Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le président de la commission des affaires européennes, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, la Haute Assemblée est appelée à se prononcer sur une proposition de résolution européenne relative au régime de sanctions de l’Union européenne à l’encontre de la Fédération de Russie pour ses agissements en Ukraine.
À quelques jours du Conseil européen des 28 et 29 juin prochain, qui doit aborder la question de la prolongation des sanctions à l’encontre de la Russie, ce débat me donne l’occasion de rappeler la position du Gouvernement, mais aussi ses efforts en faveur du règlement du conflit dans l’est de l’Ukraine. Je me réjouis de la grande convergence des orateurs qui se sont exprimés à l’instant et de la qualité des travaux effectués par le Sénat et sa commission des affaires étrangères à l’occasion de cette proposition de résolution.
La Russie est un partenaire stratégique de la France, comme elle doit l’être pour l’Union européenne. Il est dans notre intérêt commun d’avoir une coopération aussi large que possible dans de très nombreux domaines. Tel est le sens des conclusions adoptées par le conseil Affaires étrangères le 14 mars dernier sur la relation stratégique entre l’Union européenne et la Russie. Cette coopération repose toutefois sur des principes clairs, au premier rang desquels figure le respect du droit international.
La France fonde sa diplomatie sur le droit international et sur son respect en toutes circonstances : pour nous, c’est la condition de la sécurité comme de la paix. Il faut donc le redire : les sanctions ne sont pas une fin en soi. Chacune des mesures restrictives adoptées par l’Union européenne l’a été pour des raisons très précises. Ces mesures constituent des réactions à des violations graves du droit international et leur adoption vise en premier lieu à conduire la Russie à se mettre en conformité avec ses obligations et à créer les conditions qui nous permettront de les lever.
Tout d’abord, des sanctions ciblées ont été adoptées le 17 mars 2014 à l’encontre d’individus ou d’entités russes et séparatistes ayant tiré profit de l’annexion illégale de la Crimée ou ayant directement joué un rôle dans les suites de cette annexion.
Le prétendu référendum du 16 mars 2014, qui s’est déroulé en présence de forces armées russes, comme l’a reconnu le président Poutine lui-même, et en l’absence de tout observateur international, a été condamné par toute la communauté internationale, tout comme l’annexion de la Crimée, au travers des résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies.
Ces sanctions ont été par la suite étendues à une liste d’individus et d’entités dont l’action entrave la bonne mise en œuvre des accords de Minsk.
Au-delà de ces mesures individuelles, l’Union européenne a également adopté des sanctions économiques dites « sectorielles », en juillet 2014, du fait des actions de déstabilisation menées par la Russie en Ukraine, en particulier après le crash du vol MH17 provoqué par un tir de missile dans l’est du pays, qui a fait 298 morts civils.
Ces sanctions ont été renforcées le 12 septembre 2014 en raison de l’aggravation du conflit dans l’est de l’Ukraine, qui a fait plus de 9 000 morts et 21 000 blessés au cours des deux dernières années et dans lequel la Russie apporte un soutien direct aux séparatistes.
Les sanctions sectorielles ne pourront être levées qu’en fonction de la mise en œuvre des accords de Minsk. Il a en effet été décidé lors du Conseil européen des 19 et 20 mars 2015 de lier la levée des sanctions à la mise en œuvre intégrale de ces accords, négociés dans le cadre du format « Normandie » sur l’initiative du Président de la République lors des commémorations du soixante-dixième anniversaire du débarquement.
C’est la première fois qu’était rétabli un dialogue direct entre le président Poutine et le président Porochenko, sous l’égide du Président de la République et de la chancelière Angela Merkel.
Face à cette agression armée contre un État souverain, l’Union européenne a répondu par des instruments permettant d’encourager le règlement pacifique de la crise en évitant le risque d’une escalade plus importante encore sur le terrain. Elle a répondu par des instruments qui respectent intégralement le droit international et les personnes visées par ces mesures restrictives disposent sans exception d’une voie de recours au niveau de l’Union européenne.
En effet, toute personne visée par des sanctions peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne pour en contester le bien-fondé, et le juge a procédé à des annulations lorsque cela s’est révélé justifié.
À l’inverse, la Russie n’assure pas de réciprocité en la matière : les personnalités européennes interdites de séjour en Russie n’ont aucune voie de recours pour obtenir la levée des restrictions dont elles font l’objet.
Votre projet de résolution aborde également la question très importante de l’effet des sanctions sur les économies russe et européenne, en particulier sur les entreprises européennes. C’est un point important. Les sanctions ont en effet des conséquences négatives pour l’économie russe – c’est leur principe même –, mais également, dans une certaine mesure, pour l’économie européenne.
Je souligne néanmoins, tout d’abord, que les entreprises françaises présentes en Russie avant 2014 sont toutes restées sur ce marché. Un grand nombre d’entre elles ont réduit leur présence, mais pas une ne s’est retirée. Certaines sont même entrées sur le marché russe depuis deux ans.
Ensuite, comme cela a déjà été dit, l’analyse des causes des difficultés que connaissent certains acteurs économiques français présents sur les marchés russes ne doit pas occulter le fait que les fragilités structurelles de l’économie russe, accentuées par la baisse des prix du pétrole et la dévaluation du rouble qui a suivi, participent aussi à la dégradation de nos relations commerciales avec la Russie.
Par ailleurs, les mesures restrictives adoptées par l’Union européenne depuis le début de la crise ukrainienne ont été conçues afin de minimiser leur impact sur l’économie européenne et d’imposer une pression sur la Russie. Le Gouvernement y a particulièrement veillé, en insistant par exemple pour que l’embargo sur les armes ne s’applique pas aux contrats conclus avant la date d’entrée en vigueur de cette mesure. Le secteur spatial et le secteur gazier sont aussi explicitement exclus du champ des sanctions.
Les sanctions ont donc été à la fois graduelles et proportionnées, et elles demeurent circonscrites à quelques secteurs précis de l’économie russe. Les relations économiques avec la Russie restent donc possibles et se poursuivent dans de nombreux domaines.
Enfin, je dirai un mot de l’embargo sur les viandes porcines. Cet embargo, cela a été rappelé, a été adopté par la Russie en janvier 2014, soit avant l’annexion de la Crimée et les premières sanctions européennes, pour des motifs présentés comme sanitaires, qui ne concernaient en réalité que certaines régions de l’Union européenne. Il a donc été décrété non pas en réponse aux sanctions européennes, mais bien de façon unilatérale.
Quoi qu’il en soit, notre objectif est d’obtenir la levée de cet embargo, qui ne repose sur aucun fondement sanitaire sérieux, du moins en ce qui concerne notre pays, puisque nous ne présentons aucun cas de fièvre porcine africaine.
Des contacts réguliers ont lieu, avec l’implication de la Commission européenne, pour y parvenir. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, s’est notamment rendu à Moscou le 8 octobre 2015 pour défendre cette position. Il a eu d’autres contacts avec son homologue depuis lors. Il a aussi obtenu de la Commission européenne l’adoption d’un paquet de mesures de compensation de 500 millions d’euros pour faire face à la crise.
Le Premier ministre, Manuel Valls, s’en est entretenu avec son homologue, Dimitri Medvedev, à Davos, et Jean-Marc Ayrault a également évoqué cette question lors de sa visite à Moscou, le 19 avril dernier.
Pour nos agriculteurs, toutes les démarches que la France a entreprises auprès de la Commission européenne et qu’elle effectue à Moscou, auprès du Gouvernement russe, sont utiles et devraient être soutenues sur l’ensemble de ces travées.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, les sanctions adoptées par l’Union européenne sont des instruments au service de la résolution du conflit en Ukraine. À l’heure où nous débattons de ce texte, ce conflit n’est malheureusement pas résolu et l’intensification des violations du cessez-le-feu que l’OSCE, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, observe sur le terrain est extrêmement préoccupante.
La trêve instaurée le 1er mai a permis une baisse significative des violations du cessez-le-feu, même si elles persistent et continuent à faire des victimes.
Néanmoins, la médiation de la France et de l’Allemagne dans le format « Normandie » a permis de mettre un terme à la phase la plus violente des combats. D’après les estimations de l’ONU, le nombre de victimes parmi les populations civiles a été divisé par neuf depuis la signature des accords de Minsk le 12 février 2015, qui fixent une feuille de route pour le règlement du conflit.
Plus de deux ans après le début de la crise, la Russie reste à la table des négociations pour parvenir à un règlement dans le cadre des accords de Minsk.
Aux termes de ceux-ci, la Russie a réaffirmé reconnaître et vouloir respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Elle a reconnu le caractère unitaire de l’État ukrainien tout en appelant à l’adoption d’une organisation décentralisée. Elle doit cependant pleinement respecter ses engagements et contribuer à la mise en œuvre complète des accords de Minsk.
Nous devons avancer dans cette direction. C’est bien là l’objectif de ces régimes de sanction – il s’agit de disposer d’un levier pour revenir à la négociation – et c’est tout le sens de l’action menée par Jean-Marc Ayrault, en concertation avec son homologue allemand, Frank-Walter Steinmeier.
La France et l’Allemagne poursuivent leurs efforts pour aboutir à cette fin. Ils sont la seule chance crédible de mettre un terme à cette guerre qui se déroule aux portes de l’Europe. Ces efforts nécessitent avant toute chose que les deux parties respectent leurs engagements en mettant en œuvre des actions concrètes.
L’Ukraine a déjà adopté en première lecture la réforme constitutionnelle instaurant une décentralisation dans le pays. Elle doit poursuivre la mise en œuvre de ses engagements, en particulier sur les élections et sur la loi d’autonomie pour les régions de l’est de l’Ukraine, qui leur donnera un statut spécial.
La Russie aujourd’hui sait ce qu’il lui appartient de faire pour que les armes se taisent dans le Donbass. Il lui revient en effet d’assurer le respect du cessez-le-feu, d’exercer les pressions nécessaires sur les séparatistes pour qu’ils cessent leurs activités militaires sur le terrain et qu’ils laissent la mission d’observation de l’OSCE se déployer jusqu’à la frontière internationale. Il faut également que les séparatistes, comme les Russes, contribuent positivement aux discussions sur la loi électorale, condition nécessaire au déroulement des élections dans le Donbass.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne nous résignons pas à la situation actuelle en Ukraine, qui n’est bonne ni pour l’Ukraine, ni pour la Russie, ni pour la sécurité du continent européen.
L’ambition de la France, comme de l’Allemagne, est de parvenir à une paix durable et négociée, conformément aux accords de Minsk, seule feuille de route agréée par l’ensemble des parties. Son respect intégral permettra la levée des sanctions. Chaque pas dans la mise en œuvre de la feuille de route de Minsk doit être encouragé et soutenu.
Notre ambition commune doit être de rétablir les conditions qui permettront à la Russie de redevenir pour l’Union européenne le partenaire politique, économique et commercial de premier plan qu’elle doit être. La géographie, l’histoire, les échanges culturels et humains : tout milite en faveur d’une Russie partenaire de l’Europe.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement français est résolu à maintenir le dialogue avec la Russie dans tous les domaines, en particulier ceux où la sécurité internationale est en jeu. Je pense à la Syrie, à l’Iran, à la lutte contre la prolifération nucléaire, à la situation au Proche-Orient et, bien sûr, à la lutte contre le terrorisme.
Fermeté, cohérence, responsabilité : tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les principes qui ont guidé et qui continuent de guider l’action du Gouvernement dans ce dossier. Nous ne transigerons pas avec nos principes et nous ne dévierons pas de notre feuille de route, les accords de Minsk.
Oui, nous souhaitons la levée des sanctions, en lien avec le règlement de la crise dans le Donbass.
Oui, si les accords de Minsk sont respectés, les sanctions seront levées.
Ce serait une erreur de sortir de ce cadre. §Ce cadre, c’est le règlement pacifique négocié du conflit en Ukraine, c’est l’unité des Européens, en appui au processus de Minsk et aux efforts franco-allemands au sein du format « Normandie ».
Telle est la position de l’Union européenne et du Gouvernement.