Cet amendement s’inscrit dans la lignée des positions que nous défendons depuis le début de l’examen de ce texte.
Le maintien de la hiérarchie des normes sociales en matière de durée quotidienne du travail est une nécessité. Des dérogations sont possibles dans des cas particuliers, certes, mais elles doivent être strictement encadrées.
Créer un régime dérogatoire par un accord d’entreprise capable d’effacer une convention collective plus favorable, et le placer au-dessus de la loi, c’est faire éclater le code du travail. Nous avons à maintes reprises déjà mis en garde contre une telle dérive. Établir de grands principes et mettre en œuvre tous les moyens d’y déroger, qui plus est à l’échelon le plus petit, celui de l’entreprise, n’est pas une bonne façon de procéder. Cela conduira à l’émiettement des droits et à un droit du travail à plusieurs vitesses, car les grosses structures pourraient alors imposer des reculs aux plus petites.
La logique qui sous-tend ces mesures, c’est la compétitivité, la concurrence à outrance. C’est également la logique des accords compétitivité-emploi, qui effacent les contrats de travail et l’édifice supérieur de la loi et des conventions collectives, des accords étant signés par exemple dans des entreprises ne disposant pas de délégués syndicaux.
Selon le droit existant, les dérogations à la durée maximale quotidienne requièrent l’accord de l’inspection du travail, ce qui permet de limiter les abus et de vérifier la conformité de la dérogation. Demain, ce contrôle disparaîtra, et les critères de dérogation seront allégés. La seule protection des salariés sera alors une convention ou un accord d’entreprise.
Comment négocier des accords d’entreprise dans les structures comptant moins de dix salariés, et donc pas de représentants du personnel, sinon en recourant au mandatement ?
Prenons l’exemple d’une branche particulière, l’industrie de l’habillement. Dans cette branche, qui regroupe près de 34 000 salariés, 70 % des entreprises comptent moins de dix salariés. Dans ces entreprises, il n’y aura pas d’accord, ou très difficilement.
Pourtant, dès que la loi entrera en vigueur, les grosses entreprises imposeront probablement très vite aux plus petites de nouvelles règles, en leur enjoignant de rogner sur les coûts. C’est l’illustration même du dumping social. Les grosses entreprises regroupant 40 % des salariés de cette branche pourront progressivement imposer, par la concurrence, et du fait de leur statut de donneurs d’ordres, la baisse des normes à toutes les entreprises du secteur, ce qui entraînera pour beaucoup la fin de l’activité par manque de rentabilité.
La prééminence des accords d’entreprise sur une question aussi sensible que la durée maximale du travail quotidien, c’est l’assurance d’opposer les petites et les grosses entreprises. Cette disposition démontre, s’il en était besoin, que le texte que nous examinons est un projet de loi taille « grands patrons », qui pénalisera les petits.