Le même problème touche l'administration fiscale : la matière est d'une richesse incroyable, mais nos administrations ont un peu de mal à faire face ces données, comme à beaucoup d'autres - les « Panama Papers » arrivent après un premier dossier sur le système du Liechtenstein, un autre sur les banques suisses - le « SwissLeaks » - et un troisième sur les pratiques luxembourgeoises - le « LuxLeaks ». La matière s'est considérablement enrichie en termes d'informations et de détection des pratiques des acteurs et des circuits.
Selon moi, le dossier « Panama Papers » est une contribution tout à fait déterminante à l'action menée au niveau international, en Europe et en France, pour combattre l'opacité d'une partie de la finance mondiale et les mauvaises pratiques qui s'y développent.
Dans ces centres financiers offshore que l'on appelle parfois, en simplifiant les choses, des « paradis fiscaux », se croisent des flux financiers qu'il est très difficile de départager. Les uns sont clairement des flux illicites, issus de l'argent du crime - terrorisme, trafic de drogue, trafic d'armes, trafic d'êtres humains et corruption - ou de la volonté d'échapper à l'impôt.
Mais il peut aussi y avoir - sans doute assez rarement au Panama - des transactions financières tout à fait licites : des sociétés ou des investisseurs, en particulier latino-américains, placent de l'argent dans ce pays pour protéger des risques de change ou des risques de confiscation. Songez à la situation au Venezuela : on peut comprendre le souci des épargnants ou des industriels face aux risques gravissimes liés à l'instabilité du cadre juridique, de la fiscalité, de l'évolution du taux de change... Toujours est-il qu'il ne s'agit, comme le révèle ce dossier, que d'une toute petite partie des flux financiers en question. Le reste, c'est soit de la finance très noire, la pire de toutes, la finance du crime, soit de la finance grise, celle de la fraude et de l'évasion fiscales.
Où en est l'action publique internationale en Europe et en France ? Les avancées enregistrées datent surtout de la crise financière et du sommet du G20 de Londres de 2009. Les travaux de l'OCDE, de l'Union européenne et de beaucoup de gouvernements, dont le nôtre, vont très clairement dans la bonne direction.
La lutte contre la délinquance financière dans les trente années qui ont précédé n'était pas une priorité des politiques publiques - ni des politiques financières, ni des politiques pénales... Dans certains pays, les priorités étaient même inversées : le fait que des personnes fortunées ou des entreprises échappent à l'impôt pouvait être considéré comme une sorte d'optimum d'un point de vue économique. Je reprends en cela les propos publics de hautes autorités du Royaume-Uni ou des États-Unis, par exemple.
Le communiqué du sommet du G20 de Londres, au printemps 2009, marque le point de départ d'une prise de conscience et d'une réelle mobilisation de tous les grands pays - tout du moins de ceux du G20, pays dits riches, pays émergents et grands pays en développement. À Londres, le débat principal a opposé les pays de l'OCDE à la Chine, qui avait alors beaucoup de réticences à s'engager dans la voie d'une coopération internationale renforcée pour lutter contre la corruption, la fraude fiscale et le blanchiment.
Or la Chine est aujourd'hui partie prenante de cette mobilisation internationale. De même que tous les autres grands pays du G20. Il s'agit d'un changement de l'état d'esprit collectif et de la réalité de la coopération internationale.
J'en profite pour rendre un hommage très appuyé au travail formidable de l'OCDE sur tous ces sujets. C'est un Français - Pascal Saint-Amans - qui dirige le Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE, ce dont nous pouvons être fiers.