Au-delà, la France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la France, dont chacun connaît l’attachement au droit international et à l’intangibilité des frontières, la France, patrie des droits de l’homme, terre de liberté, qui, par son histoire, jouit d’une position singulière sur la scène internationale, la France ne peut pas, au nom d’une pseudo-realpolitik, accepter l’annexion de la Crimée, au terme d’un processus que l’Assemblée générale des Nations unies a reconnu comme illégal, accepter la déstabilisation de l’Ukraine avec l’occupation de l’est de son territoire, faire fi des milliers de morts et de blessés, d’un million et demi de personnes déplacées, auxquels il faut malheureusement ajouter les victimes du vol MH17 à l’été 2014, en demandant la levée des sanctions prises à l’égard des responsables de cette situation.
Les accords de Minsk de février 2015, adoptés dans le cadre du format « Normandie », et dans la négociation desquels la France et l’Allemagne ont joué un rôle déterminant, prévoient notamment un cessez-le-feu, le retrait des armes lourdes du Donbass et la restauration des frontières ukrainiennes. Ils ont été signés par la Russie et doivent être appliqués par la Russie.
Le Président de la République a déclaré la semaine dernière que « les sanctions seront donc maintenues tant que ce processus [de Minsk] n’est pas pleinement mis en œuvre, mais [qu’]elles peuvent être modulées s’il est prouvé que cet accord se trouve appliqué ». C’est ce qu’a rappelé M. le secrétaire d'État à l’instant. La France considère – et elle a raison – comme un préalable le respect du cessez-le-feu prévu par les accords de Minsk et l’engagement d’élections dans le Donbass.
Les sanctions ne sont de toute évidence pas une fin en soi, mais elles sont un levier de négociation pour inciter la Russie à mettre un terme à sa politique de déstabilisation de l’Ukraine, mise en place lorsque ce pays a eu l’audace de vouloir se rapprocher de l’Union européenne en signant un accord d’association dont nous avons, je vous le rappelle, autorisé la ratification à la quasi-unanimité de notre assemblée le 7 mai 2015.
Je serai le premier à plaider en faveur de la levée des sanctions lorsque la Russie aura fait preuve de bonne volonté et aura montré de véritables signes d’apaisement, notamment dans l’est de l’Ukraine.
Nous en sommes malheureusement très loin. Loin de s’apaiser, loin de se calmer, loin de se pacifier, la situation dans le Donbass est à nouveau en de train de se dégrader. Pas un jour ne passe sans que des soldats ukrainiens soient tués ou blessés sur la ligne de front.
L’OSCE a par exemple recensé la semaine dernière près de 300 explosions non identifiées autour de Donetsk en une seule nuit. Tout indique que non seulement les « séparatistes » soutenus par Moscou ne respectent pas le cessez-le-feu, mais qu’ils disposent en outre d’un soutien logistique et d’armements sophistiqués qui ne peuvent venir que de Russie.
Dans ces conditions, comment peut-on envisager sérieusement l’organisation d’élections dans le Donbass ?
Que demandent les Ukrainiens ? Le retrait des armements russes, l’accès des organisations internationales à la zone et la mise en place d’une mission de police sous l’égide de l’OSCE pour assurer la protection des populations.
Est-ce extravagant ? Peut-on transiger sur des points comme cela, surtout après avoir réaffirmé dans l’exposé des motifs de la résolution un attachement « indéfectible à l’intégrité territoriale, à la souveraineté et à l’indépendance de l’Ukraine » ?
J’admets bien volontiers que, depuis le début de la crise, les autorités ukrainiennes n’ont pas toujours eu le comportement exemplaire que nous aurions souhaité. J’ai déjà eu l’occasion de dire qu’elles tardent à mettre en œuvre les réformes auxquelles elles se sont engagées, qu’il s’agisse de la réforme territoriale, fortement soutenue par notre assemblée, des réformes économiques ou de la mise en place d’un véritable État de droit.
Mais vous admettrez, mes chers collègues, que la situation dans le Donbass – je ne parle même pas de la Crimée – ne facilite pas la mise en place des réformes ! Et que, dans cette situation, la Russie porte une part de responsabilité écrasante.
C’est pourquoi, je le répète, l’adoption de cette proposition de résolution, en évoquant la levée des sanctions alors même que les conditions sont loin d’être réunies et qu’en particulier la Russie continue à s’affranchir des engagements qu’elle a elle-même pris à Minsk, serait particulièrement inopportune.
Au-delà de la seule question ukrainienne, l’adoption de cette proposition de résolution enverrait un très mauvais signal.
Un très mauvais signal à la Russie, d’abord, qui pourrait y voir – et elle aurait raison – une sorte de « blanc-seing », accordé sur tous les territoires qui ont appartenu à l’Union soviétique et qui constituent aujourd’hui ce qu’elle appelle son « étranger proche », au mépris des aspirations des peuples.
Dois-je souligner que, de ce point de vue, l’instabilité et le pourrissement que la Russie entretient dans le Donbass ne sont pas sans rappeler la situation de plusieurs autres territoires tels que la Transnistrie, l’Abkhazie ou l’Ossétie du Sud ?
Qu’avons-nous à gagner à la prolifération, sur le continent européen, de territoires sur lesquels des organisations criminelles et des trafics en tous genres peuvent prospérer en toute quiétude ? N’y a-t-il pas là une véritable menace à moyen terme pour notre sécurité ? L’objectif de lutte contre le terrorisme et la situation du Moyen-Orient ne sont-ils pas en train de nous faire perdre de vue ce risque-là ?
Corrélativement, l’adoption de cette proposition de résolution serait un signal très négatif adressé à nos amis d’Europe de l’Est, voisins de la Russie ou de l’Ukraine. Nous savons que de très nombreux pays de l’ancienne URSS sont inquiets de la situation en Ukraine et craignent d’être à leur tour victimes d’une telle situation et de tels agissements si nous n’y mettons pas un terme.
Quel message de solidarité leur adresserions-nous en votant une résolution qui dit en substance que, passés les premiers émois et les premiers cris, l’Union européenne, et en son sein la France, peut fort bien s’accommoder d’une Russie toute-puissante à qui l’on reconnaît tous pouvoirs sur les peuples vivant à ses frontières ?
Le statut historique et politique de la France, patrie des droits de l’homme et membre de Conseil de sécurité des Nations unies nous oblige, je le répète, à plus d’exemplarité.
Mes chers collègues, je crois que la France s’est honorée, dès les premiers jours de la crise ukrainienne, par les positions fermes qu’elle a soutenues et par le rôle déterminant qu’elle a tenu, avec l’Allemagne, pour tenter de trouver une solution de sortie acceptable par tous.
Les accords de Minsk ne sont sans doute pas parfaits, mais ils existent, ils ont été acceptés par les Russes comme par les Ukrainiens, et ils constituent à ce jour la seule feuille de route possible pour une sortie de crise.
N’allons pas remettre en cause l’autorité et la crédibilité de notre politique étrangère en votant cette proposition de résolution à un moment où tout indique que la Russie ne respecte pas ses engagements.
Cela serait également regrettable pour le Sénat, et en contradiction avec la démarche de coopération interparlementaire que nous avons mise en place avec la Rada de la République ukrainienne sur l’initiative du président Larcher. Ce dernier m’avait demandé de porter un message d’amitié au président de la Rada, aujourd’hui Premier ministre. Au cours de l’année écoulée, nous avons accueilli plusieurs délégations de parlementaires ukrainiens avec lesquelles nous avons eu des échanges très fructueux.
Enfin, je vous signale que le président du Sénat recevra dans quelques jours le président de la République ukrainienne, M. Porochenko, en visite officielle à Paris, et j’espère que nous n’aurons pas à l’accueillir dans le contexte du vote de cette proposition de résolution.
Je serai le premier à me prononcer en faveur de la levée des sanctions le jour où la Russie montrera des signes clairs et non équivoques de sa volonté de respecter le droit international et les engagements qu’elle a pris auprès de ses partenaires. La situation en Ukraine témoigne, hélas ! chaque jour que ce n’est manifestement pas le cas aujourd'hui.
C’est la raison pour laquelle je vous invite à rejeter cette proposition de résolution en votant cette motion tendant à opposer la question préalable.