Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la discussion que nous engageons aujourd’hui est censée concourir à l’élaboration de la position française en vue du prochain Conseil européen qui se tiendra à la fin de cette semaine.
Le Conseil abordera bien évidemment la situation économique de l’Union, mais il examinera également deux autres points essentiels de mon point de vue : d’une part, la préparation de la mise en œuvre du traité de Lisbonne et, d’autre part, la position commune à adopter lors de la Conférence internationale de Copenhague sur la lutte contre le changement climatique.
Ce sont ces deux points que je développerai dans mon intervention, afin d’éclairer le Gouvernement sur la position du groupe socialiste que j’ai l’honneur de représenter aujourd’hui.
C’est un fait, mes chers collègues, l’Union européenne fonctionne au ralenti depuis plusieurs mois. La nouvelle organisation institutionnelle tarde à se mettre en place et le projet européen souffre d’une désaffection citoyenne croissante, comme en témoigne le taux d’abstention – supérieur à 55 % – lors des dernières élections européennes. L’Europe de la dérégulation et de la sécurité a plusieurs longueurs d’avance sur l’Europe des droits sociaux et des libertés. Par ailleurs, l’Europe a toutes les peines du monde à s’imposer sur la scène internationale, faute d’une vision commune. L’Union européenne se doit donc de relever deux défis : la mise en œuvre du traité de Lisbonne et une prise de position en matière de lutte contre le changement climatique.
En ce qui concerne la nouvelle organisation institutionnelle, tout laisse présager une entrée en vigueur prochaine du traité de Lisbonne. L’Irlande et la Pologne ont en effet ratifié ce traité au début du mois d’octobre, et le président tchèque Václav Klaus a laissé entendre la semaine dernière qu’il le signerait prochainement. Il s’agirait là d’un événement dont on ne pourrait bien évidemment que se réjouir.
Néanmoins, cette étape nécessaire, dont nous espérons qu’elle pourra maintenant être rapidement franchie, après une gestation bien laborieuse, ne signifie pas, loin s’en faut, la fin de tous les problèmes. Les États membres de l’Union auront encore, entre autres difficultés, à définir le rôle et les pouvoirs réels du président du Conseil européen, du Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune et, bien sûr, du président de la Commission. La répartition des responsabilités entre les uns et les autres devra être soigneusement précisée afin d’éviter les redondances, ainsi que d’éventuelles contradictions.
Il s’agira surtout, mes chers collègues, d’établir les nouvelles priorités politiques du projet européen. Cette redéfinition pourrait trouver une traduction concrète dans la nouvelle distribution des portefeuilles des commissaires. Pour remettre à l’honneur la dimension sociale de l’Europe, le groupe socialiste suggère la création d’un poste de commissaire européen spécifiquement chargé des services publics. Il devient en effet urgent de montrer par des actes et des symboles forts que l’Union n’est pas uniquement une Europe de la concurrence et de la dérégulation des marchés.
Dans un autre registre, il serait tout aussi opportun qu’un commissaire ne soit pas en charge à la fois de l’immigration et de la sécurité. Il est en effet pour le moins désolant de voire la question de l’immigration réduite à la seule dimension sécuritaire. Pour illustrer mon propos, permettez-moi de citer ici l’exemple de l’accord en cours de négociation entre l’Europe et la Libye, qui vise, pour l’essentiel, à instituer le renvoi vers la Libye de ses ressortissants ou des migrants qui ont tenté de pénétrer illégalement en Europe en transitant par ce pays. L’Union européenne tend donc à se défausser de sa responsabilité en sous-traitant à d’autres la gestion de l’immigration illégale, oubliant même de prendre en compte la légitimité du droit d’asile. De mon point de vue, le problème ne se réglera pas ainsi.
L’Europe doit sortir de la logique purement défensive dans laquelle elle s’est enfermée. Elle doit arrêter de se penser en forteresse assiégée. Elle doit au contraire s’accepter comme terre d’immigration, plus particulièrement comme terre d’accueil des réfugiés. Il me semble donc qu’une véritable politique en matière d’intégration et de protection des demandeurs d’asile doit être courageusement menée par la prochaine commission.
L’autre défi que le Conseil européen devra relever, mes chers collègues, est la définition d’une position claire sur le changement climatique en vue des négociations internationales qui auront lieu à Copenhague au mois de décembre. Compte tenu de l’enlisement de ce dossier depuis plusieurs mois, on peut dire que la tâche est rude. À six semaines de cette conférence, la position de l’Europe est en effet bien floue.
En décembre dernier, l’Europe a souhaité jouer un rôle de premier plan en votant le paquet « énergie-climat ». Mais de nombreux blocages sont survenus ces derniers mois sur cette question, et notre déception est aujourd’hui à la mesure des ambitions passées.
Certes, me direz-vous, l’Europe avance pas à pas concernant les objectifs à atteindre en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre à long terme. Il est prévu une réduction d’au moins 80 % des émissions à l’horizon 2050 par rapport au niveau de 1990 pour le groupe des pays industrialisés. Cette décision a enfin été prise le 21 octobre par le conseil des ministres de l’environnement de l’Union. Cet objectif est désormais conforme aux recommandations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC. Nous ne pouvons donc que nous satisfaire de cette avancée.
Cependant, dans le détail, le dispositif manque de cohérence. L’Europe en est encore à penser la question de manière arithmétique, en évoquant la réduction des émissions d’ici à 2020 de 10 % dans le secteur des transports aériens et de 20 % dans le secteur maritime par rapport à 2005, là où il conviendrait plutôt de raisonner globalement, en articulant les questions environnementales aux questions sociales et économiques.
S’il est évidemment positif de fixer des objectifs chiffrés, ceux-ci ne sauraient être déconnectés des réalités sociales internes aux nations qui composent l’Union européenne et encore moins des déséquilibres de développement au niveau international.
Chacun le sait, les pays pauvres sont déjà, et seront dans un avenir proche, les premières victimes du changement climatique. Copenhague devra donc prendre en compte l’enjeu fondamental du soutien aux économies les plus fragiles de la planète. La lutte contre le changement climatique ne peut qu’aller de pair avec la lutte contre la pauvreté, comme l’a d’ailleurs souligné la Banque mondiale dans son dernier rapport. S’il est louable de fixer des objectifs de réduction à long terme des émissions de gaz à effets de serre, encore faut-il apporter en complément le soutien financier et technique suffisant aux pays en voie de développement, afin de les aider à prendre part à la lutte mondiale contre le réchauffement climatique. Nous ne sommes pas tous sur le même plan. Il faut, me semble-t-il, le reconnaître si nous voulons avancer en la matière.
Or, que constatons-nous ? Les États membres de l’Union ne parviennent pas à s’accorder sur la contribution financière à apporter aux pays en voie de développement. Ils se refusent à avancer parce que la seule question, assez égoïste, qui les préoccupe en réalité est celle de la répartition de la charge financière entre les uns et les autres.
Pour ma part, je pense que l’Europe doit prendre ses responsabilités. Et quelle meilleure manière d’affirmer son leadership que de proposer une assistance financière et technique significative aux pays en voie de développement ? D’autant que le président des États-Unis n’est toujours pas en mesure aujourd’hui d’afficher une position claire et chiffrée en vue des négociations internationales de Copenhague, ses propositions n’ayant pas reçu à ce jour l’aval du Congrès.
Par conséquent, l’Union européenne a une occasion et peut-être une chance historique d’être la locomotive de ces négociations. À mon sens, il est de son rôle d’établir les conditions adéquates pour que le sommet de Copenhague ne se résume pas à une déclaration de bonnes intentions, mais aboutisse, au contraire, à un accord général sur le fond.
Or, à l’heure où je vous parle, certains dirigeants de l’Union européenne, y compris le Président de la République française, brandissent déjà la menace de surtaxer aux frontières de l’Europe les produits importés des pays peu regardants aux émissions de dioxyde de carbone, ou CO2, en cas d’échec du sommet de Copenhague.
Si un tel projet peut apparaître comme un recours dans les années à venir, il faut dans l’immédiat trouver une méthode moins comminatoire pour parvenir à un accord international à Copenhague.
De ce point de vue, l’Europe a, je le répète, une lourde responsabilité. Pour être entendue, il faut d’abord qu’elle parle d’une seule voix et qu’elle prenne l’initiative de lancer les négociations mondiales avec le souci de l’équilibre des efforts à fournir par les différents acteurs. C’est bien aux pays développés qu’il revient de faire preuve de la générosité suffisante pour sortir les négociations de l’impasse dans laquelle elles risquent de s’enliser. Et c’est à cette condition que l’Europe pourra jouer le rôle qui lui revient dans la nouvelle gouvernance mondiale.
Monsieur le secrétaire d’État, de notre point de vue, c’est ce message que la France doit exprimer à l’occasion du Conseil européen. Et c’est ce même message qu’elle doit délivrer au reste du monde sur ces questions si sensibles pour l’avenir de notre planète.