Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec l’accord de Paris, la COP 21 a connu une issue heureuse. Nous nous en sommes tous réjouis.
Nous y avons d’ailleurs tous travaillé, à commencer par les instances du Sénat.
Le président Gérard Larcher l’avait voulu et organisé ainsi, de la journée de l’Union interparlementaire à l’engagement total de chacune des commissions permanentes du Sénat et des délégations, jusqu’à la constitution du groupe de travail présidé par Jérôme Bignon.
La COP 21 s’est donc conclue avec succès par l’adoption de l’accord de Paris, qui doit encore être ratifié. Tel est l’objet de notre débat.
Il s’agit d’une étape sur un long chemin, d’un succès diplomatique plus que d’une avancée concrète, laquelle reste à confirmer.
Le réchauffement climatique progresse toujours plus vite que les mesures pour le limiter ou pour s’y adapter, car on ne parle plus, hélas, de le stopper. L’humanité ne peut plus arrêter la machine mise en route depuis la révolution industrielle.
Rappelons brièvement les étapes du chemin que j’ai évoqué : 1972 à Stockholm ; 1979 à Genève ; 1982 à Nairobi ; 1992 à Rio, où une centaine de chefs d’État signe la fameuse déclaration qui fera date. Surtout, il y aura Johannesburg en 2002, où le discours du Président Jacques Chirac marquera l’histoire : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer, et nous refusons de l’admettre. L’humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au Nord comme au Sud, et nous sommes indifférents. La Terre et l'humanité sont en péril, et nous en sommes tous responsables. »
Depuis, les sommets internationaux se succèdent.
La prise de conscience s’est élargie avant d’être contrariée par la crise financière mondiale, qui a souvent modifié l’ordre des priorités, faisant repasser les enjeux de court terme avant ceux de long terme.
Les Américains sont allés rechercher la croissance en exploitant les gaz de schiste et les Russes voudraient sauver la leur en prolongeant leur activité rentière vers l’Arctique.
Les climatosceptiques trouvent un écho dans des pays industrialisés. On aurait pu les penser plus éclairés, mais il est vrai que même les créationnistes peuvent y tenir en échec les évolutionnistes. Donc, tout est possible !
Alors, quand l’intérêt économique immédiat peut s’appuyer sur des prédispositions obscurantistes ou complotistes, la recherche du bien commun ne va pas de soi. C’est bien la difficulté principale.
Les climatosceptiques, cependant, n’ont pas gagné la bataille intellectuelle et la vérité scientifique s’impose à la communauté internationale. Le diagnostic fait consensus, consensus de plus en plus partagé.
Les parties prenantes à Rio étaient une centaine. Elles étaient près de 200 à Paris – 195, me semble-t-il – mais le bât blesse avec les premières puissances économiques et les premières émettrices de gaz à effet de serre.
Il fallait avancer malgré le blocage américain.
L’humanité avait – et aurait – besoin d’un accord contraignant, mais un tel accord suppose l’approbation du Congrès américain dont on connaît l’opposition, une opposition regrettable, mais qui est un fait.
Le caractère non contraignant permet de surmonter l’obstacle, en même temps qu’il ne nous garantit plus d’atteindre la destination.
Une autre difficulté concerne la Chine, dont la croissance jusqu’alors effrénée connaît les premiers ralentissements. Elle ne s’engage à réduire ses émissions qu’à partir de 2030. L’objectif de la COP 21 est donc atteint en théorie, mais d’ici à 2030 beaucoup d’eau passera sous les ponts du Mékong !
On aboutit donc à un accord non contraignant, qui détermine des objectifs communs et propose des outils, mais sans garantir de moyens.
Les objectifs communs sont de limiter la hausse des températures en deçà de 2 degrés, voire à 1, 5 degré, et, pour se faire, d’obtenir que les pays développés mobilisent, à partir de 2020, 100 milliards de dollars par an afin de permettre aux pays en voie de développement de lutter contre le dérèglement climatique.
Je disais que le consensus se confirmait sur le diagnostic. Oui, la température moyenne s’élève inexorablement. La banquise et les glaciers fondent. Le désert gagne. La mer monte. Le vivant est perturbé. Les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient.
La main de l’homme est le facteur principal. Les autres ne jouent qu’à la marge.
On sait que pour garder quelques chances de tenir l’objectif des 2 degrés, l’humanité ne devra pas avoir émis plus de 2 900 gigatonnes de CO2 depuis 1870. Or, les deux tiers de ce volume ont déjà été émis !
L’accord de Paris propose de répondre à l’enjeu par l’actualisation des « contributions climat » de chaque pays tous les cinq ans, par des financements pour l’atténuation, la transition énergétique et l’adaptation aux conséquences du dérèglement climatique – et non plus pour l’arrêter… –, par la création d’un fonds de 100 milliards de dollars par an jusqu’en 2025, par la mise en place d’un mécanisme de contrôle de la conformité et de l’application de l’accord.
À défaut de système contraignant, des dispositifs sont mis en place pour aider la transition énergétique des nations parties prenantes : l’alliance solaire internationale, plateforme de coopération entre des pays développés disposant de technologies dans le solaire ; la mission innovation, laquelle rassemble vingt pays qui s’engagent à doubler leurs investissements dans la recherche et le développement des énergies propres ; le projet de débloquer ces 100 milliards de dollars par an à partir de 2020.
Il y a beaucoup de bonnes intentions, mais quelques actions seulement ! Mais nous devons nous engager et ratifier cet accord, quelles que soient ses insuffisances et les carences de notre propre pays.
Je reconnais, madame la ministre, le talent de l’exécutif français dans la préservation des apparences : il a fait passer pour un succès diplomatique un accord non contraignant, alors que tous s’accordaient initialement sur la nécessité d’un accord contraignant.
Je lui reconnais aussi le talent d’avoir entraîné la communauté internationale par le verbe, alors que son action en la matière n’était pas exemplaire : elle venait de se caractériser par le piteux abandon de l’écotaxe poids lourds, contre le travail des deux chambres du Parlement, et alors que nos voisins européens la pratiquent depuis longtemps !
Ratifions cet accord en espérant qu’il se concrétise puisqu’il ne donne aucune garantie.
Qu’en sera-t-il en France ? J’espère que le Gouvernement, coutumier des zigzags, empruntera la bonne direction au cours des quelques mois qui lui restent et que le débat pour l’alternance nous épargnera toute « trumpisation ».
Qu’en sera-t-il aux États-Unis ? On a bien entendu John Kerry annoncer des milliers de milliards de dollars, mais la vraie réponse sera donnée à brève échéance par la présidentielle américaine et les votes du Sénat.
Chaque contribution nationale attendue sera un moment de vérité.
L’absence de caractère contraignant soulève une objection légitime dans chaque État, celle de sa propre compétitivité dès lors que ses concurrents et partenaires ne s’imposent pas, en même temps, les mêmes contraintes. Ce débat est présent chez nous, comme dans l’Union européenne.
À l’échelle mondiale, quarante ans après le premier sommet international sur le climat, nous n’avons toujours pas engagé une mécanique globale pour enrayer la machine infernale.
Toutefois, au niveau local, grâce aux initiatives des collectivités et aux comportements des citoyens consommateurs, des mécaniques se développent, confortées, il est vrai, par les sommets mondiaux.
Telles sont les raisons pour lesquelles malgré toutes les réserves et en toute lucidité, nous devons ratifier cet accord, avec un certain enthousiasme et, surtout, avec la volonté forte de le mettre en œuvre !