Intervention de Daniel Lebègue

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 15 juin 2016 à 9h00
Lutte contre l'évasion et la fraude fiscales internationales — Audition de M. Daniel Lebègue président de transparency international france

Daniel Lebègue, président de Transparency International France :

Il bénéficie d'un soutien sans faille du secrétaire général de l'OCDE, Angel Gurria, qui n'a jamais fléchi sur ces sujets, même quand il a dû affronter de grands pays membres, comme le Royaume-Uni.

L'OCDE fait du bon travail dans un domaine où la coopération internationale est le facteur clé de la réussite. L'idée que l'on puisse lutter contre la délinquance financière en général, la fraude et l'évasion fiscales en particulier, dans un seul pays, en comptant sur nos seules forces, ne résiste à l'analyse.

Cela ne veut pas dire que la France ne doit pas être en pointe dans les instances européennes, au sein du G20, de l'OCDE ou de la banque mondiale, c'est-à-dire partout où elle doit faire entendre sa voix et son autorité en la matière. Mais l'idée que l'on va apporter des réponses dans notre coin ne tient pas la route : la clé de tout, c'est la coopération internationale.

Nous devons être très vigilants. Certaines menaces de retour en arrière ou de désinvestissement pèsent en permanence sur notre action commune. Pensez à l'enjeu de l'élection présidentielle américaine : une partie très influente de responsables politiques américains pense que les États-Unis se porteraient mieux s'ils retrouvaient une entière autonomie d'action et s'ils pouvaient, au nom de la liberté d'entreprendre - objectif que nous partageons tous - relâcher quelque peu l'attention sur les exigences de solidarité, par exemple en matière de fiscalité.

Autre risque, celui d'une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Nous avons réussi, par étapes, à emmener les autorités britanniques sans doute un peu plus loin qu'elles ne l'auraient fait sans nous. Nous devons rester très attentifs face à ces risques permanents.

Pour avoir travaillé et vécu sur les cinq continents, je sais que nous avons la chance d'avoir l'une des meilleures administrations fiscales du monde : la plus compétente, la plus intègre, la plus efficace. Les résultats obtenus dans la lutte contre la fraude, sous toutes ses formes, sont impressionnants : 19 milliards en base, plus de 10 milliards en flux annuel ; 45 000 cas traités par la cellule de régularisation de Bercy en trois ans. Nous ne pouvons que saluer ce beau travail professionnel, rigoureux, réalisé dans un esprit de service public et d'intégrité.

Prenons garde de ne pas affaiblir notre administration fiscale. Pour dire les choses sans détour, j'aimerais que l'on accorde un peu moins d'importance à ce stupide débat sur le « verrou de Bercy » !

Penser que l'on combattra mieux la fraude fiscale en transférant à la justice les dizaines de milliers de dossiers traités chaque année par notre administration fiscale est plus que contre-productif. C'est une idée extrêmement dangereuse, parce que la justice est tout simplement incapable de faire face à ce travail !

Cherchons plutôt à soutenir au mieux notre belle illustration fiscale, qui n'a pas besoin de recruter des centaines de personnes, mais plutôt de se doter des moyens informatiques indispensables à ses missions.

Il en va de même de la justice. Vous êtes sans doute nombreux, dans cette salle, à penser que la France se porterait mieux si elle pouvait doubler, voire quadrupler le budget de la justice. Je le pense aussi mais, malgré les voeux pieux et les incantations, je pense que ni cette majorité ni la suivante ne le feront.

Tâchons de regarder quels sont les enjeux importants pour la justice - Éliane Houlette a dû vous le dire, ainsi que la directrice du SCPC, le service central de prévention de la corruption, future agence anticorruption. Notre justice a besoin d'experts, de moyens techniques et informatiques et de coopération internationale.

La question majeure est celle de l'identification des bénéficiaires effectifs de ces sociétés et autres structures opaques du type trust, fiducie, fondation... Tant que nous n'aurons pas les moyens d'identifier les investisseurs, parfois des entreprises, qui se dissimulent au travers de ces structures, nous n'aurons fait que la moitié du chemin. C'est la priorité de l'heure.

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