Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 27 octobre 2009 à 14h30
Service civique — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, après avoir débattu ici même, la semaine passée, de la réforme du lycée, nous voici réunis autour de la proposition de loi relative au service civique. Ces deux textes concernent notre jeunesse, à laquelle le Sénat a voulu consacrer une mission commune d’information.

La finalité et les objectifs de l’école sont multiples : transmettre des connaissances, préparer à l’exercice d’un métier, mais aussi aider les jeunes à se construire et à devenir des adultes épanouis et responsables qui, chacun à leur place, joueront un rôle dans la société. L’école, c’est aussi le creuset de notre République, à travers la transmission des valeurs auxquelles nous sommes attachés, et qui constituent notre culture commune.

Les centristes prônent une éducation et une culture de l’ouverture, de l’émulation et de l’échange, qui contribuent à construire une identité vivante, à l’opposé du repliement sur soi. Au sortir de l’adolescence, à cette période charnière de la vie des jeunes, quel meilleur dispositif qu’un service civique pour offrir à ces derniers, dans le prolongement de l’école, l’occasion d’un engagement au service des autres ?

Le 22 février 1996, le Président de la République annonçait la suppression du service militaire obligatoire. Chacun s’accorde pour dire que, si une telle décision était légitime, ce passage obligé pour les jeunes hommes avait ses mérites. Facteur de brassage social et culturel, il permettait en effet de faire l’apprentissage de la vie en communauté et de cimenter le sentiment d’appartenance à une même nation.

Voilà pourquoi, quelques années plus tard, est apparue chez certains la volonté de recréer un dispositif qui permettrait de réunir les jeunes autour des valeurs fondatrices de notre société. À cet égard, je me permets de vous rappeler que, dès 2001, les centristes demandaient la création d’un service civique obligatoire et universel de six mois, « concernant les garçons et les filles, qui amènera chacun à donner un moment de sa vie aux autres, aux plus fragiles, sur notre sol ».

Depuis, l’idée a fait son chemin et, à la suite des émeutes de 2005, elle s’est imposée à tous. Le service civil volontaire fut alors instauré par la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances. Reposant sur l’engagement dans des associations, ce dispositif permet aujourd’hui aux jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans d’accomplir une mission d’intérêt général pendant six à neuf mois, pour une rémunération de 600 à 650 euros par mois.

Néanmoins, après trois années d’application du dispositif, le bilan est décevant : à peine plus de 3 000 volontaires ont été recrutés alors que le dispositif devait concerner 50 000 jeunes en 2007. Comment expliquer un chiffre si faible ? Quand on sait que tous les jeunes qui ont bénéficié de cette expérience en sont satisfaits et que, d’après un sondage réalisé en juin 2008, plus de 260 000 d’entre eux, chaque année, seraient prêts à accomplir un service civique de six mois, il paraît évident que ce n’est pas le principe en tant que tel qu’il faut remettre en cause.

La relative inefficacité du service civil volontaire relève plutôt de ses modalités d’application, comme l’a démontré le rapport de Luc Ferry, et comme l’a très bien expliqué tout à l’heure notre collègue Yvon Collin.

Le système souffre notamment d’un réel déficit d’information et de visibilité, ainsi que de la lourdeur, de la complexité et de l’opacité des procédures, aussi bien pour les volontaires que pour les structures d’accueil. De ce fait, les jeunes, qui sont peu sensibilisés à ce nouveau dispositif et n’en ont pas toujours connaissance, passent à côté de cette opportunité et de cette aventure personnelle qui leur est offerte.

Partant de ce constat, notre collègue Yvon Collin a déposé, au nom du groupe RDSE, une proposition de loi dont nous avons à débattre aujourd’hui. La portée philosophique du texte qui nous est soumis est significative. Nous parlons enfin, comme le demandaient les centristes, d’un service « civique » et non plus civil. C’est une première avancée que je tiens à souligner. Ce glissement sémantique met en relief l’objet même du dispositif, qui est de « réaffirmer, voire d’inculquer les valeurs républicaines aux citoyens ou résidents de notre pays ou de l’Union européenne ».

Parmi les valeurs fondatrices de notre République doit figurer, comme je l’ai dit précédemment, l’ouverture aux autres. Or le service civique sera bel et bien l’occasion pour les jeunes de seize à vingt-cinq ans de s’engager au service des autres. Il s’imposera comme une expérience humaine leur permettant de mieux se connaître eux-mêmes à travers la découverte des autres.

Qui peut nier que l’échange, la confrontation des origines et des expériences soient utiles ? Ce brassage, ce changement d’horizon, couplé avec l’accomplissement d’une activité d’intérêt général, seront profitables aux jeunes, leur donneront l’occasion d’affirmer leur personnalité, de nuancer leurs certitudes et favoriseront ainsi leur entrée dans la vie active ou universitaire. Garçons et filles de dix-huit ans ont besoin, en effet, de sortir du cocon familial, de sentir la diversité de la société et, a fortiori, de briser les barrières qui entourent le ghetto de certains quartiers.

Par ailleurs, force est de constater que nos jeunes peuvent, à l’heure actuelle, souffrir d’un certain manque de repères. Sans être réductrice, je pense qu’il existe une certaine causalité entre le délitement du lien social et le mal-être de notre jeunesse, qui peut prendre parfois des formes dramatiques.

Fondamentalement, la clé d’une société civile dynamique réside dans cette double aspiration à l’épanouissement personnel, au bien-être, et à l’adhésion à des valeurs collectives qui fondent la solidarité. L’un et l’autre sont respectables et nécessaires. L’affirmation de sa propre individualité ne saurait être remise en cause, mais elle ne signifie ni indifférence ni mépris pour les autres. Au contraire, la meilleure façon de réussir sa vie est d’en consacrer une part aux autres. Ainsi s’affirme la double dimension, individuelle et sociale, de chaque homme.

C’est ainsi que le service civique doit être l’occasion de retisser du lien entre des individus d’origines diverses. Facteur de cohésion sociale, il doit permettre l’intégration de tous. En tant qu’outil de lutte contre l’individualisme, le consumérisme et l’exclusion des jeunes, la nécessité d’un service civique prend tout son sens.

Néanmoins, la proposition de loi ne se limite pas à un énoncé de beaux principes philosophiques. Elle fournit aussi un cadre plus satisfaisant au dispositif. Elle prévoit une indemnisation non imposable, dont le montant équivaut à celui que perçoit actuellement un volontaire du service civil, soit 650 euros par mois. Cette somme paraît constituer une juste rémunération, reflet d’un équilibre garantissant au dispositif son esprit. Un tel montant permettra alors à n’importe quel jeune, quelles que soient ses ressources financières, de subvenir à ses besoins le temps de son service. C’est une condition sine qua non de la mixité sociale du dispositif.

L’article 4 établit un cadre juridique. Il définit les structures qui peuvent le proposer – organismes sans but lucratif ou personnes morales de droit public agréées –, et pose les conditions relatives à la personne volontaire ainsi que les régimes d’indemnité et de protection sociale applicables. Comme le souligne Christian Demuynck dans son rapport, ces garde-fous éviteront que le service civique ne devienne une forme de salariat ou de bénévolat déguisé.

Une autre avancée du texte concerne la reconnaissance et la valorisation du service civique. S’inscrivant dans le parcours de formation des jeunes de seize à dix-huit ans, et permettant une validation des acquis de l’expérience, comme cela se fait déjà au Canada, le dispositif est un parfait complément du cursus scolaire. La question de la valorisation de l’engagement est primordiale ; si un jeune fait la démarche de s’engager pour sa nation, celle-ci doit lui accorder en retour une juste reconnaissance.

Enfin, je tiens à le souligner, ce texte permet une unification des différentes formes de volontariat tout en tirant le régime vers le haut.

Si je souligne les avancées nombreuses de la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui – et à laquelle, je le sais, monsieur le haut-commissaire, vous avez apporté un large soutien – je regrette toutefois qu’elle ne fasse pas plus profondément évoluer le dispositif.

Mon premier regret est que la dimension européenne, pourtant affirmée dans l’exposé des motifs, ne se traduise pas par des propositions plus concrètes à travers le texte.

D’une part, nous pourrions nous inspirer des dispositifs mis en place dans d’autres pays européens qui sont des modèles de réussite. Ainsi, le service civil volontaire italien parvient à mélanger des jeunes de toutes classes sociales et suscite au moins deux fois plus de candidats qu’il n’y a de projets proposés. Il semblerait pertinent de travailler en collaboration avec ces équipes.

D’autre part, nous pourrions songer à créer un statut européen pour le service civique, qui offrirait aux jeunes de plus larges perspectives de mobilité. La réussite des programmes tels que Erasmus ou Leonardo, ou encore du volontariat international en entreprise, en complément de la validation des acquis de l’expérience, est très encourageante. Ainsi, les structures d’accueil pourraient développer des partenariats et proposer des projets d’intérêt public européen.

Enfin, comme l’a rappelé mon collègue François Zocchetto le 10 juin dernier, lors du débat sur le service civil volontaire, le service civique a vocation à être obligatoire et universel. Il mérite de concerner toute une tranche d’âge qui partage en même temps une même expérience et se constitue ainsi un socle de valeurs communes.

Je le sais, la question reste en suspens, notamment en raison du coût non négligeable d’une telle mesure – de 3 milliards à 5 milliards d’euros, selon les estimations – et de l’état préoccupant de nos finances publiques.

Il est également vrai que, dans la mesure où le contexte économique actuel n’est guère favorable aux jeunes, ceux-ci, faute de s’approprier véritablement le dispositif, pourraient y voir, faute de mieux, une forme d’occupation temporaire en attendant de trouver ce premier travail auquel ils aspirent tous. Ce n’est pas ce que nous souhaitons.

Nous devons imaginer une montée en charge progressive d’un dispositif maîtrisé et qui aura fait ses preuves. Comme l’indique l’exposé des motifs, nous souhaitons une évaluation régulière, qui nous permettra d’apporter les ajustements adéquats à ce dispositif, dans le but, si l’expérimentation est positive, de la généraliser.

En attendant, monsieur le haut-commissaire, tout cela ne fonctionnera que si le service civique fait l’objet d’une promotion volontariste et efficace.

Ayons, en tout cas, de l’ambition pour ce projet, car, comme le disait Léon Gambetta, « il ne suffit pas de décréter des citoyens, il faut en faire ».

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