Un projet de parquet européen est toujours sur la table, mais nous sommes très loin d'un accord.
J'ai assisté hier aux rencontres internationales des autorités anti-corruption organisées par l'OCDE. Les échanges furent très concrets, très denses. Nous devons rapidement progresser en matière de coopération, à tous les niveaux - administrations, magistrats...
L'Assemblée nationale a fait un remarquable travail. Le dispositif qu'elle a adopté est probablement le plus solide d'Europe. Un seul article - examiné à deux heures du matin... - nous pose problème. Je pense donc mesdames, messieurs les sénateurs, que vous aurez la possibilité d'apporter la touche finale à ce projet.
L'article en question porte sur la définition du lanceur d'alerte. La définition adoptée prévoit seulement deux cas où le lanceur d'alerte peut être reconnu comme tel : d'une part, s'il s'agit de crimes, de délits ou de manquements graves à la loi ou au règlement ; d'autre part, si les faits en question présentent des risques graves pour l'environnement, la santé ou la sécurité publique. Or, si nous en restions là, Antoine Deltour, le lanceur d'alerte de l'affaire « LuxLeaks », ne serait pas protégé.
Nous sommes tout à fait d'accord sur le critère de la bonne foi. Les personnes qui veulent régler des comptes avec leurs collègues ou leurs voisins, nous n'en voulons pas ! De même, les lanceurs d'alerte doivent agir de manière désintéressée et servir l'intérêt général. Nous souhaitons conserver ces critères qui nous distinguent du système américain.
En revanche, nous souhaitons, en accord avec toutes les ONG concernées, ajouter à cette définition la notion de « préjudice grave à l'intérêt général » afin de couvrir des cas similaires à celui d'Antoine Deltour ou de la jeune femme ayant signalé les pratiques de la banque UBS en France.
S'agissant des codes et des chartes de bonnes pratiques, nous progressons de manière très forte, très rapide. Il nous est parfois reproché, par des esprits purs, de travailler avec une trentaine de grandes entreprises, y compris des banques et des compagnies d'assurances. Nous les conseillons, nous les accompagnons, nous essayons de leur apporter des outils, des moyens d'action. La plupart de nos grandes entreprises privées et publiques disposent aujourd'hui d'un programme de conformité. Je crois même que toutes les sociétés du SBF 120 se sont dotées d'un programme d'entreprise.
La nouvelle agence anti-corruption peut faire des recommandations, donner des lignes directrices en matière de programmes de conformité à destination des entreprises. Il ne s'agit pas d'une obligation, rien n'est imposé. Il s'agit d'une démarche similaire à celle du code de gouvernance. Nous attendons toutefois des entreprises qu'elles se saisissent de ces recommandations.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous soutenons sans réserve le dispositif de convention judiciaire d'intérêt public. Nous aimerions toutefois introduire, ce qui n'a pas été fait à l'Assemblée nationale, l'idée que le juge puisse prendre en compte les efforts préventifs de l'entreprise pour décider des sanctions, à l'instar du Bribery Act anglais.
Qui peut se dire à l'abri de la corruption ? Si l'entreprise démontre sa bonne volonté à travers les mesures qu'elle a adoptées, permettons au juge d'en tenir compte. De notre point de vue, il s'agirait d'un ajout très utile.
Monsieur Raynal, il me semble que David Cameron a changé de pied depuis deux ans. Ce sujet est devenu un enjeu majeur dans le débat public. L'opinion publique, au Royaume-Uni comme aux États-Unis, ne supporte plus certaines dérives du monde de la finance.
S'il y a eu beaucoup de réactions en France, vous en êtes les témoins et les interprètes, la violence des réactions au Royaume-Uni et aux États-Unis est très supérieure à ce que nous connaissons. David Cameron a compris que les choses ne pouvaient continuer ainsi, d'où son initiative du mois de mai dernier.
Le problème du gouvernement britannique, c'est que certains territoires d'outre-mer ont été utilisés comme auxiliaires pendant des années - Jersey, Guernesey, les Îles Vierges, l'île de Man et quelques autres... - et qu'on leur demande aujourd'hui non pas de supprimer tous les trusts présents sur leur territoire, mais de jouer la carte de la transparence sur les structures et les bénéficiaires. Il est normal qu'ils renâclent.
En un an, David Cameron a invité les dirigeants politiques des départements d'outre-mer britanniques à Londres à trois reprises pour les faire plier. Les Îles Vierges s'y refusent et le bras de fer est engagé.
Les autorités britanniques font aujourd'hui preuve d'une vraie détermination, d'une vraie conviction. Il en va de même du président des États-Unis. Barack Obama a toujours mené la bataille contre l'évasion fiscale internationale, depuis son premier mandat de sénateur. C'est lui qui a signé le premier texte, le Stop Tax Haven Abuse Act, aux États-Unis. Lui et son équipe ont donc une vraie conviction. Je n'en dirai malheureusement pas autant de la majorité républicaine du Congrès. C'est un grand facteur d'inquiétude.
Monsieur Yung, nous vivons dans un monde de libre circulation des idées, des biens, des services et des capitaux ; c'est la mondialisation, la globalisation.
Ce serait vraiment une régression, une défaite, pour l'esprit international, pour la coopération internationale, que de rétablir des contrôles des changes, des interdictions... J'espère que nous pourrons préserver la liberté que nous nous sommes donnée en Europe.
Qui dit liberté dit évidemment possibilité, pour un résident français, de placer, d'investir des actifs à l'étranger, pas seulement en Europe.
C'est aussi la liberté de créer des structures juridiques pour répondre à des besoins spécifiques qui ne sont pas forcément la fraude et l'évasion fiscale. La fiducie, la fondation, le trust sont très utiles pour gérer des patrimoines familiaux. Ne les rayons pas d'un trait. Si nous le faisions, je pense qu'aucun de nos partenaires n'accepterait de nous suivre.
Laissons vivre ces outils, mais donnons-nous les moyens de les rendre transparents. Je ne condamne pas l'offshore par principe. Il faut tenir compte de la réalité du monde. Il faut certainement davantage de transparence, de règles du jeu, de régulation... Mais il s'agit d'un autre débat.
Le fait que 40 % de la finance mondiale ne soit toujours pas, ou mal, régulé dix ans après la crise financière est gravissime. Ni en Europe, ni de l'autre côté de l'Atlantique, nous n'avons réussi à mettre les hedge funds sous contrôle. Nous avons tous échoué. Je suis terrifié à l'idée que ces hedge funds gèrent 3 000 milliards de dollars sans aucun cadre réglementaire sérieux !
S'agissant du seuil de 750 millions d'euros, jouons le jeu européen. Commençons par là et nous verrons, d'ici cinq à dix ans, s'il faut l'abaisser. Ce seuil permet déjà d'imposer ce devoir de redevabilité à plusieurs centaines de moyennes et grandes entreprises. Pour ma part - je sais bien que l'Assemblée nationale en a décidé autrement hier -, j'en serais resté à 750 millions d'euros.