Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 21 juin 2016 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 28 et 29 juin 2016

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous pensons tous, ce soir, à notre collègue députée britannique assassinée au nom d’une idéologie nationaliste, en nous souvenant que l’assassinat de parlementaires a toujours marqué des moments difficiles de l’histoire, et encore particulièrement en cette première moitié du XXIe siècle. Comment ne pas penser aussi aux mouvements politiques qui se développent en Hongrie, en Pologne, en Autriche, où l’emploi se porte bien, où les jeunes sont formés ? Comment ne pas penser aux mouvements citoyens de plus en plus présents en Italie, en Espagne ?

Nous devons en tirer la conclusion que de nombreux Européens adressent un message de défiance à l’égard non seulement de certains de leurs dirigeants nationaux, mais aussi, nous le savons, de l’Union européenne et de ses institutions - bien davantage qu’à l’idée de l’Europe elle-même. La responsabilité est collective, car bien des gouvernants, depuis de longues années, ont imputé les problèmes à l’Europe, quand bien même ce n’était pas sa faute, mais la leur. Aujourd'hui, nous payons l’addition !

Ne pas vouloir entendre ces messages, ne pas vouloir travailler à réformer les mécanismes européens, c’est fragiliser encore davantage l’Europe. La France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, comme vient de le dire notre collègue Gattolin, doivent assumer leur responsabilité de relance de l’Europe.

Comment ne pas constater aujourd'hui que faire avancer au même rythme les 28 pays européens est, d’un point de vue réaliste, concret, une mission impossible ? Nous le savons et il faut en tirer les conséquences, faire évoluer l’Europe de telle manière qu’elle puisse fonctionner correctement, peut-être pas à la même vitesse selon les pays.

Aujourd’hui, nonobstant les problématiques internes à chacun des États membres, il s’agit de savoir si l’Europe peut répondre aux grands défis du moment.

Le prochain Conseil européen, monsieur le secrétaire d'État, se penchera une nouvelle fois sur la crise migratoire, qui a éprouvé durablement, y compris dans les esprits, la solidarité européenne, avec des instruments destinés tant à gérer les flux qu’à organiser l’accueil des réfugiés, avec quelques résultats, il faut aussi le reconnaître, même si ce n’est pas merveilleux.

Notre groupe souscrit à la position du Gouvernement consistant à accepter un accueil raisonnable des réfugiés sur notre territoire en rapport avec nos possibilités matérielles et au regard du contexte sécuritaire qui est le nôtre depuis les attentats.

Nous avons accueilli favorablement la mise en place des hotspots, la politique de relocalisation dans les limites que je viens d’évoquer, le renforcement des moyens de l’agence FRONTEX ou encore le paquet « Frontières ».

Aujourd’hui, il s’agit plus particulièrement pour l’Union européenne d’évaluer le plan d’action activé avec la Turquie fin 2015 et confirmé par la déclaration du 18 mars dernier. Cet accord visait à rendre opérationnels des accords de réadmission déjà existants depuis 15 ans entre la Turquie et la Grèce, et depuis 2 ans entre la Turquie et l’Union européenne. C’est donc un accord politique pour lequel il a été décidé d’établir en contrepartie du principe de « un pour un » l’accélération du processus de libéralisation des visas.

Personne n’est sourd quant au respect des 72 critères exigés pour l’exemption des visas. Je préside le groupe d’amitié France-Turquie et crois connaître à peu près la situation turque, monsieur le secrétaire d'État. Celle-ci n’est pas merveilleuse, des dérives quant aux droits de l’homme sont incontestables, mais réagissons-nous aussi violemment à ce qui se passe en Arabie Saoudite ou en Égypte ? La question mérite d’être posée, même si elle n’excuse rien.

En tout cas, vous l’avez dit, l’accord passé avec la Turquie a permis de réduire considérablement le flux des réfugiés et ainsi bien des drames humains, ce qui est déjà un bon résultat, au-delà de ce que l’on peut penser des dérives qui se produisent en Turquie concernant les droits de l’homme. La question est de savoir si l’on a fait avancer le dossier des réfugiés, si l’on a permis l’allégement de certaines souffrances humaines. La réponse est « oui », et le reste passe après, même si ce n’est pas secondaire.

En outre, condamner la Turquie, comme certains pays, c’est oublier qu’elle accueille 2, 7 millions de réfugiés sur son sol et qu’elle y fait face. Il est difficile, dans ces conditions, d’accepter de recevoir des leçons tous les jours.

En tout état de cause, comme le disait le Premier ministre ici même fin novembre : « Nous devons respecter ce grand pays qu’est la Turquie », sans être dupes de quoi que ce soit et en disant les choses, mais en étant conscients des réalités.

J’en viens à un autre point de l’ordre du jour du prochain Conseil européen, la question du Brexit. Bien que le souhait d’une partie des Britanniques de sortir de l’Europe obéisse à de nombreux autres ressorts que celui des migrations, celles-ci ont alimenté encore leur euroscepticisme.

À quelques jours du référendum, l’heure n’est plus aux pronostics. La décision appartient au peuple britannique. Nous devrons à la fois prendre acte et tirer des enseignements du résultat du vote quel qu’il soit. Pour notre groupe, les Anglais ont toute leur place dans l’Union, une place qu’ils n’ont malheureusement jamais complètement occupée, mais c’est à eux d’en décider et c’est leur responsabilité !

Quoi qu’il en soit, derrière tout cela, il y a des enjeux économiques. La panne de croissance qui a gagné l’Europe depuis la crise de 2008 a alimenté la défiance que j’évoquais. C’est pourquoi l’emploi, la croissance et l’investissement seront également à l’ordre du jour du Conseil. Le point sera fait sur le fonds européen pour les investissements stratégiques. Ce fonds est utile et contribue à stimuler l’emploi, mais il n’est qu’un outil de plus.

Plus fondamentalement, monsieur le secrétaire d'État, ce dont nous avons besoin, c’est d’un cap politique avec quelques principes. Il s’agit de savoir de quelle Europe nous voulons. Avec les Britanniques, il y a toujours eu ce malentendu, toutefois très conscient, entre deux visions, celle d’une Europe commerciale, du libre-marché, et celle, disons-le, plus romantique d’une Europe humaniste qui faisait dire à François Mitterrand que « l’Europe a trouvé sa raison d’être en devenant l’Europe de la liberté ». Mais ce n’est jamais facile à construire.

Alors aujourd’hui, à défaut d’avoir clairement tranché dans une direction, c’est trop souvent la gestion des crises qui fait avancer le projet européen. Il a fallu le choc économique de 2008 pour faire émerger l’Union bancaire. Il a fallu l’affaire LuxLeaks pour qu’une directive européenne anti-évasion fiscale soit sur le point de voir le jour.

L’Europe n’aura de sens, mes chers collègues, que si elle pose clairement quelques principes forts, dont celui de la coordination des politiques économiques, avec au minimum une convergence des politiques fiscales.

Dernier sujet qui sera évoqué la semaine prochaine, la politique extérieure, notamment les relations entre l’Union européenne et l’OTAN dans la perspective du sommet de Varsovie. Là aussi, il serait souhaitable que la solidarité s’exerce un peu plus.

Je ne m’étendrai pas sur ce que doit contenir la stratégie européenne de défense et de sécurité, car nos collègues de la commission des affaires européennes ont déposé une proposition de résolution que le RDSE regarde avec intérêt, d’autant plus qu’il y est mentionné « l’établissement d’une relation approfondie avec la Russie ».

Je ne reviendrai pas non plus dans le détail sur le débat que nous avons récemment eu, mais puisque la relation entre l’Europe et l’OTAN fera partie des discussions, je rappellerai simplement que l’Union européenne n’a rien à gagner dans la politique d’endiguement qu’a tendance à pratiquer l’OTAN. C’est au sud de l’Europe que se concentrent les conflits les plus impactants pour notre territoire. Ces conflits ne peuvent être résolus sans tenir compte de la Russie, qui doit redevenir un partenaire précieux, car indispensable.

Mon groupe regrette donc la décision prise par l’Union européenne de prolonger le régime des sanctions à l’égard de la Russie. Monsieur le secrétaire d'État, il y a urgence à ce que la France, dans la tradition des pères de l’Europe, délivre à nouveau un message fort à l’adresse de ses partenaires, et c’est ce que nous attendons de vous !

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