Je suis frappé de voir à quel point, dans toutes les capitales européennes que j’ai visitées, chacun a désormais conscience du risque que nous courons tous, nous Européens, d’une marginalisation de l’Europe dans un monde multipolaire. §
J’en viens maintenant aux autres points inscrits à l’ordre du jour du Conseil européen. Au-delà des institutions, l’Europe doit en effet agir sur une série de problèmes fondamentaux, dont trois sont inscrits à l’ordre du jour du Conseil : le climat, la crise économique et les migrations
Le climat est l’un des enjeux majeurs de ce Conseil européen, dont le cœur est la préparation de la conférence qui se tiendra à Copenhague du 7 au 18 décembre, soit dans moins de deux mois, et qui ne concernera rien de moins que l’avenir de la planète.
Les objectifs à atteindre sont connus, ils ont été définis par les travaux du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ou GIEC : il s’agit d’obtenir une réduction d’au moins 50 % des émissions mondiales de CO2 en 2050, en prenant 1990 comme année de référence, afin de limiter le réchauffement climatique à moins de deux degrés par rapport à l’ère préindustrielle.
Pour cela, il faut obtenir des engagements chiffrés des pays développés sur des objectifs à moyen terme d’une réduction de 25 % à 40 % de leurs émissions d’ici à 2020, ce qui implique un engagement contraignant des pays développés sur une réduction à moyen terme comparable à l’engagement actuel de l’Union européenne. Il faut également obtenir un engagement des pays émergents sur une déviation chiffrée de leurs émissions à moyen terme.
L’Union européenne peut s’enorgueillir d’avoir pris très tôt le leadership de cette négociation avec l’adoption du paquet « énergie-climat » sous la présidence française. C’est elle qui, la première, a formulé des propositions ambitieuses de réduction de ses émissions de CO2 : 20% d’ici à 2020 et 30 % dans le cas d’un accord international global et satisfaisant.
Cette position de force acquise sous la présidence française doit impérativement être préservée, ce qui implique de nous mettre d’accord au Conseil européen sur une position globale et ambitieuse de négociation, que nous défendrons ensemble à Copenhague.
Les Conseils Ecofin et Environnement de la semaine dernière ont permis d’importantes avancées, mais ils n’ont pas encore apporté toutes les réponses nécessaires ; il revient donc aux chefs d’État et de gouvernement de « fixer la ligne » sur l’ensemble des points.
Permettez-moi, de ce point de vue, de vous dresser très brièvement l’état des lieux sur les quatre grands paramètres de la négociation.
Le point le plus délicat porte sur la contribution financière de l’Union européenne à l’effort international des pays en développement et sur les modalités de calcul de cet effort. Tous les éléments sont sur la table, mais rien n’est acté, qu’il s’agisse de l’évaluation des besoins de financement d’ici à 2020, de la contribution de l’Union à ce financement, de la répartition de cette contribution entre pays de l’Union, mais aussi de la possibilité d’utiliser des financements innovants.
Comme vous le savez, les ministres des finances ne sont pas parvenus à dégager un accord définitif sur ce sujet ; ce sera donc l’un des grands enjeux du Conseil européen des 29 et 30 octobre prochain que d’obtenir un consensus sur ce point.
Le deuxième paramètre porte sur la définition des conditions dans lesquelles nous pourrions accepter de porter notre taux de réduction d’émissions de gaz à effet de serre de 20 % à 30 %. Le Conseil Environnement du 21 octobre dernier nous a permis d’obtenir satisfaction sur la conditionnalité du passage de 20 % à 30 %, si – j’insiste sur ce point – tous les pays développés prennent des engagements comparables aux nôtres.
Troisième paramètre : nous devons pouvoir mettre en œuvre le « mécanisme d’inclusion carbone », autre expression pour la fameuse taxe carbone aux frontières, si certains de nos partenaires internationaux refusaient de jouer le jeu à Copenhague.
Ce mécanisme, destiné à empêcher les « fuites de carbone », fait partie des options retenues par le paquet « énergie-climat » adopté sous la présidence française. Il a été reconnu compatible avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce, et, dans une lettre commune adressée en septembre par le Président de la République et la Chancelière allemande à M. Ban Ki-moon, la France et l’Allemagne ont rappelé leur détermination à en user si cela était nécessaire.
Je rappelle que nous ne pouvons pas accepter de pénaliser nos industriels en leur imposant des obligations supérieures à leurs compétiteurs qui n’en auraient aucune. L’Europe ne sera pas la variable d’ajustement de la négociation sur le climat. Le Conseil Environnement du 21 octobre et le Conseil Affaires générales qui s’est tenu hier à Luxembourg nous ont permis de confirmer que cette option était bien sur la table. Du point de vue français, cela est très important.
Quatrième paramètre : nous devons, et c’est une question plus générale, mieux porter et faire connaître le message politique de l’Union. Je rappelle que l’Union a réussi à Bangkok le tour de force d’être à la fois la plus ambitieuse dans ses propositions sur le climat et celle qui a été le plus mise en accusation publiquement par l’ensemble de ses partenaires.
C’est tout l’enjeu d’une communication efficace et d’une visibilité de notre position de négociation : lorsque le négociateur américain ou le négociateur chinois quitte la salle des négociations, il organise immédiatement une conférence de presse. Qui « incarne » aujourd’hui la position de l’Europe dans cette négociation ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne vous cacherai pas que les négociations sont aujourd’hui difficiles, bien sûr au sein de l’Union, mais plus encore avec nos partenaires. Le mois de novembre sera à cet égard décisif ; après Bangkok en octobre, la prochaine session de négociation aura lieu à Barcelone du 2 au 6 novembre. II faudra mettre à profit tous les grands événements pour faire avancer nos positions. Je pense, notamment, au sommet intermédiaire des chefs d’État, que le Président de la République a appelé de ses vœux, à Pittsburgh, mais aussi aux sommets UE-États-Unis du 3 novembre, UE-Inde du 6 novembre, UE-Chine du 30 novembre. Nous avons besoin, pour réussir, d’un engagement renouvelé de l’ensemble des partenaires de la négociation, et ce au plus haut niveau.
Nous sommes encore loin d’un accord, mais l’espoir est permis, car des partenaires importants, comme le Japon ou le Brésil, ont déjà commencé à bouger. Du côté des États-Unis, un vote déterminant du Clean Energy Act est attendu du Sénat avant Copenhague sur les engagements américains de réduction de CO2 en 2020. Les discussions entre démocrates et républicains sont en cours, avec une cristallisation des débats sur le financement du nucléaire, la taxe aux frontières, les avantages accordés aux énergies renouvelables.
J’en viens maintenant à la préparation de la sortie de la crise économique et financière et à la réforme de la supervision financière, qui feront également partie de l’agenda du Conseil européen.
Il faut souligner les bons résultats en matière de supervision financière de la présidence suédoise, laquelle est parvenue à dégager en octobre un accord sur le volet dit « macrofinancier », qui prévoit la création d’un comité européen du risque systémique, chargé de prévenir l’apparition de grands risques systémiques comparables à ceux que le monde a connus en 2007 et en 2008. Le volet « microfinancier », qui programme la transformation des comités de superviseurs en « autorités » dotées de pouvoirs contraignants, est en cours de négociation, avec la perspective d’un accord en décembre.
Nous serons aux côtés de la présidence suédoise pour obtenir, d’ici à la fin de l’année, un accord global sur ces deux volets, afin de respecter les conclusions du Conseil européen de juin dernier, qui prévoyaient que la nouvelle architecture de supervision européenne devrait être pleinement opérationnelle en 2010. Mesdames, messieurs les sénateurs, tel sera le cas.
Enfin, le dernier grand sujet est celui des questions migratoires, qui a déjà été évoqué.
Le Conseil européen avait décidé, en juin dernier, de revenir, lors de sa session d’octobre, sur les réponses apportées à l’urgence migratoire en Méditerranée.
Il s’agit pour nous, comme pour nos partenaires du Sud, d’un sujet tout à fait fondamental. Le Pacte européen sur l’immigration et l’asile a posé des principes, qui doivent désormais être pleinement mis en œuvre.
Pour reprendre l’expression judicieuse de Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne, il est temps de « passer du Pacte aux actes ». Nous sommes totalement engagés sur ce sujet, et nous attendons de nos partenaires une mobilisation équivalente.
En septembre dernier, lors du conseil « Justice et affaires intérieures », mon collègue Eric Besson a soumis des propositions à ses homologues pour renforcer le rôle de l’Agence européenne aux frontières extérieures, FRONTEX, en Méditerranée. En relais de son action, je travaille moi-même en étroite collaboration avec mes homologues grecs, espagnols, et surtout italiens.
Voilà quelques jours, le Président de la République et le président du Conseil italien ont adressé une lettre commune à la présidence suédoise pour demander que le Conseil européen fixe des orientations concrètes et opérationnelles sur ces sujets.
Les 29 et 30 octobre prochains, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne auront l’occasion de prendre les décisions courageuses qu’impose la lutte contre les filières d’immigration irrégulière. Nous devons rechercher des conclusions de substance, et pas seulement de procédure, au Conseil européen. Le Président Nicolas Sarkozy est déterminé à ce que le Conseil européen ne rate pas ce rendez-vous, car l’Europe ne peut plus attendre. J’ai pu le constater, la situation d’un certain nombre de ces pays montre bien qu’il y a urgence à agir.
Enfin, permettez-moi quelques développements sur la crise du lait.
Comme vous le savez, le Gouvernement a pris l’initiative d’une nouvelle régulation européenne du marché du lait dès le mois de juillet dernier.
Mon collègue Bruno Le Maire a bâti une proposition franco-allemande pour réguler les marchés, et a convaincu vingt et un autres États membres du bien-fondé de cette proposition, garantissant de fait une majorité qualifiée au Conseil.
Sur l’initiative de la France, lors d’une réunion informelle des ministres de l’agriculture qui s’est tenue le 5 octobre dernier, un signal fort des États membres et de la Commission européenne a été envoyé en faveur d’une nouvelle régulation européenne du marché du lait. Le groupe des experts de haut niveau créé à cette occasion et réuni pour la première fois le 13 octobre rendra son rapport en juin prochain.
Lors du conseil « Agriculture » du 19 octobre, vingt-deux États membres ont obtenu de la Commission deux types de mesures.
Premièrement, des mesures supplémentaires vont être mises en place, visant en particulier à améliorer les dispositifs de stockage et à étendre le programme de distribution de lait dans les écoles. Le Conseil de novembre devrait également valider la possibilité, pour les États, de racheter des quotas à titre national et, pour la Commission, de prendre plus facilement des mesures d’urgence, à l’instar de ce qui existe dans d’autres secteurs agricoles.
Deuxièmement, la Commission proposera au conseil « Ecofin » de novembre l’inscription dans le budget pour 2010 d’une enveloppe exceptionnelle de 280 millions d’euros, pour faire écho aux propositions du Parlement européen.
Notre souhait est que la situation préoccupante des producteurs laitiers soit bien à l’ordre du jour du Conseil européen et que les chefs d’État et de gouvernement puissent accélérer les travaux en cours dans un nouveau cadre de régulation pour ce marché. C’est là aussi une priorité du Président de la République.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre le changement climatique, la réponse à la crise économique et financière, la préparation à la sortie de crise, les questions migratoires, tels sont les défis que l’Union entend relever.
Le traité de Lisbonne peut et doit nous y aider. Nous souhaitons qu’il entre rapidement en vigueur, c'est-à-dire d’ici à la fin de l’année. Le moment est en effet venu de clore le chapitre institutionnel : l’Union ne peut demeurer durablement dans une phase d’entre-deux. Elle doit aujourd'hui se mettre au travail au service des citoyens européens.