La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de liberté et d’expression en particulier, et de libertés en général, repose sur l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, ratifiée par la France et qui nous contraint. Or celle-ci traite des libertés individuelles.
Le problème qui est posé ici en matière de code du travail, et qui n’est pas nouveau, c’est que l’on veut étendre ces principes touchant aux libertés individuelles à une collectivité, l’entreprise. Quelle conception en avons-nous ? Est-ce simplement un lieu de rencontres quotidiennes entre des individus – actionnaires, dirigeants, salariés – engagés dans un système d’autorité et d’obéissance ? Est-ce un lieu de rapports de force et de confrontations ? Est-ce une communauté de destins où, par le biais de la négociation, des compromis s’élaborent au quotidien.
C’est dans ce cadre, celui d’une collectivité et non pas d’un rassemblement d’individus, que peut être posée la question de neutralité, possible et non pas obligatoire, de l’entreprise, neutralité au sens des convictions politiques, religieuses ou philosophiques.
L’espace de l’entreprise est privé et ne peut donc pas être régi par le principe de laïcité. Mais ce n’est pas non plus un espace civil où s’exerceraient des libertés sans limites : il est circonscrit et organisé par des règles.
La neutralité n’est d’ailleurs pas étrangère au droit social, puisque l’entreprise est tenue à la neutralité, mais dans un sens différent de celui qui s’applique au service public ; la neutralité en entreprise passe par l’indifférence de l’employeur aux convictions de ses salariés.
On peut donc concevoir que la neutralité soit organisée dans une structure privée pour son personnel, si elle figure dans un règlement intérieur, après négociation d’un accord d’entreprise – on rejoint là la philosophie du projet de loi –, si elle est justifiée par la nature de l’activité exercée et invoquée de façon non arbitraire et non discriminatoire.
Tel est l’objet du présent amendement : ouvrir la porte facultative, et non obligatoire, de la neutralité de l’entreprise dans des conditions précisées par la loi.
Cette disposition qui viserait à reconnaître la possibilité d’inscrire dans le règlement intérieur des restrictions de l’expression des convictions au sein de l’entreprise est un outil de gestion managériale. Elle permettrait d’éviter des affaires comme celle de la crèche Baby Loup ou de consolider le choix des entreprises comme le groupe Paprec, qui a adopté une charte utile mais fragile juridiquement.