’ai tout de même été quelque peu étonné. Je m'attendais à ce que vous réaffirmiez, avec force et clarté, au début et à la fin du débat, la position du Gouvernement.
Le membre de l’opposition que je suis était, sur ce point, assez largement en accord avec l’action qui a été menée par le Gouvernement et qui s’est concrétisée dans le rôle joué par la France lors de la conclusion des accords de Minsk.
Je suis un peu étonné de vous avoir entendu, si souvent, vous en remettre à la sagesse du Sénat, non pas qu’il me soit désagréable que vous invoquiez cette sagesse, mais parce que je crois qu’il est logique qu’un gouvernement, quand il est saisi d’une question aussi importante, indique clairement quelle est son orientation, ne serait-ce que pour permettre à l’assemblée en question de se déterminer par rapport à sa politique.
Ce soir, nous allons voter un texte, qui est assez ambigu, qui va être interprété de différentes manières et qui ne vous facilitera pas la tâche, monsieur le secrétaire d’État, quand se réunira à nouveau le Conseil de l’Union européenne.
C’est pourquoi, en constatant cette situation, je suis au regret, ce soir, de ne pas pouvoir voter la proposition de résolution qui nous est soumise.
Je ne voterai pas cette proposition de résolution, car je considère paradoxal d’avoir commencé l’après-midi en votant un texte qui construit du droit international, qui a fait l’objet d’une négociation multilatérale, et de le finir sur la constatation, par le Sénat, du résultat d’un rapport de force.
Tout ce que nous avons fait dans l’après-midi est profondément marqué par ce décalage. C’est profondément dommage et c’est un très mauvais signal !
Le format « Normandie » a été l’outil pour construire, avec les accords de Minsk, une solution européenne à une crise européenne. Et il faut que cela reste entre Européens !
D’ailleurs, nous devons rendre hommage au Président de la République et à la chancelière allemande d’avoir pris ces initiatives pour arriver à une solution européenne.
Je crains qu’avec ce vote, nous n’affaiblissions l’ensemble du processus, le format « Normandie », la place de la France dans cette enceinte, ainsi que sa capacité d’action et d’influence.
C’est la raison pour laquelle je ne pourrai pas voter cette proposition de résolution.
Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de résolution européenne relative au régime de sanctions de l’Union européenne à l’encontre de la Fédération de Russie.
J'ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 242 :
Le Sénat a adopté.
En application de l’article 73 quinquies, alinéa 7, du règlement, la résolution que le Sénat vient d’adopter sera transmise au Gouvernement et à l’Assemblée nationale.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à vingt heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures.