Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, je commencerai mon propos en citant Julien Benda, philosophe et écrivain : « Ce sera une des grandes responsabilités de l’État moderne de n’avoir pas maintenu [...] une classe d’hommes, exempts des devoirs civiques, et dont l’ultime fonction eût été d’entretenir le foyer des valeurs non pratiques ».
Nous avons la chance de vivre en France, un pays pétri de valeurs et d’histoire. Pourtant, la jeunesse de notre pays connaît un réel malaise et apparaît souvent sans les repères qui construisent l’homme ou la femme adulte vivant en société. Et puisque l’harmonie de vivre ensemble doit être assurée, c’est à nous, législateur, d’aider notre jeunesse à faire l’apprentissage de la fraternité et du civisme.
Sans doute sommes-nous responsables quand notre jeunesse semble déboussolée. Peut-être avons-nous mal transmis les valeurs que nous avaient enseignées nos anciens.
Quoi qu’il en soit, dans le contexte actuel de crise financière et de crise sociale, notre jeunesse a désespérément besoin de valeurs auxquelles se raccrocher, et qui sont autant de références pour réussir sa vie, pour soi et pour les autres.
Le service militaire obligatoire n’était pas dépourvu d’aspects négatifs, mais une majorité de Français y voyait la possibilité d’une cohésion nationale, d’apprentissage de la vie en communauté et de brassage social. Combien de « copains de régiment » ne sont-ils pas restés copains pour la vie ! Il permettait aux jeunes une prise de conscience, au moment où ils arrivaient à l’âge adulte, de leurs devoirs vis-à-vis de la communauté nationale. Mais la société française a changé, et les moyens de la défense nationale ont évolué. Il fallait en prendre acte.
Au lieu de conserver les aspects positifs du service national, nous avons laissé s’affaiblir l’éducation au civisme et à la citoyenneté. Cela est déploré par tous et il serait temps de remettre les valeurs de la République à l’ordre du jour. Nous avons la chance d’être un pays avec une histoire riche, sachant marier la défense des droits et la grandeur des devoirs des citoyens. Malgré quelques rappels sévères de la Cour européenne des droits de l’homme, nous devons rester le pays des droits de l’homme, et les enfants de notre République doivent se le rappeler, en faisant vivre ces valeurs.
Apprendre à vivre ensemble, filles et garçons, avec la notion de respect réciproque que cela implique, transcender les individualismes, respecter les différences, s’ouvrir aux autres : voilà les fondamentaux de la vie en collectivité. Leur acquisition passe par le développement du civisme, culture première du citoyen, à laquelle il faut donner un élan nouveau.
La République a encore quelque chose à dire. Elle est capable de transmettre ses valeurs. Elle peut continuer de porter un projet collectif qui transcende les barrières de classe, de naissance et d’origine.
Après la famille, c’est à l’État qu’il appartient de tout mettre en œuvre pour faire vivre les valeurs du pacte républicain. C’est à lui d’organiser le cadre qui permettra de réinventer un système capable d’inculquer aux jeunes que le civisme est un devoir et la citoyenneté un droit.
Concernant la terminologie, il faut désormais parler uniquement de « service civique », l’utilisation de l’expression « service civil » qui a été faite par le passé ne recouvrant pas entièrement les enjeux et objectifs d’un service civique. La terminologie joue ici un rôle très important : elle est la première à faire passer le message que nous voulons adresser.
Notre objectif à long terme doit être la création d’un service, civique donc, universel, mixte et obligatoire, qui permettrait un nécessaire brassage social, une confrontation aux différences, pour les jeunes de notre pays, un brassage des cultures qui se mêlent sur notre sol, un apprentissage de la citoyenneté, faite de droits et de devoirs.
Et pourtant, pendant pratiquement dix ans, bien peu a été fait pour remplacer le service militaire et pour permettre le brassage social et culturel de notre jeunesse. Malheureusement, ce ne sont que l’épisode des violences urbaines de l’automne 2005 et l’image négative persistante dont la jeunesse fait parfois l’objet au sein de l’opinion publique qui ont permis l’arrivée de la loi sur l’égalité des chances de mars 2006 et, avec elle, la création du service civil volontaire doté d’un statut officiel.
Mais, aujourd’hui, force est de constater que ce service civil est un échec, ce qui, pour le moment, exclut malheureusement la possibilité de créer un service civique obligatoire. Les conditions de réussite d’un tel engagement ne sont, en effet, pas du tout réunies.
La première de ces conditions est bien entendu le budget qu’il faudrait y consacrer. Je doute que, dans les conditions actuelles, l’État ait les moyens financiers nécessaires. On imagine que la décision de le rendre obligatoire suppose une volonté politique très forte et un important travail en amont. Je suis donc réaliste, même si, pour paraphraser Jean Jaurès, il faut toujours tendre vers l’idéal.
Un service civique, obligatoire ou non, doit être attrayant et valorisant. Il faut une phase de montée en puissance du service civique volontaire. Ce qui a été mis en place en 2004 par le plan Borloo, puis en 2006 par le plan Villepin, ne permet pas cette montée en puissance de manière satisfaisante.
La mission commune d’information sur la politique en faveur des jeunes a permis de faire un bilan de l’existant en matière de service civil, ou civique, selon les cas. Certains de mes collègues, notamment par la voix de Mme Raymonde Le Texier, présidente de la mission, et de la vôtre, monsieur le rapporteur, ont eu l’occasion de tirer les conclusions de ces travaux dans cet hémicycle.
L’ambition de la loi de 2006 était d’atteindre rapidement les 10 000 volontaires, puis d’arriver à 50 000 personnes par an. Pourtant, au cours des quatre années de mise en place de ce service, seuls 3 134 volontaires ont été recrutés sous ce statut. C’est donc un échec, et pas seulement du point de vue quantitatif : ces chiffres ne permettent évidemment pas d’atteindre les objectifs de mixité sociale de toute une classe d’âge, un des principaux enjeux de ce service civil.
Les raisons de cet échec sont parfaitement identifiées.
La première raison, et la plus significative de la politique du Gouvernement, concerne les crédits attribués au service civil volontaire, qui ont été ridiculement bas au regard des enjeux et des objectifs contenus dans la loi de 2006.
En effet, un jeune volontaire reçoit une indemnité mensuelle maximale de 652 euros. Sur cette indemnité, l’État prend à sa charge jusqu’à 90 %, auxquels il faut ajouter les charges sociales, dont l’État prend en charge 95 %, plus une partie des dépenses d’accompagnement. Au total, un volontaire coûte donc en moyenne à l’État 14 232 euros par an.
Au vu de ces chiffres, le budget actuel ne permet même pas le recrutement de 10 000 volontaires par an. On est bien loin des 50 000 initialement annoncés par le Gouvernement !
En 2008, il manquait, dès le premier trimestre, 7 millions d’euros à l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances pour boucler son budget. Celle-ci a donc été contrainte de demander aux structures d’accueil de cesser le recrutement de volontaires associatifs. Un comble pour une mesure qui montrait déjà ses limites !
Comment, dans de telles circonstances, remplir les objectifs, pourtant fondamentaux, du service civil volontaire ? Le Gouvernement avait-t-il vraiment l’ambition de refonder le lien citoyen entre l’individu et la collectivité, d’organiser la rencontre de nos jeunes, le brassage de toute une classe d’âge ? La question mérite d’être posée.
Le nouveau statut proposé aujourd’hui par notre collègue Yvon Collin devrait retenir, avec un peu plus de constance cette fois-ci, l’attention du Gouvernement.
Une autre raison contribue à expliquer le faible nombre de volontaires effectuant leur service civil réside tout simplement dans l’ignorance, par les jeunes, de cette possibilité qui leur était offerte. Le défaut de communication a été fatal au service civil. Ne le connaissent que les jeunes qui font une démarche en ce sens. D’ailleurs, ce sont les associations qui utilisent très majoritairement ce dispositif, à plus de 95 %. Les communes et les établissements publics se partagent le reste. Cela réduit d’autant la diversité des missions et du recrutement des futurs volontaires.
Enfin, concernant l’objectif de mixité sociale, qui était un objectif essentiel du service civil volontaire, il ne semble pas atteint. Bien que toutes les catégories sociales soient représentées, elles ne sont pas mélangées. Les jeunes sont, en l’état, trop isolés dans des dispositifs séparés. Ceux qui sont issus de familles aisées s’engagent plutôt dans le volontariat international, alors que les jeunes venant de milieux défavorisés sont orientés dans des structures locales.
Des jeunes totalement différents ne peuvent donc ni échanger ni s’enrichir mutuellement du vécu de chacun. La mixité sociale était pourtant l’un des principaux enjeux du service civil.
Nous ne pouvons pas nous contenter de la situation que je viens de décrire. Mais, nous ne pouvons pas relancer un nouveau projet sans un minimum de concertation. Nous savons que les associations sont demandeuses d’une amélioration de l’actuel service civil volontaire. Un travail en profondeur doit donc être réalisé avec elles. Une association comme « Unis-Cité » emploie à elle seule chaque année plus de 900 volontaires. Ce sont des associations comme celle-ci, qui connaissent bien les jeunes, mais aussi la forme du service civil actuel qui pourront nous aider à bâtir un service civique, au plus près de leurs besoins et de leurs attentes, et qui permettront de définir un vrai service civique.
Nous devons travailler avec ces acteurs, afin que le service civique ne constitue pas une corvée pour les jeunes de notre pays, mais soit au contraire une superbe opportunité de rencontres, une occasion de se tourner vers les autres et de découvrir des valeurs républicaines, qui pour diverses raisons n’étaient pas encore ancrées dans leur bagage intellectuel.
La proposition de loi de notre collègue Yvon Collin est un pas en avant, une étape nécessaire pour atteindre l’idéal, c’est-à-dire un service civique obligatoire.
Tout le sens du service civique est d’organiser la rencontre entre l’engagement personnel et le service solidaire de la collectivité. Il est de la responsabilité de l’État de permettre à l’individu de s’engager et de lui en fournir les moyens.
En plaçant l’obligation du côté de l’État, et non plus du côté de l’individu, comme c’était le cas avec le service militaire, on rompt également avec la tradition séculaire qui veut que l’engagement citoyen soit subi. Peut-être est-ce la solution pour arriver à un service civique qui soit plus automatique et systématique – j’allais dire naturel –qu’obligatoire.
Cette proposition de loi a l’avantage de regrouper sous un seul format une multitude de dispositifs de volontariat civil. Jusqu’à ce jour, on en recensait en effet une dizaine : volontariat associatif, volontariat civil de cohésion sociale, etc. ; et autant de procédures administratives et de missions, ne répondant pas toujours à l’intérêt général.
Un statut unique permettra, en revanche, un recentrage des missions qui sont confiées aux jeunes et une simplification administrative, tant du côté des structures d’accueil pour leur agrément que du côté des candidats.
Les structures d’accueil pourront ainsi être diversifiées, et si le travail d’information auprès des jeunes est réalisé, le service civique pourra alors remplir son rôle. Ce sera une expérience humaine enrichissante qui viendra compléter leur cursus scolaire et/ou universitaire avant qu’ils entrent dans la vie active, mais ce sera aussi l’occasion d’aider ceux qui ont décroché et sont sortis du système scolaire sans diplôme ni qualification. Le service civique peut être à la fois un apprentissage de la citoyenneté et un tremplin pour l’insertion professionnelle.
Par ailleurs, le fait de doter le service civique de toutes les garanties économiques et sociales nécessaires permettra au plus grand nombre de profiter de cette nouvelle expérience, en ce qui concerne tant l’indemnisation, ajustable en fonction des circonstances et non imposable, que l’encadrement juridique des termes du contrat.
Enfin, une évaluation du dispositif devrait être prévue, dans deux ou trois ans, afin de réajuster ce qui est décidé aujourd’hui.
Notre jeunesse nous crie son besoin de plus de cohésion, de compréhension, de découverte de la société et du monde. Nous devons lui donner cette chance, nous devons lui offrir l’espoir d’une vie plus sereine où chacun aura appris à vivre non pas à côté de son voisin mais avec lui. C’est à un véritable enjeu de société que nous nous trouvons confrontés aujourd’hui.
Pour finir, il est un élément essentiel sur lequel j’aimerais insister : la mise en œuvre de cette proposition de loi et d’un véritable service civique de qualité et remplissant ses objectifs nécessitent, de la part de l’État, un engagement financier significatif.
Sans cet engagement financier, le service civique est de nouveau condamné à n’être que quelques mots supplémentaires inscrits dans le code du service national. Sur ce point, nous attendons, monsieur le haut-commissaire, vos assurances et vos engagements.
Les débats budgétaires qui approchent nous montreront, de toute façon, quelle importance l’État accorde au renforcement du civisme et de la mixité sociale dans notre pays.
En somme, nous ouvrons le débat en étant plutôt favorables à la proposition de loi de M. Collin. Nous avons vu qu’une quarantaine d’amendements sont à examiner. Il va de soi que nous serons attentifs au sort réservé à ceux qui seront présentés par notre groupe, qui n’ont d’autre prétention que d’enrichir ou préciser le texte. De même, nous regretterions que des amendements viennent vider la proposition de loi de sa substance.
J’espère en tout cas que de notre dialogue sortira une loi qui permettra à la jeunesse de France de partager les valeurs qui constituent le ciment de notre communauté nationale et font rayonner à travers le monde nos idéaux nés des Lumières et de la Révolution française.