Intervention de Sophie Joissains

Réunion du 27 octobre 2009 à 21h30
Service civique — Suite de la discussion d'une proposition de loi

Photo de Sophie JoissainsSophie Joissains :

Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, j’interviens ce soir pour soutenir les avancées évidentes de la proposition de loi relative au service civique. En effet, une synthèse remarquable a été faite des différentes formes de volontariat, à l’évidence selon un schéma altruiste.

Le rapporteur M. Christian Demuynck les a décrites et commentées avec le talent qu’on lui connaît.

En partie fruit de la commission sur la politique de la jeunesse conduite par Martin Hirsch, dont les mérites ne sont plus à vanter tant son investissement personnel demeure exemplaire, ces travaux ont été conduits avec rigueur, sérieux et esprit de consensus.

Présentée en la personne de M. Yvon Collin par le groupe du RDSE, amendée et défendue par le rapporteur UMP Christian Demuynck, la proposition de loi constitue une indéniable avancée par rapport à l’existant.

Néanmoins, mes chers collègues, cette avancée qui fait l’unanimité ou presque, et à laquelle j’adhère pleinement, doit, et l’analyse qui va suivre m’est tout à fait personnelle, n’être qu’un palier, certes nécessaire, mais forcément transitoire.

En effet, ce service civique, dont les modalités ont été pensées pour le rendre profondément attractif, demeure volontaire et ne présente pas encore, de facto, de caractère universel.

Je souhaite, à ce stade, intervenir sur ce qui peut légitimement être attendu du service civique, son urgence et sa nécessité. Je le ferai avec d’autant plus d’humilité que j’ai milité pour la suppression du service militaire. À l’époque, les traces de la Seconde Guerre mondiale, de la guerre du Vietnam et de celle d’Algérie étaient vivaces. Mai 68 avait amené une prise de conscience aiguë des horreurs de la guerre. De plus, le service militaire, loin de la conscription glorieuse conçue par la loi Berteaux, était devenu le lieu des injustices, où les exemptions se faisaient de plus en plus massives, et le lieu où l’on avait le sentiment de perdre son temps.

Tout cela avait contribué à galvauder, à miner de l’intérieur le rôle citoyen qui, nonobstant l’empilement incessant de mesures sociales, n’a jamais été retrouvé.

Le rôle républicain du service militaire et son apport à la construction de la nation par le brassage et le rapprochement des citoyens étaient majeurs. Il introduisait une coupure, une parenthèse dans la vie de chacun, qui lui permettait de côtoyer et de construire des liens avec des personnes qui, en toute vraisemblance, seraient restées hors de son champ de vie quotidien.

Il permettait à de nombreux conscrits de ne pas rester sur le bord du chemin : rattrapage des faiblesses scolaires, formation complémentaire, amélioration sanitaire ou début d’intégration professionnelle.

Enfin, il apportait à la France l’évaluation sans équivalent d’une génération entière, qu’il s’agisse du bilan des compétences ou du bilan sanitaire. Cela devrait sans doute être prévu dans le programme de la nouvelle journée d’appel à la défense.

Néanmoins, isolé, sans suivi réel ni contrôle, ce bilan ne pourra plus constituer le socle à partir duquel pouvaient se mesurer les progressions et les améliorations. Il sera, mon expertise d’élue à la politique de la ville me le fait pressentir, un bilan suivi d’une orientation le plus souvent considérée comme factice, et non suivie.

Combien de fois ai-je dirigé vers des structures compétentes des jeunes gens qui demandaient du travail, et que la collectivité ne pouvait embaucher ? Je parle des jeunes gens, mais cette réalité touche malheureusement des personnes de tous les âges. Ces structures compétentes paraissaient tellement étrangères et dénuées de sens à ces jeunes qu’ils n’ont même jamais essayé d’y mettre les pieds. J’évoque ici non pas la fainéantise – même si cela peut exister, ce n’est pas le sujet –, mais un phénomène bien plus grave. Je vous parle de jeunes gens pour lesquels le monde ne fait plus sens, de jeunes auxquels l’information, la communication ne parvient pas, car ils vivent totalement repliés sur leur environnement immédiat.

J’ai eu la chance de pouvoir guider deux d’entre eux, ignorants de leurs propres compétences et de leur potentiel, comme de nombreux jeunes d’ailleurs, vers l’armée. Elle n’est pas la panacée et n’y prétend pas. Mais ils y ont trouvé la structure, la colonne vertébrale dont ils avaient besoin, et ce sont alors deux familles qui se sont redressées, prêtes non plus à subir mais à vivre le monde qui les entourait.

On me rétorquera que leur démarche était volontaire. Certes. Nous ne pouvons qu’être sensibles à la philosophie, à la beauté de l’engagement volontaire, mais l’arbre cache la forêt. Pour choisir, encore faut-il en être capable. Or l’isolement social, la vie en marge rend hermétique à tout ce qui vient du dehors.

L’obligation de proposer à tous le service civique est séduisante. Mais comment l’organiser ? Il ne peut s’agir d’une simple information, elle serait vouée à l’échec. Ne souffre-t-elle pas aussi du problème constitutif qui touche le caractère obligatoire du service civique, je veux parler du financement ? Veut-on réellement ouvrir le service civique à tous et, en l’état des choses, le peut-on ?

De surcroît, cette formule du volontariat n’est-elle pas, malgré la séduction qu’elle exerce, un dévoiement total de l’idée que chaque citoyen se fait à l’évocation de la formule : « service civique » ?

En effet, le terme de « service » renvoie bien souvent à une nostalgie de la conscription, à l’idée d’un contrat avec la nation, d’un devoir à accomplir envers cette dernière et, enfin, d’un rite de passage à la citoyenneté.

Aujourd’hui, servir son pays, ce n’est plus forcément prendre les armes, bien qu’il ne faille pas dénigrer ce rôle et salir la mémoire de ceux qui sont morts pour la France, et auxquels nous devons la reconnaissance infinie de vivre dans un pays libre. À l’heure actuelle, servir son pays, ce peut être s’engager dans ses forces de protection civiles ou militaires, mais aussi se former dans l’apprentissage des soins aux personnes ou dans la protection de la nature et de l’environnement, un apprentissage permettant à notre pays de rayonner et d’être précurseur au sein de l’Europe et de la communauté internationale.

Le service civique a aussi été considéré comme une mesure essentiellement, si ce n’est purement, sociale. Ne court-on pas le risque, s’il n’est pas appliqué à tous, que cet outil soit alors stigmatisé et, de fait, contribue à accroître les clivages que l’on se donne pour but de réduire ? Le service civil existe : 50 000 volontaires étaient prévus, nous atteignons péniblement le nombre de 3 000. Ne risque-t-on pas de créer une énième mesure, qui s’ajoute aux autres et, par suite, de perdre, de galvauder le sens et l’idée qui se dégagent de sa dénomination ? Le terme « civique » évoque une mise en pratique de nos valeurs républicaines. Comment ces valeurs pourraient-elles s’exercer véritablement si elles n’ont pas pour locuteurs des Français représentatifs de l’ensemble de notre société ?

La société française est diverse, en termes tant sociaux qu’ethniques, religieux et culturels. Si l’on désire qu’une richesse se dégage de notre société, et de l’ensemble de ces paramètres, c’est par la rencontre, la mise en situation de fraternité, que cela pourra se faire.

Ne l’oublions pas, le service civique est aussi une pétition d’identité et un facteur d’unité.

Si la conscription n’avait pas existé, vous pourriez croire que je nage en pleine utopie. Mais l’exemption généralisée a été le cancer qui a rongé la conscription et entraîné la déliquescence du service militaire.

Le service civique, dans l’esprit de nos concitoyens, en tout cas c’est ainsi que je l’ai ressenti, est obligatoire et universel. Le reste, bien qu’étant un travail important, intelligent et, je le répète, nécessaire dans une phase transitoire, ne serait, je le crains, qu’une mesure de surface si elle devait être définitive.

Encore une fois, combien de jeunes et de moins jeunes connaissent les mesures existantes ? Combien préfèrent rester dans un univers qui semble précaire à nos yeux, mais, qui, d’une certaine manière, est rassurant aux leurs, parce qu’ils y ont leurs repères, et les partagent avec leurs frères, cousins ou voisins ? Le partage, la vie en commun, nous sommes là au cœur du dispositif du service civique obligatoire et universel.

C’est toute une jeunesse qui assiste en aveugle au millefeuille de mesures qui fleurissent et se surajoutent au gré des angoisses légitimes du législateur.

Nous avons besoin d’une mesure phare, qui soit l’athanor républicain du XXIe siècle, qui n’appartienne à aucune famille politique, mais à la grande famille républicaine.

L’appel pour un service civique obligatoire et universel, lancé par Max Armanet, a été signé par 470 parlementaires de tous bords, et par des personnalités aussi diverses que l’abbé Pierre, Valérie Pécresse ou Bernard Kouchner.

Dans ses travaux, Luc Ferry adhère lui aussi à l’idée d’offrir à tout Français, quel que soit son âge, l’opportunité, s’il le souhaite, d’accomplir un service civique à toute époque de sa vie. Une véritable réserve citoyenne lui apparaît porteuse et exemplaire pour notre société. Après l’évocation de l’appel au service civique précité, il propose que ce thème fasse l’objet d’une prochaine étude du Conseil d’analyse de la société, qui pourrait avancer des propositions concrètes. Ce choix serait fort judicieux.

Bien sûr, le financement constitue un obstacle important. Mais il faudrait étudier les possibilités de reventilation des crédits et évaluer le coût des mesures obsolètes, qui sont nombreuses. Prenons le temps, mais privilégions enfin le gain formidable que représenterait une société de nouveau soudée, enthousiaste, à la générosité conquérante.

Si l’on n’a pas les moyens de sa politique, on doit élaborer la politique de ses moyens. L’Europe doit se construire avec l’objectif d’une cohésion sociale et républicaine forte, autour des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.

La liberté, c’est d’abord la liberté de choix. Je rappellerai à cet égard le propos de Lacordaire : « Entre le fort et le faible, […] c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». La contrainte du service obligatoire, comme celle de l’école, est là pour affranchir.

L’égalité, c’est d’abord l’égalité des chances. L’égalité exige que la République embrasse l’ensemble des citoyens d’un même regard. Le service civique obligatoire et universel doit être le lieu de l’égalité dans l’initiation citoyenne.

Quant à la fraternité, seule la mise en situation de fraternité pourra, au-delà des belles théories conçues sur le sujet, et à la condition expresse d’être extrêmement vigilant sur les exemptions, être fondatrice de la construction d’une cohésion républicaine réelle.

La France a besoin d’un renouveau, d’une adhésion profonde à ce qui est, demeure et doit perdurer : la patrie des droits de l’homme.

En conséquence, je vous demande de voter cette proposition de loi et, au-delà, peut-être plus tard, je vous inviterai à vous prononcer pour le principe d’un service civique obligatoire et universel, …

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