Intervention de Jean Bizet

Réunion du 8 juin 2016 à 14h30
Sanctions de l'union européenne à l'encontre de la fédération de russie — Question préalable

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, à titre liminaire, je veux d’abord insister sur le caractère équilibré de la proposition de résolution, adoptée par la commission des affaires européennes, que nous examinons aujourd’hui. Nous le savons, une initiative récente a manqué de nuances et donné l’impression d’un parti pris sans doute excessif. Notre texte est donc à porter au crédit du travail effectué au Sénat.

Car ce texte, j’espère que vous y serez sensible, monsieur le secrétaire d'État, est le fruit d’un travail concerté entre la présidence du Sénat, les commissions des affaires européennes et des affaires étrangères et le Quai d’Orsay. C’est aussi ce qui nous a permis d’aboutir à un texte que je qualifierai d’impartial.

J’entends certes les critiques adressées à la proposition de résolution : d’aucuns la considèrent comme pro-russe, d’autres comme pro-ukrainienne. Ces jugements contradictoires me font penser que le texte est au contraire équilibré !

La situation sur le terrain est complexe, et la mise en œuvre des accords de Minsk délicate, même si des avancées peuvent être constatées par rapport à la situation qui prévalait avant le 12 février 2015.

C’est pourquoi nous ne devons pas voter la motion tendant à opposer la question préalable que nous présente notre collègue Hervé Maurey.

Celui-ci nous dit que la proposition de résolution appelle à une levée des sanctions européennes contre la Russie. Cette présentation est pour le moins réductrice. Le texte n’invite pas à une levée inconditionnelle des sanctions. C’est tout le contraire ! Il pose notamment des conditions précises pour « un allégement progressif et partiel » des sanctions économiques sectorielles, dès lors que « des progrès significatifs et ciblés » seraient constatés dans la mise en œuvre des accords de Minsk.

Notre collègue développe deux arguments en faveur de sa motion.

En premier lieu, notre proposition de résolution serait « inopportune », car elle encouragerait la Russie à ne pas respecter ses engagements au titre des accords de Minsk. Ces accords reposent précisément sur un équilibre de contreparties réciproques que la proposition de résolution vise à faire respecter.

Leur mise en œuvre est délicate, personne ne le nie. Aussi chacune des parties doit-elle respecter ses engagements, la Russie comme l’Ukraine. Or ce pays connaît une situation politique tendue qui ne facilite pas l’adoption de réformes. En particulier, le volet politique des accords de Minsk, la révision de la constitution ukrainienne et la loi électorale pour le Donbass ne progressent guère. À ce titre, nous devons saluer la coopération mise en place avec la Rada sur l’initiative du président Larcher pour élaborer la réforme constitutionnelle.

En second lieu, notre proposition de résolution serait « contre-productive », car elle enverrait « un signal désastreux » aux autorités russes et au peuple ukrainien.

Je ne le crois pas ! Au contraire, le texte envoie un signal positif pour aller de l’avant et pour s’engager dans un cercle vertueux. Nous disons ceci aux parties des accords de Minsk : « Appliquez mieux et plus vite ces accords et, sous cette condition, les sanctions seront allégées ; appliquez-les intégralement, et les sanctions seront complètement levées. » Cela sera favorable pour tout le monde ! Formons le vœu que le vote de cette proposition de résolution européenne permette d’enclencher ce cercle vertueux.

En outre, le Sénat joue pleinement son rôle en invitant le Gouvernement à engager ce débat au Conseil européen des 28 et 29 juin prochains. À ma connaissance, il est le seul parlement national à agir en ce sens. Les relations de l’Union européenne avec la Russie et les sanctions ne doivent pas relever du domaine exclusif du pouvoir exécutif. Les parlementaires aussi ont le droit et le devoir de s’exprimer sur ce dossier essentiel pour l’avenir et la sécurité de notre continent.

J’entends les arguments de nos collègues qui s’émeuvent à juste titre de la violation du droit international que constitue l’annexion de la Crimée. Celle-ci doit être fermement condamnée, et c’est précisément l’objet de l’alinéa 14.

La rédaction du texte n’est naturellement pas figée. C’est tout l’intérêt du débat parlementaire que de le faire évoluer jusqu’à son point d’équilibre. Certains amendements me semblent bienvenus. C’est le cas de l’amendement tendant à renforcer la condamnation de l’annexion illégale de la Crimée à l’alinéa 5, et de l’amendement ayant pour objet les sanctions visant les parlementaires russes à l’alinéa 19. Je les voterai.

En votant la motion tendant à opposer la question préalable, nous nous priverions de toute influence sur ce sujet. Il serait inutile et dangereux de revenir à l’esprit de la guerre froide, lorsque deux blocs s’observaient avec hostilité. Ce n’est pas en nous coupant de la Russie que nous y diffuserons nos valeurs et que nous soutiendrons la démocratisation de ce régime, au contraire.

L’Union européenne, personne ne le conteste aujourd’hui avec le recul, a fait des erreurs dans son approche des relations avec son voisin qu’est la Russie dans le cadre du partenariat oriental. Je remercie nos collègues Pascal Allizard et Gisèle Jourda, qui se sont particulièrement penchés sur cette question.

Pour autant, l’Union européenne a bien pris conscience de la nécessité de bouger, comme le montrent les conclusions du conseil Affaires étrangères du 14 mars dernier. Je pense que nous avons manqué de clarté hier, quand la Commission Barroso a parlé de contrat d’association : cela n’avait pas valeur de contrat d’adhésion. C’est cette ambiguïté qui a généré des crispations de notre voisin, ce qui ne gomme en rien son action dans le Donbass et en Crimée.

Le Président Junker a ainsi prévu de se rendre au Forum économique international de Saint-Pétersbourg le 16 juin prochain. C’est un signe positif que nous devons encourager. Je crois que notre proposition de résolution européenne va dans ce sens.

Pour conclure, je pense que nous devons regarder au-delà des sanctions. Nous avons besoin d’une politique européenne envers la Russie. Je note le rendez-vous particulier que nos deux rapporteurs de la commission des affaires européennes Simon Sutour et Yves Pozzo di Borgo ont eu avec notre ambassadeur Pierre Sellal et avec le secrétaire général au service européen pour l’action extérieure, Alain Le Roy. J’oserai dire que, pour reprendre les propos de Simon Sutour, nous sommes passés de l’embargo à l’embarras.

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