Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Réunion du 27 octobre 2009 à 14h30
Conseil européen des 29 et 30 octobre 2009 — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à la veille du sommet de Stockholm, la ratification du traité de Lisbonne par la République tchèque, dernier État membre à ne pas avoir encore ratifié ce texte, permettrait à l’Europe de sortir de l’ornière institutionnelle. Ce serait là un événement capital, même si l’opinion publique de notre pays n’en est pas réellement consciente.

Une dynamique vertueuse en entraînant une autre, ne pourrait-on pas imaginer que la sortie de la crise institutionnelle annonce également la sortie de la crise économique ? En ce domaine, les États agissent ; mais le font-ils de manière coordonnée ? L’absence de coopération forte entre les États membres de la zone euro, notamment entre la France et l’Allemagne, constitue un risque pour l’euro lui-même. Des politiques économiques différentes conduisent à des options stratégiques de sortie de crise elles aussi différentes : outre-Rhin, on diminue les prélèvements obligatoires quand, en France, après le plan de relance, l’accompagnement vers la reprise se fera par le lancement d’un grand emprunt.

En matière de finances publiques, n’assiste-t-on pas à un décrochage entre l’Allemagne et la France ? Au cours des années 2010-2011, l’Allemagne, malgré la baisse de sa pression fiscale, devrait en effet connaître un déficit par rapport à son PIB deux fois inférieur à celui de la France. À cet égard, monsieur le secrétaire d’État, je vous précise que, à la suite du débat que nous avons eu sur cette question en commission des affaires européennes, j’ai fait vérifier ces chiffres, lesquels m’ont été confirmés par plusieurs économistes.

Alors que les États membres se sont coordonnés pour faire face au choc de la crise dans l’urgence, ils ont accru leur déficit à la demande des institutions financières, dont le Fonds monétaire international. C’est ainsi que vingt des vingt-sept États membres de l’Union sont sous le coup d’une procédure pour déficit excessif de la Commission européenne. Une stratégie commune s’impose donc pour trouver des voies de retour à l’équilibre. À cet égard, nous attendons beaucoup du Conseil européen de Stockholm et des suivants.

Plus globalement, au-delà de l’immédiateté conjoncturelle, le règlement de la question institutionnelle place plus que jamais l’Europe à la croisée des chemins et face à ses responsabilités. Autrement dit, pour reprendre les termes du Président de la République, l’Union voudra-t-elle faire ou subir le XXIe siècle ? Cette question va se poser immédiatement après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, entrée en vigueur que nous espérons.

M. Jacques Blanc vous a déjà posé la question, monsieur le secrétaire d’État : de quel président de l’Union voudrons-nous ? Voudrons-nous d’un simple arbitre ou, au contraire, d’un animateur susceptible d’entraîner l’Europe, comme Jacques Delors en son temps et comme Nicolas Sarkozy plus récemment ? Avec un leadership volontariste, l’Union peut parler d’une voix audible sur l’affaire géorgienne. Sans une telle volonté, c’est la cacophonie. L’action européenne manque alors de crédibilité.

J’ai assisté jeudi dernier à une conférence européenne sur l’architecture de la sécurité européenne. À cette occasion, j’ai constaté que le regard que les Russes portent sur la sécurité européenne est surréaliste. Lorsque j’ai demandé si, à l’instar du conseil OTAN-Russie, on pouvait envisager un conseil Union européenne-Russie – on peut rêver ! –, j’ai eu l’impression de faire figure de Martien. Il est important de s’intéresser au regard que les Russes portent sur la sécurité européenne.

Des questions se posent également concernant le futur Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune. Quel sera son rôle ? Quel sera le contenu du service européen d’action extérieure ?

Le fond de la question est qu’il ne peut y avoir de politique étrangère sans politique de défense. De même qu’elle a permis de relancer l’Europe institutionnelle, la dynamique de la politique française a redonné un coup de fouet à la défense européenne. Le retour de notre pays dans le commandement intégré de l’OTAN rend à nos plaidoyers en faveur de la défense européenne des accents de sincérité. C’est à la suite de cette inflexion qu’a été lancé le processus de Corfou, dont nous espérons qu’il aboutira à des résultats concrets.

Nous voulons une Europe de la défense pour trois raisons.

Premièrement, seule une véritable défense européenne nous permettra de ne pas durablement décrocher en matière militaire face aux États-Unis, dont le budget de la défense s’élève à 680 milliards de dollars, contre 220 milliards d’euros pour le budget européen. À la suite de la crise, le découplage transatlantique s’est cruellement accentué. Il faut l’enrayer.

Deuxièmement, l’Europe de la défense est aussi utile parce que nous avons su développer une approche originale et efficace de la gestion de crise au travers d’une coordination entre chaînes civiles et militaires. Je citerai deux exemples : la Bosnie-Herzégovine et l’opération Atalanta anti-pirates, dont vous avez souhaité faire comprendre l’importance à tous les ambassadeurs européens en les emmenant au large des côtes somaliennes, monsieur le secrétaire d’État. Dans ces deux cas, les actions civiles et militaires européennes ont été menées de concert, ce qui constitue une petite révolution.

Troisièmement – cette raison découle des deux premières –, notre défense, loin d’être faite pour affaiblir l’OTAN, en serait parfaitement complémentaire si elle se faisait une spécialité de la gestion de crise.

Où en sommes-nous en matière de défense européenne ? Comme l’a observé le général Bentégeat, l’Europe a récemment progressé en termes de capacités militaires et de conduite des opérations. Aujourd’hui, nous disposons de cinq quartiers généraux opérationnels. En revanche, la défense européenne n’a pas été dotée des moyens de progresser en matière de capacité. En attendant que la question des rapports entre défense européenne et OTAN soit complètement réglée, la mise en place d’un centre de commandement permanent civilo-militaire pourrait permettre à la défense européenne de faire un grand pas en avant.

Monsieur le secrétaire d’État, notre pays est-il favorable à l’intégration de la défense dans le portefeuille du Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune afin que nous puissions bâtir l’architecture de sécurité européenne si indispensable à notre existence et à notre crédibilité internationale ?

La question de la puissance européenne ne se résume pas à celle de la défense. Il ne peut y avoir de puissance sans croissance structurelle. Défense et sécurité, croissance et compétitivité, énergie et climat : tels sont les grands défis auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés. C’est en prenant du recul que l’interdépendance de ces questions apparaît de la façon la plus flagrante.

Pour terminer, je vous propose de prendre de la hauteur, au sens propre du terme, et d’aborder la question de l’Europe de manière un peu originale, mais ô combien fondamentale.

Que nous dit l’Europe vue du ciel, plus précisément vue de l’espace ?

Même si le dossier spatial n’est pas explicitement à l’ordre du jour du prochain Conseil européen, il doit être évoqué ici parce qu’il condense tous les enjeux susmentionnés.

L’espace est devenu un enjeu économique vital pour nous. Face au dumping social de géants comme la Chine, l’Inde ou l’Amérique latine, l’Europe ne maintiendra son rang qu’en misant sur les nouvelles technologies, créatrices de richesses. À cet égard, je ne citerai que l’exemple de la société britannique Avanti, dont la valeur a été multipliée par dix en très peu de temps. La recherche spatiale est devenue essentielle pour le développement des industries de pointe. Des freins céramiques des voitures aux robots pour les opérations du cœur, pas moins de 600 produits issus de la recherche spatiale sont aujourd’hui les moteurs de notre compétitivité.

L’espace est également un enjeu de défense, avec le système d’alerte avancée européen SPIRALE, le démonstrateur satellite Essaim, les précurseurs du renseignement d’origine électromagnétique, ou ROEM.

C’est enfin un enjeu vital en termes de développement durable. C’est en effet grâce à l’espace que nous maîtriserons mieux – c’est Jean-Jacques Dordain, directeur général de l’Agence spatiale européenne, qui me l’a dit hier à Londres, où nous assistions ensemble à une conférence sur l’espace – les énergies renouvelables et que nous serons à même de les exploiter efficacement.

Ce que les spécialistes appellent « la gestion de la grille de puissance » par le biais de l’espace et des énergies renouvelables – l’énergie éolienne et l’énergie solaire – est un élément fondamental de l’indépendance énergétique de l’Europe. Les marges de progression dans ce domaine sont paraît-il considérables. La météorologie est spatiale. Il est donc indispensable de progresser en la matière.

Or, qui prend la mesure de ce qui se joue au-dessus de nos têtes ? Le budget de l’Agence spatiale européenne s’élève à 4, 5 milliards de dollars quand celui de la NASA atteint 17 milliards de dollars. Les chercheurs des deux agences se situent pourtant au même niveau de compétitivité. Ainsi, pour l’exploitation robotique de la planète Mars, pour ne citer que cet exemple, nous sommes à égalité avec les Américains.

Au-delà de la simple question budgétaire – 3 milliards supplémentaires ont été demandés pour la politique spatiale –, le politique semble absent de ce débat, ce que déplorent les chercheurs. Il n’existe pas aujourd’hui d’arène politique où traiter de cette question, notamment de la nécessité de développer l’exploration spatiale. Les techniciens, privés d’impulsion politique, se retrouvent seuls à débattre entre eux. D’autres que nous prendront les décisions si nous ne le faisons pas.

Monsieur le secrétaire d’État, la France ne pourrait-elle pas faire un effort pour que, à l’avenir, le dossier spatial soit régulièrement inscrit à l’ordre du jour des conseils européens ?

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