Intervention de François Fortassin

Réunion du 13 juin 2016 à 16h00
Nouvelles libertés et nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s — Discussion générale

Photo de François FortassinFrançois Fortassin :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, financiarisation et dérégulation de l’économie sont inéluctablement génératrices de crises, qui ont un effet accélérateur sur les inégalités et le chômage.

A contrario, la simplification administrative, une fiscalité lisible et équitable, une formation adaptée et le maintien de l’industrie sur le territoire sont autant de facteurs qui influent sur l’attractivité du pays et le marché du travail. Agir sur un seul levier ne peut pas être source d’efficacité.

Dois-je rappeler ici le malheureux exemple de la TVA restauration ? Très coûteuse pour l’État, elle a bénéficié, comme une étude l’a montré, aux ménages les plus nantis.

Dès lors, il serait illusoire de penser que l’on crée de l’emploi en se contentant de simplifier le code du travail. Le premier levier pour créer de l’emploi, qui est l’activité économique, ne se décrète pas.

Mes chers collègues, la suppression de la durée légale du travail, le recours facilité au temps partiel ou la possibilité de diminuer le salaire dans le cadre des accords offensifs votés par la commission des affaires sociales ne peuvent pas suffire à eux seuls à créer de l’emploi, surtout de l’emploi stable et non précaire.

Plus une société est évoluée, plus elle est complexe et réglementée. Ces caractères sont indissociables d’une société moderne. Pour autant, l’inflation normative ne doit pas être favorisée, y compris lorsque les règles émanent de l’entreprise. La raison d’être du droit du travail consiste à encadrer les relations entre l’employeur et ses salariés et à corriger un déséquilibre naturel en faveur du premier du fait de la préexistence d’un lien de subordination. C’est ainsi que la liberté contractuelle ne peut pas être la norme en la matière, notamment lorsque le taux élevé du chômage laisse peu de choix au salarié.

Le présent projet de loi, tel qu’il a été voulu par le Gouvernement, sacrifie-t-il la protection du salarié ? Sincèrement, je ne le pense pas. Un minimum de flexibilité est requis, surtout dans les petites et moyennes entreprises. L’impossibilité de s’adapter aux réalités économiques entraîne leur fin, donc la destruction de l’emploi.

La conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle constitue l’une des principales préoccupations des salariés. Or c’est bien la souplesse au niveau de l’entreprise elle-même qui peut la permettre.

Cessons de nourrir les fantasmes : entre 1 % et 3 % seulement des licenciements économiques font l’objet d’un recours devant le juge.

Le projet de loi prévoit que la charge de travail du cadre doit être raisonnable et reconnaît la responsabilité de l’employeur dans la répartition équilibrée de son temps de travail. Dans un monde hyper-connecté, la frontière entre le temps de l’exécution des missions et le temps de repos devient floue. Cela implique de mettre en place un droit à la déconnexion, pour autant que celui-ci soit effectivement applicable.

Nous sommes favorables aux principes et à la philosophie promus par le texte du Gouvernement. La primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche peut être une bonne chose.

Je le rappelle, en vertu du maintien des dispositions d’ordre public, la loi continuera de l’emporter sur les accords d’entreprise. Dans le texte du Gouvernement, le socle commun de protection était maintenu. Pour le reste, faisons confiance au dialogue social.

Le projet de loi contient des dispositions très positives, sur lesquelles la communication a cependant été très lacunaire, voire pire ; je pense aux dispositions relatives à la formation des représentants du personnel ou au service public juridique à destination des PME.

Si nous sommes favorables à l’esprit du projet de loi et à un grand nombre des dispositions qui y figurent, nous ne soutiendrons pas la version proposée par la commission des affaires sociales de la Haute Assemblée.

Réaffirmer le modèle social français, protecteur des salariés, dans un contexte international où certains États promeuvent l’ultra-flexibilité du travail, me semble primordial. La réforme ne doit conduire ni à une déréglementation du marché du travail ni à une harmonisation de la politique de l’emploi de la France avec celle des autres États, notamment des plus libéraux en la matière.

Selon le professeur Alain Supiot : « Il ne faut pas confondre […] le transformisme, qui réduit la politique à la soumission aux contraintes du marché et à l’évolution des mœurs, avec le véritable réformisme, qui consiste à mettre politiquement en œuvre la représentation d’un monde plus libre et plus juste. »

Nous devons sortir de la caricature de l’opposition entre les dirigeants et les salariés. Tous sont embarqués sur le même bateau.

Notre époque étant celle d’une concurrence internationale forte, nous devons être à la fois imaginatifs et très courageux. D’ailleurs, madame la ministre, vous ne manquez pas de courage, ce dont je vous félicite.

Entre une entreprise très performante et une entreprise boiteuse, la différence est évidemment que le carnet de commandes de l’une est plein quand celui de l’autre est vide. Mais, au-delà des commandes, qui sont indispensables à la bonne santé de l’entreprise, le vent frais de l’humanisme, auquel les radicaux sont très attachés, doit aussi souffler sur cette dernière.

De ce souffle découlera automatiquement un dialogue pacifié. Dans un tel contexte, le salarié se sentira beaucoup plus concerné par la marche de l’entreprise. Il sera donc partie prenante de son bon fonctionnement. Il se rendra au travail, le plus souvent, avec plaisir, et sera donc beaucoup plus performant. L’entreprise en tirera des bénéfices considérables. Un certain nombre de chefs d’entreprise et de salariés pourraient méditer la notion de « dialogue pacifié » !

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