Intervention de Daniel Lebègue

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 15 juin 2016 à 9h00
Lutte contre l'évasion et la fraude fiscales internationales — Audition de M. Daniel Lebègue président de transparency international france

Daniel Lebègue, président de Transparency International France :

La Société Générale a donc réduit cette activité des neuf dixièmes. Il s'agit d'un changement de comportement très clair. Je pense que les grandes banques françaises vont aller au bout du processus.

Je vais faire appel à mes souvenirs de banquier. La Société Générale, BNP Paribas, le Crédit Agricole ont, dans de grands centres financiers étrangers, de grands clients. BNP Paribas, par exemple, est l'une des plus grandes banques de Hong Kong, Singapour et Shanghai. Elle comptait parmi ses clients de l'époque tous les grands entrepreneurs chinois, dans tous les secteurs - armement, construction...

Ces grands clients considéraient, et considèrent sans doute toujours, leur banque comme un partenaire global. Ils en attendent une aide pour financer leurs investissements et leurs exportations, différentes formules de gestion des moyens de paiement, et aussi une offre en matière de placements financiers, en particulier pour le dirigeant chinois, singapourien, indonésien ou brésilien qui veut éviter de payer trop d'impôts. Si sa banque ne peut lui offrir le placement offshore qu'il désire, le leader mondial de l'armement naval, par exemple, se tournera alors vers HSBC ou Barclays, à Hong Kong ou Singapour, qui lui proposent ce service. Voilà comment les choses se passent et se sont passées.

Je pense que les banques françaises ont maintenant pris la mesure des risques encourus sur le plan juridique et financier et sur celui de la réputation. Elles sont aujourd'hui décidées à ne plus offrir de tels services, même s'il s'agit d'un sacrifice important.

La loi FATCA est un outil extraordinaire. Les États-Unis ont convaincu - ou leur ont imposé - tous leurs partenaires et tous les établissements financiers dans le monde de déclarer les avoirs détenus chez eux par des résidents américains et les transactions effectuées chaque année sur ces comptes, et cela de manière automatique. Ce système est indéniablement le plus robuste de tous.

On peut trouver son équivalent en Europe avec la directive instaurant la règle d'échange automatique d'informations entre tous les pays membres de l'Union. Nous avons finalement pu imposer ce dispositif au Luxembourg et à l'Autriche qui résistaient depuis quinze ans. Nous avons aussi réussi à l'imposer aux grands partenaires de l'Union européenne que sont la Suisse, Monaco, Malte, Gibraltar, Andorre, Liechtenstein et Jersey et Guernesey.

Que reste-t-il encore à améliorer ? Comme nous nous y sommes engagés, nous fournissons aux autorités américaines toute l'information dont nous disposons sur les avoirs, les transactions financières de tout résident américain en Europe.

Si nous ne faisons pas, les sanctions tomberaient rapidement, non seulement sur les États, mais aussi sur les banques concernées. La banque étrangère ne respectant pas les règles FATCA aurait une chance sur deux de perdre sa licence bancaire aux États-Unis, sans discussion, négociation ou transaction. Aucune banque n'est prête à prendre ce risque aujourd'hui.

Même les petites et moyennes banques suisses, qui n'avaient pas d'activité sur le territoire américain, ont plié devant les autorités américaines qui leur ont rappelé qu'elles pouvaient leur retirer le droit de travailler en dollars. Toutes les banques suisses se sont donc rangées, plus de force que de gré, à cette obligation de transparence et de déclaration.

Nous pouvons encore améliorer deux points. Nous fournissons aux autorités américaines toute l'information demandée, mais la réciproque n'est pas toujours vraie. Je ne dis pas non plus que l'administration américaine n'informe pas les administrations européennes. Disons plutôt qu'il ne s'agit pas toujours d'une information rapide ou complète... Nous devons nous montrer très exigeants sur ce point.

Reste la question des free riders, c'est-à-dire ceux qui, dans le système mondial, sont tentés de jouer le jeu du cavalier solitaire, de se tenir à l'écart des règles édictées par le G20 et l'OCDE. Ils pensent pouvoir attirer les investisseurs du monde entier en leur offrant l'abri du secret bancaire.

La liste s'en est singulièrement réduite : le Panama, ancien numéro un, vient de rendre les armes. Il n'avait plus le choix. Il en reste encore quelques-uns sur les listes de l'OCDE de l'Union européenne et de la France : les Îles Vierges britanniques, par exemple, qui n'ont pas voulu participer au sommet de Londres en mai dernier et qui refusent l'échange automatique d'informations.

En plus de l'inscription sur les listes noires ou grises, il faut maintenant passer à l'étape suivante et recourir à la panoplie des sanctions établies par l'OCDE, en conformité avec le droit international et les accords de l'OMC. Il ne s'agit pas seulement de pénalités fiscales et financières : on peut interdire toute transaction financière avec un État figurant sur la liste noire ou grise de l'OCDE, du G20, de l'Union européenne ou de la France.

Il reste aussi Bahreïn : on n'a toujours pas réussi à identifier les actifs de la famille Ben Ali à Bahreïn, ce qui est inacceptable. Il faut mettre cet État en demeure de respecter la nouvelle norme internationale.

Si l'Union européenne, les États-Unis, les grands pays du G20 s'accordent, nous avons tout à fait les moyens de réduire les cavaliers solitaires.

Monsieur le rapporteur général, je ne reviens pas sur ce que vous avez dit du redressement fiscal qui est souvent plus efficace que la justice pénale. J'en conviens.

Vous m'avez posé une question personnelle. Dans mes fonctions de dirigeant de la BNP - à la Caisse des dépôts et consignations, la question des paradis fiscaux se pose rarement -, j'étais bien évidemment informé de l'existence de filiales, succursales et bureaux dans des centres offshore.

En soi, cela n'a rien d'illégal, d'illicite, ni même de critiquable. Il est normal que BNP Paribas, qui est l'une des trois grandes banques mondiales dans le financement du shipping - bateaux et aéronautique - ait une filiale en Irlande. Ce n'est pas une question de fiscalité, mais de système de droit : tout le monde sait qu'il est beaucoup plus simple, pour vendre un Airbus, par exemple, ou un bateau, de disposer d'une société de financement en Irlande.

L'Europe a mis en place un marché unique et instauré la libre circulation des capitaux. Tout cela n'est en rien critiquable dès lors que les choses se font en toute transparence et qu'il ne s'agit pas de contourner la règle fiscale.

Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse. L'ancien directeur général de BNP Paribas que je suis a vécu comme une humiliation pour la banque, pour notre pays, pour notre justice, la condamnation, par la justice américaine, de BNP Paribas à verser une amende de 9 milliards de dollars qui est allée directement dans les caisses du Trésor des États-Unis.

En outre, BNP Paribas a dû mettre en place, à New York, une équipe de cinquante personnes, qu'elle rémunère, pour centraliser toutes les transactions en dollars qu'elle réalise dans le monde, directement placée sous le contrôle du procureur des États-Unis.

À quel point en sommes-nous rendus ! Que BNP Paribas ait enfreint un embargo, c'est, hélas, incontestable. Mais que le dossier soit traité de cette manière, par d'autres magistrats d'un pays tiers, c'est inacceptable !

D'où l'insistance de Transparency International pour doter la justice française des mêmes moyens d'action que ceux dont disposent les justices étrangères. Je ne parle pas seulement des États-Unis, mais aussi de l'Allemagne, du Royaume-Uni, de l'Italie, des Pays-Bas, de la Suisse, de l'Espagne... Je pense notamment à la transaction pénale, qui est l'outil idoine pour le magistrat dans ce type de dossier.

Permettez-moi enfin de dire, Monsieur le rapporteur général, que ni vous ni moi n'accordions à l'époque autant d'attention et autant importance à tous ces sujets. Je bats volontiers ma coulpe, mais il aura fallu attendre que cette question devienne une priorité des politiques publiques en France et dans le monde.

J'ai présidé le comité d'audit et des risques du Crédit Agricole, qui emploie plus de 1 000 personnes pour l'audit et le contrôle interne. Nous demandions chaque année à la direction de l'audit et de la conformité de nous expliquer quelles étaient nos activités sur telle ou telle place offshore, pour rassurer le conseil d'administration sur le caractère légal et licite de ces opérations.

S'agissant du président de la branche chilienne de Transparency International, ce dernier été débarqué de son poste en deux heures. Quand les « Panama Papers » ont été rendus publics, notre conseil international lui a demandé de remettre tous ses mandats dans l'après-midi.

Je n'étais pas très allant, et je ne le suis toujours pas, pour que la France se distingue de ses partenaires européens sur le dossier du reporting pays par pays, pour deux raisons. D'une part, si la France est seule à agir en matière de reporting pays par pays, l'intérêt et la portée de la mesure sont considérablement réduits ; d'autre part, je ne pense pas pertinent de faire peser sur nos entreprises des contraintes qui n'existent pas pour leurs concurrentes.

Ne vous y trompez pas, nous sommes pour le reporting pays par pays, pour le reporting public. Toutefois, nous voulons faire avancer le dossier à l'échelle de l'Union européenne. Contrairement au Medef, je ne dis pas qu'il faut attendre que tous les pays du monde fassent de même. Agissons en Europe comme nous l'avons fait pour les banques ou les industries extractives.

Par contre, je pense que l'action de la France est justifiée sur le dossier du registre des bénéficiaires effectifs, et ce pour deux raisons.

Premièrement, les pays du G20 se sont engagés à mettre en place des procédures - principalement des créations de registres - permettant d'identifier les bénéficiaires effectifs. Tous les pays membres ont pris cet engagement. Les choses vont donc se faire, certes à un rythme différent selon les pays, en vertu d'un accord international.

Deuxièmement, le Parlement a donné à l'administration les moyens d'agir. Certes, le système doit encore être amélioré, notamment sur la question des sociétés commerciales. Il est paradoxal de voir qu'une procédure a été mise en place pour les trusts, mais pas pour les sociétés commerciales. Il s'agit cependant d'une simple mesure d'application de la directive européenne anti-blanchiment que le ministre s'est engagé à prendre.

S'agissant du trust, le dispositif français est bien fait. Il faut déclarer à l'administration fiscale tout trust dans lequel un résident français est partie ou tout trust détenant un actif financier ou immobilier français. Si l'on ne peut évidemment garantir que le gestionnaire d'un trust à Bahreïn va se précipiter à Bercy pour effectuer une telle déclaration, ce dispositif permet au moins de viser les résidents et les non-résidents, les trusts situés en France ou à l'étranger et, surtout, de donner à l'administration les moyens d'agir : si la déclaration n'a pas été faite, la charge de la preuve incombe à l'investisseur ou au gestionnaire du trust. C'est une bonne mesure.

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