Intervention de Jacques Gautier

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 3 mai 2016 à 18h09
Préparation du sommet de varsovie — Audition du général petr pavel président du comité militaire de l'otan

Photo de Jacques GautierJacques Gautier, président :

Mon général, vous avez la parole.

Général Petr Pavel. - Tout d'abord, nous avons été longtemps habitués à côtoyer des dizaines de milliers de soldats, notamment américains, dans de nombreux pays d'Europe. Le besoin était réel à une certaine époque, mais les États-Unis ont réduit progressivement leur présence sur le vieux continent à partir de 1990.

Aujourd'hui, trois brigades y sont déployées. Cependant, les États-Unis ont la capacité d'envoyer très rapidement des forces supplémentaires, sûrement plus vite que nous ne pouvons le faire. Il n'y a donc pas d'inquiétudes à avoir à ce sujet.

En ce qui concerne les nouveaux membres, comme les pays baltes, les États-Unis ont été très clairs : ils ne les abandonneront pas s'ils se retrouvent dans une situation difficile.

Le président Obama, le vice-président et les responsables militaires américains assurent que les États-Unis répondront toujours aux engagements de l'article 5 du traité de l'OTAN, même si l'Alliance n'intervient pas dans les pays baltes. Cette déclaration constitue donc un message rassurant pour les alliés de ces pays.

Par ailleurs, il y a dix ans, la charge occasionnée par les dépenses de défense de l'OTAN était divisée pour moitié entre les États-Unis et les alliés européens. Aujourd'hui, 75 % de ces mêmes dépenses sont payés par les États-Unis et 25 % par les alliés européens.

Si l'on veut revenir à l'équilibre, les alliés devraient doubler le montant de leur participation. Les nations ont pris l'engagement, au Pays de Galles, de consacrer 20 % à des projets de modernisation. À ce stade, nous en sommes bien loin. Il reste donc beaucoup à faire. Nous avons trop compté sur les États-Unis en matière de défense.

Donald Trump a fait des déclarations assez fortes contre l'OTAN et les alliés européens, mais celles-ci ont été très utiles. C'est en effet la première fois que l'OTAN s'invite dans le débat des élections présidentielles américaines. Ceci a divisé la société américaine en deux camps, ceux qui soutiennent les arguments de Donald Trump, et ceux qui soutiennent l'OTAN, avec la condition importante de rééquilibrage du partage du fardeau. Je pense que c'est un sujet qui sera débattu à Varsovie. Cela fait l'objet d'un débat interne aux États-Unis. S'ils doivent soutenir l'OTAN, ils ont besoin d'un plus grand engagement de notre part pour partager le poids de la dépense.

Quant à la Russie, ce pays a depuis quelques années modernisé environ 70 % de ses équipements militaires, y compris dans le domaine de la cyberdéfense. Ils ont appris beaucoup de leurs engagements militaires précédents, mais aussi des nôtres. Ils ont critiqué nos approches, mais ont également tiré les leçons de ce que nous n'avions pas accompli correctement en Irak, en Afghanistan, en Libye et ailleurs. Ils ajustent également leur propre politique.

La situation des forces russes est compliquée par la façon dont la Russie appréhende son environnement sécuritaire. Dans l'esprit des Russes, il n'existe ni ami, ni partenaire. La Russie se sent toujours menacée par un voisin. L'OTAN, selon les Russes, constitue une menace car elle souhaite se développer, se montre, à leur sens, agressive dans les États baltes, et déploie des forces militaires aux frontières russes. La Russie se trouve donc dans une position défensive vis-à-vis de l'OTAN et a besoin de réagir contre ce qu'elle estime être une agression.

Le président Poutine a réussi à convaincre sa population qu'il existe un complot de l'Occident à son encontre et que quiconque s'opposerait au Gouvernement irait contre la mère Russie. C'est une question de patriotisme. Vladimir Poutine a l'opinion publique derrière lui, même si l'on peut questionner ces sondages, qui le soutiennent à environ 70 %. Il faudra beaucoup de temps avant de convaincre les Russes du contraire.

La menace russe est un mélange de capacités et d'intentions. Il n'y a aucun doute concernant les capacités. On est moins sûr des intentions. Je ne crois pas que ce serait dans l'intérêt stratégique de la Russie d'entrer dans une confrontation militaire avec l'OTAN. Le président russe est peut-être parfois imprévisible dans certaines situations, mais il n'est pas naïf. Il connaît la capacité de l'économie russe à soutenir des opérations à grande échelle. Il sait qu'il ne peut réussir contre l'Occident qu'en utilisant des techniques hybrides et en maintenant ses engagements bien en-dessous du seuil de l'article 5.

Dans quel domaine Vladimir Poutine pourrait-il défier l'OTAN ? Les États baltes présentent des similitudes avec l'Ukraine. Il existe une importante minorité dans ces trois pays, ainsi qu'une certaine proximité géographique. Ceci permettrait de placer l'OTAN dans l'embarras en l'obligeant à prendre des décisions très difficiles, en usant des tactiques hybrides. Il s'agirait d'une agression, mais non visible, qui ne déclenche pas automatiquement l'application de l'article 5 du traité. Je suis désolé d'être aussi direct, mais c'est un fait.

Nous devons donc fournir des éléments de dissuasion suffisamment forts pour éviter ce type de comportement de la part de la Russie, et je pense que ce n'est pas par le biais d'une présence militaire à leurs frontières que nous allons le faire. Ceci va pousser à la confrontation, et personne ne le souhaite. Nous devons donc étudier les choses globalement si nous voulons éviter d'avoir à nous défendre contre la Russie. Ce type de dissuasion doit être porté sur tous les fronts : militaire, politique, économique, et même stratégique. Nous devons utiliser tous les outils à notre disposition pour dissuader la Russie d'une agression potentielle.

Il est nécessaire que les nations les plus importantes de l'OTAN déclarent leur attachement à l'article 5 du traité, au besoin en recourant à des forces supplémentaires. On peut être sûr que le président Poutine entendra le message, car il y a été attentif lors des discussions que nous avons eues à ce sujet au Pays de Galles, et a été assez surpris de la réaction unanime des pays membres de l'OTAN face à l'annexion de la Crimée et à son soutien aux forces séparatistes dans l'est de l'Ukraine. C'est ce genre d'unité qui est nécessaire pour affirmer notre détermination vis-à-vis de la Russie.

Par ailleurs, nous savons que nous devons trouver un équilibre correct en matière de dissuasion face aux défis qui nous arrivent du sud. Nous devons utiliser des outils différents, et c'est pourquoi nous suggérons de recourir à des capacités dont nous disposions auparavant. Pour ce faire, on doit déployer des outils plus adaptés à ce type de crise, développer les capacités et les solutions locales.

Il ne s'agit pas de mettre en oeuvre une intervention militaire. Nous savons que les interventions militaires seules ne résolvent pas les problèmes. Il faut recourir à un spectre complet d'outils - actions militaires, développement de capacités de défense dans des environnements potentiels ou non, permis ou non -, utiliser les possibilités principalement concentrées dans l'Union européenne pour développer le secteur de la sécurité, faire en sorte de réformer la police aux frontières, etc., en appuyant ces outils par le biais de la Commission et se concentrer sur des programmes de développement économique afin de fournir une certaine stabilité à ces pays.

C'est ce package complet de mesures qui faisaient défaut en Irak et en Libye. Nous avons démontré que nous pouvons très rapidement gagner sur le plan militaire, mais nous ne sommes pas certains de gagner sur le plan de la paix. Il s'agit de faire plus que de gagner la guerre d'un point de vue militaire. Nos réponses aux défis du sud doivent être équilibrées, complètes, englober toute la Méditerranée et la région Est, et comprendre également une coopération forte avec l'Union européenne et d'autres acteurs de nations non-alignées ou volontaires. Ceci pourrait ajouter à l'effort global.

Jusqu'à présent, l'OTAN, en tant qu'institution, a été impliquée dans le développement de capacités de défense, surtout en matière d'entraînement, comme en Irak ou en Jordanie et, d'une certaine manière, en Tunisie. Nous devons toutefois impliquer tous les pays de la région pour que les choses soient véritablement efficaces.

Tous les alliés de l'OTAN font partie d'une coalition menée par les États-Unis contre Daech. Ce n'est pas quelque chose dans lequel l'OTAN veut être impliquée, mais si elle rejoint cette coalition, cela va tellement compliquer les relations que ceci risque de réduire l'efficacité de la prise de décisions de la coalition.

Nous avons jusqu'à présent pris des décisions qui fonctionnent pour combattre Daech en Syrie, mais nous devons utiliser les autres outils que j'ai décrits tout à l'heure pour parvenir à l'étape suivante, c'est-à-dire stabiliser et développer ces pays.

Je vais à présent très rapidement évoquer la coopération des services de renseignement. L'échange de renseignements et la coopération constituent l'une de priorités de l'OTAN depuis dix ou quinze ans. Dès les attaques terroristes de Paris et de Bruxelles, l'échange d'informations s'est démultiplié. Il ne s'agit pas de procédures, mais de volonté. D'un point de vue bilatéral, les échanges ont été très rapides. Ils ont fourni beaucoup d'informations qui ont été très utilisées pour résoudre et gérer ces problèmes.

Nous avons énormément insisté pour que l'OTAN bénéficie d'une politique de renseignement globale. Nous avons changé la structure, rassemblé des lignes de renseignement militaire et civil, et avons tout coordonné. D'après ce que je sais, les échanges avec les alliés se sont améliorés de manière significative depuis quelques mois. Nous prenons des mesures en ce sens pour l'avenir. Nous partageons plus en temps de paix que par le passé.

Qu'en est-il de la coopération, ou « Smart Defense-Défense intelligente » ? L'OTAN fonctionne de la même façon que toutes les institutions de l'Union européenne. Après chaque manque, nous avons développé un concept nouveau en laissant le passé derrière nous, croyant que cela allait résoudre les problèmes. Malheureusement, le concept de défense intelligente n'était pas aussi efficace que nous le pensions. Il y a plusieurs raisons à cela. L'une d'elles vient probablement du fait que le timing des achats d'équipement est différent d'un pays à l'autre.

Les avions militaires coûtent par exemple très cher. La plupart du temps, les pays partagent leurs ressources quand ils sont au même niveau dans le cycle des achats. Un des pays peut être au début du cycle et dépenser beaucoup d'argent. À ce moment, il n'est pas vraiment logique d'avoir un programme de partage. Il existe aussi des problèmes de souveraineté nationale. Tout commence et tout se termine en effet par la souveraineté.

Nous avons aussi intérêt à recourir à des producteurs nationaux concernant les achats de matériels de défense. Ne pas recourir à l'industrie nationale et payer des industriels d'autres pays constitue un problème : la population n'est pas contente, l'industrie ne soutient pas le Gouvernement, etc.

C'est pourquoi ces projets n'ont pas véritablement été des réussites. Nous avons cependant connu quelques bons résultats en termes d'achats de services ou de biens. Certains pays ont développé des plates-formes de partage qui fonctionnaient bien, comme les Pays-Bas, la Belgique, les pays de Viegrad, la France ou la Grande-Bretagne.

Ceci n'a cependant pas très bien fonctionné. L'idée de pays cadre offrait un très bon potentiel et n'était pas si mauvaise. Le projet ne consistait pas simplement à renforcer la coopération et la défense mais à soutenir de petits pays qui, du fait de leur taille, ne sont pas capables de répondre à leurs besoins. Ils ont donc travaillé avec les pays cadres et, ensemble, sont aujourd'hui capables de fournir des capacités bien plus robustes. Ce concept va être employé de plus en plus, et nous envisageons de l'utiliser pour résoudre des problèmes du sud, où les pays cadres pourraient être responsables des volontaires qui travaillent pour l'OTAN et l'Union européenne.

Qu'en est-il de l'élargissement ?

Général Petr Pavel. - On m'a posé la question depuis plusieurs jours à travers certains médias, surtout quand l'ambassadeur américain à l'OTAN a clairement dit que l'Alliance pourrait ralentir son programme d'élargissement.

Je pense que notre position officielle à Varsovie consistera à dire que l'élargissement a été un processus qui a amené plus de stabilité que d'instabilité. Pour l'OTAN, il existe un véritable intérêt à transformer ce processus en processus bilatéral. Il faut que cela intéresse le pays concerné et l'OTAN afin d'aider ledit pays à devenir membre.

Un pays doit remplir beaucoup de critères et mettre en oeuvre un certain nombre de réformes. Cela prend du temps. On a du mal à imaginer aujourd'hui que l'on va inviter l'Ukraine ou la Géorgie à adhérer à l'OTAN, et ces pays, quoi qu'ils disent, connaissent fort bien la réalité. Mais il serait inopportun d'affirmer que l'OTAN ferme totalement ses portes.

En principe, à Varsovie, nous allons déclarer que notre politique d'ouverture est toujours valable et que nous l'utiliserons quand il le faudra, sans plus de détails. La seule chose que l'on peut dire, c'est que le Monténégro fait maintenant partie du processus d'adhésion. Les documents seront signés fin mai, et le processus de ratification des vingt-huit parlements débutera alors. Une fois le processus achevé, le Monténégro sera membre de l'OTAN, mais il faudrait peut-être encore un an ou un an et demi pour achever le processus.

Aucun autre pays ne souhaite devenir membre de l'OTAN, mais personne n'utilisera des mots aussi directs. Je pense qu'à Varsovie, nous confirmerons notre politique d'ouverture.

Merci pour cette intervention. Nous avons apprécié votre présentation et plus encore vos réponses, complètes, claires, sans langue de bois, qui comportent une vision stratégique claire.

Aujourd'hui, les hauts responsables militaires avec lesquels nous travaillons ont une vraie vision, qui devrait être celle de beaucoup de politiques et qu'ils n'ont pas forcément.

Vous avez dit que la réponse militaire ne suffisait pas s'agissant des OPEX. Nous sommes plusieurs sénateurs à travailler pour une approche globale des opérations extérieures, et nous remettrons notre rapport début juillet. Il est évident que l'aide économique, l'aide au développement, la bonne gouvernance et la formation sont indispensables. Faute de cela, l'intervention militaire dans la durée est un échec. Merci à tous !

La réunion est levée à 19 heures 21.

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