L’essentiel, dans la construction européenne, ce n’est pas de respecter en tout point tel ou tel schéma institutionnel préétabli. L’essentiel, c’est que l’Union contribue effectivement à résoudre les problèmes pour lesquels elle est le bon échelon, les problèmes pour lesquels nous la construisons.
Parmi ces problèmes, figurent les grandes questions de politique étrangère, pour lesquelles le traité de Lisbonne nous donne des instruments permettant de favoriser une approche commune.
Monsieur le secrétaire d'État, je voudrais vous faire part de mon inquiétude à cet égard.
Avec la création d’un Haut représentant pour la politique étrangère de l’Union européenne et d’un service européen d’action extérieure, nous avons essayé de dépasser les conflits de compétence entre la Commission et le Conseil, pour avoir une action extérieure qui soit non seulement plus cohérente et efficace, mais également plus lisible et visible.
Il est préoccupant de voir que le Parlement européen s’emploie à remettre en cause cet équilibre, en voulant s’octroyer dans ce domaine des pouvoirs que les traités ne lui attribuent pas, ce qui n’est d’ailleurs pas la première fois.
Je souhaiterais savoir, monsieur le secrétaire d’État, quelle est la position de la France sur ce sujet, et si le Gouvernement va veiller à ce que l’on reste bien dans la lettre et dans l’esprit du traité de Lisbonne.
Je ferme cette parenthèse, car la présidence suédoise a souhaité, à juste titre, que le Conseil européen se concentre non pas sur les questions institutionnelles – vous l’avez dit, cela fait quinze ans que l’on fait de l’institutionnel ! –, mais sur un petit nombre de sujets politiques essentiels.
Le premier est le réchauffement climatique.
Il est certain que la seule chance pour l’Union européenne de se faire entendre à Copenhague, c’est de se présenter unie. Pour cela, le mandat doit être ambitieux, sans être déraisonnable.
Sur le fond, l’Union européenne est peut-être la seule puissance à prendre la mesure exacte des défis. Mais, à elle seule, elle ne pourra obtenir aucun résultat tangible pour la planète.
C’est donc à un équilibre délicat que devra parvenir le Conseil européen, puisque les conseils « Ecofin » et « Environnement » de la semaine dernière n’ont pas réussi à aplanir tous les points encore en discussion.
En premier lieu, l’Union doit conserver son rôle d’aiguillon dans ces négociations. Les vingt-sept États membres se sont d’ores et déjà dotés d’outils contraignants pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le paquet « énergie-climat » fut l’un des succès de la présidence française. Il a démontré la réalité de l’engagement européen, au-delà des déclarations généreuses, et donné à l’Europe une expertise irremplaçable.
Cette position nous conduit naturellement à vouloir un accord ambitieux comprenant des objectifs chiffrés de réduction des émissions. Toutefois, il faut prendre garde à ce que l’ambition européenne, qui découle de l’urgence de la situation, ne soit interprétée comme une position « moralisante » par les autres parties prenantes. La Chine, l’Inde ou la Russie ont des contraintes propres : l’Europe doit montrer qu’elle en est consciente.
En second lieu, le Conseil européen doit absolument réduire les derniers désaccords au sein de l’Union. C’est indispensable si nous voulons que la position européenne s’impose comme la base des négociations pendant les quarante jours précédant Copenhague.
Le seul point d’achoppement véritable concerne le partage de l’effort européen entre les États membres, les États d’Europe centrale et orientale estimant être dans une situation proche des pays émergents.
Le désaccord se cristallise sur la question du financement de l’aide aux pays en développement destinée à les aider à passer à une économie moins « carbonée ».
La Commission européenne juge ainsi que l’effort européen dans le cadre d’un accord à Copenhague pourrait s’élever à 15 milliards d’euros par an jusqu’en 2020 sur un total de 100 milliards d’euros, le solde provenant de financements privés ou publics d’autres États.
La stratégie de négociation pour Copenhague justifie que l’Union ne définisse pas trop précisément le montant exact de son engagement. Mais il est également compréhensible que certains États membres d’Europe orientale souhaitent que la clef de répartition de l’effort financier entre les États membres soit définie avant la conclusion d’un accord.
Il est certain que, pour la Pologne par exemple, une compensation financière devra être prévue, car elle ne sera pas en situation d’assumer strictement sa part, compte tenu de la crise économique et de la proportion du charbon dans sa consommation énergétique.
Sur cette question de la compensation financière, pouvez-vous nous indiquer, monsieur le secrétaire d’État, si les États membres d’Europe centrale et orientale pourraient bénéficier sur la période post-2012 des quotas d’émission qui leur ont été alloués dans le cadre du protocole de Kyoto et qui n’auraient pas été utilisés à cette date ? Cette voie de compromis est-elle envisagée ?
La perspective d’un accord à Copenhague nous invite aussi à penser très fort, à défaut d’en parler ouvertement, à la création d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières, qui pourrait prendre la forme, mais pas uniquement, d’une taxe carbone à la frontière sur les importations.
Sans en faire une arme dans la négociation, cette idée doit dès à présent être discutée pour préparer l’après-Copenhague.
Enfin, préparer l’après-Copenhague, c’est aussi préciser les conditions de la mise en place du marché de quotas de CO2 à partir de 2012. Le paquet « énergie-climat » de 2008 en change profondément les règles, et de nombreuses incertitudes demeurent sur l’organisation future de ce marché. À l’heure actuelle, aucune réglementation ou régulation de ce marché européen n’est prévue.
Or, en cas d’accord à Copenhague, il est fort probable que de tels marchés se développeront à travers le monde. La perspective d’un marché global du carbone pleinement intégré, comme l’appelle de ses vœux le conseil « Environnement » de la semaine dernière, doit nous amener à définir rapidement des standards élevés au niveau européen, afin de ne pas perdre notre exemplarité.
Le projet de loi Waxman, en cours d’examen au Congrès des États-Unis, est à la fois précis et ambitieux. Il serait dommage que l’Europe paraisse en retrait après avoir été précurseur.
Sur cette question de l’organisation du marché du carbone, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer les grandes lignes de la position française ?
Le deuxième sujet essentiel à l’ordre du jour du Conseil européen est la crise économique et financière.
Il est clair que la riposte concertée des États nous a permis d’éviter une nouvelle grande dépression. Cependant, il serait dangereux de commencer trop vite à baisser la garde. Les conséquences de la crise, notamment en termes d’emploi, sont toujours là. Nous risquons donc de compromettre la reprise qui s’amorce si, dès maintenant, il n’est plus question que d’augmenter les prélèvements et de réduire la dette.
C’est pourquoi je me réjouis de voir l’Allemagne s’engager durablement dans une importante baisse d’impôts pour un montant d’ailleurs bien supérieur à celui de la loi TEPA tant décriée. On ne pourra plus dire que l’Allemagne est un « passager clandestin » profitant des efforts de relance des autres.
En réalité, la bonne démarche est de faire chaque chose en son temps : à l’avenir, il faudra utiliser les périodes de croissance pour réduire vraiment les déficits, ce que nous n’avons pas fait dans le passé ; mais, tant que la crise est là, nous devons continuer à la combattre.
Que se passera-t-il si nous nous croyons trop vite tirés d’affaire ? Il paraîtra moins nécessaire, moins urgent, de renforcer la supervision financière. Il paraîtra moins utile d’agir ensemble pour limiter les fluctuations excessives des marchés internationaux. Nous retrouverons alors les causes de la crise, après avoir tant dépensé pour limiter ses conséquences. Si nous voulons éviter la rechute, il faut donc aller jusqu’au bout du traitement.
À mon avis, ce traitement devrait comprendre un effort pour maintenir les fluctuations des grandes monnaies dans des limites raisonnables.
Quand l’euro a été lancé, voilà dix ans, il valait 1, 18 dollar. Deux ans plus tard, il était tombé à 0, 8 dollar. Depuis lors, il est remonté à 1, 5 dollar. Ainsi, nous avons eu une baisse de 40 %, suivie d’une hausse de 90 %.