Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Réunion du 27 octobre 2009 à 14h30
Conseil européen des 29 et 30 octobre 2009 — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement :

Cela dit, que pourra bien faire le service commun pour l’action extérieure ? On s’oriente vers la multiplication de services, de desks, géographiques ou thématiques, qui feront double emploi avec les services des directions générales de la Commission et avec ceux des départements du secrétariat général du Conseil. Le service diplomatique commun passera une notable partie de son temps à « consulter » à la fois le Conseil, la Commission, les États membres et, bien sûr, le Parlement comme le suggère le rapport de M. Elmar Brok. Une cellule dédiée est déjà prévue à cet effet. Le service diplomatique commun pourra faire appel aux moyens du Conseil et de la Commission pour la traduction. Il y a au moins une certitude : l’avenir de la traduction-interprétation est assuré dans la Babel européenne ! C’est l’une des rares bonnes nouvelles dont la Commission peut se targuer par les temps qui courent en matière d’emploi !

Deuxième question, quelle sera la composition du service diplomatique commun ? Il sera, nous dit-on, formé de fonctionnaires issus de la Commission, du Conseil et des diplomaties nationales.

Mais je voudrais vous poser une question : quel sera le régime des primes ? C’est une question essentielle, monsieur le secrétaire d’État. Il est à craindre qu’on ne choisisse l’alignement sur le régime le plus favorisé. Comment donc nos diplomates nationaux, qui, pour avoir choisi de servir l’État n’en sont pas moins hommes et femmes, donc non exempts des faiblesses de l’humaine condition, pourront-ils résister à la longue à l’attrait de gratifications qui doubleront leur salaire pour une heure de TGV ? Y avez-vous réfléchi ? Lorsque j’ai posé la question à M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, en commission, il m’a répondu qu’il garderait la haute main sur les nominations.

Ce n’est pourtant pas ce que j’avais cru comprendre. Selon les textes, c’est le haut représentant qui choisira son personnel, en veillant à l’origine fonctionnelle entre le Commission, le Conseil et les services diplomatiques nationaux, à la répartition géographique et à la parité hommes-femmes, tout en préservant la compétence, l’expérience et le niveau des connaissances des intéressés. On lui souhaite bien du plaisir…

Mais si les candidatures sont libres, le ministre des affaires étrangères pourra-t-il encore conserver un pouvoir de nomination qui ne soit pas fictif sur les diplomates relevant de son autorité ?

Monsieur le secrétaire d’État, qui ne voit que les impulsions données à ce service diplomatique commun entreront inévitablement en concurrence avec les orientations fixées à notre diplomatie ? Bref, cette usine à gaz nous garantit conflits et blocages. La paralysie résultera de ce millefeuille d’autorités superposées et de bureaucraties concurrentes.

La création du service européen d’action extérieure est prévue, paraît-il, pour la fin du premier semestre de l’année prochaine. Je ne saurais vous suggérer pour ce service que l’ambition minimale, le format le plus modeste possible et, surtout – c’est cela qui est important –, les primes les plus réduites. Vous vous conformeriez ainsi à l’esprit de la décision de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe du 30 juin 2009 sur le traité de Lisbonne, qui réfute très clairement l’existence d’un peuple européen et rappelle quelques principes : la légitimité reste dans les États, et l’Union européenne est seulement une organisation internationale qui doit respecter la démocratie de chacune des nations la composant. Ne faites donc pas comme si l’Union européenne pouvait devenir une fédération ; c’est une ambition depuis longtemps dépassée.

Et nous n’avons pas besoin d’une bureaucratie supplémentaire. Son seul effet prévisible serait d’affaiblir la diplomatie de la France, dont M. Bernard Kouchner se flatte qu’elle soit encore la troisième – pourquoi pas la deuxième, d’ailleurs ? – du monde. Il faut bien du mérite à nos diplomates, réduits à la portion congrue par un budget des affaires étrangères toujours plus étriqué, pour parvenir encore à soutenir cette réputation !

J’en viens au deuxième point inscrit à l’ordre du jour du Conseil : les suites données au G 20.

Les recommandations du conseil des ministres de l’économie et des finances, comme la suppression des incitations budgétaires, l’assainissement des finances publiques, la coordination des politiques dans le cadre d’une mise en œuvre cohérente du pacte de stabilité et de croissance, l’accent mis sur les réformes structurelles ou la transmission à la Commission de programmes de stabilité et de convergence avant la fin du mois de janvier 2010, sont tout à fait prématurées et risquent de freiner une reprise qui est seulement à peine amorcée.

Chassez le naturel, il revient au galop ! Nos élites libérales n’ont décidément rien appris et rien oublié. En effet, on ne peut pas à la fois se féliciter de la réactivité des pouvoirs publics, préconiser « des plans agressifs pour doper une reprise durable du marché de l’emploi », comme l’a fait le G 20, et appuyer sur la pédale de frein, à l’instar de M. Joaquín Almunia, commissaire européen pour les affaires économiques et monétaires, et de tous ceux qui proposent un retour rapide à l’application stricte des critères de Maastricht.

Aujourd’hui, rien n’est acquis, à commencer par l’assainissement financier du système bancaire, qui demeure extrêmement frileux dans ses prises de risques. Sans l’intervention des États, l’activité économique se serait effondrée. Les banques qui bénéficient d’un privilège de situation doivent bien évidemment être taxées, à défaut d’être nationalisées.

Sur un plan plus général, les déséquilibres macro-économiques à l’origine de la crise n’ont pas été résorbés, bien au contraire. On a combattu une crise née de l’endettement par un endettement supplémentaire, l’endettement public prenant le relais de l’endettement privé. Tout cela nous laisse entrevoir de nouvelles tensions, de nouvelles crises. D’ailleurs, les tensions sont déjà perceptibles sur le marché des changes, puisque l’euro a dépassé la barre de 1, 50 dollar.

Monsieur le secrétaire d’État, s’il est un sujet qui devrait préoccuper le Conseil européen, c’est bien la prise en étau dont est victime l’Europe, en particulier la zone euro, entre, d’une part, la concurrence des pays à très bas salaires, au premier rang desquels la Chine, et, d’autre part, un dollar que les autorités américaines laissent filer et qui rend les produits américains de plus en plus compétitifs. Pas seulement les produits américains d’ailleurs ; les produits chinois sont également concernés, puisque les Américains ont accepté que les Chinois rétablissent un lien fixe du yuan avec le dollar !

Ainsi, nous sommes confrontés à une stratégie concertée et à une prise en tenailles. J’attends de savoir ce que le Président de la République compte faire pour sortir la France de l’étau dans lequel elle se trouve du fait de l’action conjuguée des politiques économiques menées par tous les gouvernements successifs depuis vingt-cinq ans.

Il faudrait se saisir du problème posé par la réforme du système monétaire international pour inscrire les parités des principales monnaies dans des bandes de fluctuation tolérables, sur le modèle des fourchettes instituées en 1985 par les accords du Louvre.

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