La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à quatorze heures trente-cinq.
La séance est reprise.
Mme la présidente. Madame la ministre, mes chers collègues, c’est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris, comme vous tous, le décès de notre ancien collègue Maurice Blin, qui fut sénateur des Ardennes de 1971 à 2007 et présida le groupe de l’Union centriste de 1993 à 1998.
Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.
Agrégé de philosophie, universitaire de profession, grand intellectuel, auteur de plusieurs ouvrages tels que Le Travail et les dieux, en 1976, et Nostalgie d’Empire, en 2001, spécialiste de Nietzsche, Maurice Blin fut élu en 1958, à trente-cinq ans, député des Ardennes. Il fut élu sénateur de ce même département en 1971, puis réélu à trois reprises, en 1980, en 1989 et en 1998.
Pendant ses trente-six années de mandat sénatorial, Maurice Blin fut membre de la commission des affaires économiques, puis de la commission des finances. Il fut rapporteur général du budget pendant plus de dix ans, de 1978 à 1989. Au cours de son dernier mandat, il fut un des rapporteurs de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi de programme pour la recherche, en 2005-2006.
Ceux qui l’ont accompagné sur ces bancs gardent la mémoire d’un spécialiste des questions financières, notamment des finances locales, mais aussi et surtout d’un homme affable et à l’écoute de tous.
Il appréciait les travaux de notre assemblée, dont il soulignait les qualités suivantes : « persévérance dans l’effort, respect du temps, de l’écrit et du travail ». Dans un article intitulé « Le Sénat, bâtisseur et témoin », il marqua son profond attachement au bicamérisme.
Au nom du président Gérard Larcher et du Sénat tout entier, je veux assurer sa famille et ses proches, le président et les membres du groupe UDI-UC et notre collègue Marc Laménie, dont Maurice Blin fut le mentor, de notre compassion sincère et leur présenter nos condoléances les plus attristées.
Je vous propose d’observer un moment de recueillement en sa mémoire.
Mme la ministre, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s (projet n° 610, texte de la commission n° 662, rapport n° 661).
Dans la discussion du texte de la commission, nous en sommes parvenus, au sein du chapitre III du titre II, à l’amendement n° 198 rectifié tendant à insérer un article additionnel après l’article 16.
Titre II
Favoriser une culture du dialogue et de la négociation
Chapitre III
Des acteurs du dialogue social renforcés
L'amendement n° 198 rectifié, présenté par MM. Patient, S. Larcher, Karam, Desplan et Antiste, est ainsi libellé :
Après l’article 16
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le titre II du livre VI de la deuxième partie du code du travail est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :
« Chapitre IV
« Représentativité
« Section 1
« Représentativité syndicale régionale et interprofessionnelle
« Art. L. 2624 -1. – I. – Sont représentatives au niveau de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de La Réunion, de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin ou de Saint-Pierre-et-Miquelon et au niveau interprofessionnel, les organisations syndicales qui :
« 1° Satisfont aux critères de l’article L. 2121-1 ;
« 2° Sont représentatives à la fois dans des branches de l’industrie, de la construction, du commerce et des services ;
« 3° Ont recueilli au moins 8 % des suffrages exprimés résultant de l’addition au niveau de la collectivité concernée et interprofessionnel des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires aux comités d’entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants, des suffrages exprimés au scrutin concernant les entreprises de moins de onze salariés dans les conditions prévues aux articles L. 2122-10-1 et suivants ainsi que des suffrages exprimés aux élections des membres représentant les salariés aux chambres locales d’agriculture dans les conditions prévues à l’article L. 2122-6. La mesure de l’audience s’effectue tous les quatre ans.
« II. – Une confédération syndicale catégorielle interprofessionnelle locale est représentative à l’égard des personnels relevant des collèges électoraux dans lesquels ses règles statutaires lui donnent vocation à présenter des candidats à condition :
« 1° De satisfaire aux critères de l’article L. 2121-1 et du 2° du I ;
« 2° D’avoir recueilli au moins 8 % des suffrages exprimés au sein de ces collèges, à l’issue de l’addition des résultats mentionnés au 3° du I.
« III. – Le présent article est applicable à Mayotte à compter du 1er janvier 2018.
« Section 2
« Représentativité patronale
« Art. L. 2624 -2. – I. – Sont représentatives au niveau de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de La Réunion, de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin ou de Saint-Pierre-et-Miquelon et multi-professionnel les organisations professionnelles d’employeurs :
« 1° Qui satisfont aux critères mentionnés aux 1° à 5° de l’article L. 2151-1 ;
« 2° Qui sont représentatives ou dont les organisations adhérentes sont représentatives sur le fondement de l’article L. 2152-1 du présent code dans au moins cinq conventions collectives relevant soit des activités agricoles mentionnées aux 1° à 4° de l’article L. 722-1 et au 2° de l’article L. 722-20 du code rural et de la pêche maritime, soit des professions libérales définies à l’article 29 de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives, soit de l’économie sociale et solidaire, et ne relevant pas du champ couvert par les organisations professionnelles d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel ;
« 3° Auxquelles adhèrent au moins trois organisations relevant de l’un des trois champs d’activités mentionnés au 2° ;
« II. – Préalablement à l’ouverture d’une négociation locale et interprofessionnelle, puis préalablement à sa conclusion, les organisations professionnelles d’employeurs représentatives à ce niveau informent les organisations représentatives au niveau national et multi-professionnel des objectifs poursuivis par cette négociation et recueillent leurs observations.
« Art. L. 2624 -3. – Sont représentatives au niveau de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de La Réunion, de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin ou de Saint-Pierre-et-Miquelon et interprofessionnel les organisations professionnelles d’employeurs :
« 1° Qui satisfont aux critères mentionnés aux 1° à 5° de l’article L. 2151-1 ;
« 2° Dont les organisations adhérentes sont représentatives à la fois dans des branches de l’industrie, de la construction, du commerce et des services ;
« 3° Dont les entreprises et les organisations adhérentes à jour de leur cotisation représentent au moins 8 % de l’ensemble des entreprises adhérant à des organisations professionnelles d’employeurs satisfaisant aux critères mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 2151-1 et ayant fait la déclaration de candidature prévue à l’article L. 2152-5. Le nombre d’entreprises adhérant à ces organisations est attesté, pour chacune d’elles, par un commissaire aux comptes, qui peut être celui de l’organisation, dans des conditions déterminées par voie réglementaire. La mesure de l’audience s’effectue tous les quatre ans.
« Lorsqu’une organisation professionnelle d’employeurs adhère à plusieurs organisations professionnelles d’employeurs ayant statutairement vocation à être présentes au niveau national et interprofessionnel, elle répartit entre ces organisations, pour permettre la mesure de l’audience prévue au présent article, ses entreprises adhérentes. Elle ne peut affecter à chacune de ces organisations une part d’entreprises inférieure à un pourcentage fixé par décret, compris entre 10 % et 20 %. L’organisation professionnelle d’employeurs indique la répartition retenue dans la déclaration de candidature prévue à l’article L. 2152-5. Les entreprises adhérentes sont informées de cette répartition.
« Art. L. 2624 -4. – À défaut de branche constituée en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin ou à Saint-Pierre-et-Miquelon et si aucune convention ou aucun accord national de branche ne s’applique localement au secteur d’activité concerné, les partenaires sociaux représentatifs en application, d’une part, de l’article L. 2624-1, et d’autre part, selon le cas, de l’article L. 2624-2 ou L. 2624-3, peuvent négocier un accord de branche ou inter branches dans les conditions du droit commun. Cet accord peut faire l’objet d’une procédure d’extension ou d’élargissement. »
II. – Le présent article est applicable à Mayotte à compter du 1er janvier 2018.
La parole est à M. Félix Desplan.
Le code du travail prévoit un mode de détermination de la représentativité des organisations syndicales dans les entreprises, dans les branches au niveau national ou régional, ainsi qu’au niveau national et interprofessionnel.
Or la spécificité de la situation outre-mer a conduit, par le passé, à trouver des solutions dans le cadre d’accords interprofessionnels régionaux. Le présent amendement a pour objet de fixer les conditions dans lesquelles les organisations syndicales sont considérées comme représentatives pour la négociation d’accords interprofessionnels.
Ces accords interprofessionnels doivent être négociés avec des organisations patronales également représentatives au même niveau. Les règles de représentativité des organisations patronales sont donc également fixées dans le texte de l’amendement.
Le modèle retenu est celui qui est fixé par la loi pour la détermination de la représentativité au niveau national et interprofessionnel pour les organisations de salariés, et au niveau national et interprofessionnel ou national et multi-professionnel pour les organisations patronales.
Le paysage conventionnel des collectivités ultramarines intéressées, quoique différent d’une collectivité à l’autre, se caractérise par un nombre important d’entreprises qui ne sont couvertes par aucune convention de branche, nationale ou locale, soit parce que la convention collective nationale n’est pas applicable, soit parce que la branche n’est pas constituée outre-mer.
Pour tenter de résorber cette difficulté, le présent amendement vise à permettre aux organisations syndicales et professionnelles représentatives au niveau local de signer des accords de branche à la double condition que les secteurs d’activités intéressés ne soient pas déjà constitués en branche et qu’aucun accord national ne s’applique localement.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, permettez-moi tout d’abord de vous dire que j’ai trouvé très touchant l’hommage que vous avez rendu à Maurice Blin. À moi qui ne l’ai pas connu, vos propos ont donné envie de découvrir ses travaux. Nous côtoyons dans cette assemblée des personnes de la plus grande qualité, ce qui nous permet à tous de progresser.
MM. Vincent Capo-Canellas et Jean-Marie Vanlerenberghe applaudissent.
En ce qui concerne l’amendement n° 198 rectifié, la commission y est défavorable, même si elle comprend l’objectif. La représentativité ne se présume pas. Depuis 2008, nous sommes entrés dans un processus où celle-ci se construit de bas en haut. Il serait donc délicat d’inscrire un tel dispositif dans la loi.
Cela étant, l’article 14 bis, introduit sur l’initiative du Gouvernement, permet d’adapter aux outre-mer un certain nombre de droits en vigueur sur le territoire métropolitain. Ils pourront donc devenir effectifs dans les territoires ultramarins. Je le souligne en réponse à votre allusion au nombre important d’entreprises qui ne sont couvertes par aucune convention de branche, nationale ou locale.
Par ailleurs, l’adoption d’un amendement du Gouvernement a complété l’article 13, relatif aux branches, afin de prévoir que les organisations professionnelles d’employeurs représentatives dans la branche au niveau national pourront mandater au niveau local ou régional des représentants afin de négocier.
Au regard de ces éléments, votre amendement me paraît, dans l’esprit, satisfait, mais la commission ne peut aller jusqu’à souscrire à la présomption de représentativité.
Je tiens également à m’associer à l’hommage rendu à Maurice Blin. Nos pensées vont à sa famille et à ses proches dans ce moment particulièrement difficile.
Monsieur le sénateur Félix Desplan, le problème que vous posez est essentiel. Je partage votre volonté d’élargir la couverture conventionnelle aux outre-mer, car la situation actuelle – je pense que nous pouvons tous en convenir ici – n’est pas acceptable. Il s’agit à la fois d’un enjeu en termes d’égalité républicaine et d’une question sociale importante.
Au travers de l’article 14 bis, inséré à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a pris une mesure importante visant en quelque sorte à inverser le régime dit « Perben » et à poser le principe selon lequel, à défaut de précision contraire, les conventions collectives s’appliqueront à l’outre-mer. C’est une évolution considérable, voire historique.
Nous avons également, dans ce cadre, donné un rôle important aux partenaires sociaux locaux, qui pourront ou non reprendre les accords passés et décider de leur adaptation. Vous avez raison de le souligner, il est essentiel que leur représentativité soit connue.
Lors du débat à l’Assemblée nationale, sur l’initiative de Monique Orphé, nous avons décidé d’engager une réflexion avec la direction générale du travail, à laquelle tous les parlementaires peuvent s’associer. Je souhaite que nous attendions d’en connaître le résultat. Je ne suis pas persuadée que la voie législative soit la plus adaptée.
Dans cette perspective, je vous propose de retirer votre amendement ; à défaut, je serais contrainte d’émettre un avis défavorable.
Puisque Mme la ministre m’annonce qu’un travail sur le sujet est en cours, j’accepte de retirer cet amendement.
L’article L. 414-41 du code du travail applicable à Mayotte est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Une convention ou un accord d’entreprise peut majorer les durées prévues au présent article. » –
Adopté.
L'amendement n° 847 rectifié, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l'article 16 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La deuxième phrase du premier alinéa de l’article L. 2142-1-3 du code du travail est remplacée par quatre alinéas ainsi rédigés :
« Ce temps est :
« - Au moins égal à cinq heures pour les entreprises de 50 à 150 salariés ;
« - Au moins égal à huit heures pour les entreprises de 151 à 200 salariés ;
« - Au moins égal à dix heures pour les entreprises de plus de 500 salariés. »
La parole est à Mme Annie David.
Cet amendement vise à rétablir le nombre de délégués syndicaux et d’heures de délégation à leur niveau d’avant l’entrée en vigueur de la loi Rebsamen, qui a réduit le nombre de représentants élus à la délégation unique du personnel, la DUP, ainsi que les volumes d’heures de délégation.
Cette loi dite de « dialogue social » avait, par exemple, supprimé dix heures de délégation pour les représentants du personnel dans les entreprises de 100 à 150 salariés.
Pour rendre effective la participation des salariés à la détermination de leurs conditions de travail, il faut garantir que leur représentation ne puisse être vidée de tout contenu. Nous proposons donc que le nombre d’élus à la DUP ne puisse être inférieur au nombre cumulé des élus des différentes instances.
Nous continuons de refuser la diminution du nombre d’élus du personnel dans la nouvelle délégation unique. Nous refusons également la diminution des heures de réunion alors que plus de missions seront confiées à ces délégués.
Cet amendement prévoit donc de porter les crédits d’heures de délégation syndicale à cinq heures au minimum pour les entreprises de 50 à 150 salariés, à huit heures pour les entreprises de 151 à 200 salariés et à au moins dix heures pour les entreprises de plus de 500 salariés.
Plutôt que d’augmenter, comme le prévoit le texte du Gouvernement, de 20 % le volume d’heures réduit par la fusion des délégations uniques, nous proposons de revenir sur cette fusion et d’accroître les crédits d’heures de délégation syndicale.
Le représentant de la section syndicale n’a pas les mêmes responsabilités que le délégué syndical. En particulier, il ne négocie pas les accords collectifs. Il n’a donc pas besoin du même nombre d’heures de délégation. La commission a émis un avis défavorable.
Les fonctions sont en effet différentes. Les délégués syndicaux ont le monopole de la négociation syndicale. Nous avons bien expliqué que si l’on accordait plus de moyens aux représentants syndicaux, c’était justement parce qu’il y avait une extension de la place de la négociation au niveau de l’entreprise. Le Gouvernement émet un avis défavorable.
Une loi sur le travail a été votée en juillet dernier. Revenir aujourd’hui sur ses dispositions créerait de l’instabilité, ce que ne veulent ni les entreprises ni les syndicats.
Madame Procaccia, quand ça l’arrange, la droite sénatoriale n’hésite pas à revenir sur des textes récents ! Hier soir, nous avons défendu un amendement tendant à maintenir des dispositions votées en 2014 et non encore appliquées ; il n’a pas été adopté : en l’occurrence, l’instabilité législative ne vous gênait pas… En revanche, lorsqu’il s’agit, comme ici, de redonner un peu plus de pouvoir aux organisations syndicales et à leurs représentants dans les entreprises, vous la dénoncez !
Votre argument n’est donc absolument pas recevable. Je maintiens cet amendement !
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 972, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l'article 16 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’état des discriminations syndicales en France sur la base des travaux réalisés par le défenseur des droits. Ce rapport fait état des bonnes pratiques observées dans les entreprises pour lutter contre ces discriminations.
La parole est à Mme la ministre.
J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer le rapport du Conseil économique, social et environnemental, le CESE, sur le développement de la culture du dialogue social en France. Ce rapport, rédigé par Jean-François Pilliard et Luc Bérille, aborde la question des discriminations syndicales, qui se rencontrent trop souvent. En effet, selon une étude réalisée en 2014 par l’OIT, 11 % des salariés du secteur privé estiment avoir été victimes de discriminations syndicales.
La loi Rebsamen a institué une garantie de non-discrimination syndicale et une valorisation des parcours syndicaux, mais il est bien souvent difficile d’objectiver la situation. Le rapport du CESE préconise que le Gouvernement établisse, sur le fondement des travaux réalisés par le Défenseur des droits, un rapport qui serait remis au Parlement dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi. Je pense qu’il est aujourd’hui essentiel de mener un travail sur ce sujet.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Nous allons battre des records en termes tant de scrutins publics que de demandes de rapports !
Sourires.
Cela étant, cet amendement traduit effectivement les recommandations 34 et 35 du CESE, qui ont été adoptées à une très large majorité, tant par les représentants des organisations syndicales que par la représentation patronale.
Dans ces conditions, il n’y a pas de raison d’y faire obstacle et la commission émet un avis favorable.
L'amendement est adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 16 bis.
I A (nouveau). – La section 7 du chapitre V du titre II du livre III de la deuxième partie du code du travail est ainsi modifiée :
1° L’article L. 2325-35 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Sauf stipulation contraire d’une convention ou d’un accord d’entreprise, l’expert-comptable ne peut être choisi qu’après présentation d’au moins trois devis émanant de prestataires différents. » ;
2° Le deuxième alinéa de l’article L. 2325-38 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Sauf stipulation contraire de cet accord, l’expert ne peut être choisi qu’après présentation d’au moins trois devis émanant de prestataires différents. »
I. – La section 4 du chapitre IV du titre Ier du livre VI de la quatrième partie du code du travail est ainsi modifiée :
1° A (nouveau) Après le troisième alinéa de l’article L. 4614-12, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Sauf stipulation contraire d’une convention ou d’un accord, l’expert ne peut être choisi qu’après présentation d’au moins trois devis émanant de prestataires différents. » ;
1° L’article L. 4614-13 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est supprimé ;
b) Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
– la première phrase est supprimée ;
– au début de la deuxième phrase, le mot : « Toutefois, » est supprimé ;
c) Après le deuxième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Dans les autres cas, l’employeur qui entend contester la nécessité de l’expertise, la désignation de l’expert, le coût prévisionnel de l’expertise tel qu’il ressort, le cas échéant, du devis, l’étendue ou le délai de l’expertise saisit le juge judiciaire dans un délai de quinze jours à compter de la délibération du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de l’instance de coordination mentionnée à l’article L. 4616-1. Le juge statue, en la forme des référés, en premier et dernier ressort dans les dix jours suivant sa saisine. Cette saisine suspend l’exécution de la décision du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de l’instance de coordination mentionnée à l’article L. 4616-1, ainsi que les délais dans lesquels ils sont consultés en application de l’article L. 4612-8, jusqu’à la notification du jugement. Lorsque le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou l’instance de coordination des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ainsi que le comité d’entreprise sont consultés sur un même projet, cette saisine suspend également, jusqu’à la notification du jugement, les délais dans lesquels est consulté le comité d’entreprise en application de l’article L. 2323-3.
« Les frais d’expertise sont à la charge de l’employeur. Toutefois, en cas d’annulation définitive par le juge de la décision du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de l’instance de coordination, les sommes perçues par l’expert sont remboursées par ce dernier à l’employeur. Le comité d’entreprise peut, à tout moment, décider de les prendre en charge dans les conditions prévues à l’article L. 2325-41-1. » ;
2° Il est ajouté un article L. 4614-13-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 4614 -13 -1. – L’employeur peut contester le coût final de l’expertise devant le juge judiciaire, dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle l’employeur a été informé de ce coût. »
II. – La sous-section 2 de la section 7 du chapitre V du titre II du livre III de la deuxième partie du même code est complétée par un article L. 2325-41-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 2325 -41 -1. – Le comité d’entreprise peut, à tout moment, décider de prendre en charge, au titre de sa subvention de fonctionnement prévue à l’article L. 2325-43, les frais d’une expertise du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail en application du troisième alinéa de l’article L. 4614-13. »
Cet article, passé relativement inaperçu, est néanmoins important, car son adoption pourrait remettre en cause une compétence importante du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le CHSCT : l’expertise.
Les rapporteurs, qui saluent le « dispositif mis en œuvre par le présent article », oublient un peu vite que les CHSCT, créés en tant que tels par les lois Auroux de 1982, avaient pour vocation de veiller à la sécurité des salariés. Ils ont donc pour mission de contribuer à la protection de la santé physique et mentale des travailleurs, ainsi qu’à leur sécurité et à l’amélioration des conditions de travail, en particulier pour faciliter l’accès des personnes à l’emploi, et enfin de veiller au respect des prescriptions légales dans ces domaines.
Or, ce qui frappe d’emblée, c’est que cette institution, qui est dotée de la personnalité juridique, ne dispose pas de moyens en dehors des crédits d’heures accordés aux salariés qui en sont membres.
La technicité de ces questions de santé et de sécurité impose de recourir à des compétences élevées, et donc de faire appel à des experts indépendants et agréés par le ministère du travail.
Jusqu’à une décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité du 27 novembre 2015, les frais d’expertise étaient pris en charge par l’employeur, quel que soit le résultat de l’étude. Par ailleurs, la contestation de l’expertise par l’employeur ne suspendait pas cette dernière.
La décision du Conseil constitutionnel sur la QPC précitée, qui faisait suite à un arrêt de la Cour de cassation du 15 mai 2013, a ouvert la porte à un réel recul du droit des salariés en préconisant une révision des règles de suspension de l’expertise en cas de contestation.
Non seulement le projet de loi prévoit d’affirmer ce caractère suspensif de la contestation de l’expertise, mais il va plus loin, me semble-t-il, que le Conseil constitutionnel, en n’obligeant plus l’employeur à prendre en charge les frais d’expertise, même en cas de résultat favorable à l’employeur.
Ainsi, le projet de loi met en péril le recours même à l’expertise. Si le texte était adopté en l’état, le CHSCT, dépourvu de moyens, réduirait sans aucun doute le champ de son contrôle.
Les aggravations du dispositif proposées par la majorité sénatoriale – suspension jusqu’à la décision du juge ou exigence d’une mise en concurrence d’experts – n’arrangeront rien, bien au contraire. C’est la raison pour laquelle les sénatrices et sénateurs du groupe CRC voteront contre cet article.
L'amendement n° 52, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Christian Favier.
Comme l’indique le rapport, l’article 17 récrit les dispositions relatives à l’expertise que peut demander le CHSCT, pour les mettre en conformité avec la décision du Conseil constitutionnel du 27 novembre 2017.
Toutefois, cette réécriture va plus loin que les préconisations du Conseil constitutionnel et modifie les modalités de remboursement des frais d’expertise, lesquels, jusqu’à présent, étaient, sauf abus, à la charge de l’employeur, en raison de l’absence de budget propre du CHSCT et de la latitude de choisir les experts, une mise en concurrence étant désormais prévue.
Si le Conseil constitutionnel a reconnu que le paiement des frais d’expertise par l’employeur en cas d’annulation de la décision du CHSCT est inconstitutionnel, il a aussi jugé que mettre à la charge de l’employeur ces frais d’expertise ne constituait que la mise en œuvre des exigences constitutionnelles découlant du Préambule de la Constitution de 1946.
De plus, il faut souligner que cette expertise est demandée premièrement « lorsqu’un risque grave est constaté dans l’établissement », deuxièmement « en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail » ou, troisièmement, « dans le cadre d’une consultation sur un projet de restructuration et de compression des effectifs ».
Or la réécriture proposée supprime le principe d’une prise en charge des frais d’expertise par l’employeur, puisque le comité d’entreprise pourra aussi les assumer.
De surcroît, la réécriture proposée au travers de ce projet de loi prévoit la contestation du coût prévisionnel de l’expertise. Pourtant, de nombreux experts ne sont pas convaincus de la pertinence de cette mesure. En effet, ils soulignent que « cela conduira à la possibilité d’une succession de contentieux, alors qu’aucune autre forme d’expertise n’est exposée à cette double peine. Cela ne va pas dans le sens de la simplification. »
Cet article vise à entraver et à fragiliser la mission d’expertise du CHSCT. C’est pourquoi nous en demandons la suppression.
La commission est défavorable à cet amendement de suppression de l’article. À la suite d’une QPC, une partie des dispositions du code du travail a été annulée. L’article 17, dont la commission a considérablement enrichi le texte en imposant notamment la production de trois devis avant de pouvoir décider du choix de l’expert, vise à y remédier et pose un certain nombre de principes.
Cessons les faux procès ! Nous n’oublions pas que le CHSCT travaille sur les questions de santé, puisque nous présentons même un article tendant à élargir le champ de ses missions, notamment en matière d’accompagnement des personnes en situation de handicap.
Nous devons légiférer en tenant compte de la décision du Conseil constitutionnel. Celui-ci ayant considéré que la charge des frais d’expertise ne pouvait reposer sur l’employeur en cas d’annulation de la décision du CHSCT, le Gouvernement a proposé une solution équilibrée, qui consiste à faire reposer cette charge sur le cabinet d’experts, tout en encadrant les délais de recours et, en cas de contentieux, en rendant suspensif le délai de jugement en première instance. Ce dispositif, qui a été élaboré en concertation avec les professionnels du secteur, permettra au CHSCT d’exercer dans les meilleures conditions son droit à l’expertise et aux experts de bénéficier d’une plus grande sécurité juridique.
Voilà de quoi il s’agit ! Nous devions prendre une décision ; la solution que nous proposons, est, je le redis, équilibrée. J’indique que je ne souscris pas à l’ensemble des modifications introduites par la commission, …
… qui conduisent à alourdir et à complexifier encore les procédures.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
Le groupe socialiste et républicain est, comme le Gouvernement, opposé à cet amendement.
La rédaction de l’article 17 adoptée par la commission n’est pas celle que nous souhaitions, mais nous voulons poursuivre la discussion sur cet article, car nous entendons voter l’amendement n° 380 du groupe écologiste, qui nous paraît de nature à rassembler tous les suffrages de notre côté de l’hémicycle.
Madame la ministre, nous souhaitons, nous aussi, que l’on en finisse avec les faux procès : cessez de nous faire dire ce que nous n’avons pas dit !
Nous pensons que le CHSCT a une très grande importance dans l’entreprise. Ce n’est en effet pas au travers du présent texte que le Gouvernement a ouvert la porte à la diminution du financement du CHSCT par les employeurs, mais vous persistez dans cette voie avec ce projet de loi. Ce faisant, vous permettez à la droite sénatoriale d’aller encore plus loin, même si vous ne souscrivez pas à ses propositions, madame la ministre.
Je le redis : cessons les faux procès ! Parlons du fond, échangeons, argument contre argument. Peut-être ce projet de loi ne constitue-t-il pas un retour au XIXe siècle, comme cela a pu être dit, mais ce n’est pas non plus, madame la ministre, un texte qui donnera des droits nouveaux aux salariés. Il faut arrêter de le présenter ainsi !
L’inversion de la hiérarchie des normes et l’abandon du principe de faveur, que je sache, figurent bien dans votre texte ! Avec de telles mesures, on peut tout imaginer. Vous ne pouvez pas prétendre qu’il s’agit d’avancées et de droits nouveaux pour les salariés.
Ainsi, à propos du CHSCT, vous ouvrez une porte que, pour notre part, nous refusons même d’entrebâiller.
Nous considérons que le CHSCT doit avoir les moyens de fonctionner…
Permettez que je m’exprime, madame Bricq ! Même si nous avons déjà dit tout cela hier, nous continuerons à le dire, que cela vous plaise ou non ! Lorsque vous prenez la parole, personne ne vous empêche de parler !
Nous ne vous faisons pas de faux procès, madame la ministre, et nous vous demandons, en retour, de ne pas nous en faire !
Je mets aux voix l’amendement n° 52.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 358 :
Le Sénat n’a pas adopté.
Je suis saisie de cinq amendements faisant l’objet d'une discussion commune.
L’amendement n° 380, présenté par M. Desessard, Mmes Archimbaud, Benbassa, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Gattolin, Labbé et Poher, est ainsi libellé :
Alinéas 1 à 8
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Il s’agit de supprimer l’obligation pour le CHSCT, lorsqu’il souhaite choisir un expert, et pour le comité d’entreprise, lorsqu’il souhaite avoir recours aux services d’un expert-comptable, de procéder à cette désignation sur la base d’au moins trois devis.
Cette disposition introduite par la commission des affaires sociales du Sénat, dont l’objet est, je suppose, de renforcer la transparence, peut induire selon nous une certaine suspicion : parce que les frais d’expertise sont à la charge de l’employeur, le CHSCT et le comité d’entreprise seraient nécessairement inconséquents et dépensiers… Cette vision des choses est excessive. D’ailleurs, l’employeur présidant ces instances, il peut tout à fait y faire valoir son point de vue.
En outre, cette obligation de faire établir au moins trois devis ne nous semble pas forcément compatible avec la célérité qui peut s’imposer dans les cas d’urgence.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous demandons la suppression des alinéas 1 à 8.
L’amendement n° 1014, présenté par MM. Lemoyne, Gabouty et Forissier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Remplacer le mot :
alinéa
par la référence :
III
II. – Alinéa 3
Au début, insérer la mention :
III. -
La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur.
L’amendement n° 105 rectifié, présenté par Mme Des Esgaulx et M. Pierre, n’est pas soutenu.
L’amendement n° 256 rectifié bis, présenté par Mme Deroche, MM. Retailleau, Allizard, Bignon, Buffet, Calvet et Cambon, Mme Canayer, MM. Cantegrit et Cardoux, Mme Cayeux, M. César, Mme Chain-Larché, MM. Chaize, Charon, Chasseing, Cornu, Dallier, Danesi et Dassault, Mmes Debré, Deromedi, Des Esgaulx, Deseyne et Di Folco, MM. Doligé et P. Dominati, Mme Duchêne, M. Dufaut, Mme Duranton, M. Emorine, Mme Estrosi Sassone, MM. Falco, Fontaine, B. Fournier, J.P. Fournier, Frassa, J. Gautier et Gilles, Mme Giudicelli, MM. Gournac, Grand, Gremillet et Grosperrin, Mme Gruny, MM. Guené, Houel, Houpert, Huré et Husson, Mmes Imbert et Kammermann, MM. Karoutchi, Kennel et Laménie, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, D. Laurent, Lefèvre, Legendre, de Legge, Leleux, Lenoir, P. Leroy, Longuet, Malhuret, Mandelli, Masclet et Mayet, Mmes M. Mercier, Micouleau et Morhet-Richaud, MM. Morisset, Mouiller, de Nicolaÿ, Panunzi, Paul, Perrin, Pierre, Pillet, Pinton, Pointereau et Portelli, Mmes Primas et Procaccia et MM. de Raincourt, Raison, Rapin, Revet, Savary, Savin, Trillard, Vaspart, Vasselle, Vendegou, Vial, Vogel et Baroin, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 5, au début
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Il ne peut être choisi qu’à l’issue d’une procédure de mise en concurrence, dans des conditions fixées par décret.
II. – Alinéa 8, au début
Insérer une phrase ainsi rédigée :
L’expert ne peut être choisi qu’à l’issue d’une procédure de mise en concurrence, dans des conditions fixées par décret.
La parole est à Mme Catherine Deroche.
Cet amendement vise à introduire un peu plus de concurrence dans le marché captif des cabinets d’experts fournissant des prestations aux comités d’entreprise ou aux CHSCT.
L’amendement n° 257 rectifié bis, présenté par Mme Deroche, MM. Retailleau, Allizard, Bignon, Bouchet, Buffet, Calvet et Cambon, Mme Canayer, MM. Cantegrit et Cardoux, Mme Cayeux, M. César, Mme Chain-Larché, MM. Chaize, Charon, Chasseing, Commeinhes, Cornu, Dallier, Danesi et Dassault, Mmes Debré, Deromedi, Des Esgaulx, Deseyne et Di Folco, MM. Doligé et P. Dominati, Mmes Duchêne et Duranton, M. Emorine, Mme Estrosi Sassone, MM. Falco, Fontaine, B. Fournier, J.P. Fournier, Frassa, J. Gautier, Genest et Gilles, Mme Giudicelli, MM. Gournac, Grand, Gremillet et Grosperrin, Mme Gruny, MM. Guené et Houel, Mme Hummel, MM. Huré et Husson, Mme Imbert, MM. Karoutchi, Kennel et Laménie, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, D. Laurent, Lefèvre, Legendre, de Legge, Leleux, Lenoir, P. Leroy et Longuet, Mme Lopez, MM. Malhuret, Mandelli, Masclet et Mayet, Mmes M. Mercier, Micouleau et Morhet-Richaud, MM. Morisset, Mouiller, de Nicolaÿ, Panunzi, Paul, Perrin, Pierre, Pinton, Pointereau et Portelli, Mmes Primas et Procaccia et MM. de Raincourt, Raison, Rapin, Revet, Savary, Savin, Trillard, Vaspart, Vasselle, Vendegou, Vogel et Baroin, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 5
Insérer six alinéas ainsi rédigés :
…° L’article L. 2325-40 est ainsi rédigé :
« Art L. 2325-40.- L’expert-comptable et l’expert technique mentionné à l’article L. 2325-38 sont rémunérés conjointement par l’entreprise et par le comité d’entreprise.
« Un décret en Conseil d’État fixe :
« - La part prise en charge par l’entreprise et la part prise en charge par le comité d’entreprise ;
« - Le montant maximum hors taxes par année civile de la rémunération des experts visés aux articles L. 2325-35 et L. 2325-38. Ce montant est déterminé en fonction de la masse salariale, telle qu’elle figure à la déclaration annuelle des salaires de l’établissement et de l’entreprise.
« Le président du tribunal de grande instance est compétent en cas de litige sur leur rémunération. »
II. – Alinéa 10
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
a) Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Les frais d’expertise sont à la charge conjointe de l’entreprise et du comité d’entreprise. Un décret en Conseil d’État fixe la part prise en charge par l’entreprise et la part prise en charge par le comité d’entreprise. » ;
La parole est à Mme Catherine Deroche.
Cet amendement tend à prévoir que la charge financière des expertises soit partagée entre l’entreprise et le comité d’entreprise et que le montant soit plafonné par décret.
Sur l’amendement n° 380, la commission ne s’est pas dédite et a émis un avis défavorable. Elle avait en effet enrichi la rédaction de l’article 17.
Demander trois devis, ce n’est tout de même pas sorcier, mes chers collègues ! Cela permettra d’éclairer les décisionnaires et d’éviter de devoir acquitter des montants prohibitifs. Ces dispositions me semblent être de bonne gestion.
Les amendements n° 256 rectifié bis et 257 rectifié bis visent à prolonger le travail d’encadrement que nous avons mené s’agissant du choix des experts et des prestataires.
L’amendement n° 256 rectifié bis prévoit une mise en concurrence pour toutes les expertises. La commission a considéré que, pour ce qui concerne les plus petites entreprises et les expertises les plus simples, son adoption conduirait à alourdir les procédures. Prévoir l’établissement de trois devis nous semble satisfaisant. La commission souhaite donc le retrait de cet amendement.
Elle a émis un avis favorable, en revanche, sur l’article n° 257 rectifié bis, qui vise à faire participer le comité d’entreprise au financement des expertises qu’il demande. Il s’agit, en somme, d’une sorte de ticket modérateur.
L’amendement n° 256 rectifié bis est retiré.
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Sur l’amendement n° 380, l’avis est favorable. En effet, imposer l’établissement de trois devis me semble une mauvaise réponse pour lutter contre des abus en réalité très minoritaires.
Il convient de rappeler que les experts sont agréés par le ministère du travail, après une procédure d’instruction qui associe les partenaires sociaux, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, l’ANACT, et l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, l’INRS. Cette procédure d’agrément est essentielle.
Dans la pratique, lorsqu’un travail récurrent est mené par un même cabinet d’experts, qui connaît la situation de l’entreprise, pourquoi alourdir la procédure en demandant la présentation de trois devis ?
J’ajoute, pour ce qui concerne le droit à l’expertise du CHSCT, que l’article 17 comporte d’ores et déjà des dispositions visant à sécuriser les conditions dans lesquelles un employeur peut contester le recours à l’expert du CHSCT, notamment au regard d’un coût prévisionnel jugé déraisonnable sur la base d’un premier devis.
Sur l’amendement n° 1014, l’avis est favorable.
Pour ce qui concerne l’amendement n° 257 rectifié bis, s’il est légitime que le comité d’entreprise prenne en charge sur son budget de fonctionnement une partie du coût de l’expertise relative aux orientations stratégiques, cette règle ne peut pas s’étendre aux autres consultations. Étant donné le montant de la subvention de fonctionnement, cela reviendrait à priver le comité d’entreprise d’une partie de son droit à l’expertise. L’avis est donc défavorable.
Je l’ai dit, nous sommes favorables à l’amendement n° 380 de nos collègues écologistes. Le recours à un expert est encadré par la loi et la jurisprudence ; il n’est pas nécessaire d’en rajouter.
Nous sommes opposés au très suspicieux amendement n° 256 rectifié bis…
Tant mieux, car il était inspiré par un préjugé.
L’amendement n° 257 rectifié bis participe du souhait de la droite de faire supporter la totalité du coût de l’expertise au budget de fonctionnement du CHSCT, ce qui priverait celui-ci de toute ressource : cela conduirait à sa mort douce…
Par ailleurs, il n’est pas possible de préjuger du montant des frais d’expertise par décret. On ne peut pas prévoir les problèmes qui peuvent surgir. Un décret peut éventuellement fixer les catégories de dépenses prises en charge, mais pas les montants.
Nous sommes donc opposés à cet amendement. Adopter de telles dispositions n’enrichirait pas le texte, monsieur le rapporteur ; cela l’appauvrirait et appauvrirait des instances nécessaires à la vie de l’entreprise.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement est adopté.
L'amendement est adopté.
L’amendement n° 385, présenté par M. Desessard, Mmes Archimbaud, Benbassa, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Gattolin, Labbé et Poher, est ainsi libellé :
Alinéa 15, première phrase
Supprimer les mots :
le coût prévisionnel de l’expertise tel qu’il ressort, le cas échéant, du devis,
La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Cet amendement vise à supprimer la voie de contestation en la forme des référés du coût prévisionnel de l’expertise demandée par le CHSCT.
Il semble illogique d’introduire une possibilité de contestation a priori du coût prévisionnel à un stade où, par définition, ce coût ne peut être connu avec certitude, même à l’aide d’un devis. Ce coût est en effet fonction des travaux qui seront, in fine, réalisés par l’expert. Seule la contestation portant sur le bien-fondé et les modalités de l’expertise paraît pertinente à ce stade.
Il est à craindre, selon nous, que la contestation pour ce motif ne soit détournée de son but et qu’il y soit recouru à des fins dilatoires ou comme substitut à une contestation sur le fondement d’autres motifs. Il semble donc pertinent de supprimer cette possibilité et de conserver uniquement celle, prévue à l’alinéa 18 de l’article, de contester le coût final de l’expertise.
Loin de moi l’intention de polémiquer, mes chers collègues, mais à quelle petite entreprise voudrait-on imposer systématiquement de faire établir trois devis ? Est-il logique de prendre une telle mesure pour les CHSCT ?
La commission est défavorable à cet amendement, qui vise à supprimer la possibilité de contestation a priori du coût prévisionnel, telle qu’elle est prévue dans le texte du Gouvernement. Or cette disposition est aussi destinée protéger l’expert. En effet, si l’on ne maintient que la contestation a posteriori, l’expert pourra être obligé, le cas échéant, de rembourser à l’employeur l’intégralité des sommes perçues. Mieux vaut prévenir que guérir !
Quant aux trois devis, je puis vous assurer, en tant que maire d’une commune de 500 habitants, qu’une secrétaire de mairie peut très bien les demander rapidement, ce qui permet ensuite d’opérer des choix efficients. Je ne pense donc pas que cela représente un drame pour une TPE.
L’avis est également défavorable. Il est préférable que le coût soit réajusté en amont, avant que l’expertise ne soit terminée. Cela permet d’éviter un contentieux. C’est pourquoi il faut maintenir la possibilité de contestation a priori.
Monsieur le rapporteur, que je sache, les CHSCT ne sont pas encore soumis au code des marchés publics…
Le CHSCT s’occupe de prévention. Il joue dans ce domaine un rôle essentiel, au bénéfice tant de l’employeur que des salariés, et lorsqu’il commande une expertise, c’est qu’il y a danger. Mettre à la charge du CHSCT les frais d’expertise entraînerait à terme la mort du comité d’entreprise. Je rappelle que c’est celui-ci qui vote la demande d’expertise, en présence de l’employeur et des représentants syndicaux. Pour qu’une telle demande soit formulée, il faut qu’un véritable problème de fond relatif aux conditions de travail se pose : les salariés peuvent être menacés d’un péril et l’employeur risquer gros. Tout cela s’inscrit dans le cadre de la prévention et du dialogue social.
L'amendement n'est pas adopté.
L’amendement n° 672, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 15, première phrase
Remplacer le mot :
quinze
par le mot :
cinq
La parole est à Mme Annie David.
Vous l’aurez compris, il s’agit d’un amendement de repli. Puisque nous n’avons pas obtenu la suppression de cet article, nous proposons, à tout le moins, de ramener de quinze à cinq jours, à compter de la délibération du CHSCT, le délai dont dispose l’employeur pour contester la nécessité de l’expertise, la désignation de l’expert ou le coût prévisionnel de l’expertise.
Un délai de quinze jours est en effet trop long : dans la mesure où le juge a dix jours pour rendre son avis, le début de l’expertise se trouve renvoyé à vingt-cinq jours, la contestation de l’entrepreneur étant suspensive. Cela n’est pas acceptable, dans la mesure où, comme l’a dit à l’instant Mme Yonnet, les expertises menées à la demande du CHSCT intéressent très souvent la santé des salariés. Dès lors, il nous semble important, pour la santé des salariés comme pour celle de l’entreprise, que ces expertises puissent être conduites le plus rapidement possible et dans les meilleures conditions.
La commission a estimé qu’un délai de cinq jours était un peu court pour permettre une saisine élaborée et argumentée, et souhaite maintenir un délai de quinze jours. L’avis est donc défavorable.
Je sais, madame Yonnet, que vous connaissez très bien l’univers des comités d’entreprise et des CHSCT, pour avoir vous-même siégé dans ces instances. J’ai bien conscience que le cadre n’est pas le même que pour les collectivités locales. Quoi qu’il en soit, la mesure que nous préconisons est simplement de bonne gestion. Franchement, il n’est pas sorcier de faire établir trois devis !
Par ailleurs, on constate très régulièrement que les budgets de fonctionnement des comités d’entreprise sont en excédent. Certes, il existe une fongibilité partielle au profit des œuvres sociales, mais pourquoi ne pas prévoir, symboliquement, la possibilité d’une participation aux frais d’expertise ? Il s’agit, en quelque sorte, d’appliquer à tous un principe de responsabilité. L’idée est non pas de stigmatiser quiconque, mais de favoriser une prise de conscience.
L'amendement n'est pas adopté.
L’amendement n° 670, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 15, dernière phrase
Remplacer cette phrase par cinq phrases ainsi rédigées :
Lorsque la désignation de l’expert est prise en application de l’article du 1° de L. 4614-12, le juge statue dans les dix jours suivant sa saisine, en première instance, en appel et devant la Cour de cassation. Les délais pour interjeter appel et former un pourvoi en cassation sont fixés à huit jours. À défaut de décision rendue à l’issue de ces délais, la désignation de l’expert est réputée admise par le juge. Les travaux réalisés par l’expert antérieurement à l’annulation de la délibération du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail sont, le cas échéant, à la charge de l’employeur. Lorsque la désignation de l’expert est prise en application du 2° de l’article L. 4614-12, la saisine suspend l’exécution de la décision du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de l’instance de coordination visée à l’article L. 4616-1, ainsi que les délais dans lesquels il est consulté en application de l’article L. 4612-8 jusqu’à ce qu’une décision définitive soit notifiée aux parties.
II. – Alinéa 16
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
L’article 17 modifie les règles relatives au recours à une expertise par un CHSCT.
En effet, à la suite de la censure du Conseil constitutionnel, il appartient au législateur de prévoir de nouvelles règles plus conformes à la lettre et à l’esprit de la Constitution, afin d’éviter l’apparition d’un vide juridique à compter du 1er janvier prochain.
Pour autant, la réécriture proposée au travers du présent article ne nous satisfait pas, car elle n’écarte pas le risque, pour les cabinets d’expertise en santé au travail, de devoir rembourser le montant de leurs interventions à l’issue d’une procédure judiciaire.
Par ailleurs, nous considérons qu’il est impératif que l’expert puisse commencer sa mission sans délai en cas de risque grave pour la santé et la sécurité des salariés. Il peut ainsi, dans les cas les plus graves – installations dangereuses, salariés en grande détresse psychologique… –, alerter le médecin du travail, l’inspection du travail ou encore les représentants du personnel, pour qu’ils interviennent en urgence.
Nous proposons donc de revenir sur le caractère suspensif du recours introduit par l’employeur dans ces cas les plus graves et de laisser à la charge de l’employeur le coût des travaux réalisés dans le court intervalle précédant la décision judiciaire.
La commission, qui a récrit en partie l’article 17, est restée constante et a émis un avis défavorable. La position du groupe CRC a sa cohérence, celle de la commission a la sienne.
L'amendement n'est pas adopté.
L’amendement n° 671, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéas 17 et 18
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Éric Bocquet.
Nous proposons de réduire de quinze à sept jours le délai durant lequel l’employeur peut contester le recours à un expert ou les honoraires de celui-ci.
En effet, la contestation des honoraires est parfois utilisée comme un moyen de reporter l’expertise, voire de la rendre inopérante. C’est notamment le cas quand le recours à l’expert est justifié par l’examen d’un projet de l’entreprise ou par la nécessaire présentation des comptes, dans un contexte de négociation ou d’évolutions au sein de l’entreprise.
En plus de rendre difficile l’accès aux documents, l’employeur peut ainsi agir en justice pour contester les honoraires, compliquant d’autant la tâche de l’expert. Il nous semble que l’employeur peut décider plus rapidement s’il souhaite contester les frais d’honoraires ou le choix de l’expert.
Ramener le délai à sept jours permettrait de sécuriser l’activité de l’expert, et ainsi de garantir l’effectivité de son rôle auprès des salariés – rôle primordial s’il en est puisqu’il s’agit de réduire les asymétries d’information entre les salariés élus au comité d’entreprise ou au CHSCT et la direction.
La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement. Il a en effet pour objet de supprimer la mesure sans doute la plus importante de l’article 17. Nous avons déjà eu ce débat : vous êtes fidèles à votre logique, la commission l’est à la sienne.
L’avis est également défavorable. Cet amendement repose, à mon sens, sur une mauvaise interprétation du texte : la contestation du coût final de l’expertise ne bloquera pas les procédures, car elle intervient a posteriori, une fois l’expertise réalisée. Cet encadrement par un délai de quinze jours est souhaité par tous les praticiens. À leurs yeux, c’est une sécurité pour les experts qui appuient le CHSCT. Par ailleurs, il est faux de dire que l’employeur n’a pas besoin de temps pour prendre sa décision.
L'amendement n'est pas adopté.
Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 310 rectifié est présenté par M. Marie, Mme Bricq, MM. Guillaume et Caffet, Mmes Campion et Claireaux, MM. Daudigny et Durain, Mmes Emery-Dumas, Féret et Génisson, MM. Godefroy, Jeansannetas et Labazée, Mmes Meunier, Riocreux et Schillinger, MM. Tourenne et Vergoz, Mme Yonnet, MM. Anziani et Masseret, Mme Tocqueville et les membres du groupe socialiste et républicain.
L'amendement n° 386 est présenté par M. Desessard, Mmes Archimbaud, Benbassa, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Gattolin, Labbé et Poher.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 19 et 20
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Nicole Bricq, pour présenter l'amendement n° 310 rectifié.
Notre collègue Didier Marie nous a convaincus de l’intérêt de cet amendement, conforme à la position constante du groupe socialiste et républicain du Sénat sur les CHSCT.
L’année dernière, lors de la discussion du projet de loi relatif au dialogue social, nous avions accepté la délégation unique du personnel, ou DUP, pour les entreprises comptant jusqu’à 300 salariés, dans la mesure où chaque instance –comité d’entreprise et CHSCT – gardait sa capacité pleine et entière en son sein. Le ministre du travail de l’époque, François Rebsamen, avait accédé à cette demande.
Nous voulons insister sur le fait que comité d’entreprise et CHSCT sont deux instances distinctes disposant chacune de la personnalité morale. Nous considérons que le budget du comité d’entreprise doit subvenir spécifiquement aux besoins propres de celui-ci.
Si les alinéas 19 et 20 du texte de la commission étaient adoptés en l’état, cela induirait une confusion dans les rôles et les responsabilités de chacune des instances. On sait très bien que les budgets des comités d’entreprise sont consommés en totalité ou presque. Ceux-ci ne disposent donc pas des moyens de supporter les frais des expertises demandées par les CHSCT. Si les dispositions des alinéas 19 et 20 étaient adoptées, cela aurait pour effet d’inciter les employeurs à refuser de payer les expertises, pour laisser cette charge aux comités d’entreprise.
La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour présenter l'amendement n° 386.
Nous sommes assez surpris de la construction juridique que les alinéas 19 et 20 de l’article semblent mettre en œuvre.
Le comité d’entreprise et le CHSCT sont deux instances distinctes, aux vocations profondément différentes. Sauf erreur de ma part, elles disposent chacune de la personnalité morale. Les comités d’entreprise ont pour mission essentielle de financer des activités sociales et culturelles au bénéfice des salariés, les CHSCT de protéger la sécurité et la santé de ceux-ci.
Dès lors que ces instances sont distinctes et que chacune a sa vocation spécifique – même si toutes deux exercent leur action au bénéfice des salariés –, nous ne comprenons pas pourquoi il faudrait instaurer une sorte de fongibilité entre leurs budgets, au risque de mettre en péril l’une ou l’autre, voire les deux. Un tel dispositif est de nature à faire naître les soupçons…
La commission a émis un avis défavorable. Cela étant, nous pourrions peut-être préconiser l’adoption de ces amendements, qui sont en fait de coordination avec l’amendement du groupe Les Républicains prévoyant une participation obligatoire du comité d’entreprise aux frais d’expertise que nous avons adopté précédemment… Dès lors que l’on a instauré une telle participation obligatoire, on peut supprimer la participation facultative !
À titre personnel, j’émets donc un avis favorable. C’est un gage de notre ouverture !
Mme Catherine Deroche rit.
Le Gouvernement émet un avis défavorable.
Je comprends tout à fait la préoccupation des auteurs de ces amendements de protéger l’autonomie des comités d’entreprise et surtout d’éviter que l’on porte atteinte aux moyens dont ils disposent, mais je pense qu’ils peuvent être complètement rassurés à cet égard.
Le dispositif prévu ne changera absolument rien aux attributions respectives du comité d’entreprise et du CHSCT : ils resteront deux instances séparées, avec chacune ses prérogatives. L’article 17 ne modifie qu’un point précis, s’agissant des conséquences en cas d’annulation d’une expertise du CHSCT, pour prendre en compte la jurisprudence du Conseil constitutionnel déjà évoquée. Il est en effet prévu que le comité d’entreprise pourra, s’il le souhaite, se porter garant à l’égard du cabinet d’experts en cas d’annulation de l’expertise. Nous avons discuté de cette possibilité avec les professionnels du secteur et les partenaires sociaux – il me semble important de le préciser. Il s’agit de permettre au CHSCT de bénéficier d’une expertise même dans le cas où le cabinet d’experts souhaiterait des garanties.
Absolument rien ne pourra être imposé au comité d’entreprise : c’est un point fondamental. S’il est d’accord pour se porter garant, il devra l’indiquer d’emblée, dès la commande de l’expertise. Sinon, comme le prévoit la loi, c'est le cabinet d’experts qui prendra en charge les conséquences financières de l’annulation de celle-ci. L’employeur ne pourra pas contraindre le comité d’entreprise ou faire pression sur lui, car il n’a pas de droit de regard sur la manière dont ce dernier utilise son budget.
Il s’agit en quelque sorte de créer une soupape de sécurité, à la demande des partenaires sociaux et des professionnels du secteur.
En ce qui nous concerne, nous voterons ces amendements. Il est nécessaire de bien séparer les budgets du comité d’entreprise et du CHSCT. Tout mettre dans un pot commun est une vieille demande de certains employeurs, qui aimeraient que l’argent ne soit utilisé que pour financer des activités sociales et culturelles et qu’il n’y en ait plus, par conséquent, pour payer des expertises portant par exemple sur un plan de sauvegarde de l’emploi ou sur les conditions de fonctionnement de l’entreprise. Le comité d’entreprise et le CHSCT sont deux entités juridiques distinctes, ayant des vocations différentes : il est nécessaire de maintenir deux budgets séparés.
M. le rapporteur a fait un peu de provocation…
… en appelant à voter ces amendements, la commission ayant déjà fait adopter le principe d’une participation obligatoire du comité d’entreprise aux frais d’expertise, à laquelle nous ne serons jamais favorables !
Mme Nicole Bricq. M. le rapporteur a lancé un hameçon, mais le poisson ne mord pas si facilement, surtout si c’est un poisson femelle !
Sourires.
J’avais bien noté, madame la ministre, que nos collègues députés avaient accepté cette modification dans la mesure où il s’agissait d’une simple faculté, d’une voie de recours le cas échéant. Néanmoins, je voulais rappeler notre attachement à la spécificité de ces instances, comme nous l’avions fait l’année dernière.
Cela étant dit, je retire l’amendement.
L'amendement n° 310 rectifié est retiré.
La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote sur l’amendement n° 386.
Les arguments de Mme la ministre ne m’ont pas convaincue à 100 %. Nous maintenons donc notre amendement, car, selon nous, s’engager dans la voie de la fongibilité des budgets ou des structures n’est pas positif.
L'amendement est adopté.
L'article 17 est adopté.
(Non modifié)
Après le 2° de l’article L. 4612-1 du code du travail, il est inséré un 2° bis ainsi rédigé :
« 2° bis De contribuer à l’adaptation et à l’aménagement des postes de travail afin de faciliter l’accès des personnes handicapées à tous les emplois et de favoriser leur maintien dans l’emploi au cours de leur vie professionnelle ; ».
L’article 17 bis, issu de l’adoption d’un amendement déposé par un groupe de députés socialistes et repris par le Gouvernement dans le cadre du 493, a une apparence sympathique, bien qu’inséré dans un texte qui, pour l’essentiel, n’a pas grand-chose de progressiste…
Cependant, le sujet évoqué ici, à savoir une instance représentative du personnel particulièrement maltraitée, le CHSCT, et la question récurrente, dont le traitement est loin d’être idéal, de l’emploi des travailleurs handicapés, mérite toute notre attention.
Demander au CHSCT de s’occuper de la problématique des travailleurs handicapés, de leur place dans l’entreprise, de leur maintien dans l’emploi, de l’adaptation éventuelle de leur poste de travail, relève un peu d’une tautologie. Au mieux, c’est l’expression de la louable intention de parlementaires préoccupés par le décalage croissant entre handicap et vie professionnelle « normale ». Au pire, c’est la traduction d’une volonté de dédouaner par avance les entreprises qui ne respectent pas les critères, pourtant de plus en plus souples, fixés en la matière.
En novembre 2014, s’appuyant sur des statistiques de 2012, la DARES a mis en évidence une dégradation globale de l’accès des travailleurs handicapés à l’emploi. On pourrait citer un certain nombre de chiffres à ce sujet.
Le pourcentage d’établissements accueillant effectivement des travailleurs handicapés tend à se réduire : il s’élève au total à 37 %, entre établissements sous accord spécifique et établissements sans accord, tandis que 22 % des établissements se contentent de payer la contribution à l’AGEFIPH, l’Association de gestion des fonds pour l’insertion des personnes handicapées, ou de sous-traiter quelques activités au secteur dit protégé, c'est-à-dire les établissements et services d’aide par le travail, ou ESAT ; enfin, 40 % des établissements combinent emplois directs, en nombre insuffisant, contribution financière et appel à la sous-traitance aux établissements spécialisés.
Cette situation n’est pas admissible du point de vue de la lutte contre les discriminations. C'est pourquoi nous pouvons légitimement craindre que, avec le dispositif de cet article, le compte n’y soit pas, ne serait-ce que parce que l’inversion de la hiérarchie des normes, instaurée au travers de l’article 2, pèsera aussi sur les conditions d’exercice du droit aux horaires individualisés.
Nous ne nous opposerons bien évidemment pas à cet article, mais nous ne sommes pas dupes quant à la réalité de sa portée.
L'article 17 bis est adopté.
I. – L’article L. 2325-43 du code du travail est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Le comité d’entreprise peut décider, par une délibération, de consacrer une partie de son budget de fonctionnement au financement de la formation des délégués du personnel et des délégués syndicaux de l’entreprise.
« Cette somme et ses modalités d’utilisation sont inscrites, d’une part, dans les comptes annuels du comité d’entreprise ou, le cas échéant, dans les documents mentionnés à l’article L. 2325-46 et, d’autre part, dans le rapport mentionné à l’article L. 2325-50. »
II. – Le chapitre II du titre Ier du livre II de la deuxième partie du même code est ainsi rétabli :
« CHAPITRE II
« Formation des acteurs de la négociation collective
« Art. L. 2212 -1. – Les salariés et les employeurs ou leurs représentants peuvent bénéficier de formations communes visant à améliorer les pratiques du dialogue social dans les entreprises, dispensées par les centres, instituts ou organismes de formation agréés par le ministre du travail. Ces formations peuvent être suivies par des magistrats judiciaires ou administratifs et par d’autres agents de la fonction publique.
« Ces formations peuvent être en tout ou partie financées par les crédits du fonds prévu à l’article L. 2135-9.
« Les conditions d’application du présent article sont prévues par décret en Conseil d’État.
« Art. L. 2212 -2. – Des conventions ou des accords collectifs d’entreprise ou de branche peuvent définir :
« 1° Le contenu des formations communes prévues à l’article L. 2212-1 et les conditions dans lesquelles elles sont dispensées ;
« 2° Les modalités de leur financement, pour couvrir les frais pédagogiques, les dépenses d’indemnisation et les frais de déplacement et d’hébergement des stagiaires et animateurs. »
III. – Au 3° de l’article L. 2135-11 du même code, les mots : « ainsi que » sont remplacés par le signe : «, » et, après les mots : « du présent article », sont insérés les mots : « ainsi que les formations communes mentionnées à l’article L. 2212-1 ».
IV. – Le titre IV du livre Ier de la deuxième partie du même code est ainsi modifié :
1° Au début de l’intitulé du chapitre V, sont ajoutés les mots : « Congés et » ;
2° Est insérée une section 1 intitulée : « Formation économique, sociale et syndicale » et comprenant les articles L. 2145-1 à L. 2145-4 ;
3° Est ajoutée une section 2 intitulée : « Congés de formation économique, sociale et syndicale » et comprenant les articles L. 3142-7 à L. 3142-15, qui deviennent les articles L. 2145-5 à L. 2145-13.
IV bis (nouveau). – L’intitulé de la troisième sous-section de la section 1 du chapitre II du titre IV du livre Ier de la troisième partie du même code est supprimé.
V. – Au second alinéa de l’article L. 1232-12, à la fin du premier alinéa de l’article L. 2145-1, à la fin de la première phrase du premier alinéa et à la dernière phrase du deuxième alinéa de l’article L. 2325-44 et à la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 3341-3 du même code, la référence : « L. 3142-7 » est remplacée par la référence : « L. 2145-5 ».
VI. – Au second alinéa de l’article L. 1232-12 et à l’avant-dernier alinéa de l’article L. 1442-2 du même code, la référence : « L. 3142-12 » est remplacée par la référence : « L. 2145-10 ».
VII. – À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 2325-44 et à l’article L. 3341-2 du même code, la référence : « L. 3142-13 » est remplacée par la référence : « L. 2145-11 ».
VIII. – Au second alinéa de l’article L. 1232-12 du même code, les références : «, L. 3142-14 et L. 3142-15 » sont remplacées par la référence : « et L. 2145-12 ».
Le comité d’entreprise consacre une partie de son budget de fonctionnement au financement de la formation des délégués du personnel et des délégués syndicaux de l’entreprise.
L’article 18 prévoit des formations communes au bénéfice des salariés et des employeurs, ainsi que de leurs représentants, mais aussi des magistrats judiciaires ou administratifs et des fonctionnaires.
En ouvrant le financement des formations au fonds de financement des organisations professionnelles et syndicales, le Gouvernement essaye de gommer les potentielles contradictions entre salariés et employeurs.
La vision du dialogue social selon laquelle salariés et employeurs avancent main dans la main relève de la fiction d’un monde consensuel où les intérêts seraient toujours convergents…
Le fait même qu’existe un code du travail montre bien que les rapports entre employeurs et salariés sont foncièrement inégaux, et que les rapports de domination se dissimulent parfois derrière la façade de l’égalité juridique des contractants.
Cette situation conduit les salariés à défendre des intérêts qui sont antagoniques de ceux des employeurs. Dans ce contexte, nous nous méfions de l’utilisation de certains vocables, tels que « partenaires sociaux » ou « dialogue social », qui tend à gommer la réalité des rapports, souvent divergents, entre employeurs et employés.
Organiser des formations communes aux salariés et aux employeurs apparaît, dès lors, quelque peu illusoire.
L'amendement n° 53, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Dominique Watrin.
Créés par l’ordonnance du 22 février 1945 et la loi du 16 mai 1946, dans un contexte d’ébullition collective où le progrès social était le leitmotiv des politiques de l’emploi, les comités d’entreprise jouent un rôle qu’il convient de rappeler : leur mission, sociale, politique et culturelle, est d’assurer l’expression collective des salariés et la prise en compte de leurs intérêts dans la gestion de l’entreprise.
Au regard de la définition que donne la loi de ces missions, je ne peux que m’étonner du contenu de l’article 18. Vouloir financer la formation des délégués du personnel et des délégués syndicaux via le budget du comité d’entreprise créerait un mélange des rôles, en donnant aux comités d’entreprise une mission qui ne leur incombe pas.
Surtout, l’article 18 prévoit l’organisation de formations communes aux salariés et aux employeurs visant à « améliorer les pratiques du dialogue social ».
Sur la forme, je m’étonne de voir inscrire dans le code du travail cette formulation tout à fait subjective, donnant à entendre qu’il existerait de « bonnes » et de « mauvaises » pratiques du dialogue social, ces dernières étant sans doute celles des salariés qui refusent d’être des béni-oui-oui…
Sur le fond, il est clair que ces formations pourraient être utilisées par les directions d’entreprise comme un moyen stratégique d’influer sur de futures négociations. Encore une fois, on mélange les genres !
Différents outils existent aujourd’hui pour assurer la formation des salariés, y compris sur leurs droits dans l’entreprise. Cet article remet en cause la légitimité d’outils de formation existants ; j’aurais préféré qu’un projet de loi présenté par un gouvernement de gauche les renforce…
Pour toutes ces raisons, nous demandons, mes chers collègues, la suppression de cet article.
Cet amendement vise à supprimer purement et simplement l’article 18, qui prévoit, d’une part, la possibilité de financer la formation des délégués du personnel et des délégués syndicaux par le biais du budget de fonctionnement du comité d’entreprise, et, d’autre part, la possibilité d’organiser des formations communes aux salariés et aux employeurs. Selon l’exposé des motifs de l’amendement, cela reviendrait à nier les intérêts antagonistes des salariés et des employeurs. À défaut de favoriser la convergence des intérêts des uns et des autres, ces formations auront peut-être le mérite de leur permettre de mieux se comprendre. De ce point de vue, il n’est sans doute pas inintéressant de permettre leur mise en place. Encore une fois, il s’agira d’une simple faculté.
La commission est défavorable à cet amendement de suppression de l’article.
Le Gouvernement émet également un avis défavorable.
Les trente premières pages du rapport Combrexelle traitent de la formation et de la culture du dialogue social. Monsieur le sénateur, je n’ai absolument pas la même vision que vous de ces formations communes aux salariés et aux employeurs. La matière des négociations est de plus en plus technique. Il me paraît important d’assurer des formations portant sur les sujets de discussion, par exemple la gestion prévisionnelle des compétences ou l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Par exemple, on voit bien que, dans notre pays, les managers manquent de culture du dialogue social. Organiser des formations communes dans ce domaine constituera à mes yeux un véritable progrès à cet égard. Il me semble essentiel que nous puissions avancer sur ce sujet, notamment en termes d’attractivité. Si nous n’arrivons pas à former les jeunes, qu’ils soient du côté des employeurs ou de celui des représentants syndicaux, à la culture du dialogue social, nous n’arriverons pas à progresser.
L’article 18 comporte deux innovations : la possibilité, pour le comité d’entreprise, d’utiliser sa subvention de fonctionnement pour renforcer la formation des délégués du personnel et des délégués syndicaux ; celle d’organiser des formations communes aux représentants syndicaux et aux représentants patronaux.
Je puis vous assurer, monsieur Watrin, que votre vision n’est pas partagée par l’ensemble des partenaires sociaux, dont beaucoup considèrent que ces formations communes seront un « plus », tant pour les managers que pour les syndicalistes.
Supprimer cet article reviendrait, de mon point de vue, à priver les syndicats de moyens de mieux se préparer aux négociations et de peser davantage sur les décisions.
Je mets aux voix l'amendement n° 53.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 359 :
Le Sénat n'a pas adopté.
Je suis saisie de trois amendements identiques.
L'amendement n° 244 rectifié est présenté par MM. Cadic, Canevet, Bockel, Delahaye, Guerriau, Longeot et Pozzo di Borgo.
L'amendement n° 311 est présenté par MM. Labazée, Durain, Cabanel et Montaugé, Mmes Jourda, Lienemann et Bricq, MM. Guillaume et Caffet, Mmes Campion et Claireaux, M. Daudigny, Mmes Emery-Dumas, Féret et Génisson, MM. Godefroy et Jeansannetas, Mmes Meunier, Riocreux et Schillinger, MM. Tourenne et Vergoz, Mme Yonnet et les membres du groupe socialiste et républicain.
L'amendement n° 675 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 1 à 3
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Michel Canevet, pour présenter l'amendement n° 244 rectifié.
L’article 18 prévoit d’ouvrir au comité d’entreprise la possibilité de consacrer une partie de son budget de fonctionnement au financement de la formation des délégués du personnel et des délégués syndicaux. Cette disposition ne semble ni raisonnable ni justifiée : c'est pourquoi notre amendement prévoit la suppression des trois premiers alinéas de l’article.
Nous estimons que le comité d’entreprise a vocation à financer l’action culturelle et sociale, et pas la formation des représentants syndicaux. D’autres dispositions figurant plus loin dans le texte ont cet objet. En outre, il existe, dans les entreprises, des plans de formation destinés à financer les actions que l’entreprise et ses acteurs considèrent comme prioritaires.
Le budget du comité d’entreprise doit servir d’abord et avant tout à financer l’action sociale et culturelle, au bénéfice de l’ensemble des salariés. Chercher à le transformer en outil de financement de la formation des représentants du personnel reviendrait, selon nous, à détourner cette instance de sa mission, et probablement à en amoindrir l’efficacité. Cela ouvrirait en outre la voie à d’inévitables conflits d’intérêts.
Madame la ministre, chers collègues, ne l’oublions pas : l’esprit de ce texte est de simplifier le code du travail, de fluidifier la vie dans l’entreprise.
Fluidifier la vie dans l’entreprise, c’est favoriser l’investissement, le développement de start-up en France, et finalement faire reculer le chômage. Nous considérons que le dispositif de ces trois alinéas n’est pas de nature à concourir à cet objectif. Il faut éviter que tout le monde s’occupe de tout et permettre à chaque instance de se concentrer sur la mission que la loi lui confie.
M. Olivier Cadic applaudit.
La parole est à M. Georges Labazée, pour présenter l'amendement n° 311.
Le texte prévoit des fonds spécifiquement destinés à financer la formation des délégués du personnel et des délégués syndicaux. Il n’est pas question, pour nous, que le budget de fonctionnement du comité d’entreprise soit détourné de sa vocation, à savoir financer l’action sociale, économique et culturelle.
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l'amendement n° 675.
Je fais miens les propos de notre collègue Canevet, qui a bien rappelé le rôle du comité d’entreprise.
J’ajouterai simplement que la formation des délégués du personnel et des délégués syndicaux de l’entreprise ne relève pas des compétences du comité d’entreprise. Il semble plus pertinent d’en rester au modèle d’un financement paritaire par le biais des cotisations.
Je rappelle que l’article L. 3142-7 du code du travail dispose déjà que les entreprises contribuent, à hauteur de 0, 08 % de leur masse salariale, au financement du congé de formation économique, sociale et syndicale des salariés. Nous ne voyons pas pourquoi on modifierait ce dispositif en sollicitant le budget du comité d’entreprise.
Ces trois amendements, bien qu’identiques, relèvent de sources et de logiques différentes.
La commission souhaite, avant de se prononcer, entendre l’avis du Gouvernement.
MM. Canevet et Cadic craignent, pour parler crûment, que l’on ne branche un tuyau supplémentaire pour le financement des structures syndicales. Nous avons tous en tête des rapports non publiés, notamment celui de Nicolas Perruchot, qui attiraient l’attention sur les dysfonctionnements de ce financement.
Si je comprends cette préoccupation, j’ai aussi envie de faire confiance aux acteurs de terrain. L’article, qui s’inscrit un peu dans une logique de subsidiarité, prévoit non une obligation, mais une simple faculté. On le sait, les budgets de fonctionnement des comités d’entreprise sont souvent excédentaires, ce qui peut éventuellement permettre d’instaurer la souplesse prévue.
Je peux comprendre les inquiétudes des auteurs des amendements, mais les alinéas 1 à 3 de l’article 18 ouvrent une simple possibilité au comité d’entreprise, sans rien lui imposer. La formation des délégués du personnel et des délégués syndicaux continuera de relever demain, comme c’est le cas aujourd'hui, du Fonds de financement du dialogue social.
Lors des concertations que j’ai menées avec les organisations syndicales, certaines d’entre elles m’ont suggéré la piste suivante : dans l’hypothèse où se manifesteraient des besoins nouveaux en matière de formation des délégués syndicaux et des délégués du personnel et où le budget de fonctionnement du comité d’entreprise serait en excédent – il s’agit bien du seul budget de fonctionnement, ce qui signifie que les moyens destinés au financement des œuvres sociales et culturelles ne seraient nullement affectés –, on pourrait ouvrir la possibilité au comité d’entreprise de consacrer, s’il le souhaite, une partie de ce dernier au renforcement du financement de cette formation.
Ces précisions étant apportées, j’émets, au nom du Gouvernement, un avis défavorable sur les trois amendements identiques.
Je mets aux voix les amendements identiques n° 244 rectifié, 311 et 675.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 360 :
Le Sénat n'a pas adopté.
L'amendement n° 677, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéas 7, première phrase, 11 et 13
Supprimer le mot :
communes
La parole est à Mme Annie David.
Contrairement à Mme la ministre, nous ne croyons pas du tout pertinent de mettre en place des formations communes réunissant employeurs et salariés, même si ces formations portent sur le dialogue social.
Pour nous, le dialogue social ne peut être de bonne tenue que si chacun est dans son rôle. On ne peut pas placer tous les acteurs sur le même pied, ni feindre d’oublier l’existence d’un lien de subordination ou la finalité du dialogue social, à savoir déboucher sur des accords prévoyant ou non d’attribuer certains droits aux salariés.
La commission, qui tient aux deux dispositifs prévus par l’article 18, a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Je vais, sans me faire trop d’illusions, tenter de convaincre les auteurs de cet amendement de l’utilité de ces formations communes.
La mission Combrexelle a étudié ce qui existait au Québec en matière de formations communes réunissant les employeurs et les représentants syndicaux. Je vous assure que nous avons beaucoup à apprendre d’autres pays en matière de méthodologie et de techniques de négociation. Bien sûr, chacun doit rester dans son rôle, mais il s’agit de passer d’une culture de l’affrontement à une culture du compromis, de parvenir à évaluer ensemble la situation économique et sociale, en conjuguant le point de vue de l’employeur et celui du syndicaliste.
Dans cette perspective, il serait vraiment dommage de rejeter en bloc les formations communes aux techniques de négociation, car elles sont de nature à faire avancer notre pays !
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 1013, présenté par MM. Lemoyne, Gabouty et Forissier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 7, première phrase
Remplacer les mots :
du travail
par les mots :
chargé du travail
II. – Alinéa 18
1° Après le mot :
intitulé
insérer les mots :
et la division
2° Remplacer les mots :
la troisième sous-section
par les mots :
la sous-section 3
3° Remplacer les mots :
est supprimé
par les mots :
sont supprimés
III. – Après l'alinéa 21
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
… – Au deuxième alinéa de l'article L. 2145-6 du même code, dans sa rédaction résultant du 3° du IV du présent article, la référence : « L. 3142-14 » est remplacée par la référence : « L. 2145-12 ».
La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur.
L’avis est défavorable, par cohérence avec la suppression, par la commission, de la compétence donnée à l’Institut national de travail, de l’emploi et de la formation professionnelle.
L'amendement est adopté.
Je suis saisie de trois amendements identiques.
L'amendement n° 170 rectifié bis est présenté par Mmes Meunier, Blondin, Lepage et Génisson, M. Courteau, Mmes Monier, Conway-Mouret, D. Michel, Féret et Yonnet, M. Vaugrenard, Mme Bataille, M. Kaltenbach, Mmes Emery-Dumas et Schillinger, M. Daudigny, Mme S. Robert, MM. Assouline et Durain, Mme Ghali, MM. Tourenne, Filleul, Néri et Godefroy, Mmes Tocqueville et Jourda, M. Carrère et Mmes Campion, Riocreux et Guillemot.
L'amendement n° 423 est présenté par Mme Bouchoux, M. Desessard, Mmes Archimbaud, Benbassa et Blandin et MM. Dantec, Gattolin, Labbé et Poher.
L'amendement n° 678 est présenté par Mme Cukierman, M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 7
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ces formations comportent une formation spécifique à la négociation sur l’égalité professionnelle.
La parole est à Mme Michelle Meunier, pour présenter l’amendement n° 170 rectifié bis.
Cet amendement a trait à la formation spécifique à la négociation sur l’égalité professionnelle.
En effet, malgré l’adoption de nombreuses mesures, au fil des textes, en faveur de l’égalité professionnelle, les inégalités entre les femmes et les hommes perdurent.
La négociation sur l’égalité professionnelle est un moyen privilégié de faire avancer cette cause et d’inscrire cette thématique parmi les préoccupations tant de l’entreprise que des partenaires sociaux.
Cependant, les négociateurs ne sont pas toujours formés à la spécificité de cette négociation et, de surcroît, sont souvent des hommes. Par conséquent, il nous semble nécessaire de leur dispenser une formation sur le thème de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Le présent projet de loi tend à accorder une place prépondérante à la négociation collective. Si celle-ci doit être développée, alors il convient de renforcer la formation des acteurs de la négociation, en particulier lorsque cette dernière porte sur des éléments essentiels de la relation de travail, comme le temps de travail.
Nous saluons la philosophie de l’article 18, en ce qu’il vise à renforcer la formation dont bénéficient les acteurs de la négociation collective.
Nous considérons cependant que le dispositif de cet article doit gagner en spécificité s’agissant de la négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. En effet, cette dernière constitue un moyen privilégié de faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes et d’inscrire cette thématique parmi les préoccupations essentielles de l’entreprise et des partenaires sociaux. Néanmoins, les négociateurs ne sont pas toujours formés à la spécificité de cette question.
Nous proposons donc de prévoir des formations spécifiques.
En dépit des diverses lois sur l’égalité professionnelle entre hommes et femmes votées depuis quarante ans, force est de constater que celle-ci est loin d’être atteinte ! Outre que les écarts de rémunération sont toujours aussi importants et la ségrégation professionnelle aussi marquée, cette dimension de l’égalité professionnelle continue d’être régulièrement attaquée !
Comment ne pas s’étonner et regretter que l’étude d’impact du projet de loi n’évoque pas les répercussions des dispositions de celui-ci sur l’emploi des femmes et que la délégation aux droits des femmes du Sénat n’ait pas été pleinement saisie ?
Madame la ministre, vous entendez, avec ce projet de loi, vivifier le dialogue social et donner tout leur rôle aux partenaires sociaux au sein des entreprises. Il nous paraît indispensable que l’article 18, relatif à la formation des acteurs de la négociation collective, intègre aussi la dimension de l’égalité professionnelle.
Cet oubli, ou cette absence de précision, nous semble particulièrement dommageable, surtout quand on sait que la majorité des négociateurs sont des hommes. Si l’on souhaite faire progresser l’égalité professionnelle, il est, à nos yeux, essentiel que des formations spécifiques soient consacrées à cette question.
Les négociateurs doivent être sensibilisés à cette thématique et armés pour être capables de défendre des mesures permettant d’atteindre l’égalité professionnelle entre hommes et femmes, notamment en matière de suppression des écarts de rémunération, d’accès à l’emploi, de mixité des emplois, de déroulement de carrières, de mise en place des temps partiels.
La vie des entreprises, à l’image de la société, est souvent marquée par des stéréotypes assez tenaces. C’est par des actions volontaristes et une prise de conscience que l’égalité pourra, selon nous, progresser.
Dispenser des formations spécifiques relève de cet objectif. Nous sommes convaincus que vous serez d’accord avec nous sur ce point, madame la ministre, et que vous émettrez un avis favorable sur cet amendement !
La commission a émis un avis défavorable. Il ne s’agit pas pour elle de faire de la peine aux auteurs des amendements, mais il faut se référer au texte que l’on modifie. Celui-ci, de caractère très général, permet de viser des formations communes dispensées dans des instituts agréés et destinées à améliorer les pratiques du dialogue social dans les entreprises.
Je pense que, parmi ces formations, certaines auront naturellement pour thème l’égalité professionnelle. Mais si l’on mentionne expressément cette dernière, il faudra faire de même pour les salaires, les conditions de travail, la santé des salariés… Quantité de sujets de négociation et de causes chères aux salariés mériteraient également de figurer dans la rédaction de l’article 18. L’avis défavorable de la commission ne constitue nullement un manque de considération pour le chantier de l’égalité professionnelle.
Par ailleurs, depuis le début de l’examen de ce projet de loi dans l’hémicycle, nous avons adopté un certain nombre d’articles visant à conforter l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Je pense notamment à la consécration législative, hier, du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle, le CSEP, à l’enrichissement de la base de données, qui devra désormais comporter des éléments statistiques sur la parité dans les conseils d’administration, aux articles 1er bis, 1er ter, 1er quater et 1er quinquies, menacés par des amendements de suppression que nous avons repoussés.
Bref, notre assemblée ne peut pas être soupçonnée d’avoir voulu porter un mauvais coup à la cause de l’égalité professionnelle : bien au contraire, nous avons accompli un certain nombre de pas pour la promouvoir.
En réalité, si nous adoptions ces amendements identiques, nombre d’autres causes se trouveraient laissées de côté ! Je pense donc que nous devons nous en tenir à la rédaction actuelle de l’alinéa 7. Nous avons adopté de très nombreux amendements allant dans le sens de la promotion de l’égalité professionnelle.
Je partage tout à fait l’intention des auteurs de ces amendements identiques.
On sait toute la difficulté d’atteindre l’égalité professionnelle. Le CSEP lance une formation sur la question des classifications destinée aux négociateurs au niveau des branches. Il faut bien évidemment développer ce type de mesures.
Cela étant, dans le modèle québécois, auquel j’ai fait référence tout à l’heure, la négociation est enseignée comme une méthode, une technique, chacun étant laissé libre de ses options, qu’elles soient syndicales ou d’ordre thématique.
Je trouve très bien d’intégrer des formations sur l’égalité professionnelle au sein des formations communes, mais le fait que les auteurs des amendements veuillent leur donner un caractère systématique m’amène à m’en remettre à la sagesse du Sénat, plutôt que d’émettre un avis favorable, comme je serais pourtant a priori tentée de le faire…
M. le rapporteur nous a expliqué que, à d’autres articles du texte, nous avons pris des mesures de nature à tendre vers l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, qui pour l’heure n’existe toujours pas.
C’est précisément pour cette raison que nous devons, par cohérence, adopter ces amendements, quitte à en récrire le dispositif à la marge au cours de la navette. La négociation sur les salaires fait déjà partie de la culture des syndicats, mais tel n’est pas le cas de celle sur l’égalité professionnelle. Il convient donc de prévoir des formations spécifiques sur ce sujet.
Je remercie Mme la ministre d’avoir émis un avis de sagesse. La loi Roudy a été votée en 1983. Force est de constater que, depuis cette date, en dépit du vote de moult lois, la situation n’a pas tant évolué que cela.
L’inégalité salariale entre hommes et femmes, qui est une réalité, résulte de l’inégalité professionnelle, de la discrimination à l’embauche, à la promotion…
Pour faire un bon diagnostic, il faut des gens bien formés. Le sujet de l’égalité professionnelle doit, à mon sens, être obligatoirement inscrit au programme de la formation de celles et ceux qui négocient. Je conclurai sur une note d’humour : peut-être un jour de telles dispositions protégeront-elles la gent masculine !
Sourires.
M. Didier Guillaume. J’ai bien écouté M. le rapporteur. Il a émis, au nom de la commission, un avis défavorable, mais, au fond de lui-même, il aurait aimé émettre un avis de sagesse.
Sourires.
J’ai bien écouté Mme la ministre. Elle a émis un avis de sagesse, mais, au fond d’elle-même, elle aurait aimé émettre un avis favorable.
Sur un tel sujet, mes chers collègues, nous devons donner aujourd'hui un signal. Il s’agit d’un combat de première importance, mené notamment par la délégation aux droits des femmes du Sénat. Les discriminations demeurent fortes, notamment en matière de salaires ou à l’embauche.
C’est pourquoi je pense qu’il serait bon que, dans sa grande sagesse, le Sénat adopte ces amendements. Nous verrons ce qu’il adviendra au cours de la navette, mais il y a des symboles importants. Montrons clairement que, pour la Haute Assemblée, l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes est un enjeu essentiel !
Je ne peux que souscrire aux remarques qui viennent d’être formulées à l’appui de ces amendements.
Voilà des mois que nous débattons et échangeons au Sénat sur le thème de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Malgré les lois successives, des inégalités professionnelles extrêmement importantes perdurent. Il est vrai que l’on attend aussi de la Haute Assemblée qu’elle adresse des signaux politiques. En émettre un aujourd'hui pour signifier l’importance d’atteindre l’égalité professionnelle est essentiel.
Il faut d’ailleurs souligner que, parmi les forces politiques et syndicales aussi, de toutes sensibilités, il subsiste des résistances à l’égalité professionnelle. Un effort de formation de chacun sur ces questions est également nécessaire en leur sein.
Sur un tel sujet, le rôle de la Haute Assemblée est de se rassembler pour s’exprimer d’une seule voix. À chaque fois, on nous invite à la patience, mais nous avons laissé bien assez de temps au temps. Nous sommes maintenant en 2016, mes chers collègues !
Je voudrais tenter de convaincre M. le rapporteur en utilisant une métaphore sportive.
Les plus grandes joueuses de tennis, telles Billie Jean King, Martina Navratilova ou Chris Evert-Lloyd, se sont battues pendant des décennies pour obtenir une rémunération équivalente à celle des hommes, avant de décider, un jour, de faire la grève de la raquette.
Faudra-t-il que les sénatrices en viennent elles aussi à faire grève ? Cela se verrait, notamment lors des séances de nuit : sur l’ensemble des travées, de droite comme de gauche, l’assistance est très féminine…
Sourires.
Rires.
Faudra-t-il qu’un jour les sénatrices désertent l’hémicycle pour faire progresser une lutte que nous menons depuis trente-trois ans ?
Dans les années soixante-dix, j’étais allée soutenir les femmes qui travaillaient au centre de traitement des chèques postaux de la rue Bourseul, dans le XVe arrondissement. Nous défilions en brandissant des pancartes sur lesquelles il était écrit : « À travail égal, salaire égal ».
Quarante ans après, nous en sommes encore au même point : la différence moyenne de rémunération entre hommes et femmes demeure de 25 % ! Il faut faire comprendre aux négociateurs à l’échelon des entreprises ou des branches, qui sont très majoritairement des hommes, que l’égalité entre les hommes et les femmes, cela compte aussi !
Je mets aux voix les amendements identiques n° 170 rectifié bis, 423 et 678.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 361 :
Nombre de votants343Nombre de suffrages exprimés343Pour l’adoption168Contre 175Le Sénat n’a pas adopté.
Huées sur les travées du groupe CRC.
L’article 18 est adopté.
Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 679, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 18
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Sont amnistiées de droit, au bénéfice des personnes physiques et morales, lorsqu’elles ont été commises avant le 6 mai 2012, les infractions passibles de moins de dix ans d’emprisonnement commises dans les circonstances suivantes :
1° À l’occasion de conflits du travail ou à l'occasion d'activités syndicales ou revendicatives de salariés, d'agents publics, de professions libérales ou d’exploitants agricoles, y compris au cours de manifestations sur la voie publique ou dans des lieux publics ;
2° À l’occasion de mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux, relatifs aux problèmes de l'éducation, du logement, de la santé et de l’environnement, y compris au cours de manifestations sur la voie publique ou dans des lieux publics.
Sont exclues de l’amnistie prévue au présent article les infractions commises en matière de législation et de réglementation du travail ainsi que celles commises, directement ou par l'intermédiaire d'un préposé doté d'une délégation de pouvoir, par les personnes mentionnées à l’article L. 1441-4 du code du travail ou par la personne morale qu'ils représentent.
II. – Lorsqu’elle intervient après condamnation définitive, l'amnistie résultant du présent article est constatée par le ministère public près la juridiction ayant prononcé la condamnation, agissant soit d'office, soit sur requête du condamné ou de ses ayants droit. La décision du ministère public peut être contestée dans les conditions prévues aux deuxième et troisième alinéas de l’article 778 du code de procédure pénale.
III. – En cas de condamnation pour infractions multiples, le condamné est amnistié si l’infraction amnistiée est légalement punie de la peine la plus forte ou d’une peine égale à celles qui sont prévues pour les autres infractions poursuivies.
IV. – Les contestations relatives à l’amnistie de droit sont soumises aux règles de compétence et de procédure prévues par les deuxième et troisième alinéas de l'article 778 du code de procédure pénale. En l'absence de condamnation définitive, les contestations sont soumises à la juridiction compétente pour statuer sur la poursuite.
V. – Sont amnistiés les faits commis avant le 6 mai 2012 par tout salarié ou agent public en tant qu'ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou qu’ils sont susceptibles d'être retenus comme motifs de sanctions prononcées par un employeur. Toutefois, si ces faits ont donné lieu à une condamnation pénale, hors celles prononcées au titre des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, l'amnistie des sanctions disciplinaires ou professionnelles est subordonnée à l'amnistie ou à la réhabilitation légale ou judiciaire de la condamnation pénale. Sont exceptés du bénéfice de l’amnistie prévue par le présent article les faits constituants des manquements à la probité ou à l’honneur. L’amnistie est acquise de plein droit à compter de la promulgation de la présente loi. L’inspection du travail veille à ce qu'il ne puisse être fait état des faits amnistiés. À cet effet, elle s’assure du retrait des mentions relatives à ces sanctions dans les dossiers de toute nature concernant les travailleurs qui bénéficient de l'amnistie. Les règles de compétence applicables au contentieux des sanctions sont applicables au contentieux de l'amnistie.
VI. – Sous réserve des dispositions des deuxième et troisième alinéas de l’article 5, sont amnistiés les faits mentionnés au 2° de l’article 1er commis avant le 6 mai 2012 par les étudiants ou élèves des établissements universitaires ou scolaires ayant donné lieu ou pouvant donner lieu à des sanctions disciplinaires. L'amnistie implique le droit à réintégration dans l'établissement universitaire ou scolaire auquel le bénéficiaire de l'amnistie appartenait, à moins que la poursuite de ses études ne l'exige pas.
VII. – Tout salarié ou agent public licencié pour une faute autre qu’une faute lourde commise en dehors de toute action revendicative ou syndicale, ayant fait l’objet d’une amnistie de droit, est, sauf cas de force majeure, réintégré dans le poste qu’il occupait avant son licenciement ou dans un poste équivalent. La demande de réintégration est présentée à l’auteur du licenciement dans un délai d’un an à compter soit de la promulgation de la présente loi, soit du prononcé de la sanction. En cas de changement d’employeur en application des articles L. 1224-1 ou L. 1224-3 du code du travail, la réintégration du salarié s’effectue chez l’employeur succédant. En cas de défaut de réponse de l’employeur à la demande de réintégration, celle-ci est acquise dans un délai de deux mois à compter de la réception de la demande. En cas de refus de mise en œuvre effective de la réintégration, le salarié ou l’agent peut saisir, en référé, la juridiction compétente pour la relation de travail qui délivre, en application de la présente loi, un titre exécutoire sous astreinte. Le salarié réintégré bénéficie pendant douze mois, à compter de sa réintégration effective, de la protection attachée au délégué syndical prévue aux articles L. 2411-1 à L. 2437-1 du même code.
VIII. – Les contestations relatives au bénéfice de l’amnistie des sanctions disciplinaires définitives sont portées devant l'autorité ou la juridiction qui a rendu la décision. L’intéressé peut saisir cette autorité ou juridiction en vue de faire constater que le bénéfice de l'amnistie lui est effectivement acquis. En l’absence de décision définitive, les contestations sont soumises à l'autorité ou à la juridiction saisie de la poursuite. L’exécution de la sanction est suspendue jusqu'à ce qu’il ait été statué sur la demande ; le recours contentieux contre la décision de rejet de la demande a également un caractère suspensif.
IX. – L’amnistie efface les condamnations prononcées ou éteint l'action publique en emportant les conséquences prévues par les articles 133-9 à 133-11 du code pénal et 6 et 769 du code de procédure pénale. Elle entraîne, sans qu’elle puisse donner lieu à restitution, la remise des peines et des mesures de police et de sûreté. Elle fait obstacle au recouvrement du droit fixe de procédure mentionné à l’article 1018 A du code général des impôts. Toute référence à une sanction ou à une condamnation amnistiée sur le fondement de la présente loi est punie d’une amende de 5 000 euros. Les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables, dans les conditions prévues à l’article 121-2 du code pénal, de l’infraction définie au présent alinéa. La peine encourue par les personnes morales est l’amende, dans les conditions prévues par l’article 131-38 du code pénal.
X. – L'amnistie entraîne la remise de toutes les peines principales, accessoires et complémentaires ainsi que de toutes les incapacités ou déchéances subséquentes. Elle ne peut donner lieu à restitution. Elle rétablit l'auteur de l’infraction dans le bénéfice du sursis qui a pu lui être accordé lors d’une condamnation antérieure.
XI. – En cas d’instance sur les intérêts civils, le dossier pénal est versé aux débats et mis à la disposition des parties. Si la juridiction de jugement a été saisie de l'action publique avant la publication de la présente loi, cette juridiction reste compétente pour statuer, le cas échéant, sur les intérêts civils.
XII. – L’amnistie entraîne la suppression des empreintes génétiques issues des traces biologiques recueillies dans les fichiers de police ainsi que l’ensemble des informations nominatives relatives aux délits mentionnés à l’article 1er recueillies à l’occasion des procédures d’enquête et des procédures judiciaires dans les fichiers de police judiciaire. L’amnistie emporte amnistie de l’infraction prévue à l’article 706-56 du code de procédure pénale.
XIII. – Le chapitre II du titre III du livre Ier de la première partie du code du travail est complété par un article L. 1132-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1132 - … – Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distributions d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, en raison de l’accomplissement d’une démarche d’information, de revendication ou de réclamation auprès de l’administration du travail, de l’inspection du travail, d’une organisation syndicale, pour avoir agi ou témoigné en justice. »
La parole est à M. Dominique Watrin.
Ces dernières années, beaucoup de nos concitoyens se sont légitimement engagés dans des mouvements sociaux. Ils se sont exprimés pour faire respecter leurs droits fondamentaux, protéger leurs conditions de travail ou encore préserver l’emploi, les services publics, un système de protection sociale efficace et solidaire ou leur environnement. Alors qu’ils défendaient l’intérêt général, nombre d’entre eux ont fait l’objet de sanctions pénales ou disciplinaires et de licenciements.
Trop de sanctions injustes ont été infligées, qui ne visaient qu’à éteindre toute velléité de contestation, parfois en réprimant le simple affichage ou la distribution de tracts.
On se souvient plus particulièrement du cas de Xavier Mathieu, délégué syndical CGT de l’entreprise Continental, condamné à 1 200 euros d’amende par la cour d’appel d’Amiens pour avoir refusé un prélèvement d’ADN, de celui de deux syndicalistes d’Eurodisney condamnés pour avoir fait, sur leur blog, le lien entre le suicide de deux de leurs collègues et leurs conditions de travail. Plus récemment, cinq ans de prison ferme ont été requis contre une manifestante pour avoir jeté un micro en direction de policiers lors de l’évacuation de la mairie d’Amiens occupée, le 28 avril dernier, en marge d’une manifestation contre le projet de loi Travail. D’une extrême violence, la charge des policiers avait entraîné de graves blessures.
Les citoyens qui défendent leur école, leur outil de travail, leur hôpital ou leur retraite ne sont ni des criminels ni des délinquants. §Nous entendons, par cet amendement, leur rendre justice, notamment en vertu de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Aussi proposons-nous d’amnistier les faits commis à l’occasion de mouvements sociaux et d’activités syndicales ou revendicatives. L’amnistie concernerait également les sanctions disciplinaires.
L’amendement n° 680, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 18
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le chapitre II du titre III du livre Ier de la première partie du code du travail est complété par un article L. 1132-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1132-… – Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distributions d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, en raison de l’accomplissement d’une démarche d’information, de revendication ou de réclamation auprès de l’administration du travail, de l’inspection du travail, d’une organisation syndicale, pour avoir agi ou témoigné en justice. »
La parole est à M. Éric Bocquet.
Le présent amendement tend à exclure le licenciement de tout salarié ayant intenté une action en justice liée à son activité professionnelle à l’encontre de son employeur ou de tout membre de l’entreprise, société ou groupe dans lequel il exerce. Il vise également à protéger l’ensemble des salariés qui seraient susceptibles de produire des preuves ou témoignages lors de la procédure judiciaire.
D’ailleurs, un arrêt rendu le 16 mars dernier par la chambre sociale de la Cour de cassation a confirmé la nullité du licenciement intervenu en raison d’une action en justice intentée par un salarié demandant aux juges la requalification de son CDD en CDI. Pour la Cour de cassation, le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite par le salarié est nul, car il porte atteinte à une liberté fondamentale, celle d’agir en justice.
Un article bien connu du code du travail a été visé par la Cour de cassation : l’article L. 1121-1, selon lequel « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
La jurisprudence précise qu’il appartient à l’employeur d’établir que sa décision était justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l’exercice par les salariés de leur droit d’agir en justice. Elle invite les juges du fond à contrôler le mobile de la mesure prise par l’employeur.
La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion d’énoncer cette règle, à propos de la rupture anticipée d’un CDD et d’un licenciement consécutif à une action en résiliation judiciaire du contrat, dans un arrêt du 3 février 2016 ; elle en fait désormais un véritable principe.
Finalement, en s’appuyant sur la jurisprudence récente, notre amendement vise à apporter aux salariés une protection permettant l’accès libre à la justice et libérant les parties demanderesses de toute entrave professionnelle uniquement motivée par la mise en œuvre de ladite procédure.
Concernant l’amendement n° 679, nous avions amorcé ce débat la semaine dernière, à l’occasion de l’examen d’un autre amendement, qui visait à exempter d’inscription au fichier national des empreintes génétiques des personnes ayant commis des actes délictueux.
Le présent amendement vise, quant à lui, à amnistier des infractions passibles de moins de dix ans d’emprisonnement : dix ans d’emprisonnement, c’est énorme ! Vous évoquez, monsieur Watrin, le cas d’une personne qui aurait distribué des tracts : je doute qu’elle encoure dix ans de prison, quelles que soient les circonstances !
Si nous adoptions aujourd’hui un tel amendement, quel signal enverrions-nous à nos concitoyens et aux forces de sécurité qui devront peut-être encore, jeudi prochain, encadrer des manifestations ou des rassemblements ? On a bien vu la semaine dernière ce qu’il en a été, avec les nombreux troubles qui se sont produits aux alentours des cortèges.
Madame Assassi, je ne mélange rien ! Vous savez bien que la rédaction de cet amendement permet une large application de l’amnistie : les fameux casseurs rentreraient dans son champ. Cela pose problème !
En outre, l’adoption d’un tel dispositif aboutirait à la création d’une catégorie de personnes « intouchables », qui seraient au-dessus des lois.
La commission a, par conséquent, émis un avis défavorable sur l’amendement n° 679.
Sur l’amendement n° 680, son avis est également défavorable. Comme vous l’avez précisé, monsieur Bocquet, le juge fait d’ores et déjà respecter les libertés fondamentales des salariés, sans qu’il soit nécessaire de toutes les citer dans le code du travail. La jurisprudence de la Cour de cassation est établie ; il convient de s’y tenir.
Je reconnais qu’il existe parfois des contextes particuliers de tension et de détresse ; personne ne peut le nier. En revanche, tout ne peut pas être excusé, et certains actes commis dans des entreprises à l’occasion de conflits sociaux, tels que des séquestrations, des dégradations ou des violences physiques, ne sont tout simplement pas acceptables. C’est pourquoi je suis défavorable au principe d’une loi d’amnistie de tous les faits de cet ordre commis avant le 6 mai 2012.
Je vous donne, en tant que ministre, l’avis du Gouvernement. Je suis prête à me pencher sur les cas de personnes ayant été condamnées pour avoir distribué des tracts. Dites-moi seulement où, quand et comment les choses se sont déroulées, et je vous assure que je vous apporterai des réponses très précises sur de tels cas concrets.
L’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 679 est donc défavorable.
S’agissant de l’amendement n° 680, comme vous l’avez dit vous-même, monsieur Bocquet, le droit permet déjà cette protection : un licenciement fondé sur un tel motif serait sans cause réelle et sérieuse. La loi prévoit clairement la nullité d’un licenciement fondé sur une discrimination syndicale ou en raison de l’opinion. De même, les mesures de rétorsion contre des salariés qui témoignent d’un crime, d’un délit ou d’une situation de harcèlement sont frappées de nullité.
J’ajoute que le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, que vous allez bientôt examiner, renforcera encore ces protections en créant un statut de lanceur d’alerte. En conclusion, j’estime que cet amendement est satisfait.
La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour explication de vote sur l’amendement n° 679.
Pour employer un euphémisme, je dirai que, dans le climat actuel, cet amendement est pour le moins malvenu et à la limite de la provocation…
Je ne sais pas, chers collègues, si vous avez observé dans quel état sont les rues de Paris depuis un mois : les manifestations se succèdent, des vitrines sont vandalisées, des commerces sont mis à sac. Dernièrement – je m’en étais ouvert en commission –, un hôpital pour enfants a même été attaqué…
Protestations sur les travées du groupe CRC.
Si ! sur les travées du groupe Les Républicains.
Vous n’étiez pas là pendant une semaine et vous vous permettez de parler ainsi !
Dans les circonstances présentes, je trouve que déposer un tel amendement relève de la pure provocation ! L’adopter, au moment même où le ministre de l’intérieur hésite à donner son autorisation à la manifestation prévue jeudi, …
… serait envoyer le signal suivant aux manifestants et aux casseurs qui les accompagnent : « Allez-y, de toute façon vous serez amnistiés ! »
Pour ma part, je pense aux forces de l’ordre, aux policiers et aux gendarmes qui, depuis un mois et demi, subissent les attaques des casseurs, …
Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.
… se font tabasser sans pouvoir répliquer, sauf à être mis en cause, et sont à la limite de la rupture sur le plan physique. Va-t-on leur dire : « Voyez-vous, ces gentils messieurs qui vous ont tabassés et qui, souvent, vous ont blessés, on va les amnistier, ils ne seront pas condamnés. » Je trouve cela scandaleux !
Madame Cohen, vous nous avez dit tout à l’heure, sur le sujet de l’égalité entre hommes et femmes, qu’il fallait envoyer des signaux politiques. Je pense que, dans le contexte que nous connaissons actuellement, le groupe CRC se grandirait en retirant cet amendement !
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI -UC.
Il n’est nul besoin d’invectives. Je me range bien évidemment aux avis émis par M. le rapporteur et Mme la ministre.
Je fais mienne l’argumentation sur l’inopportunité d’un tel amendement que vient de développer mon excellent collègue Jean-Noël Cardoux.
J’ajoute que l’on ne saurait voter une telle amnistie, car il n’y a pas, d’un côté, des violences qui seraient excusables, et, de l’autre, des violences qui seraient condamnables. Mes chers collègues, quand le quantum de peine est de dix ans d’emprisonnement, il s’agit non pas de petits débordements, mais d’actes de violence graves, qui ne sont pas pardonnables.
Par ailleurs, il ne peut pas non plus y avoir deux catégories de citoyens, les uns bénéficiant d’une forme d’immunité, les autres étant soumis à la loi.
Il est donc impossible de voter cet amendement, pour des raisons non pas politiciennes, mais de simple bon sens. Je pense que nous pouvons tous en convenir.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI -UC.
Bien évidemment, je me range aux arguments du président Retailleau.
Provocation pour provocation, je trouve franchement scandaleux que les héritiers d’une idéologie politique ayant inspiré des régimes dont on sait comment les opposants étaient traités par la justice et la police osent déposer un tel amendement !
M. Jean-Paul Emorine applaudit. – Protestations sur les travées du groupe CRC.
Vous avez pourtant eu besoin des communistes, au cours de l’histoire ! Où seriez-vous sans le parti communiste ?
Faire une telle proposition, ce n’est vraiment pas le signal qu’il faut envoyer aujourd’hui !
Je souhaiterais insister d’abord sur le fait que le champ des infractions susceptibles de faire l’objet de l’amnistie prévue par cet amendement est déjà extrêmement restreint par rapport à celui des lois d’amnistie passées.
N’oublions pas, en outre, que chaque loi d’amnistie est accompagnée d’une circulaire de la chancellerie à destination des parquets. La circulaire d’application de la loi d’amnistie de 2002 précisait ainsi qu’il « appartient aux parquets et aux juridictions d’apprécier, dans chaque cas d’espèce, s’il existe entre le fait poursuivi et le critère de l’amnistie retenu par le législateur une relation suffisante pour permettre de constater l’amnistie ». On voit donc bien qu’il y a un garde-fou.
Ainsi, si les agissements reprochés ont été commis non pas à l’occasion de manifestations ou d’actions pour la défense de l’intérêt collectif d’une profession, mais dans le cadre d’une action ponctuelle préméditée, la loi d’amnistie ne s’applique pas. Par conséquent, contrairement à ce qu’a affirmé M. le rapporteur, les lois d’amnistie ne peuvent pas profiter aux casseurs qui saisissent l’occasion des manifestations pour s’attaquer non seulement aux forces de l’ordre, mais aussi aux cortèges syndicaux.
Par ailleurs, comme les lois d’amnistie passées, le présent amendement prévoit une amnistie des sanctions disciplinaires. L’inspection du travail serait donc chargée de veiller à ce que les mentions de ces faits soient retirées des dossiers des intéressés. Notons, à cet égard, que le Conseil constitutionnel, dans une décision du 20 juillet 1988, a validé cette possibilité en indiquant que le législateur pouvait « étendre le champ d’application de la loi d’amnistie à des sanctions disciplinaires ou professionnelles dans un but d’apaisement politique ou social ».
Dès lors, il est tout à fait normal que, dans le cadre du projet de loi Travail, un groupe comme le nôtre relaie des revendications que nous avions déjà exprimées en d’autres occasions, s’agissant notamment de l’amnistie pour des faits relevant de l’action syndicale.
Je voterai évidemment contre ces amendements. J’indique à nos collègues du groupe CRC que le président Chirac avait décidé, en 2002, de ne pas recourir à une loi d’amnistie. Le président Sarkozy a suivi cet exemple, et M. Hollande lui-même s’est prononcé contre les lois d’amnistie. Il n’y a aucune raison d’y revenir maintenant !
On peut créditer le groupe CRC d’une forme de constance : ses membres soulèvent ce débat très régulièrement.
Sur le fond, on peut selon moi, en démocratie, dans la France d’aujourd’hui, défendre ses convictions, exprimer des revendications sociales, participer à la lutte sociale tout en restant dans le cadre de la loi. Telle est en tout cas notre conviction ; c’est pourquoi nous voterons contre l’amendement n° 679.
Je pense en outre qu’il serait quelque peu délicat d’expliquer, dans la société d’aujourd’hui, marquée par de fortes tensions, pourquoi la loi traiterait différemment les mêmes faits selon la nature des motifs qui ont inspiré leurs auteurs. Certains actes commis dans le cadre d’une confrontation sociale telle que celle que l’on connaît aujourd’hui relèvent tout de même du champ pénal. Il faut s’en tenir au cadre républicain, qui garantit certes les libertés, mais aussi l’égalité devant la sanction.
Je me réjouis que l’on puisse avoir un débat aussi serein sur une mesure d’amnistie…
Voilà quelques années, une proposition de loi d’amnistie que nous avions déposée avait largement rassemblé, à gauche, et avait même été adoptée par la Haute Assemblée. Il est donc tout à fait possible de discuter d’amnistie sans forcément tomber dans l’hystérie ou employer des arguments excessifs, comme on a pu en entendre aujourd’hui. Cela étant, je ne veux pas remettre d’huile sur le feu…
Je n’ai jamais dit que des gens avaient été arrêtés ou mis en prison pour avoir simplement distribué des tracts ou collé des affiches, mais qu’ils avaient reçu des menaces ou des assignations judiciaires. Nous devons nous écouter mutuellement et parler sereinement de cette question de l’amnistie.
Sur le fond, chers collègues, vous dites qu’un droit particulier ne doit pas s’appliquer aux syndicalistes et qu’il existe d’autres manières de se faire entendre. Je vous renvoie au cas, que j’ai déjà cité, de Xavier Mathieu. Il était délégué syndical à l’usine Continental d’Amiens, qui a d’ailleurs fermé depuis lors, ce qui a causé la disparition de plusieurs centaines d’emplois. Conformément à sa mission, il défendait l’emploi, les salariés : dès lors, est-il normal qu’on ait voulu le soumettre à un prélèvement d’ADN ? Il risquait ainsi d’être fiché pendant dix ou vingt ans, comme un délinquant !
Nous ne demandons pas un traitement particulier ou privilégié pour les syndicalistes ; nous demandons simplement que l’action syndicale ne puisse pas être réprimée d’une manière tout à fait discriminatoire.
Puisque vous avez convoqué l’histoire, je le ferai à mon tour. Lors du débat sur notre proposition de loi d’amnistie, en 2013, j’avais évoqué le cas des mineurs grévistes de 1948. Mme Taubira avait alors reconnu que ces mineurs avaient été licenciés de manière discriminatoire et arbitraire, mais le processus de réhabilitation et de réparation est aujourd’hui complètement bloqué par l’actuel ministre de la justice !
Je mets aux voix l’amendement n° 679.
J'ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 362 :
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’amendement n° 680.
L’amendement n’est pas adopté.
L’article L. 2325-43 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’excédent du budget de fonctionnement peut être affecté au budget dédié aux activités sociales et culturelles après un vote à l’unanimité du comité d’entreprise. »
L'amendement n° 681, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Nous demandons la suppression de cet article introduit par la commission des affaires sociales du Sénat et le retour au texte initial.
Nous avons déjà débattu du rôle des comités d’entreprise. Selon nous, il faut laisser le budget de fonctionnement au comité d’entreprise et ne pas prévoir, par la loi, que son excédent soit affecté au budget dédié aux activités sociales et culturelles. Cela reviendrait en effet à détourner la réalité objective de ce budget.
Cet article est issu d’un amendement de Michel Raison, adopté par la commission. Celle-ci ne se déjuge pas et émet par conséquent un avis défavorable sur cet amendement de suppression.
Il s’agit d’en finir avec une rigidité excessive et un cloisonnement strict entre le budget de fonctionnement et le budget dédié aux activités sociales et culturelles. Cette disposition ménage la possibilité d’affecter l’excédent du budget de fonctionnement au budget dédié aux activités sociales et culturelles. Je précise que, pour ce faire, il faut l’unanimité. Cette garantie nous paraît suffisante.
Le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement, ce qui est cohérent avec la position que j’ai rappelée tout à l’heure. Depuis la loi Rebsamen, nous souhaitons que le comité d’entreprise puisse monter en compétence sur les questions de stratégie, notamment en matière économique. Il est donc essentiel de bien distinguer entre le budget de fonctionnement et le budget dédié aux activités sociales et culturelles.
C’est d’ailleurs pour cette raison que le Gouvernement émettra un avis défavorable sur l’amendement n° 1023. Certes, j’ai accordé la possibilité – si le comité d’entreprise est d’accord – de consacrer l’excédent du budget de fonctionnement à la formation ; reste qu’il faut maintenir la séparation entre celui-ci et le budget dédié aux activités sociales et culturelles.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 1023, présenté par MM. Lemoyne, Gabouty et Forissier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
après un vote à l’unanimité
par les mots :
par une décision prise à l’unanimité des membres élus
La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur.
L'amendement est adopté.
L'article 18 bis est adopté.
L'amendement n° 215 rectifié, présenté par Mme Gruny, MM. Bizet et Commeinhes, Mme Garriaud-Maylam, MM. Lefèvre, César, Cambon, Cornu et Vaspart, Mme Mélot, MM. Houel, Revet, J.C. Leroy et Mouiller, Mme Cayeux, MM. Dallier, Panunzi et P. Dominati, Mmes Deromedi, Morhet-Richaud et Primas et MM. Trillard, Mandelli et Laménie, est ainsi libellé :
Après l’article 18 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 2323-86 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les entreprises comportant des établissements distincts, un accord d’entreprise conclu dans les conditions du II de l’article L. 2232-12 peut déterminer librement le mode de répartition de la subvention entre les comités d’établissement. La répartition peut être opérée notamment au prorata des effectifs de chacun des établissements. »
La parole est à Mme Pascale Gruny.
Cet amendement vise à rétablir un principe de solidarité entre les établissements d’une même entreprise pour la gestion des activités sociales et culturelles, en prévoyant qu'un accord collectif d'entreprise puisse organiser une répartition de la subvention selon des modalités différentes, notamment au prorata des effectifs.
En l'état actuel du texte, la répartition de la subvention entre les comités d'établissement se fait en fonction de la masse salariale, ce qui avantage les établissements avec de hauts revenus de cadres par exemple. En donnant la possibilité de procéder aussi à cette répartition en fonction des effectifs, plus d'équité est offerte aux établissements où les revenus sont moins élevés.
Il convient de prévoir cette possibilité dans la loi, car la Cour de cassation a, à plusieurs reprises, remis en cause ce principe de solidarité, en imposant que la répartition de la subvention versée par les entreprises à leurs comités d’établissement se fasse au prorata des masses salariales des établissements concernés et non à celui des effectifs.
La commission estime qu’il s’agit d’un très bon amendement, sur lequel elle émet un avis favorable.
Cette disposition permet en effet d’avoir de la souplesse dans les accords d’entreprise, de pouvoir opérer une répartition qui se fasse au prorata des effectifs et pas seulement à celui de la masse salariale. Cela peut être dans l’intérêt des établissements où les salaires sont moins élevés. La Cour de cassation a d’ailleurs rendu un arrêt faisant jurisprudence, jurisprudence à laquelle l’adoption de cet amendement pourrait répondre.
Madame la sénatrice, vous posez une très bonne question.
Le système actuel n’est pas équitable pour les établissements où les salariés sont moins bien rémunérés. Il faut donc un accès plus juste aux œuvres sociales et culturelles pour améliorer le pouvoir d’achat des salariés. Vous pointez à juste titre la difficulté issue de la répartition entre les différents établissements en fonction de la masse salariale qui a été imposée par la jurisprudence. Il faudrait laisser beaucoup plus de souplesse aux partenaires sociaux pour décider, dans le cadre des accords conclus dans l’entreprise. Tel est l’enjeu de cet amendement.
Néanmoins, la solution proposée ouvre des possibilités d’affectation qu’il semble nécessaire de bien encadrer. Or vous ne posez aucun critère limitatif : « La répartition peut être opérée notamment au prorata des effectifs de chacun des établissements. » Dans cette rédaction, l’adverbe « notamment » pose problème. Nous gagnerions donc à y retravailler.
Cela étant, je comprends l’intérêt à adopter cet amendement dès la première lecture. C’est pourquoi le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Haute Assemblée sur ce problème important.
Bien sûr, personne ne peut être contre le fait que tout le monde puisse bénéficier d’œuvres sociales et qu’une entreprise qui a une grosse masse salariale partage son budget avec les autres petites entreprises. Pour ce faire, on peut très bien créer un comité interentreprises, démarche qui paraît plus équitable, et s’appuyer sur la volonté des représentants syndicaux pour rassembler la masse salariale et faire profiter tous les salariés des œuvres sociales.
D’un point de vue juridique, j’ignore si on peut tenir compte seulement des effectifs ; la commission et le Gouvernement ont rappelé la jurisprudence à ce sujet. Il faut donc voir si une telle répartition est possible. Je le répète, dans le droit fil des discussions que nous avons eues hier soir, pourquoi ne pas réfléchir à des accords interentreprises pour partager les subventions et rendre les œuvres sociales accessibles à tous les salariés ?
Je souhaite apporter une précision sur l'article 18 bis. Il faut bien distinguer le budget de fonctionnement et le budget dédié aux activités sociales et culturelles, lequel profite à tout le monde. Cela n’a pas été mentionné, mais il faut préciser que les comités d’entreprise sont gérés par des salariés. À ce titre, ils sont inclus dans le budget de fonctionnement, et non dans le budget dédié aux activités sociales et culturelles. Par conséquent, réunir les deux soulève certaines difficultés.
En outre, le budget dédié aux activités sociales et culturelles est destiné aux salariés, alors que, comme son nom l’indique, le budget de fonctionnement sert au fonctionnement du comité d’entreprise. Cela inclut la formation professionnelle des salariés qui en font partie, les différentes cotisations, apprentissage, etc. Un CE, c’est comme une entreprise.
Je n’ai pas de désaccord de fond sur cet amendement. Il s’agit de compléter le code du travail, qui précise qu’une telle opération passe par un accord d’entreprise.
En revanche, je crains que cette disposition ne soit pas très opérationnelle. On modifie la répartition de subventions entre établissements aux fins d’équité, mais on substitue au critère de la masse salariale un critère d’effectifs.
Selon moi, cela va créer des problèmes entre les élus des différents CE.
C’est l’aspect pratique qui m’effraie. Il faudrait peut-être prévoir une décision unanime, car j’imagine mal les élus de l’instance représentative d’un établissement accepter le partage et je doute que l’on parvienne au résultat espéré.
Comme on dit trivialement, cela ne mange pas de pain de faire figurer cette disposition dans la loi, mais, si cela doit rester sans effet, cela n’a pas grand sens. On peut essayer. Je ne vois pas spontanément comment on peut dire : « On prend moins et vous avez plus ».
Permettez-moi d’apporter un éclairage particulier à la Haute Assemblée. Certains accords d’entreprise prévoient déjà une répartition en fonction du nombre de salariés.
Ils ont été invalidés et, au regard de la jurisprudence, il faut s’appuyer sur la masse salariale.
C’est légitime et cela se comprend, puisque les cotisations varient selon le montant du salaire. On peut imaginer que, dans certaines entreprises, on s’interroge sur l’accès équitable aux œuvres sociales et culturelles.
Cet amendement vise à tenir compte du critère des effectifs.
L'amendement est adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 18 bis.
Madame la présidente, en application de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, le Gouvernement demande la réserve de la discussion de l’article 19, des amendements qui y sont rattachés et des amendements portant article additionnel après l’article 19. En effet, le Gouvernement a besoin de procéder à une vérification technique sur l’amendement n° 1043.
Sourires.
(Non modifié)
Au 1° de l’article L. 2135-12 du code du travail, après le mot : « branche », sont insérés les mots : « ou, dans le secteur de la production cinématographique, de l’audiovisuel et du spectacle, les organisations professionnelles d’employeurs représentatives de l’ensemble des professions de ce secteur dont les statuts prévoient qu’elles ont vocation à percevoir ces crédits ».
Madame la ministre, je souhaite profiter de cet article sur le dialogue social dans le domaine de la production cinématographique, de l’audiovisuel et du spectacle pour vous alerter sur les intermittents du spectacle.
Comme vous l’annonciez la semaine dernière, le Gouvernement s’apprête à compenser le manque à gagner pour l’assurance chômage à la suite de l’accord signé au mois d’avril entre les intermittents du spectacle et les organisations patronales. Nous sommes d’accord sur une chose : il faut que cet accord soit appliqué. Il prend en compte bon nombre des revendications des intermittents : date anniversaire, 507 heures sur douze mois, prise en compte des congés maternité et des heures d’enseignement artistique, droits de celles et ceux qui arrivent à la retraite.
Là où nous avons un désaccord profond, c’est qu’il semble que vous ayez au final cédé à la pression patronale. Le régime de sécurité sociale s’appuie sur un principe simple : la solidarité entre employeurs et employés, et entre générations.
Pression, disais-je, car regardons les choses en face : qui a imposé une lettre de cadrage scandaleuse faisant porter sur les épaules des intermittents toute la responsabilité du déficit de l’UNEDIC ? Qui a mis dans la balance les négociations avec le projet de loi que nous examinons ?
Aujourd’hui, alors même que la précarité n’a jamais autant touché les intermittents et que les employeurs n’ont jamais autant bénéficié de baisses de cotisations, votre décision de combler les manques patronaux crée un précédent gravissime.
Comme le signale un collectif de personnalités du spectacle, regroupant notamment Mathieu Amalric, Agnès Jaoui ou Denis Podalydès, la prise en charge de l’assurance chômage par l’État risque de tuer l’intermittence, en la rendant dépendante de budgets fluctuant au gré des majorités politiques.
De fait, les intermittents sont un fabuleux exemple du modèle de flexisécurité que vous entendez imposer aux autres salariés.
Je rappelle que le Gouvernement a décidé, avec les annexes 8 et 10, que les professionnels du spectacle pouvaient se mettre d’accord sur des règles spécifiques relatives à l’assurance chômage.
Je rappelle également que, à la suite de l’échec des négociations sur l’assurance chômage, notamment celles du régime général, ma première priorité a été que les demandeurs d’emploi ne souffrent d’absolument aucun report d’indemnisation. Au contraire, j’ai pris des mesures pour que l’ensemble des dispositions puissent être mises en œuvre le plus rapidement possible.
Dès la semaine dernière, je me suis engagée auprès des professionnels à propos du résultat du dialogue social entre les organisations professionnelles du spectacle et les syndicalistes. L’accord conclu a été entériné et sera applicable mi-juillet. Il n’y a pas d’autre discussion à avoir sur ce sujet.
Aujourd’hui, par le dialogue social, les professionnels ont trouvé des voies d’aménagement. C’est dans ce cadre que cet accord sera mis en œuvre. Le Gouvernement montre une nouvelle fois son soutien à tous les professionnels du secteur, non par des paroles, mais par des actes. Nous prendrons les mesures nécessaires, comme je l’ai précisé la semaine dernière.
L'article 20 est adopté.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-sept heures vingt, est reprise à dix-sept heures trente, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.
M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec une vive émotion que nous avons appris jeudi dernier le décès de notre collègue députée britannique, Jo Cox, qui a succombé à ses blessures après avoir été agressée.
Mmes et MM. les sénateurs ainsi que M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes se lèvent.
Le président Gérard Larcher, qui recevait vendredi, au Sénat, une délégation britannique de la ville de cette parlementaire, à l’occasion du soixantième anniversaire de son jumelage avec Rambouillet, lui a rendu hommage à cette occasion.
En son nom, et au nom du Sénat tout entier, et avec notre collègue Éric Bocquet, président du groupe d’amitié France-Royaume-Uni, je veux assurer sa famille et ses proches, ainsi que nos collègues du Parlement britannique, de notre compassion sincère et leur présenter nos condoléances les plus attristées.
Je vous propose d’observer un moment de recueillement en sa mémoire.
Mmes et MM. les sénateurs ainsi que M. le secrétaire d’État observent un moment de recueillement.
L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 28 et 29 juin.
Dans le débat, la parole est à M. le secrétaire d’État.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, le Conseil européen qui se tiendra les 28 et 29 juin prochains ne ressemblera à aucun de ceux qui l’ont précédé.
Il sera en effet le premier à se tenir après un référendum dont le résultat décidera du maintien ou non d’un État membre au sein de l’Union européenne. C’est un choix souverain qui appartient désormais aux seuls citoyens britanniques, mais je veux redire ici, à deux jours de ce scrutin, que nous souhaitons que le choix de l’unité européenne, de la cohésion, de la défense de nos valeurs communes l’emporte et que le Royaume-Uni reste dans l’Union européenne parce que c’est sa place, parce que c’est son intérêt et celui de l’Europe.
Je veux rendre à mon tour hommage, monsieur le président, comme vous venez de le faire, à la députée Jo Cox, une femme qui consacrait sa vie au service des autres et d’un monde plus solidaire et qui s’était engagée avec passion pour le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne. La violence et la haine qui l’ont assassinée et qui veulent détruire la démocratie ne doivent pas l’emporter. Son engagement, ses valeurs ne disparaîtront pas avec elle.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce Conseil européen sera donc celui de l’après-référendum et des décisions qui en découleront. Mais, quel que soit ce résultat, l’Europe devra continuer à avancer et à apporter des réponses aux défis et aux grandes crises auxquels elle est confrontée.
Ce Conseil européen sera également appelé à prendre des décisions sur plusieurs grandes questions, au premier rang desquelles figure la crise migratoire.
Au cours des derniers mois, l’accord entre l’Union européenne et la Turquie et la fermeture de la route des Balkans ont conduit à une diminution considérable des flux de migration en mer Égée.
Cependant, ces flux restent très importants en Méditerranée centrale et s’accompagnent de naufrages dramatiques. Au total, près de 212 000 personnes ont effectué la traversée de la Méditerranée depuis le début de l’année. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estime à 2 868 le nombre de morts lors de ces traversées.
Ces chiffres recouvrent deux réalités très différentes.
En mer Égée, 1 721 arrivées ont été enregistrées au cours du mois de mai, ce qui est inférieur à la moyenne quotidienne des arrivées à la fin de l’année dernière ou encore en janvier de cette année, laquelle était supérieure à 2 000 personnes par jour.
L’accord entre l’Union européenne et la Turquie et la fermeture des routes des Balkans ont donc produit un effet dissuasif et les autorités turques ont incontestablement engagé la lutte contre les passeurs. Dans le même temps, les autres volets de l’accord avec la Turquie se mettent progressivement en place : 462 personnes ont été réadmises en Turquie depuis la Grèce et 511 Syriens ont été réinstallés depuis la Turquie dans l’Union européenne.
L’aide aux réfugiés syriens en Turquie s’accroît également de la part de l’Europe pour couvrir des dépenses d’alimentation, de santé, d’hébergement et d’accès à l’éducation. Dans le même temps, la solidarité à l’égard de la Grèce, où près de 54 000 migrants sont bloqués, doit également se poursuivre : sur les 300 millions d’euros du nouvel instrument d’aide humanitaire prévus en 2016, 83 millions d’euros ont déjà été versés.
En Méditerranée centrale, les flux ont continué à être très importants. Ils sont comparables à ceux de l’année dernière, soit près de 20 000 personnes au mois de mai, contre 21 000 en 2015, ce qui porte le total des arrivées en Italie à plus de 52 000 personnes depuis le début de l’année.
La priorité est donc de lutter contre les passeurs et contre tous les trafics au large de la Libye, puisque c’est essentiellement de cet État, qui reste un État failli, que proviennent ces migrations. Il faut donc soutenir le Gouvernement d’entente nationale, qui combat l’État islamique en Libye et qui doit pouvoir instaurer la sécurité dans l’ensemble du pays. C’est aussi l’une des missions de l’opération EUNAVFOR MED Sophia, dont le mandat a été élargi, que de contribuer à la sécurité au large de la Libye.
Le Conseil Affaires étrangères a en effet décidé ce lundi, à la suite de l’adoption de la résolution 2292 du Conseil de sécurité des Nations unies du 14 juin, d’élargir le mandat de cette opération à deux nouvelles tâches : le renforcement de la mise en œuvre de l’embargo sur les armes à destination de la Libye et la formation de garde-côtes libyens.
La France prend toute sa part à cet effort au sein de cette opération maritime, sur le plan diplomatique, bien sûr, je l’ai rappelé – nous avons fait adopter cette résolution au Conseil de sécurité –, mais aussi en matière de solidarité avec les pays les plus exposés, c'est-à-dire les pays européens de première arrivée des migrants. Nous sommes aujourd'hui le premier des pays de l’Union en termes de relocalisation de réfugiés depuis la Grèce et l’Italie.
Il nous faut bien sûr continuer à agir en apportant des réponses aux causes profondes des migrations. Le Conseil européen se prononcera donc sur la communication de la Commission du 7 juin dernier portant sur son projet de nouveau cadre de partenariat, lequel vise à davantage concentrer l’action et les ressources de l’Union européenne dans ces activités extérieures pour mieux coordonner à la fois la politique migratoire, mais aussi les éléments de politique d’aide au développement et de politique commerciale.
Ce nouveau cadre de partenariat s’inscrit dans la lignée des décisions prises lors du sommet de La Valette en novembre dernier par l’Union européenne et ses partenaires africains : des pactes sur mesure pourront être élaborés en fonction de la situation et des besoins de chaque pays partenaire, avec des priorités de court terme – sauver des vies en mer, accroître le nombre de retours, permettre aux migrants et aux réfugiés de rester près de chez eux – et de plus long terme – soutenir le développement des pays tiers afin de remédier aux causes profondes de la migration irrégulière.
Les chefs d’État ou de Gouvernement chargeront également la Commission d’élaborer pour cet automne une proposition pour mettre sur pied un plan d’investissement pour ces pays tiers. Ce plan pourrait s’inspirer en partie des mécanismes du plan Juncker et inciter les investisseurs publics et privés à participer à des projets contribuant au développement des pays d’Afrique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’Europe doit continuer de mieux s’organiser pour lutter contre les trafics d’êtres humains, contrôler ses frontières communes, garantir le droit d’asile, reconduire ceux qui n’en relèvent pas, soutenir la stabilité et le développement des pays d’origine et de transit.
Elle a des premiers résultats, aux termes notamment de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie. Elle doit mettre en œuvre toutes les décisions qui ont été prises concernant le contrôle des frontières et elle doit davantage s’engager avec les pays d'origine.
Outre la question du référendum britannique, le soutien à la croissance, à l’emploi et à l’investissement sera le deuxième enjeu au cœur des travaux de ce Conseil européen. Plusieurs points importants seront traités.
Le Conseil européen devrait adopter des conclusions sur le marché unique, en particulier sur le marché unique du numérique, qui est un enjeu de croissance et d’emploi, en même temps que de protection des créateurs, avec la régulation des plateformes et la protection du droit d’auteur.
Sur l’investissement, le Conseil européen donnera suite à la proposition annoncée par la Commission de prolonger le plan Juncker au-delà des trois ans qui étaient initialement prévus. Nous soutenons cette démarche et nous souhaitons effectivement que ce plan soit amplifié.
En effet, ce plan est d’ores et déjà un succès pour l’Europe et pour la France.
Ce plan est un succès pour l’Europe d’abord puisque, au 16 juin 2016, 266 décisions d’approbation de projets ont été prises par les instances de la Banque européenne d’investissement et du Fonds européen d’investissement, soit 17, 7 milliards d’euros de financements permettant de mobiliser plus de 100 milliards d’euros d’investissements à l’échelle européenne, autrement dit plus d’un tiers de l’objectif du plan.
Ce plan est un succès pour la France ensuite puisqu’elle est le premier pays bénéficiaire en termes de montant total des projets approuvés – 2, 7 milliards d’euros d’engagements pour 14, 5 milliards d’euros d’investissements concernés.
Le Conseil traitera également de l’approfondissement de l’Union économique et monétaire. Les travaux se poursuivent sur la base du rapport des cinq présidents. Le Conseil Ecofin a en effet adopté une feuille de route pour compléter l’Union bancaire.
Le conseil abordera les enjeux de la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, en particulier les deux révisions récentes de la directive sur la coopération administrative pour apporter plus de transparence sur les pratiques fiscales des multinationales en Europe.
Il traitera de l’agriculture et des mesures additionnelles attendues de la Commission pour faire face aux tensions sur les marchés du lait et de la viande de porc. L’accord conclu entre les ministres de l’agriculture du Triangle de Weimar est, de ce point de vue, une étape très importante.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le référendum constituera bien sûr un point majeur de ce Conseil européen, mais face à l’ampleur des défis auxquels l’Europe est confrontée, il devra aussi, j’y insiste, permettre d’avancer sur les priorités de l’Union européenne en matière de sécurité, de migration, de croissance.
Quel que soit le résultat du référendum, nous devrons tracer de nouvelles perspectives pour l’Europe. La relance du projet européen est nécessaire. Elle devra répondre aux grandes priorités du moment : la sécurité intérieure et extérieure, notamment la lutte contre le terrorisme, qui sera d’ailleurs discutée, au cours du Conseil européen de la semaine prochaine, lors de la présentation de la stratégie globale de sécurité de la Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ; la consolidation de la croissance et de l’investissement ; la relation de l’Union européenne avec son voisinage, en particulier la Méditerranée et l’Afrique ; la jeunesse, qui est l’avenir de notre continent.
Sur toutes ces questions, nous travaillons en étroite relation avec l’Allemagne et avec nos partenaires, en espérant que cela pourra se faire à vingt-huit et que le Royaume-Uni restera dans l’Union européenne. Nous avons une conviction commune : il n’y a pas de solution dans le repli national.
Unie, l’Europe est plus forte pour faire face aux nombreux défis auxquels elle est confrontée. Tel est le message que nous continuerons de porter, avec l’Allemagne et nos principaux partenaires, quel que soit le résultat du 23 juin.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.
J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de huit minutes à chaque groupe politique et de cinq minutes à la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, la commission des finances et la commission des affaires européennes interviendront ensuite durant huit minutes chacune.
Le Gouvernement répondra aux commissions et aux orateurs.
Puis nous aurons un débat interactif et spontané consistant en une série de questions avec la réponse immédiate du Gouvernement ou de la commission des affaires européennes pour une durée totale d’une heure.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après l’assassinat de notre collègue Jo Cox, j’ai tenu, en tant que président du groupe d’amitié France-Royaume-Uni et au nom de l’ensemble de ses membres, à adresser un message de solidarité à Sir Julian King, le nouvel ambassadeur du Royaume-Uni en France. Les membres du groupe CRC ont également souhaité adresser leurs condoléances à sa famille, au peuple britannique et à leur faire part de l’expression de notre total soutien au nom de la démocratie et de la liberté.
Comme chacun le sait, les Britanniques devront répondre cette semaine à la question suivante : « Le Royaume-Uni doit-il demeurer membre de l’Union européenne ou la quitter ? »
La campagne pour la sortie de l’Union se déroule dans un contexte propice aux instrumentalisations : attentats de Paris et de Bruxelles, crise des réfugiés. Les eurosceptiques conservateurs ne limitent pas leurs analyses aux critères ethniques et culturels. Le candidat à la direction du parti conservateur, Boris Johnson, souhaite reprendre le contrôle des frontières britanniques pour empêcher les migrants « de tirer les salaires vers le bas et de placer les écoles et le système de santé sous pression ».
De l’autre côté, nous pouvons déplorer que la campagne Remain n’ait pas été une campagne pro-Union européenne. Elle n’a guère défendu en effet l’Union telle qu’elle est, elle a plutôt défendu l’idée d’un statu quo.
David Cameron a prétendu défendre le maintien dans l’Union au nom de l’accord arraché en février, mais il faut bien le constater, cet accord n’a pas été un argument porteur, en particulier parce que la majorité des électeurs favorables au maintien dans l’Union, plutôt situés à gauche de l’échiquier politique, n’est guère enthousiasmée par les mesures de réduction des aides sociales aux migrants. Le camp du maintien dans l’Union a donc été en permanence sur la défensive. À droite et au centre, on a beaucoup insisté sur les conséquences économiques et politiques d’un Brexit. À gauche, on a insisté sur les protections sociales, aussi minimes soient-elles, offertes par l’Union et sur le risque d’une vague néolibérale en cas de sortie.
Au cours du débat sur le Brexit, rares ont été les moments où l’on a pu défendre l’idée d’un projet européen d’avenir. Même si les Britanniques décident de rester, l’accord conclu le 19 février sur les conditions de leur maintien entérine un certain retrait du Royaume-Uni au sein de l’Union. Il obligera les États membres à définir précisément le nouveau modèle dans lequel ils souhaitent inscrire l’avenir de l’Union s’ils veulent redonner une certaine dynamique au projet européen.
Il nous semble que l’Union européenne ne pourra avancer que si elle construit avec l’ensemble de ses composantes un projet européen digne, social et articulé sur l’idée de coopération plutôt que sur celle de compétition dévastatrice. Pour l’heure, nous en sommes encore loin.
Prenons l’exemple de la Grèce. Ce pays subit de plein fouet des mesures d’austérité insoutenables. L’Union européenne a imposé le vote d’une loi budgétaire de 7 000 pages, trois hausses massives de la TVA, la privatisation d’aéroports à des prix bradés, le départ à la retraite à 67 ans, l’augmentation des cotisations maladie, la fin des protections pour les petits propriétaires incapables de payer leurs emprunts, tout cela pour qu’Athènes obtienne un prêt principalement destiné à rembourser les intérêts de sa dette extérieure. Le Fonds monétaire international, le FMI, a beau concéder que celle-ci est insoutenable, l’Allemagne, de son côté, refuse qu’elle soit amputée.
Monsieur le secrétaire d’État, quand le Conseil européen se décidera-t-il enfin à agir réellement en faveur d’un soutien effectif à la Grèce ? L’étude publiée récemment par le Handelsblatt, un quotidien allemand, a montré que 95 % de l’aide à la Grèce est allée à ses créanciers.
Dans le même temps, le président de l’Eurogroupe a admis dans Les Échos des 29-30 avril que lui-même comprenait mal la signification du « déficit structurel » qu’aucun État ne doit excéder : « C’est un indicateur difficile à prédire, difficile à gérer et difficile à expliquer. Une de mes frustrations, c’est qu’il monte et qu’il descend sans que je sache vraiment pourquoi. » Dès lors, pourquoi continuer à appliquer ces sacro-saints principes avec autant d’ardeur ?
Le constat doit être nuancé : tous les gouvernements ne sont pas logés à la même enseigne. Prenons l’exemple de l’Espagne. Aucune sanction ne lui a été infligée alors que son déficit budgétaire dépasse allégrement la limite autorisée par les traités. Est-ce l’approche des élections législatives, dans un contexte particulier mettant en danger les partis traditionnels, qui rendent la Commission plus indulgente ?
L’émergence de deux nouveaux partis, Ciudadanos et Podemos, lesquels ont respectivement obtenu le 20 décembre dernier près de 14 % et un peu plus de 20 % des voix, a effectivement perturbé le jeu politique. Et il n’est pas certain que le scrutin du 26 juin puisse débloquer la situation. Dans ces conditions, il se pourrait que l’Europe connaisse une nouvelle soirée électorale importante, trois jours après le référendum britannique.
Revenons-en à la situation en Grèce, plus particulièrement à la question des migrations. Nous ne pouvons faire fi de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie. Il y a lieu de s’interroger sur les moyens concrets que l’Union met à disposition de ce pays pour faire face à la situation. Je parle ici des moyens non seulement financiers, mais également humains. Il me semble que ces derniers sont largement en deçà des besoins. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous faire un point très concret sur cette situation particulière ?
Permettez-moi ensuite de vous faire part ici de notre inquiétude concernant les mesures prises en Turquie, notamment la loi dite « antiterroriste », et le danger encouru par certaines minorités dans ce pays. Cette loi est en inadéquation avec les normes démocratiques européennes. L’exécutif européen a ouvert la voie le 4 mai dernier à l’exemption de visas, dont Ankara a fait une condition indispensable pour continuer d’appliquer son accord controversé avec l’Union. Nous savons que Bruxelles a assorti son avis favorable de certaines réserves, estimant qu’Ankara devait encore remplir 5 des 72 critères fixés pour l’obtenir, dont une redéfinition de la loi antiterroriste, jugée trop vague. Cela n’est pas sans danger, bien sûr, pour la démocratie.
La Turquie mettra-t-elle de nouveau la pression à l’Union en laissant passer 7 000 réfugiés quotidiennement ? Nous n’accepterons pas d’entrer dans un tel jeu, totalement inhumain et immoral.
Imposer des sacrifices à des peuples au nom de règles comptables strictes et oublier ces dernières aussitôt que certains amis les transgressent, c’est créer un terreau fertile dans lequel grandira sans peine la graine de la xénophobie et du repli sur soi. Il ne faut donc pas nous étonner de certaines réactions épidermiques sur le continent. Il est grand temps que les gouvernements empruntent une autre voie dans la construction du projet européen, et ce quelle que soit l’issue du référendum britannique jeudi prochain.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi qu’au banc des commissions.
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour le groupe socialiste et républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si chaque Conseil européen est l’occasion de nous poser la question : « Quelle Europe voulons-nous ? », celui des 28 et 29 juin prochains est véritablement une chance d’écrire une nouvelle page de l’histoire européenne.
Que nous critiquions Maastricht, regrettions le temps d’Amsterdam, blâmions Schengen, défions Nice ou conjurions Lisbonne, force est de constater que nous nous retrouvons majoritairement sur une idée : nous voulons une Europe qui sorte de son immobilisme et qui aille de l’avant.
Pleine de bonnes intentions, l’Europe se fige face à ces nouveaux défis, non pas parce qu’elle serait toute-puissante et responsable de toutes les crises, mais parce qu’elle est inachevée et que ses lacunes d’origine sont devenues intenables. Tel Prométhée enchaîné à son rocher, l’Europe visionnaire n’a pas su convaincre.
Ceux qui répondent à la crise par des solutions nationalistes font fausse route. C’est d’un nouveau contrat européen pour les Européens que nous avons besoin. C’est une œuvre de refondation profonde que nous devons proposer. Plus que jamais, la réorientation de la construction européenne portée par le Président de la République est nécessaire. L’Union ne peut continuer de fonctionner que si elle parachève son développement.
Le référendum britannique, quel que soit son résultat, nous oblige à saisir ce moment de clarification pour reprendre l’initiative.
L’ordre du jour du prochain Conseil européen, qui comprend la réponse à la crise des réfugiés, le développement de l’emploi, de la croissance et de l’investissement en Europe, la stratégie européenne de sécurité et de défense, rassemble des éléments moteurs de notre pacte européen, fers de lance de cette refondation tant attendue.
Le premier moteur est le parachèvement de la zone euro. Si nous voulons faire de l’euro une monnaie stable, porteuse de progrès économique et social au service des Européens, nous devons la doter des mécanismes nécessaires au fonctionnement de toute zone monétaire optimale, par l’harmonisation des prix et des salaires, l’ajustement budgétaire interne, l’harmonisation fiscale, la mobilité du travail, et d’un mécanisme de transfert budgétaire entre États.
Comment alors lier ces mécanismes avec justesse, efficacité, sans jamais céder à la facilité ?
Les États ne disposant plus de l’instrument des taux de change, c’est bel et bien la fiscalité et les salaires qui deviennent des instruments de compétitivité, ce qui provoque un nivellement vers le bas et met les peuples européens en concurrence. Nous le dénonçons.
Nous avons besoin de politiques coopératives en matière sociale et fiscale, de règles budgétaires cohérentes, adaptées au cycle économique, de la constitution d’un véritable marché du travail européen, du parachèvement de l’Union bancaire, de la création d’un budget de la zone euro. Plus que tout, nous avons besoin d’institutions pour gouverner et contrôler démocratiquement ces politiques.
C’est pourquoi nous proposons un code de convergence économique et social qui appelle notamment la création d’un socle commun de droits sociaux permettant de lutter efficacement contre le dumping social et salarial, ainsi qu’une harmonisation fiscale permettant de combattre la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscales.
Deuxième moteur : nous voulons un nouveau modèle de croissance. Il faut investir massivement en Europe.
Nous proposons de faire du succès de la Conférence de Paris sur le climat le fil conducteur d’un nouveau modèle de croissance.
Bien au-delà du plan Juncker, il faut mettre en place une stratégie massive d’investissement public et privé pour favoriser la création d’emplois de qualité et la transition énergétique, et rattraper le retard de notre continent dans le domaine numérique.
Pour financer l’investissement, l’Europe doit pouvoir emprunter et les marchés financiers doivent être réorientés pour la servir.
Cette stratégie nécessite aussi la mise en œuvre du principe du juste échange et interdit de conclure, en l’état, le TTIP, le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement.
Troisième moteur : il est temps de sauver Schengen et de restaurer la vocation humaniste de l’Union européenne. Nous avons besoin de frontières extérieures sécurisées, nécessairement assorties d’un système commun d’asile.
Face au drame humanitaire de la crise des réfugiés, la solidarité, qui est et doit rester l’un des fondements de la construction européenne, a été mise à mal, au même titre que l’exigence d’une responsabilité commune des États membres.
Cette responsabilité a été en partie reportée sur un pays qui n’est pas membre de l’Union, la Turquie. La Mission d’information sur la position de la France à l’égard de l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés et sur les conditions de mise en œuvre de cet accord nous conduit à nous interroger sur le sort des réfugiés que nous renvoyons dans ce pays dit « sûr » en plus de ceux qui ne peuvent plus en partir.
L’Union européenne est-elle encore digne de son histoire lorsqu’elle applique la fameuse règle dite du « un pour un », qui réduit femmes, hommes et enfants à de simples unités comptables ?
Sans les grands principes humanitaires sur lesquels l’Union européenne s’est construite, aucune confiance n’est possible. Il est donc devenu impératif de réformer le fonctionnement de l’espace Schengen et le règlement Dublin III en transformant le régime d’asile européen commun en véritable système commun d’asile.
L’Union européenne doit aussi mettre en place un mécanisme permanent de relocalisation fondé sur des critères communs à tous les États membres et permettant de répartir les réfugiés de manière équitable et objective.
Quatrième moteur, et c’est un sujet auquel j’accorde une attention toute particulière, plus qu’une politique étrangère et de défense commune, c’est d’une véritable politique communautaire que nous avons besoin sur ces sujets.
L’actuelle stratégie européenne de sécurité définit les objectifs diplomatiques et opérationnels de l’Union sur la base d’une évaluation de l’état du monde qui date de 2003. Actualisée en 2008, elle reste à ce jour la seule grille de lecture que l’Union s’est donnée pour fonder sa politique étrangère et de sécurité commune. À lui seul, son intitulé, Une Europe plus sûre dans un monde meilleur, illustre le décalage de perception, car l’Europe n’est pas encore très sûre et le monde n’est guère meilleur.
Avec Yves Pozzo di Borgo, nous sommes les auteurs d’une proposition de résolution européenne dressant un constat mitigé de la politique de sécurité et de défense commune, et faisons des recommandations cohérentes pour la relancer utilement.
Nous pensons qu’une stratégie globale de sécurité européenne, dans un siècle durablement dangereux, doit intégrer le besoin de nouvelles capacités opérationnelles de défense aussi bien que de nouveaux paramètres de la sécurité intérieure, depuis le contrôle des frontières jusqu’au partage du renseignement, en passant par des coopérations judiciaires et policières efficaces.
Les procédures européennes d’un côté, la pratique intergouvernementale de l’autre, devront à cette fin impérativement jeter entre elles des passerelles, sous la double supervision des États membres et de la Haute Représentante de l’Union, également vice-présidente de la Commission, Mme Mogherini.
Il faut renforcer le Centre européen de lutte contre le terrorisme, améliorer de toute urgence les échanges d’informations entre les États membres, prendre en compte les impératifs d’autonomie énergétique ou de sécurité dans les transports.
Mes chers collègues, il faut rapidement permettre à l’Union européenne de détenir les outils politiques, juridiques et opérationnels de nature à répondre au besoin de sécurité exprimé par les citoyens européens, auquel, seuls et dispersés, les États membres ne sauraient répondre efficacement.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du RDSE et de l'UDI-UC, ainsi qu’au banc des commissions.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’ordre du jour du Conseil européen à venir est particulièrement chargé.
Il s’agira notamment d’approuver les recommandations de la Commission dans le cadre du semestre européen et d’évoquer l’actuel engluement de l’Union face à la crise migratoire, qui se traduit aujourd’hui par la fermeture de la route des Balkans, l’accord très controversé mis en œuvre avec la Turquie, la dramatique situation des hotspots en Grèce et le succès plus que mitigé de la politique de relocalisation des réfugiés, des sujets majeurs qui mettent, malheureusement, en relief nos difficultés, voire notre incapacité à répondre aux défis toujours plus nombreux auxquels nous devons faire face.
Cependant, la question la plus sensible de ce Conseil sera bien évidemment celle des suites à donner au référendum qui se tiendra, après-demain, au Royaume-Uni. À l’heure où nous parlons, nous sommes bien incapables d’en prévoir l’issue. L’incertitude quant à ce scrutin reste totale, même après le monstrueux assassinat de la députée pro-européenne Jo Cox.
Je tiens au passage à remercier vivement le président du Sénat pour l’hommage qui vient d’être rendu à cette jeune députée. Jo Cox, qui aurait eu 42 ans demain, symbolise, par son âge et par ses engagements, toute une génération de Britanniques, née au lendemain de l’adhésion de son pays au Marché commun, qui souhaite en finir avec la vision passéiste d’une Angleterre insulaire toujours prompte à vouloir imposer ses règles et ses seules règles à l’Europe et au reste du monde.
Cet attentat sauvage en dit long sur l’incroyable dégradation du débat public en Grande-Bretagne et, malheureusement, ailleurs sur les questions ayant trait à l’Europe.
La défiance actuelle à l’égard de l’Europe n’est, bien sûr, pas de la seule responsabilité des dirigeants du Royaume-Uni. La manière dont nous avons cru très naïvement, dans les années 2000, que l’élargissement à grande vitesse de l’Union était compatible avec une intégration accrue sur la base d’institutions qui avaient été conçues pour six ou dix pays, et avec comme seul mantra l’établissement d’un marché unique, a beaucoup contribué à l’impasse dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.
On ne peut par ailleurs que ressentir un certain malaise quand on écoute les arguments des partisans britanniques du maintien au sein de l’Union et, en premier lieu, ceux qui sont régulièrement avancés par David Cameron. Le plus fréquent est celui du coût financier d’une telle sortie et de ses conséquences pour la place financière de Londres.
Aucune vision, aucun projet politique pour l’Europe dans tout cela, sinon de viser à entraîner dans sa suite d’autres États membres en proie au doute et à la défiance à l’égard de l’Europe. Au sein même du camp du maintien, il y a comme un déni de la question européenne sur le fond.
Quoi qu’il advienne ce 23 juin, nous ne sortirons pas de la spirale inquiétante qui vient de s’enclencher. Évidemment, en cas de succès du maintien, nous aurons évité le terrible symbole d’une Union en déconstruction avec la sortie effective d’un de ses principaux membres.
Toutefois, il faut le dire, les concessions faites à M. Cameron en février dernier, en amont de la tenue du référendum, sont tout sauf satisfaisantes et loin d’éclaircir notre horizon commun. À défaut d’être équilibrées, elles sont tout simplement destructrices pour le projet européen.
Même si certaines des mesures prises ou annoncées en matière de droits sociaux des résidents européens non britanniques parvenaient à surmonter les oppositions du Parlement européen et du Conseil, leur remise en cause devant la justice britannique est possible et entraînerait de nouveaux affrontements politiques.
Par ailleurs, une réforme des traités paraît inévitable pour entériner d’autres concessions obtenues concernant le statut dérogatoire de la Grande-Bretagne face au principe d’une « Union toujours plus étroite » et le souhait de ce pays d’établir un système de carton rouge permettant aux parlements nationaux de s’opposer à tout projet d’acte européen.
On le voit, ce sont des mois de périlleuses négociations qui s’ouvriraient à un moment où l’Union peine déjà à gérer des défis chaque jour plus nombreux.
En cas de succès des partisans du Brexit, la procédure de sortie dans les textes est si imprécise que personne n’est aujourd’hui en mesure d’en dire la durée, les modalités exactes et quel pilote tentera de faire atterrir en catastrophe l’avion britannique en perdition.
Officiellement, c’est la Commission européenne qui prendra les rênes de l’opération. Les choses risquent d’être bien compliquées, car dans les textes européens, rien ne dit de ce qu’il adviendra des 73 eurodéputés britanniques, du commissaire Jonathan Hill et des quelque 1 200 fonctionnaires britanniques de la Commission durant cette période.
S’ils parviennent jeudi soir à leurs fins, les partisans du Brexit ne cachent pas leur souhait d’obtenir le beurre et l’argent du beurre. Dans leur plan de sortie de l’Union, qui a été dévoilé la semaine passée, ceux-ci ne semblent pas vouloir d’une adhésion à l’Espace économique européen, qui les obligerait à contribuer encore au budget de l’Union. Ils aspirent à l’établissement rapide d’un traité de libre-échange avec l’Union et naturellement à conserver nombre de leurs prérogatives financières et bancaires.
Disons-le clairement, laisser à la Commission européenne l’exclusive d’une telle négociation, surtout lorsqu’on voit la manière dont elle s’y prend actuellement dans la négociation de certains grands traités commerciaux bilatéraux, ne nous dit rien qui vaille.
Les arguments en faveur d’une mansuétude de la Commission à l’égard du Royaume-Uni ne manqueront pas. On arguera en haut lieu qu’on ne peut laisser l’économie britannique partir à la dérive, voire le populisme d’extrême droite accéder au pouvoir, laisser le Royaume-Uni en proie aux volontés sécessionnistes des Écossais.
Alors oui, un Brexit coûtera sans doute cher au Royaume-Uni ; il aura aussi des incidences économiques pour le reste de l’Union et pour la France, mais le pire coût risque d’être politique si nous nous contentons de regarder passer les trains.
Regarder passer les trains aujourd’hui, c’est n’avoir aucun discours de réelle fermeté à l’endroit du Royaume-Uni si finalement il décide de se maintenir ou, pire encore, de quitter l’Union. Regarder passer les trains, c’est n’avoir aucun projet fort pour l’Europe de demain.
Une chose est claire, nous ne serons pas en mesure de continuer dans la configuration actuelle, que ce soit à 28 ou à 27, sans véritable projet d’intégration autre qu’économique.
Le projet d’une gouvernance et d’un budget de la zone euro, pour peu qu’il soit réalisable à court terme, est sûrement utile, mais il ne suffit pas à constituer une réponse à la hauteur des enjeux.
Une initiative politique forte doit être prise, en sachant qu’aujourd’hui aucun pays, pas même l’Allemagne, n’est en mesure à lui seul de renverser la table pour donner un nouveau départ à une Europe en déshérence.
Il y a une urgence à penser un nouveau moteur de l’Europe qui ne peut démarrer qu’à travers une grande initiative conjointe de ses quatre plus grandes et importantes nations qui, jusqu’alors, ont joué le jeu de l’intégration : je veux parler de la France, de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Espagne.
C’est aux gouvernements et aux parlements nationaux de ces quatre pays, en étroite collaboration avec le Parlement européen et, bien sûr, les autres États qui voudront bien s’associer à cette démarche, d’élaborer une véritable feuille de route pour l’Europe de demain.
Chacun de ces pays devra faire des concessions, parfois importantes, pour parvenir à un véritable projet commun d’intégration, notamment en matière de politique de sécurité et de défense commune, de construction d’une authentique industrie européenne du futur, d’indépendance technologique et énergétique durable, d’harmonisation fiscale et de solidarité économique.
Bien sûr, tous les membres de l’Union n’accepteront peut-être pas de suivre, mais si nous ne sonnons pas vite et fort l’heure de la clarification, le délitement européen à l’œuvre risque fort de nous emporter.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et de l'UDI-UC, ainsi qu’au banc des commissions.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous pensons tous, ce soir, à notre collègue députée britannique assassinée au nom d’une idéologie nationaliste, en nous souvenant que l’assassinat de parlementaires a toujours marqué des moments difficiles de l’histoire, et encore particulièrement en cette première moitié du XXIe siècle. Comment ne pas penser aussi aux mouvements politiques qui se développent en Hongrie, en Pologne, en Autriche, où l’emploi se porte bien, où les jeunes sont formés ? Comment ne pas penser aux mouvements citoyens de plus en plus présents en Italie, en Espagne ?
Nous devons en tirer la conclusion que de nombreux Européens adressent un message de défiance à l’égard non seulement de certains de leurs dirigeants nationaux, mais aussi, nous le savons, de l’Union européenne et de ses institutions - bien davantage qu’à l’idée de l’Europe elle-même. La responsabilité est collective, car bien des gouvernants, depuis de longues années, ont imputé les problèmes à l’Europe, quand bien même ce n’était pas sa faute, mais la leur. Aujourd'hui, nous payons l’addition !
Ne pas vouloir entendre ces messages, ne pas vouloir travailler à réformer les mécanismes européens, c’est fragiliser encore davantage l’Europe. La France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, comme vient de le dire notre collègue Gattolin, doivent assumer leur responsabilité de relance de l’Europe.
Comment ne pas constater aujourd'hui que faire avancer au même rythme les 28 pays européens est, d’un point de vue réaliste, concret, une mission impossible ? Nous le savons et il faut en tirer les conséquences, faire évoluer l’Europe de telle manière qu’elle puisse fonctionner correctement, peut-être pas à la même vitesse selon les pays.
Aujourd’hui, nonobstant les problématiques internes à chacun des États membres, il s’agit de savoir si l’Europe peut répondre aux grands défis du moment.
Le prochain Conseil européen, monsieur le secrétaire d'État, se penchera une nouvelle fois sur la crise migratoire, qui a éprouvé durablement, y compris dans les esprits, la solidarité européenne, avec des instruments destinés tant à gérer les flux qu’à organiser l’accueil des réfugiés, avec quelques résultats, il faut aussi le reconnaître, même si ce n’est pas merveilleux.
Notre groupe souscrit à la position du Gouvernement consistant à accepter un accueil raisonnable des réfugiés sur notre territoire en rapport avec nos possibilités matérielles et au regard du contexte sécuritaire qui est le nôtre depuis les attentats.
Nous avons accueilli favorablement la mise en place des hotspots, la politique de relocalisation dans les limites que je viens d’évoquer, le renforcement des moyens de l’agence FRONTEX ou encore le paquet « Frontières ».
Aujourd’hui, il s’agit plus particulièrement pour l’Union européenne d’évaluer le plan d’action activé avec la Turquie fin 2015 et confirmé par la déclaration du 18 mars dernier. Cet accord visait à rendre opérationnels des accords de réadmission déjà existants depuis 15 ans entre la Turquie et la Grèce, et depuis 2 ans entre la Turquie et l’Union européenne. C’est donc un accord politique pour lequel il a été décidé d’établir en contrepartie du principe de « un pour un » l’accélération du processus de libéralisation des visas.
Personne n’est sourd quant au respect des 72 critères exigés pour l’exemption des visas. Je préside le groupe d’amitié France-Turquie et crois connaître à peu près la situation turque, monsieur le secrétaire d'État. Celle-ci n’est pas merveilleuse, des dérives quant aux droits de l’homme sont incontestables, mais réagissons-nous aussi violemment à ce qui se passe en Arabie Saoudite ou en Égypte ? La question mérite d’être posée, même si elle n’excuse rien.
En tout cas, vous l’avez dit, l’accord passé avec la Turquie a permis de réduire considérablement le flux des réfugiés et ainsi bien des drames humains, ce qui est déjà un bon résultat, au-delà de ce que l’on peut penser des dérives qui se produisent en Turquie concernant les droits de l’homme. La question est de savoir si l’on a fait avancer le dossier des réfugiés, si l’on a permis l’allégement de certaines souffrances humaines. La réponse est « oui », et le reste passe après, même si ce n’est pas secondaire.
En outre, condamner la Turquie, comme certains pays, c’est oublier qu’elle accueille 2, 7 millions de réfugiés sur son sol et qu’elle y fait face. Il est difficile, dans ces conditions, d’accepter de recevoir des leçons tous les jours.
En tout état de cause, comme le disait le Premier ministre ici même fin novembre : « Nous devons respecter ce grand pays qu’est la Turquie », sans être dupes de quoi que ce soit et en disant les choses, mais en étant conscients des réalités.
J’en viens à un autre point de l’ordre du jour du prochain Conseil européen, la question du Brexit. Bien que le souhait d’une partie des Britanniques de sortir de l’Europe obéisse à de nombreux autres ressorts que celui des migrations, celles-ci ont alimenté encore leur euroscepticisme.
À quelques jours du référendum, l’heure n’est plus aux pronostics. La décision appartient au peuple britannique. Nous devrons à la fois prendre acte et tirer des enseignements du résultat du vote quel qu’il soit. Pour notre groupe, les Anglais ont toute leur place dans l’Union, une place qu’ils n’ont malheureusement jamais complètement occupée, mais c’est à eux d’en décider et c’est leur responsabilité !
Quoi qu’il en soit, derrière tout cela, il y a des enjeux économiques. La panne de croissance qui a gagné l’Europe depuis la crise de 2008 a alimenté la défiance que j’évoquais. C’est pourquoi l’emploi, la croissance et l’investissement seront également à l’ordre du jour du Conseil. Le point sera fait sur le fonds européen pour les investissements stratégiques. Ce fonds est utile et contribue à stimuler l’emploi, mais il n’est qu’un outil de plus.
Plus fondamentalement, monsieur le secrétaire d'État, ce dont nous avons besoin, c’est d’un cap politique avec quelques principes. Il s’agit de savoir de quelle Europe nous voulons. Avec les Britanniques, il y a toujours eu ce malentendu, toutefois très conscient, entre deux visions, celle d’une Europe commerciale, du libre-marché, et celle, disons-le, plus romantique d’une Europe humaniste qui faisait dire à François Mitterrand que « l’Europe a trouvé sa raison d’être en devenant l’Europe de la liberté ». Mais ce n’est jamais facile à construire.
Alors aujourd’hui, à défaut d’avoir clairement tranché dans une direction, c’est trop souvent la gestion des crises qui fait avancer le projet européen. Il a fallu le choc économique de 2008 pour faire émerger l’Union bancaire. Il a fallu l’affaire LuxLeaks pour qu’une directive européenne anti-évasion fiscale soit sur le point de voir le jour.
L’Europe n’aura de sens, mes chers collègues, que si elle pose clairement quelques principes forts, dont celui de la coordination des politiques économiques, avec au minimum une convergence des politiques fiscales.
Dernier sujet qui sera évoqué la semaine prochaine, la politique extérieure, notamment les relations entre l’Union européenne et l’OTAN dans la perspective du sommet de Varsovie. Là aussi, il serait souhaitable que la solidarité s’exerce un peu plus.
Je ne m’étendrai pas sur ce que doit contenir la stratégie européenne de défense et de sécurité, car nos collègues de la commission des affaires européennes ont déposé une proposition de résolution que le RDSE regarde avec intérêt, d’autant plus qu’il y est mentionné « l’établissement d’une relation approfondie avec la Russie ».
Je ne reviendrai pas non plus dans le détail sur le débat que nous avons récemment eu, mais puisque la relation entre l’Europe et l’OTAN fera partie des discussions, je rappellerai simplement que l’Union européenne n’a rien à gagner dans la politique d’endiguement qu’a tendance à pratiquer l’OTAN. C’est au sud de l’Europe que se concentrent les conflits les plus impactants pour notre territoire. Ces conflits ne peuvent être résolus sans tenir compte de la Russie, qui doit redevenir un partenaire précieux, car indispensable.
Mon groupe regrette donc la décision prise par l’Union européenne de prolonger le régime des sanctions à l’égard de la Russie. Monsieur le secrétaire d'État, il y a urgence à ce que la France, dans la tradition des pères de l’Europe, délivre à nouveau un message fort à l’adresse de ses partenaires, et c’est ce que nous attendons de vous !
Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le prochain Conseil s’ouvrira sur une Europe qui va mal, dans un monde en crise. Rien de réjouissant au demeurant, sauf à y voir une chance historique, sans doute la dernière, de repenser le projet européen, sa gouvernance et ses moyens de fonctionnement.
S’agissant de l’avenir du Royaume-Uni dans l’Union européenne, les incertitudes se renforcent à mesure que l’on approche de l’échéance. Ainsi que l’a constaté le président du Conseil européen : « Il est très difficile aujourd’hui d’être optimiste. » Deux sondages récents donnaient gagnant le Brexit, bien que la tendance semble s’inverser après l’assassinat de notre collègue la députée Jo Cox.
Si certains qualifient déjà le Brexit de victoire des peuples contre les technocrates, cette vision me semble illusoire et le scénario sera « perdant-perdant ». Je rappelle que, loin d’être ostracisées, les autorités britanniques ont déjà conclu un accord, en février dernier, qui, en cas de maintien dans l’Union européenne, satisfait leurs principales demandes.
La sortie du Royaume-Uni aura des conséquences, en particulier en matière de marché unique, et Londres devra renégocier ses relations commerciales avec l’Union. De même, elle n’émargera plus à aucun fonds européen.
Au-delà, le Brexit aura aussi un impact psychologique et, sauf à considérer le cas britannique comme « endémique », l’on peut redouter un effet d’entraînement qui serait catastrophique pour l’avenir du projet européen. En rejetant par référendum l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne, les Néerlandais ont ouvert un premier front de défiance vis-à-vis de Bruxelles. Et que dire des percées de l’euroscepticisme en Autriche ou en Hongrie ?
Monsieur le secrétaire d'État, en cas de sortie britannique, quelle initiative prendra la France pour maintenir la cohésion européenne ? Quelle sera votre position si d’autres États en venaient à conditionner leur maintien à la satisfaction de demandes particulières ?
La crise migratoire s’invite une nouvelle fois à l’agenda de l’Union européenne.
Si, en Libye, l’expansion de l’État islamique semble contenue, le nombre d’embarcations chargées de migrants se dirigeant vers l’Europe a augmenté. L’opération Sophia en récupère, mais plusieurs centaines de milliers de personnes attendraient actuellement dans les camps libyens. Il paraît donc essentiel que la situation se normalise pour stopper le flux, faute de quoi l’opération EUNAVFOR MED Sophia n’aura servi qu’à assurer les passeurs de l’organisation d’opérations de recueil de migrants.
Vers nos frontières orientales, Syriens, Irakiens, Afghans, Pakistanais continuent de converger, mais les entrées en Grèce ont largement chuté après la mise en œuvre de l’accord avec la Turquie. Si les premiers effets sont visibles, le prix payé par l’Europe continuera longtemps d’alimenter la polémique, car les contreparties sont substantielles et donnent le sentiment d’un accord déséquilibré.
La question de l’entrée sans visa des ressortissants turcs au sein de l’espace Schengen, cela a été évoqué, est conditionnée au respect par la Turquie de 72 critères, dont quelques-uns, il faut bien le dire, cristallisent toutes les tensions. Le respect de tous les critères, monsieur le secrétaire d'État, doit demeurer une condition sine qua non. L’Europe devra aussi rester attentive à l’usage des financements alloués pour les réfugiés, ainsi qu’aux efforts de la Turquie dans la lutte contre les passeurs.
Mais, à n’en pas douter, la crise des migrants laissera des traces sur les opinions publiques européennes.
La question de la coopération entre l’Union européenne et l’OTAN est désormais étroitement liée à la situation en Ukraine et aux relations avec la Russie.
Je ne m’arrêterai pas sur les occasions manquées de faire progresser l’idée d’une défense européenne plus intégrée, mais de fait, il faut bien le constater, nombre de pays d’Europe centrale et orientale membres de l’Union européenne ont aussi choisi d’adhérer à l’OTAN pour assurer leur sécurité face à leur voisin russe et troquer par là même leurs anciens matériels soviétiques contre des équipements trop souvent américains.
Ce que certains ont pris pour la fin de l’Histoire s’est avéré être le début d’une nouvelle histoire. C’est aujourd’hui sur fond d’Union européenne affaiblie par les crises successives que se retrouvent face à face l’OTAN et la Russie, et la guerre de Géorgie puis l’agression contre l’Ukraine ont marqué un coup d’arrêt aux velléités de nouveaux élargissements, européens ou « otaniens ».
Et l’Europe, dans tout cela ? Varsovie, capitale européenne où le Pacte qui porte son nom a été créé et démantelé, accueillera le sommet de l’OTAN en juillet. Au-delà du symbole, cet événement va surtout couronner le renforcement militaire sans précédent de l’OTAN à l’Est entamé depuis le début du conflit ukrainien, et confirmer la vision « locale » de la répartition des rôles : l’Europe pour la vie économique et les affaires, l’OTAN pour la sécurité.
Enfin, je ne suis pas sûr que cette politique de démonstration réciproque de virilité entre l’OTAN et la Russie, qui se prolonge aussi dans le cyberespace, soit très productive. Elle crée surtout les conditions d’un dérapage qui, comme l’illustre l’incident aérien russo-turc à la frontière syrienne, demeure hautement possible, mais qui pourrait avoir lieu cette fois sur le territoire de l’Union européenne.
La situation dans l’est de l’Europe et les relations de l’Union européenne avec la Russie ont largement mobilisé le Sénat. Il y a deux semaines, nous adoptions une proposition de résolution européenne relative au régime des sanctions à l’encontre de la Russie. La sagesse du Sénat fut d’avoir considéré comme primordial le rétablissement des liens de confiance avec la Russie, en liant l’allégement progressif des sanctions à des progrès significatifs dans l’application des accords de Minsk.
Cette vision n’empêche pas d’être réaliste sur la conception russe des relations internationales, bien souvent basée sur les rapports de force, ni de rappeler les inquiétudes européennes vis-à-vis de l’attitude martiale de Moscou dans ce qu’elle considère toujours comme sa sphère naturelle d’influence.
Après l’annexion de la Crimée, la déstabilisation de l’est de l’Ukraine, les sanctions européennes étaient incontestablement fondées et l’Union a payé le prix fort, notamment économique, des mesures de rétorsion russes.
Cela ne doit pas occulter les responsabilités européennes : celles notamment d’avoir conduit un élargissement trop rapide à l’Est et un Partenariat oriental ambigu dans ses objectifs et trop exclusif ; celles aussi d’avoir attendu de la Russie l’exemplarité quand elle n’était pas toujours demandée à d’autres.
À l’évidence, et à condition que chacun fasse un pas, les relations doivent repartir sur de nouvelles bases, car si la Russie est bien « entre deux mondes », nous sommes désormais voisins directs et l’intérêt commun demande de s’entendre.
Monsieur le secrétaire d'État, chacun constate bien qu’il y a deux Europe sur les questions de sécurité : celle qui vit dans l’angoisse permanente de la Russie et remet son sort entre les mains de l’OTAN ; celle tout entière mobilisée contre le terrorisme islamiste et qui peine à comprendre que, sans coopération, point de salut !
Sur tous ces sujets, de nombreux Européens, en particulier en Europe centrale et orientale, sont en plein doute, quelques années à peine après leur adhésion enthousiaste. Ils se retrouvent au cœur d’une crise historique qui n’épargne pas les États membres les plus anciens.
Il nous faut donc redonner du sens à la construction européenne. Cela passe au préalable par une définition précise de nos frontières qui soit cohérente avec notre héritage culturel et civilisationnel commun. C’est dans cet espace au périmètre stabilisé et aux frontières extérieures mieux protégées que les Européens devront se recentrer sur quelques politiques d’envergure continentale, où l’Union peut apporter une contribution décisive, mais aussi alléger la production de normes.
Le temps est également compté, monsieur le secrétaire d'État, si nous voulons créer les conditions d’une « Europe puissance » qui pèse sur les grandes décisions et fasse pièce aux autres puissances du XXIe siècle.
Enfin, dans cette compétition mondiale, les Européens devront, collectivement, mieux protéger leur économie et leurs emplois face à une concurrence dérégulée.
Monsieur le secrétaire d’État, cette reconfiguration salutaire ne signifierait pas l’effacement de la France, mais serait, bien au contraire, l’occasion de réaffirmer sa vision et son rôle moteur en Europe.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vous le savez, le Conseil européen des 28 et 29 juin prochains présente un ordre du jour très chargé, avec des enjeux centraux pour l’Union européenne et pour son avenir à court et moyen termes. Le Sénat a toujours eu une voix qui portait dans ces différents débats. Je souhaite, monsieur le secrétaire d’État, que vous puissiez aujourd’hui encore l’entendre.
Dans le cadre de mon intervention, je me concentrerai sur le Brexit, nos relations avec la Russie et le sommet de l’OTAN.
La semaine à venir est décisive dans l’histoire de la construction européenne. Le référendum sur la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union se déroule dans deux jours et, plus que jamais, le risque de victoire pour ceux qui souhaitent le Brexit est important. Il aura malheureusement fallu attendre presque la semaine dernière et l’insoutenable meurtre de notre collègue Jo Cox pour que la France s’intéresse à la question posée aux Britanniques.
Je le regrette, car de ce vote dépend une partie de l’avenir de l’Union européenne. Peut-on laisser les Britanniques décider seuls du destin de l’Europe ? Je ne le crois pas, d’autant que, depuis de nombreuses années, le désamour des peuples vis-à-vis de l’Europe est profond. Chaque fois qu’il faut trouver un bouc émissaire à nos problèmes, c’est Bruxelles qui est dénoncé.
À force, l’envie d’Europe disparaît. L’Union européenne et ses institutions semblent déconnectées des citoyens et ceux qui dénoncent régulièrement le manque de démocratie doivent être entendus.
Enfin, nos politiques en commun doivent être revues. En particulier, il faut réfléchir à une réelle gouvernance économique de l’euro, afin de crédibiliser notre espace de vie. Finalement, j’oserai dire que « l’Union ne fait plus envie », à tel point que la Suisse, la semaine dernière, a décidé d’annuler sa requête d’adhésion, pourtant vieille de 24 ans !
Il est nécessaire, monsieur le secrétaire d’État, que les dirigeants européens reprennent la main, écrivent une nouvelle page de notre histoire en prenant en compte les conclusions des différents « accidents » qui jalonnent notre parcours depuis un peu plus de dix ans.
Il est indispensable de se donner un nouvel avenir commun et d’impulser un nouveau souffle à l’Union. En tant que centristes, vous le savez, nous sommes prêts à mettre toute notre énergie dans cette construction.
Nous comptons sur la France et l’Allemagne. De Gaulle et Adenauer, Giscard et Schmidt, Mitterrand et Kohl, Chirac et Schröder, Sarkozy et Merkel ont montré le chemin. Nous attendons maintenant Hollande et Merkel !
Mais, ai-je envie de dire, peu importe si les Britanniques choisissent de sortir ou non de l’Union. Ce serait un coup dur, mais l’essentiel est que ceux qui en sont membres soient convaincus et enthousiastes pour porter un vrai projet politique et économique en commun, celui d’une Europe intégrée et plus fédéraliste. Le mot fait toujours peur – même les centristes hésitaient à le prononcer. Pourtant, quand certains de nos amis politiques parlent de transferts de souveraineté, il s’agit bien de fédéralisme, n’ayons pas peur de le dire. Ne construisons pas une Europe à la carte qui ne serait que l’addition des demandes de chaque État membre.
Le deuxième point que je souhaite aborder dans ce débat concerne nos relations avec la Russie. Il y va du poids diplomatique et du développement économique de l’Union européenne.
Vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, le Sénat a adopté voilà deux semaines une résolution européenne que j’ai eu l’honneur de préparer avec notre collègue Simon Sutour et qui a recueilli l’assentiment de la quasi-unanimité de notre assemblée, avec 301 voix pour et 16 contre.
J’insiste sur ce vote, car il émane d’une chambre du Parlement d’un des États membres les plus importants de l’Union. Je ne souhaite pas, monsieur le secrétaire d’État, qu’il soit banalisé, voire balayé par les infrastructures communautaires. Nous sommes le premier parlement national parmi les États membres à donner un avis sur cette question. Ce n’est donc vraiment pas négligeable. Et je vous rappelle, monsieur le secrétaire d’État, que ces sanctions ont coûté 0, 3 % du PIB en 2014 et 0, 4 % du PIB en 2015, soit l’équivalent de ce que va rapporter le plan Juncker s’il réussit.
Cette résolution, équilibrée et réaliste, a pour objectif principal de dénouer la crise ukrainienne le plus rapidement possible, de garantir l’intégrité territoriale de ce pays par la défense des accords de Minsk et d’initier une reprise de relations « normales » avec la Russie.
Nous comptons sur vous, monsieur le secrétaire d’État, et sur le Président de la République pour porter la voix du Sénat sur cette question les 28 et 29 juin. Notre résolution doit vous permettre de guider la position française. Or il semblerait que les ambassadeurs, d’un trait de plume, l’aient déjà mise à la poubelle ! Je vous rappelle, monsieur le secrétaire d’État, que nous représentons le peuple. Et lorsqu’on se moque du peuple, on en arrive au Brexit !
La résolution de cette crise est indispensable pour l’Ukraine, pour la Russie, pour l’Union européenne et pour ses États membres. Aussi, je vous rappelle que le dispositif de la résolution consiste juste en une levée progressive et différenciée des sanctions, sous conditions, dans les domaines économique, politique, diplomatique et individuel. Je pense en particulier aux parlementaires : est-il normal que M. Le Roux soit interdit de séjour en Russie parce que nous interdisons à la présidente du Sénat russe de venir en France ?
Le bon sens voudrait qu’au moins, les 28 et 29 juin, malgré tous les ambassadeurs et les fonctionnaires européens, vous ayez le courage de prendre ces décisions ! Si M. Hollande en faisait la demande, ce serait déjà un signe positif !
Pour terminer, j’aimerais évoquer rapidement la question de la défense européenne.
Le 25e sommet de l’OTAN se déroulera les 8 et 9 juillet. Compte tenu des fortes actualités politiques et économiques de part et d’autre de l’Atlantique, nous devons tous avoir en tête l’un des enjeux essentiels pour l’Europe, celui de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme.
Ma collègue Gisèle Jourda rappelait la proposition de résolution européenne que nous avons déposée et qui a été votée à la majorité moins une voix de la commission des affaires européennes et à la majorité absolue de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous l’autorité de nos deux rapporteurs, Jacques Gautier et Daniel Reiner.
Après les attentats dont la France a été victime, le recours à la clause européenne de défense mutuelle a créé une dynamique politique nouvelle et inédite pour relancer, voire refonder le projet d’Europe de la défense.
Il est important que l’Union européenne se forge une stratégie qui identifie les nouvelles menaces et recense les moyens dont elle estime devoir disposer pour y faire face, qu’elle s’assigne des objectifs et des priorités, conjointement avec les États membres, afin de ne pas avoir, dans l’urgence, à rechercher des réponses juridiques, politiques ou capacitaires aux crises qui menacent ses valeurs, ses intérêts vitaux et son existence.
Cette stratégie de politique étrangère et de sécurité devra se concentrer sur la défense des intérêts communs que l’Union et ses États membres auront identifiés.
La nécessité d’une cohérence et d’une impulsion politiques accrues dans le domaine de la sécurité et de la défense à l’échelle de l’Union justifierait, monsieur le secrétaire d’État, d’instituer un dialogue plus fréquent et plus dense au sein du Conseil européen.
Il devrait désormais être convoqué annuellement sur l’enjeu de sécurité et de défense. Ce « Conseil européen de sécurité et de défense », tel qu’il est proposé dans cette résolution, permettrait une actualisation et une meilleure réactivité dans l’analyse et l’évaluation conjointes des menaces et stimulerait la recherche concertée de solutions collectives.
Pour ce faire, il sera nécessaire de lever des contraintes budgétaires naturellement, mais aussi politiques, notamment pour certains États membres, dont nous faisons partie, qui entretiennent un lien fort et ancien avec l’OTAN qu’ils ne souhaitent pas remettre en question.
Il importe de bien différencier la politique de sécurité et de défense européenne de celle de l’OTAN. Ce n’est pas à l’Organisation atlantique d’imposer sa stratégie de défense à l’Union, comme elle le fait depuis de nombreuses années, mais c’est au Conseil européen de définir ses propres objectifs. En étant complémentaires, mais indépendants, nous serons plus efficaces, et l’Europe gagnera en visibilité et en crédibilité.
En conclusion, je rappellerai l’attachement qui est le mien et celui du groupe UDI-UC à la construction européenne. L’Union doit redevenir un projet politique d’avenir. Dans de nombreux domaines, bien au-delà de ceux qui viennent d’être abordés, elle constitue une solution d’envergure aux difficultés soulevées en France. Pour cela, il faut une volonté politique et un engagement sans faille. J’aimerais qu’ils soient plus prégnants dans le débat national.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser le président Jean-Pierre Raffarin, retenu par des engagements auxquels il n’a pu se soustraire.
Notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté ces dernières semaines trois résolutions en vue du prochain Conseil, exprimant deux inquiétudes majeures et deux exigences.
Notre première préoccupation, c’est la menace du Brexit. Notre commission s’est rendue à Londres il y a un mois pour des entretiens de haut niveau : nous mesurons bien le risque.
L’assassinat tragique de la députée Jo Cox vient dramatiser encore un enjeu qui concerne tous les Européens. Un Brexit ouvrirait en effet une crise majeure en Europe et il nous faut, dès à présent, réfléchir au « jour d’après » le vote, et ce quelle que soit son issue.
Si le Royaume-Uni quitte l’Union européenne, il faudra à la fois enclencher la séparation, mais aussi anticiper sur le plan politique d’éventuelles contagions.
Si le Royaume-Uni reste dans l’Union, ce que nous souhaitons, il faudra mettre en œuvre, au niveau européen, le « paquet » négocié en février par David Cameron. Dans les deux cas, la commission des affaires étrangères juge nécessaire de prendre une initiative forte pour relancer l’Europe politique.
Le gouvernement français devrait prendre une telle initiative, qui pourrait à notre avis concerner la sécurité et la défense, conjointement avec l’Allemagne.
Notre commission a d’ailleurs prévu une réunion de travail à l’ambassade britannique dès le 29 juin, et une réunion conjointe ici même le 12 juillet avec nos homologues de la Chambre des communes et de la Chambre des Lords. Le message est clair : quelle que soit l’issue du vote, la coopération de défense avec les Britanniques, très avancée, sera poursuivie, dans l’élan des accords de Lancaster House, qui unissent étroitement nos deux pays.
Notre deuxième inquiétude concerne les migrants. Nous sommes entrés, depuis avril, dans une nouvelle phase, car l’accord passé avec la Turquie le 18 mars, combiné avec la fermeture de la route des Balkans, a ramené le nombre d’arrivées à une cinquantaine par jour, contre 2 000 à l’hiver dernier. Mais plusieurs milliers de migrants attendent dans les hotspots et 50 000 autres, arrivés avant l’accord, sont bloqués en Grèce.
Si la situation est stabilisée, si, pour l’heure, nous constatons une certaine bonne volonté turque dans le contrôle des flux, nous n’en restons pas moins à la merci d’un revirement de la Turquie, qui sait trop bien monnayer sa coopération.
Aussi, tous nos efforts doivent-ils tendre – c’est du ressort de la politique étrangère, monsieur le secrétaire d’État – à un règlement de la crise syrienne, sans oublier, bien entendu, un soutien aux autres pays voisins de la Syrie, qui supportent eux aussi une lourde charge en matière d’accueil des réfugiés – je pense au Liban et à la Jordanie en particulier.
Notre inquiétude, aujourd’hui, est la réactivation probable des arrivées par la Méditerranée centrale. Plusieurs centaines de milliers de migrants subsahariens et de la Corne de l’Afrique seraient candidats au départ vers l’Europe, et plusieurs dizaines de milliers sont d’ores et déjà prêts à embarquer sur les côtes libyennes, alors même que les naufrages reprennent à un rythme soutenu. L’opération européenne Sophia a, paradoxalement, plutôt été une aide qu’un frein pour les passeurs. Je me réjouis donc que l’ONU l’ait autorisée, enfin, à lutter contre le trafic d’armes, en attendant la phase 3, qui, seule, permettra de neutraliser les réseaux de passeurs.
Aujourd’hui, la situation est aussi préoccupante d’un point de vue sécuritaire, car Daech en Libye, attaqué dans la poche de Syrte, pourrait infiltrer ces réseaux de passeurs. Le problème, nous le savons tous, c’est la faiblesse du gouvernement légitime libyen.
La solution, là aussi, est politique : la France et les 28 doivent soutenir les efforts de l’envoyé spécial de l’ONU pour la reconnaissance par tous nos États du gouvernement d’union nationale du président Al-Sarraj, avec comme mesures prioritaires la mise sur pied d’une armée et la formation des garde-côtes.
Mais c’est surtout en amont de ces routes migratoires qu’il faut agir, à la source ! La proposition que vient de faire la Commission européenne d’un nouveau cadre de partenariat avec les pays tiers semble aller dans ce sens, pour peu qu’il ne s’agisse pas simplement de « mobiliser et de concentrer » des moyens existants, ce qui serait évidemment très largement insuffisant.
Sur la Russie, notre position est bien connue, puisque le Sénat en a largement débattu. La résolution de notre commission, évoquée à l’instant, et dont je rappelle qu’elle respecte naturellement le droit international, lie l’allégement des sanctions économiques à l’application des accords de Minsk, ce qui n’empêche pas d’envisager de réévaluer les sanctions diplomatiques et individuelles, lesquelles bloquent des relations indispensables au dialogue politique.
Dialoguer, c’est notre première et permanente exigence. Cela n’empêche pas d’exprimer des désaccords : notre commission a mené en mars, ici même, un dialogue stratégique avec des parlementaires russes du Conseil de la Fédération : nous avons clairement condamné l’annexion de la Crimée et la situation dans l’est de l’Ukraine, tout en cherchant par ailleurs des convergences de vue. À ce titre, on ne peut que se réjouir que le président Juncker se soit rendu à Saint-Pétersbourg.
Dernière exigence : la stratégie globale de l’Union européenne concernant les questions de politique étrangère et de sécurité ne doit pas passer à la trappe ! La sécurité est la première demande des Européens, à égalité avec l’emploi, on l’oublie trop souvent.
L’Europe doit répondre à cette demande ! Comment, sinon, la réconcilier avec ses citoyens ?
Sur la méthode, il n’est pas normal de découvrir dans la presse spécialisée un document qui n’a pas été communiqué aux parlements nationaux.
Sur la stratégie globale, notre commission affiche un objectif fort : s’assurer que sa composante défense soit substantielle et déclinée dans un document de type « Livre blanc », qui remplisse deux objectifs essentiels : avoir une analyse partagée des menaces et mettre en face les moyens d’y parer. Sinon, ce sera un nouveau coup d’épée dans l’eau.
Je l’ai déjà dit, cette stratégie prendrait tout son sens avec une relance franco-allemande, moteur de l’Europe, en matière de sécurité et de défense, qui serait ensuite élargie aux gouvernements qui voudraient et pourraient la suivre.
Nous donnons même les grandes orientations qu’une telle initiative pourrait prendre.
Nous proposons un Conseil européen annuel dédié à la défense et un conseil des ministres de la défense, enfin institutionnalisé, pour peser sur les perspectives financières européennes 2021-2027.
Pour favoriser l’émergence d’une base industrielle européenne de défense, indispensable à notre autonomie, nous préconisons un renforcement des moyens de l’Agence européenne de défense et de son pouvoir de définition des normes.
Enfin, le Gouvernement doit contribuer à définir « l’action préparatoire de recherche et développement », ballon d’essai d’un futur « plan défense » de la Commission européenne.
Vous le voyez, mes chers collègues, les défis qui nous attendent sont importants, et nous devons les relever.
Sans la France pour porter l’idée de défense européenne, nous n’avancerons pas. Nous comptons sur votre écoute, monsieur le secrétaire d’État, et je vous remercie par avance.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen des 28 et 29 juin prochains marquera à la fois le début d’une nouvelle période, celle de « l’après-référendum » britannique, et la conclusion de la procédure du semestre européen 2016.
Les résultats de la consultation des citoyens britanniques sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne et leurs conséquences seront, à n’en pas douter, au cœur des discussions des chefs d’État et de gouvernement. Alors que les prévisions des sondages oscillent entre « Brexit » et « Bremain », les institutions européennes et les autres États membres doivent se préparer à toutes les éventualités.
Au-delà de la rupture qu’elle entraînerait dans l’histoire de la construction européenne, une sortie du Royaume-Uni aurait des conséquences économiques négatives à long terme, à la fois pour le Royaume-Uni et pour les autres États membres.
Comme je l’ai mis en évidence dans un récent rapport d’information présenté à la commission des finances, un Brexit pourrait avoir un impact négatif sur le PIB britannique, compris entre 1, 6 point et 4, 1 points à long terme. Cela correspondrait à une perte de revenus comprise entre 1 050 euros et 2 600 euros par tête et par an.
Pour ce qui est de la France, la croissance de l’activité pourrait être plus faible, de 0, 2 point à 0, 4 point chaque année, ce qui aurait notamment pour effet de réduire les recettes fiscales de notre pays de 10 à 20 milliards d’euros en 2020 par rapport à leur niveau prévisionnel. Et encore, ces estimations ne tiennent pas compte des éventuels effets de domino d’un Brexit.
Dans ces conditions, il importe que la France soit en mesure de se préserver du pire, en créant les conditions pour renforcer l’attractivité de notre pays et attirer les entreprises, notamment financières, qui pourraient être susceptibles de vouloir quitter le Royaume-Uni. La France devrait par ailleurs renégocier les effets du « rabais sur le rabais » britannique.
Le maintien des effets de ce mécanisme de correction, alors même que le Royaume-Uni ne serait plus contributeur, entraînerait en effet une hausse substantielle de la contribution de la France au budget de l’Union européenne, de l’ordre d’environ 7 %. Le Président de la République s’étant prononcé à plusieurs reprises contre « tous les chèques, toutes les ristournes, tous les rabais », en cas de Brexit, le Gouvernement entend-il proposer de mettre à l’ordre du jour une réforme de l’ensemble du système de corrections budgétaires ? À défaut, le Gouvernement serait-il prêt à solliciter un plafonnement de la contribution française ?
Ensuite, l’aval du Conseil européen sur les recommandations spécifiques par pays devrait venir conclure le semestre européen 2016. La plupart des recommandations adressées à la France sont très similaires à celles formulées les années précédentes et apparaissent légitimes pour renforcer la cohésion de l’Union économique et monétaire.
En revanche, la Commission européenne a inscrit dans son projet de texte une nouvelle recommandation en matière fiscale : l’adoption de la retenue à la source de l’impôt sur le revenu « d’ici à la fin de l’année 2016 ». Que pensez-vous, monsieur le secrétaire d’État, d’une telle prise de position de la Commission sur un sujet relevant pleinement de la souveraineté nationale ? Une telle recommandation a-t-elle vocation, selon vous, à demeurer dans le texte définitif qui sera adopté par le Conseil de l’Union européenne ?
Enfin, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais vous interroger sur la proposition de prolonger au-delà de 2018 le Fonds européen pour les investissements stratégiques, mesure phare du plan Juncker, annoncée récemment par la Commission européenne. Le bilan de la première année de mise en œuvre du plan paraît plutôt positif, en particulier pour la France, où 15 projets d’infrastructures et d’innovation ont été approuvés, pour un montant total de 2, 2 milliards d’euros, censés entraîner 8, 2 milliards d’euros d’investissements. De plus, les PME devraient bénéficier de 518 millions d’euros de financement supplémentaire, sous forme de prêts garantis ou de capital-risque.
Le projet d’ordre du jour du Conseil européen indique que, sur la base de ces premiers résultats, les chefs d’État et de gouvernement devront « tirer des conclusions opérationnelles » au sujet de l’avenir du plan d’investissement. Quelle position la France entend-elle faire valoir au sujet de la poursuite du plan d’investissement ? Quelles seraient les modalités de financement à privilégier ? Enfin, une révision du cadre financier pluriannuel serait-elle indispensable ?
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, des réponses que vous voudrez bien apporter à ces quelques questions.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. André Gattolin applaudit également.
La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen sera dominé par les résultats du référendum britannique et, à nouveau, par la crise des migrants. Ce débat préalable est donc particulièrement bienvenu.
À l’approche du référendum britannique, l’Europe retient son souffle. Nous souhaitons le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne, mais il appartient au peuple britannique, et à lui seul, d’en décider. Malheureusement, la campagne électorale a été tragiquement endeuillée par le meurtre sauvage de la députée travailliste Jo Cox, soutien du « oui ». Je veux saluer sa mémoire et condamner fermement cet horrible assassinat.
Notre collègue Fabienne Keller, qui suit le dossier depuis plusieurs mois au titre de notre commission, se rendra sur place. Quels que soient les résultats du scrutin, il faudra nécessairement prendre des initiatives. L’Europe ne fonctionne plus, la France ne s’exprime plus. À l’inverse, des forces centrifuges s’exercent.
Pourtant, les grands défis de l’heure appellent plus que jamais des réponses communes. Nous voulons une Europe recentrée sur l’essentiel, soucieuse de subsidiarité et de simplification, une Europe qui affirme sa puissance et son autorité dans un monde aujourd’hui en turbulence. C’est sur ces bases que nous dialoguons avec nos homologues des États fondateurs pour penser et repenser l’Europe de l’après-24 juin.
La crise migratoire demeure d’une tragique actualité. L’Europe doit être à la hauteur de ses valeurs. Le rétablissement durable des frontières intérieures mettrait en cause le principe de libre circulation, qui est l’un des grands acquis de la construction européenne. Il aurait, de surcroît, un coût considérable.
Il faut partager l’exercice de la souveraineté pour assurer le contrôle des frontières extérieures, c’est une évidence. Nous appuyons également la création d’un corps de garde-frontières et de garde-côtes, un projet que nous avions déjà évoqué au Sénat voilà quelques années.
Mais peut-on continuer à admettre que FRONTEX ne puisse accéder au système d’information Schengen ou intervenir dans un pays tiers pourtant candidat à l’adhésion ? Parallèlement, nous voulons un contrôle systématique des entrées et des sorties de l’espace Schengen, un dispositif qui nous paraît incontournable.
L’Union européenne doit mener un combat résolu contre les passeurs. La coopération des pays tiers est aussi indispensable en matière de réadmission et pour agir sur les causes des flux migratoires.
Une mission d’information travaille sur l’accord avec la Turquie. Nous devons être vigilants. A-t-on bien évalué la portée de la libéralisation du régime des visas ? On nous dit que 5 critères resteraient à satisfaire sur les 72 exigés. Or le président turc a d’ores et déjà écarté celui portant sur la révision de la loi de lutte contre le terrorisme. L’Europe doit, je le répète, rester ferme sur ses valeurs. C’est aussi dans la durée que nous attendons des résultats concrets.
Enfin, la Commission européenne a présenté ses recommandations dans le cadre du semestre européen, dont Fabienne Keller et François Marc nous rendent compte régulièrement. Les déficits espagnol et portugais demeurent préoccupants. La Grèce va bénéficier d’une enveloppe de 10, 3 milliards d’euros débloquée par le mécanisme européen de stabilité. Il faut y voir le signe d’une reconnaissance de l’engagement grec sur la voie des réformes, un chemin encore long et difficile sur lequel nos amis grecs ne doivent pas s’arrêter. La situation demeure toutefois fragile. La présidente Michèle André, le rapporteur général Albéric de Montgolfier, notre collègue Simon Sutour et moi-même restons particulièrement vigilants sur ce sujet.
Concernant la France, la Commission souligne l’objectif d’une correction durable du déficit excessif en 2017, celui de pérenniser les mesures de réduction du coût de travail, de réduire les impôts sur la production et le taux nominal de l’impôt sur les sociétés, ou encore de promouvoir les accords d’entreprise en concertation avec les partenaires sociaux. Autant de défis que notre pays devra finir par relever ! Au-delà, on voit bien les trop grandes divergences entre nos économies. C’est aussi le manque d’harmonisation fiscale et sociale qui doit être souligné, un sujet particulièrement délicat qui explique aussi que nos amis d’outre-Rhin commencent à douter de la confiance qu’ils peuvent avoir en notre pays.
Pour finir, je veux évoquer trois sujets d’une grande actualité.
L’Union européenne s’apprête à prolonger les sanctions contre la Russie. Le Sénat a pourtant appelé tout récemment à un allégement progressif et partiel de ces sanctions, en particulier des sanctions économiques, en liant cet allégement à des progrès significatifs et ciblés dans la mise en œuvre des accords de Minsk. Nous invitons le Gouvernement à agir dans le sens préconisé par la résolution du Sénat, relativement équilibrée, qui invite à rétablir un contact et un dialogue avec le partenaire russe.
Deuxième sujet : le président Juncker va demander aux États membres de reconfirmer le mandat de la Commission européenne pour la négociation du traité transatlantique.
Ce projet ne peut être bénéfique que s’il est bien négocié, c’est-à-dire s’il est équilibré. L’Union doit rester ferme sur ses intérêts, en particulier l’ouverture des marchés publics et la protection de ses indications géographiques.
Enfin, dernier sujet que je souhaitais évoquer, le Conseil européen devrait débattre de la coopération avec l’OTAN. Nous demandons, au Sénat, un débat stratégique pour définir une vision à long terme de l’avenir de la politique de sécurité et de défense commune.
Les États de l’Union européenne également membres de l’OTAN doivent veiller, lors du prochain sommet de Varsovie, à la cohérence des stratégies respectives de l’Union et de l’Organisation atlantique. C’est aussi l’un des messages qu’avec quelques collègues, nous avons porté à nos homologues polonais la semaine passée.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d’abord me réjouir de la très grande convergence de vue sur un premier point : le souhait que le référendum, qui va se tenir au Royaume-Uni, permette de confirmer le maintien de ce pays dans l’Union européenne.
Par-delà les différences qui se sont exprimées sur une multitude de sujets, il y a là l’expression d’un souhait que le Parlement, le Gouvernement et nos compatriotes partagent très largement.
Cela tient d’abord à l’amitié qui nous lie au Royaume-Uni – Éric Bocquet, en tant que président du groupe d’amitié, l’a rappelé –, mais aussi à notre conception de l’unité européenne et de la solidarité entre les grandes démocraties et des pays qui veulent partager un destin en commun et une certaine conception de la cohésion sociale. Cela a été mentionné dans beaucoup d’interventions.
Nous partageons aussi, avec ce pays, l’idée de démocratie et de liberté. Beaucoup d’entre vous l’ont évoqué, en faisant part de notre émotion et de notre condamnation à la suite de l’assassinat de la députée Jo Cox.
Je vais maintenant essayer d’apporter des réponses à des éléments que les uns et les autres ont pu mettre en avant.
Éric Bocquet a insisté sur l’idée que la tenue d’un référendum sur l’appartenance, ou non, à l’Union peut être vue comme l’un des symptômes d’une crise européenne.
Plusieurs intervenants ont aussi mentionné des votes intervenus dans d’autres pays, que ce soit à propos de l’accord d’association avec l’Ukraine – je pense aux Pays-Bas – ou lors de l’élection présidentielle en Autriche, où un candidat antieuropéen et populiste a rassemblé près de 50 % des voix. Certes, ce candidat a finalement été battu…
Cela nous rappelle que, même dans des pays où il n’y a pas de crise économique, des formes de contestation mettent en jeu les valeurs mêmes sur lesquelles nous avons construit l’Union européenne.
Mais Éric Bocquet a aussi voulu insister sur les effets de la crise dans des pays qui avaient été très durement impactés, en particulier la Grèce. Il a invoqué la nécessaire coopération sur laquelle devait être fondée l’Union européenne.
Le Premier ministre était en Grèce il y a deux semaines et j’ai eu l’occasion de l’accompagner. Nous avons alors pu, avec le Premier ministre Alexis Tsipras, faire précisément le point sur la solidarité européenne.
Je rappelle que nous venons de franchir des étapes très importantes.
Cette semaine même, une nouvelle tranche d’aide de 10, 3 milliards d’euros – cela vient d’être rappelé par le président Jean Bizet – va être débloquée et une première part, d’un montant de 7, 5 milliards d’euros, va être décaissée dès maintenant.
Par ailleurs, après la revue de la situation en Grèce, qui vient de s’achever, la négociation sur la dette est ouverte. Cela est très important. C’était la demande principale du gouvernement grec, afin que les conséquences de l’endettement passé et de la crise économique ne pèsent pas, à l’infini, sur l’avenir de ce pays et qu’un redressement soit possible.
Cette négociation sur la dette va porter sur toute une série d’éléments, qui doivent permettre d’alléger, à terme, son poids.
D’abord, les ministres des finances se sont accordés sur des mesures, à court terme, de lissage et de réduction des taux de remboursement des crédits du fonds européen de stabilité financière et du mécanisme européen de stabilité.
L’ensemble des mesures envisagées à moyen et long termes, qui n’interviendront qu’à l’issue du troisième programme, en 2018, doit permettre de traiter l’allongement des durées d’amortissement, des périodes de grâce et des remboursements d’intérêts.
Enfin, à long terme, un mécanisme d’urgence pourra être mis en place, en cas de creusement massif de la dette. Cela permettrait de prévoir le reprofilage et le plafonnement, voire le report des remboursements.
L’idée est donc de disposer, d’ores et déjà, d’un travail sur la soutenabilité de la dette grecque. Il s’agit ainsi de faire en sorte qu’à l’issue de toutes les mesures de réforme prises actuellement en Grèce, le poids de la dette n’entrave pas la reprise. Je rappelle que ces diverses mesures ont pour objectif de sortir de l’endettement et des déficits du passé et de redonner au pays vigueur et croissance économiques, en particulier par le retour des investissements.
C’est bien l’esprit dans lequel nous travaillons depuis la décision historique, qui a été prise l’été dernier avec – vous le savez – un rôle majeur du Président de la République au sein du Conseil européen.
Nous voulions ainsi faire en sorte que la Grèce puisse rester dans l’euro – c’était son choix ! –, que l’intégrité de la zone euro soit préservée, mais que la Grèce soit aussi aidée à sortir de la crise.
Monsieur le sénateur, vous avez également évoqué la solidarité avec la Grèce dans la crise des migrants.
La France, vous le savez, a mis à disposition de l’agence FRONTEX en Grèce et du bureau européen d’appui à l’asile des moyens humains, pour aider le pays dans la mise en œuvre de l’accord avec la Turquie, mais aussi dans le processus de relocalisation des réfugiés qui étaient déjà en Grèce avant l’accord avec la Turquie.
Les 54 000 personnes, que j’ai évoquées, doivent en effet pouvoir, pour celles qui relèvent de l’asile, être accueillies et relocalisées dans d’autres pays de l’Union européenne.
Cela suppose évidemment que le service de traitement des demandes d’asile en Grèce soit renforcé par des personnes qualifiées. C’est pourquoi nous envoyons, en particulier, des agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, mais aussi, pour FRONTEX, des policiers et des douaniers, qui aident à la reconduite de ceux qui n’ont pas vocation à rester en Grèce.
Par ailleurs, la libéralisation des visas, qui fait partie de l’accord avec la Turquie, comme cela a été rappelé par le sénateur Bocquet et d’autres orateurs, notamment le président Bizet, est évidemment liée à l’application des 72 critères.
Aujourd’hui, plusieurs de ces critères ne sont pas remplis et il faut donc, pour mettre en œuvre cette libéralisation des visas, que la Turquie continue d’adopter un certain nombre de réformes.
Nous avons ajouté une autre condition, propre à l’Union européenne : l’adoption de la réforme de la clause de sauvegarde, qui doit pouvoir être activée très rapidement, dans le cas où un problème migratoire apparaîtrait à la suite de cette libéralisation.
Gisèle Jourda a évoqué, comme plusieurs autres intervenants, une sorte de refondation du pacte européen, qui doit à la fois porter sur des questions de sécurité, liées à l’urgence, mais aussi sur des sujets de convergence économique, sociale et fiscale et de soutien à l’économie réelle. Je pense, en particulier, aux investissements liés à la transition écologique dans le prolongement de la COP21.
Tout cela exprime effectivement ce que doivent être nos priorités en faveur d’une relance du projet européen, quel que soit le résultat du référendum.
Je pourrais d’ailleurs reprendre, mot pour mot, ce qui a été dit par les différents intervenants, en particulier par Gisèle Jourda ou Éric Bocquet, en ce qui concerne la nécessité de rapprocher davantage les économies de l’Union européenne.
André Gattolin a également insisté sur l’idée de feuille de route : on ne doit pas simplement répondre aux urgences, réagir à un référendum – même si l’on souhaite ardemment un certain résultat –, on doit aussi fixer une orientation pour l’avenir de l’Europe.
Cela constitue aussi une condition, dans ce monde troublé, pour ressouder les citoyens et leur redonner confiance dans le projet européen.
Certains États ont certes une responsabilité particulière. Vous avez ainsi mentionné plusieurs membres fondateurs, ainsi qu’un État, qui a rejoint l’Union et joue un rôle très actif, au cœur de l’ensemble des politiques européennes.
Pour autant, cela ne peut pas être exclusif !
La France et l’Allemagne, qui sont souvent le moteur des initiatives européennes, ont un rôle et une responsabilité, du fait de leur poids et de leur implication dans la réconciliation européenne après la guerre.
Mais, encore une fois, je ne crois pas que nous devions être exclusifs. Nous devons proposer, à tous ceux qui le souhaitent, d’avancer ensemble.
Oui, certains pays sont plus petits, d’autres plus grands, mais c’est l’honneur et la force de l’Union européenne de faire une place à chacun et de respecter le rôle et la contribution de tous.
D’autres pays que les quatre que vous avez mentionnés jouent un rôle incontestablement très important depuis le début de la construction européenne. Je pense en particulier à ceux du Benelux.
Vous avez cité l’Espagne. Je crois que des pays qui ont rejoint l’Union européenne après sa création ont aussi vocation, dans la mesure où ils le souhaitent, à participer aux futures avancées que nous souhaitons pour l’Union européenne. Ils sont venus volontairement, souvent en renversant une dictature et en faisant le choix de la démocratie et de la liberté. Cela a par exemple été le cas avec l’élargissement de 2004 pour les pays de l’ancien Pacte de Varsovie.
Nous devons proposer à tous des avancées dans le domaine de la sécurité de nos frontières extérieures et de notre capacité de projeter de la stabilité hors de l’Union européenne, ce qui pose la question des nouvelles avancées dans le domaine de l’Europe de la défense.
Nous devons aussi proposer à tous une plus grande intégration économique et une harmonisation sociale et fiscale.
Viendront ceux qui le voudront, ceux qui souhaiteront ces nouvelles percées de la construction européenne !
Pour autant, je vous rejoins sur le fait qu’il ne faut pas s’interdire la possibilité d’une différenciation. Si certains ne veulent pas aller de l’avant et mettre en œuvre de nouvelles politiques communes, ils ne peuvent pas empêcher ceux qui le veulent de le faire, pourvu que nous soyons suffisamment nombreux et dynamiques pour porter ces avancées.
C’est ainsi que sont nés l’euro, Schengen et beaucoup de politiques communes.
Mais ce n’est pas à nous d’écarter a priori certains États membres en fonction de l’histoire ou de leur taille. Je voulais faire cette précision, qui me semble importante.
Il est évident que, par respect pour les citoyens britanniques, nous devons attendre le résultat du référendum, mais, quel qu’il soit, on ne peut pas suspendre indéfiniment la nécessité pour l’Europe de mieux répondre aux urgences et aux crises.
Dans tous les cas, nous souhaitons que l’appel et les initiatives, que nous pourrions être amenés à lancer au lendemain du référendum, puissent rassembler très largement, y compris au-delà des seuls États fondateurs de l’Union européenne.
Jacques Mézard a aussi insisté sur la responsabilité qui est la nôtre d’appeler à une relance.
En tant que président du groupe d’amitié France-Turquie et vice-président du groupe d’amitié France-Russie, il a également évoqué les relations avec ces deux pays. Il a eu raison de rappeler que, même si nous avons un dialogue qui porte sur des sujets très difficiles avec la Turquie et que nos modèles politiques ne sont pas les mêmes, elle constitue un partenaire et un grand voisin.
Dans la crise syrienne et dans celle des réfugiés, elle assume des charges et des responsabilités, que nous devons reconnaître, en particulier l’accueil de plus de 2, 5 millions de réfugiés.
Jacques Mézard et de nombreux orateurs ont aussi parlé de la question des sanctions à l’égard de la Russie.
En réponse à Yves Pozzo di Borgo, je souhaite préciser que le Gouvernement, qui a émis un avis de sagesse lors de la discussion, au Sénat, sur la proposition de résolution, a bien pris note du texte qui a finalement été adopté. Nous la prenons pleinement en compte.
Comme cela a déjà été dit, elle appelle au respect des accords de Minsk et à une levée ou un allégement des sanctions en lien avec le respect des accords. Nous sommes totalement en phase avec ce point de vue. C’est d’ailleurs celui que j’avais exprimé au nom du Gouvernement.
Si les sanctions ont été reconduites pour six mois, c’est précisément parce que nous voulons les utiliser comme un levier pour le respect de ces accords.
Sachez que nous dialoguons avec la Russie, ce qui est très important, non seulement sur le dossier ukrainien dans le cadre du format « Normandie », mais aussi dans beaucoup d’autres grandes crises internationales.
Je pense, par exemple, à l’accord sur l’Iran, aux discussions qui peuvent avoir lieu sur la Syrie ou aux négociations sur le conflit du Haut-Karabagh. Je rappelle, à ce sujet, que la France est coprésidente, avec la Russie et les États-Unis, du groupe de Minsk, qui est chargé de la médiation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Le dialogue doit permettre de faire avancer le respect du droit international, ainsi que la résolution pacifique et diplomatique des conflits. Les sanctions ne sont qu’un instrument, certainement pas une fin en soi.
En tout état de cause, nous sommes très attentifs à la résolution adoptée par le Sénat et aux positions qui ont pu être exprimées à l’occasion de son examen.
Pascal Allizard, qui a également évoqué cette question, a aussi soulevé la question des relations entre l’Union européenne et l’OTAN. Effectivement, le Conseil européen tiendra un débat sur ce sujet, en présence du secrétaire général de l’OTAN.
Ces relations sont évidemment importantes, puisque la plupart des États membres de l’Union européenne sont aussi membres de l’OTAN. Il ne peut donc pas y avoir de contradiction entre le rôle joué par cette organisation et la politique de défense que nous voulons voir déployer par l’Union européenne.
Il existe tout de même une particularité et des responsabilités, qui sont spécifiques à l’Union européenne.
En effet, dans un monde qui va mal, dans une Europe bousculée – pour reprendre l’expression utilisée par Pascal Allizard –, une grande partie des crises qui environnent l’Union ne seront pas traitées par d’autres.
Personne ne viendra régler à notre place les différents problèmes auxquels nous sommes confrontés : les relations avec la Russie et le conflit entre l’Ukraine et la Russie, qui a un impact direct sur notre sécurité ; la situation en Méditerranée, en Libye ou en Syrie.
C’est pourquoi nous pensons qu’il faut que l’Union européenne développe davantage ses propres capacités et responsabilités, en particulier en ce qui concerne ce qu’on peut appeler la projection de la stabilité ou en matière de politique de sécurité extérieure et de défense.
C’est l’un des enjeux des discussions qui ont eu lieu entre les ministres de la défense et des affaires étrangères. Le Conseil européen va s’en saisir, en débattant de la stratégie globale de sécurité. Une telle stratégie existait bien, mais l’environnement a été complètement bouleversé ces dernières années.
Nous souhaitons qu’au cœur de cette stratégie globale de sécurité, des avancées substantielles aient lieu pour l’Europe de la défense. Je pense, par exemple, au domaine industriel – cela a été dit –, à celui du financement d’un certain nombre de programmes de recherche, mais aussi à la capacité de projection rapide de l’Union européenne et de prise en charge, par elle-même, de ses enjeux de sécurité et de défense.
En tant que vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Jacques Gautier a évoqué ces sujets.
Il a aussi insisté sur la nécessité de travailler à des solutions politiques en Syrie et en Libye. Je l’ai moi-même évoqué à propos du soutien que nous apportons au gouvernement d’entente nationale en Libye et je crois avoir répondu à ses remarques concernant l’allégement des sanctions et le nécessaire dialogue avec la Russie.
Le rapporteur général de la commission des finances, Albéric de Montgolfier, a évidemment insisté sur les conséquences économiques d’un Brexit. Elles seront très négatives !
Certes, les évaluations sont difficiles à faire, mais des études diverses vont toutes dans le même sens, qu’elles aient été produites par l’OCDE, le FMI, la banque centrale britannique ou d’autres organismes économiques de ce pays. On peut naturellement discuter des chiffres, mais pas du fait que cela aura un impact négatif et rendra beaucoup plus compliquées les relations économiques entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.
Je ne veux pas aller plus avant à ce stade, parce qu’encore une fois, c’est aux citoyens britanniques de se prononcer, mais nous avons aussi un devoir de vérité et d’amitié. Pour toutes sortes de raisons, qui ne sont pas seulement économiques, nous souhaitons que le Royaume-Uni reste membre de l’Union européenne, au milieu de ses alliés dans cette grande communauté démocratique, mais nous devons aussi dire qu’une sortie de l’Union européenne aura des conséquences et que cela ne serait évidemment pas très favorable sur le plan économique.
Le rapporteur général a aussi évoqué le plan Juncker, sur lequel il y a eu des avancées. La première phase de mise en œuvre du plan a été tout à fait positive, en particulier du point de vue des investissements.
Nous souhaitons donc, comme le rapporteur général, que le plan puisse être étendu. Nous ne sommes pas absolument certains que cela nécessite une modification du cadre financier pluriannuel, puisque c’est la question qui était posée, mais le sujet sera évidemment débattu, notamment avec le Parlement européen.
Le mécanisme de garantie sur le budget de l’Union européenne est certes un peu complexe sur le plan technique, mais il permet à la Banque européenne d’investissement de prendre davantage de risques et de soutenir plus de projets novateurs, en particulier dans le domaine de l’énergie, du numérique, des infrastructures ou de l’industrie. Je rappelle que 45 % des projets soutenus par le plan concernent la transition énergétique.
Tout cela a très bien fonctionné, sans mettre en danger le budget de l’Union européenne. Nous pensons donc qu’on doit pouvoir prolonger ce mécanisme, sans avoir à modifier les équilibres budgétaires.
Enfin, le rapporteur général a souhaité m’interroger sur la retenue à la source. Vous le savez, c’est un projet du Gouvernement, qui est déterminé à le mettre en place rapidement. Le dispositif devrait être adopté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017, avec une entrée en vigueur en 2018.
Le fait que la recommandation de la Commission le mentionne nous conforte dans notre volonté et ne représente, en rien, une gêne. Le calendrier prévu est ambitieux, mais réaliste. Les articles du projet de loi de finances pour 2017 concernant le prélèvement à la source sont, en ce moment même, examinés par le Conseil d’État et seront transmis au Parlement avant la suspension des travaux cet été.
Enfin, monsieur le président Jean Bizet, vous avez voulu, d’une certaine manière, ramasser l’ensemble des interventions.
Vous avez notamment insisté sur le contrôle des frontières extérieures, tant pour les entrées que pour les sorties, et sur le renforcement des moyens destinés à l’agence FRONTEX. Vous avez précisé qu’il s’agissait d’une condition de la crédibilité et de la confiance des citoyens dans le projet européen.
L’Europe doit maintenir l’acquis de Schengen et la liberté de circulation en son sein. Elle doit être capable de continuer à être une terre d’asile pour ceux que nous pouvons accueillir, mais elle doit aussi être une terre de sécurité et faire la démonstration que ce n’est pas en se repliant sur les frontières nationales que nous assurerons mieux la sécurité de nos citoyens et des États membres. Vous avez également eu raison d’insister sur les critères vis-à-vis de la Turquie.
Il est vrai que l’objectif économique de convergence et d’harmonisation fiscale et sociale peut également se décliner pour la France et l’Allemagne. D’ailleurs, je ne crois pas qu’il y ait de doutes, du côté allemand, sur le fait que nous sommes en voie de travailler à cette harmonisation.
À mon avis, c’est un domaine dans lequel nous pouvons avancer plus vite que l’Union européenne. En effet, nos deux économies sont très imbriquées et l’Allemagne a un modèle social élevé, un peu différent du nôtre dans certains domaines, mais finalement très comparable. Rapprocher les prélèvements fiscaux et sociaux ne met donc pas en danger le financement de la solidarité et de notre modèle social.
C’est aussi une façon pour nos deux pays de jouer un rôle moteur dans la construction européenne.
Monsieur le président Bizet, vous avez également rappelé les positions du Sénat vis-à-vis des relations avec la Russie. Je n’y reviens pas.
En conclusion, mesdames et messieurs les sénateurs, nous sommes dans un moment où le temps suspend son vol…
Dans 48 heures, une décision aura été prise par un État membre, à travers le vote de ses citoyens. Même si nous le l’avons pas souhaité, nous respectons profondément le choix souverain du Premier ministre britannique. Il a saisi les citoyens de son pays, qui s’exprimeront sur l’avenir du Royaume-Uni et de ses relations avec l’Union européenne. Je le dis, nous souhaitons que ce choix soit celui du maintien.
Au-delà de ce choix, et en souhaitant que nous pourrons le faire à 28, l’Union européenne devra avancer et je suis persuadé que c’est sur les sujets que vous avez évoqués qu’elle devra apporter la preuve qu’elle en est capable.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.
Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que chaque sénateur peut intervenir pendant deux minutes au maximum. La commission des affaires européennes ou le Gouvernement, s’ils sont sollicités, pourront répondre.
La parole est à M. Roland Courteau.
L’Union européenne prévoit une coopération plus étroite avec le gouvernement libyen. Elle a ainsi annoncé que l’opération Sophia serait prolongée, que la coopération avec les garde-côtes de ce pays serait renforcée et que l’échange d’informations sur les trajectoires empruntées par les bateaux et la formation de forces locales seraient facilités.
Pourtant, selon un rapport récemment publié par Amnesty International, des milliers de personnes sont détenues, pour une durée indéterminée, dans des conditions préoccupantes.
Première question, monsieur le secrétaire d’État : la France est-elle au courant de cette situation ? Quelles sont les mesures que pourrait prendre le Conseil européen pour lutter contre de telles conditions de détention en Libye ? La France entend-elle jouer un rôle pour que les réfugiés soient traités humainement ?
Ma seconde question, qui n’est pas à l’ordre du jour du prochain Conseil européen, porte sur la ratification de l’accord de Paris.
Le conseil des ministres de l’environnement du 20 juin 2016 a émis un signal positif quant à une ratification aussi rapide que possible par l’ensemble des 28 États membres de l’accord de Paris, ce qui constitue un passage obligé avant l’adoption par l’Union européenne elle-même.
Les pays membres sont cependant partagés entre ceux qui, comme la France, sont engagés dans une ratification rapide de l’accord, ceux qui, comme l’Allemagne, entendent le ratifier avant la fin de l’année, et les plus réticents – la République tchèque, la Roumanie, la Slovénie, la Bulgarie et la Croatie.
Pensez-vous que ce sujet, extrêmement important pour l’Europe et l’avenir de notre planète, pourra être discuté lors d’un prochain Conseil européen et qu’une solution consensuelle pourra être trouvée pour permettre à l’Union européenne de ratifier rapidement cet accord ?
Monsieur le sénateur Roland Courteau, l’opération EUNAVFOR MED Sophia, qui se déroule au large des côtes libyennes, passe en effet à une nouvelle phase, avec la possibilité de saisir les bateaux identifiés comme participant à un trafic d’armes.
Elle inclura aussi une coopération avec les autorités libyennes, celles du gouvernement d’entente nationale reconnu par la communauté internationale, en matière de formation des garde-côtes. L’objectif est de lutter contre les trafics d’armes, qui peuvent alimenter des factions rivales, et ceux d’êtres humains, qui provoquent des migrations irrégulières et, surtout, des naufrages et des milliers de morts dans cette partie de la Méditerranée.
Il est exact, de nombreux témoignages l’attestent, que ces trafiquants d’êtres humains traitent les migrants de manière épouvantable.
Cela ne concerne d’ailleurs pas seulement la Libye, mais aussi les pays voisins, d’où est organisée la traversée du désert. Ainsi, dans le nord du Niger, on a récemment découvert plusieurs dizaines de corps ; ces hommes, femmes et enfants, abandonnés par les passeurs, sont morts de soif !
Des réfugiés secourus en mer et des organisations non gouvernementales, qui leur prêtent assistance, ont aussi fait état de très mauvais traitements dans les camps en Libye.
Le combat contre ce trafic doit être impitoyable. Et c’est notamment pour cela que nous voulons aider le gouvernement d’entente nationale à reprendre le contrôle et à assumer sa souveraineté sur l’ensemble du territoire libyen.
Le prochain sommet de l’OTAN se tiendra à Varsovie début juillet. La défense européenne est devenue une nécessité face à la situation internationale.
Les moyens financiers supplémentaires décidés depuis le sommet du Pays de Galles en 2014 restent insuffisants face aux immenses défis qui se présentent.
Certes, Daech recule, mais les événements tragiques d’Orlando et de Magnanville rappellent que la menace terroriste est permanente.
En Ukraine, la crise perdure. La Lituanie, la Lettonie, la Pologne et la Roumanie ont considérablement augmenté leurs budgets militaires face aux provocations de la Russie.
Pour répondre à ces nombreux défis, l’Europe a besoin de renforcer son alliance avec l’OTAN. Cette coopération doit s’inscrire de façon durable, le paysage stratégique actuel n’annonçant aucune embellie.
Il est temps de construire l’Europe de la défense dont nous avons besoin. Une position stratégique commune aux 28 pays membres de l’Union européenne est donc nécessaire.
Monsieur le secrétaire d’État, le rétablissement d’un climat de confiance avec la Russie est-il en bonne voie ? Comment la France compte-t-elle réagir sur le dossier ukrainien ? Enfin, quelle orientation souhaitez-vous donner à l’alliance avec l’OTAN ?
Par ailleurs, il est indéniable que la crise migratoire est l’une des causes du Brexit. Elle a bouleversé les consciences en Europe par son flux ininterrompu. L’Allemagne a traité un million de demandes d’asile ; la France, quant à elle, a accueilli 10 000 Syriens.
Dans les pays nordiques comme la Suède, les Pays-Bas et l’Allemagne, les réfugiés bénéficient de protections humanitaires immédiates et durables, mais la situation est bien différente en Italie et en Grèce. Pour une meilleure gestion humaine des flux migratoires en Europe, nous devons épauler ces deux pays, comme vous l’avez rappelé.
Monsieur le secrétaire d’État, au début de votre intervention, vous parliez de relocalisation. Or nous sommes très loin de tenir nos engagements : nous avons relocalisé 283 réfugiés au 7 mars, pour un engagement de 30 000 d’ici à la fin de 2017 !
À l’heure où l’Europe a besoin d’un second souffle, un projet de renforcement des frontières est-il en cours ? Qu’en est-il des moyens à mettre en œuvre pour accroître les interventions en mer et améliorer la lutte contre les passeurs ?
Monsieur Guerriau, vous avez soulevé tellement de questions qu’il me sera difficile de répondre à toutes.
Je commencerai par le dernier point que vous avez abordé. S’agissant des relocalisations depuis la Grèce et l’Italie, j’ai rappelé que nous étions le premier pays, et les chiffres sont plus importants que ceux que vous avez donnés. Plus précisément, depuis la Grèce, 554 réfugiés ont été relocalisés, et plus de 180 depuis l’Italie. Concernant ces deux pays, je le répète, nous sommes de loin le premier pays. Le programme a mis du temps à démarrer, car, comme je l’ai dit tout à l’heure, il a fallu aider le service d’asile de la Grèce à traiter les demandes et à faire des contrôles de sécurité pour chacune des personnes susceptibles d’être accueillies, compte tenu du risque terroriste.
Nous montrons que nous respectons les engagements pris avec la Grèce. C’est une exigence majeure pour notre pays.
Par ailleurs, nous procédons à des réinstallations depuis la Jordanie, le Liban et la Turquie, en lien avec le Haut-Commissariat aux réfugiés, le HCR. Il s’agit là d’une responsabilité internationale, qui dépasse le cadre de l’Union européenne. Ainsi, le Canada, l’Australie, les États-Unis, bref, toutes les grandes démocraties doivent accepter d’accueillir une partie des réfugiés syriens, même si, comme certains orateurs l’ont précisé, la plupart de ces réfugiés restent dans les pays limitrophes, en Turquie, en Jordanie et au Liban, car tel est leur souhait. Ils espèrent ainsi pouvoir revenir le plus vite possible dans leur pays.
Concernant l’Europe de la défense et l’OTAN, je ne pourrai pas vous répondre aussi complètement, monsieur le sénateur, mais je veux cependant insister sur un point. Pour nous, il importe que, dans la stratégie globale de sécurité – mon collègue ministre de la défense est intervenu en ce sens dans plusieurs réunions du Conseil –, l’aspect « politique de défense » soit mis en avant et fasse l’objet des engagements les plus complets. J’y reviendrai si d’autres questions m’en donnent l’occasion.
Monsieur le secrétaire d’État, nous avons eu, voilà quelques jours, dans cet hémicycle, un débat concernant l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada. Ce dernier devrait être signé à l’occasion d’un sommet Union européenne-Canada fin octobre. Pourtant de nombreuses questions demeurent, dont la principale : s’agit-il bien d’un accord mixte ?
Nous avons pu voir que la direction générale commerce de la Commission européenne n’est pas favorable à la mixité. Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que, au contraire, le gouvernement français considère que cet important accord ne peut être considéré comme un simple accord européen. Si tel était le cas, vous avez déclaré vouloir vous y opposer.
Pouvez-vous nous préciser quelles sont aujourd’hui les forces capables de peser en faveur d’une ratification mixte ?
Par ailleurs, il nous semble que la nature de cet accord exige de la Commission ou, à défaut, du Gouvernement, la plus grande transparence sur les tractations en cours sous couvert de toilettage juridique. Nous souhaitons vivement être destinataires d’un maximum d’informations sur ce qui se discute et se négocie encore, ainsi que sur les positions respectives de ceux qui se trouvent assis à la table des négociations.
En effet, nous craignons vraiment que ne soient prises à l’insu des parlementaires, des élus et des citoyens des décisions qui auraient une influence considérable sur leur vie, mais qui n’auraient jamais été débattues avec eux auparavant, et ce alors même qu’aucune traduction officielle en français du texte de l’accord n’a été publiée par la Commission.
Que comptez-vous faire, monsieur le secrétaire d’État, pour assurer cette nécessaire transparence ?
Monsieur le sénateur, vous avez raison, il y a débat actuellement entre les États membres et la Commission sur le caractère mixte ou non de l’accord CETA avec le Canada. Ce point est très important : s’il s’agit d’un accord mixte, il devra être ratifié par les parlements nationaux, alors que s’il n’est pas reconnu comme tel, c’est-à-dire s’il est considéré comme un accord de commerce sans incidence importante sur les législations internes des États membres, il n’aura à être ratifié que par le Parlement européen.
La position de France est toujours la même : nous estimons que c’est un accord mixte. Aujourd’hui, différentes analyses sont en cours pour tenter de débrouiller cette différence d’appréciation.
Je précise que nous soutenons le CETA, ce qui n’est pas le cas de tout le monde, car nous pensons avoir obtenu beaucoup de choses que nous voudrions voir dans d’autres accords : la protection des indications géographiques, un système de règlement des différends qui ne relève pas de l’arbitrage privé, …
… un équilibre entre les ouvertures réciproques de marchés, la protection des services publics.
Pour autant, nous estimons qu’il doit être discuté dans les parlements nationaux et qu’on ne peut pas avancer dans la politique commerciale de l’Union européenne sans associer largement toutes les parties prenantes, c’est-à-dire les sociétés civiles, les acteurs économiques, sociaux, et, évidemment, les parlements, qui représentent les citoyens.
Par conséquent, nous continuerons à défendre notre position sur le caractère mixte non seulement du CETA, mais aussi d’autres accords qui sont en cours de négociation, en particulier le TTIP. Les parlements nationaux concernés doivent donc pouvoir être consultés.
Monsieur le secrétaire d’État, j’aurais pu à mon tour vous interroger sur la question migratoire, qui sera un sujet essentiel du prochain Conseil, mais je voudrais revenir sur la « mère de toutes les batailles », qui s’inscrit dans la durée : je veux parler de l’action en faveur de la croissance et de l’emploi.
Le niveau d’investissement dans les États européens n’ayant cessé de décliner depuis 2007, la Commission a adopté en juin 2015 le plan Juncker, qui a pour objectif de stimuler l’économie en soutenant les projets ayant des difficultés de financement au regard des risques qu’ils représentent.
Après un an de mise en œuvre, selon ce que l’on veut bien regarder, on peut dire que le verre est à moitié plein ou à moitié vide.
Bien qu’ambitieux, ce plan ne sera vraisemblablement pas en mesure de combler le retard accumulé en matière d’investissement d’ici à sa fin programmée, en 2017.
La France souhaitait et souhaite toujours que ce plan soit créateur d’emplois, qu’il permette la transition écologique et, surtout, qu’il contribue à la cohésion de l’Union européenne. Malgré les avancées, ces attentes ne sont pas toutes satisfaites, et les récents résultats communiqués par la Commission montrent que le plan ne bénéficie pas à tous de la même manière.
Si l’on peut se féliciter que l’ouest de l’Europe en bénéficie largement – en premier lieu la France : sur 249 projets, 17 ont été retenus en France, pour près de 7 milliards d’euros d’investissements –, tel n’est pas le cas pour l’Europe de l’Est ni pour Chypre ou Malte.
Le plan Juncker doit donc davantage s’imposer à l’Est, quand bien même les investisseurs privés y sont moins présents. Il est du devoir de l’Union de fournir une aide renforcée aux pays ayant moins de capacités techniques pour monter des projets, afin d’éviter que le Fonds européen d’investissement stratégique ne profite de façon disproportionnée à certains pays ou à certaines régions.
Même s’il est évident que les institutions ont comme priorité la croissance, nous devons nous interroger pour savoir si ce plan peut ou doit être prorogé. J’aimerais avoir la position du Gouvernement sur ce sujet.
Monsieur le sénateur, effectivement, l’un des objectifs du plan Juncker est de contribuer à combler le retard d’investissement pris au sein de l’Union européenne depuis la crise de 2008. Aujourd’hui, nous restons encore en deçà du niveau de cette époque.
Évidemment, la reprise va aider les entreprises, qui ont plus confiance en l’avenir et qui ont reconstitué des marges. C’est le cas en France en particulier, et ce constat n’est pas sans lien avec les réformes qui ont été menées : le crédit d’impôt compétitivité emploi, le pacte de compétitivité, le plan de soutien aux PME.
Les entreprises vont investir davantage, mais il faut aussi essayer d’encourager les investissements au niveau européen, en particulier dans les domaines qui vont accroître le potentiel de croissance future de l’Union européenne : la transition énergétique, le numérique, l’innovation. Cela peut concerner des investissements publics comme des investissements privés, même si l’essentiel du plan Juncker est orienté vers le privé.
Cependant, dans certains cas, il peut s’agir de soutenir l’investissement dans de grandes infrastructures avec des financements mixtes, comme pour l’équipement d’une région avec le très haut débit. Le plan Juncker soutient un projet de cette nature pour la région Alsace et un autre pour la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie.
Nous espérons également voir un autre de nos projets soutenu : la liaison Charles-de-Gaulle Express. Un tel investissement public, bien dessiné, est aussi de nature à contribuer à la croissance.
Il y a néanmoins beaucoup de soutien à des entreprises et à des projets privés.
Si la France bénéficie tout particulièrement du plan Juncker, c’est parce que nous nous sommes très bien organisés pour cela, avec, en particulier, le Commissariat général à l’investissement, qui a l’expertise sur les prêts d’amorçage investissement, mais aussi la Caisse des dépôts et consignations et Bpifrance.
Nous sommes prêts à partager ce savoir-faire pour aider les porteurs de projets à défendre ceux-ci devant la Banque européenne d’investissement et le Fonds européen d’investissement stratégique. Ainsi, demain, à Chypre, dans l’est de l’Europe ou dans d’autres parties du continent, tout le monde pourrait bénéficier pleinement, comme en France, du plan Juncker.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question porte sur la gouvernance européenne, et notamment sur le respect du pacte de stabilité et de croissance, adopté en 2011, qui impose à l’Union européenne d’engager une procédure, éventuellement assortie de sanctions, lorsqu’un État connaît des déséquilibres macroéconomiques excessifs.
Selon cette règle, le 8 mars dernier, la France s’est vu reprocher par la Commission son niveau de dette publique, qui « continue d’augmenter, alors même que la compétitivité et la productivité ne se redressent pas clairement ». Tout comme la France, l’Italie et le Portugal sont aujourd’hui exposés à l’ouverture d’une procédure d’infraction.
Par ailleurs, depuis 2008, la balance des transactions courantes allemandes est excédentaire de plus de 8 %, soit bien au-dessus de la limite des 6 % prévue par le pacte.
Cette situation, vous le savez, creuse les distorsions de concurrence et handicape encore davantage les pays en difficulté.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire quelle voie de rééquilibrage vous envisagez pour faire face à cette Europe à deux vitesses, où l’Allemagne est exemptée du respect des principes du pacte ?
Madame Loisier, vous avez raison, la recherche d’un équilibre ou plutôt la lutte contre les déséquilibres macroéconomiques, financiers, budgétaires, mais aussi commerciaux au sein de l’Union européenne est un objectif de la bonne gouvernance de la zone euro et du pacte de stabilité et de croissance.
Peu de monde l’a remarqué en France, mais la Commission a adressé une recommandation à l’Allemagne pour qu’elle corrige ses excédents commerciaux, que vous avez rappelés, car les excédents excessifs des uns contribuent aux déficits commerciaux excessifs des autres.
Concrètement, l’Allemagne a été encouragée à investir et à augmenter la demande en son sein, de sorte que le reste de la zone euro en bénéficie et que les écarts de compétitivité se réduisent.
Aujourd’hui, un consensus s’est fait jour dans le débat européen. Pour contribuer à de meilleurs équilibres et davantage soutenir la croissance dans toutes les parties de la zone euro, il faut, d’une part, agir sur les réformes.
Nous en avons mené un certain nombre en France, ce qui n’avait pas nécessairement été fait auparavant, sur la compétitivité, le soutien à l’investissement par l’allégement des charges des entreprises et la lutte contre les déficits excessifs à un rythme raisonnable, pour ne pas accentuer l’effet récessif des politiques d’austérité. Ce dernier constat, que partage le FMI, nous a été dicté par l’expérience des pays d’Europe du Sud.
D’autre part, nous devons promouvoir des plans d’investissement, comme je l’ai dit tout à l’heure.
Il faut que tous les pays de la zone euro mènent des politiques qui contribuent à accroître l’investissement, la compétitivité, les réformes, tout en sachant que chacun peut se trouver dans une situation différente à un moment donné et jouer sur différents facteurs.
À l’heure actuelle, effectivement, il faut éviter qu’il n’y ait des déséquilibres commerciaux trop importants entre des pays qui avaient déjà des excédents avant la crise et des pays en train de sortir de la crise.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question porte sur un sujet qui ne sera pas à l’ordre du jour du Conseil européen.
Voilà quelques semaines, une campagne marquante de Médecins du monde dénonçait le prix indécent de certains médicaments arrivant sur le marché. C’est le cas des nouveaux traitements anticancéreux ou de ceux destinés à soigner l’hépatite C, qui atteignent aujourd’hui des prix exorbitants.
Le principal danger encouru est qu’à long terme notre assurance maladie ne puisse plus supporter le remboursement de tels traitements, dont doivent pourtant bénéficier des milliers de malades.
De plus, les politiques d’austérité ont fait peser le fardeau financier des traitements sur les citoyens essentiellement. Les foyers espagnols, par exemple, paient leurs médicaments 58 % plus cher aujourd’hui qu’en 2010 ; par ailleurs, 39 % des Portugais ne peuvent plus se payer les médicaments qu’ils achetaient pourtant en 2014.
Ainsi, suivant la loi du marché, les prix des médicaments s’envolent tout à coup au détriment des consommateurs, des malades. Les ministres de la santé, qui étaient réunis à Bruxelles la semaine dernière, ont donc décidé de s’attaquer au problème, mais prudemment…
Le Conseil a ainsi demandé aux autorités de la concurrence de continuer à examiner de près les cas de tarification excessive pour s’assurer que le marché reste sain et compétitif.
De plus, les ministres de la santé ont appelé les États membres à coopérer afin de créer un meilleur accès aux traitements. Ils ont donc été encouragés à explorer les possibilités de négociations communes des prix et à augmenter les échanges d’informations.
Parallèlement, le projet de conclusions initial du Conseil prévoyait de redistribuer une grande partie des bénéfices des médicaments innovants réalisés grâce à des investissements publics dans la recherche aux systèmes de santé publique. Cela « éviterait au contribuable de payer deux fois pour le même produit », était-il souligné dans ce projet.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire quelle a été la position de la France sur ce dossier ?
Monsieur le sénateur, il y a en Europe des règles de mise sur le marché qui sont communes, dans une certaine mesure. L’Union a bien entendu pour objectif d’assurer un meilleur accès aux médicaments comme aux traitements, mais le domaine du prix des médicaments fait l’objet d’une coordination et non d’une régulation européenne. En d’autres termes, les prix ne sont pas fixés au niveau communautaire, chacun des États membres disposant de particularités qui tiennent aux règles de remboursement du système de sécurité sociale. Chaque pays est libre d’organiser sa protection sociale comme il l’entend.
En France, nous sommes particulièrement attachés à des niveaux de remboursement extrêmement élevés et au mécanisme de tiers payant. Ces dispositifs ne peuvent pas être imposés dans toute l’Union européenne, mais ils impliquent que nous ayons à chaque fois une discussion très serrée avec les laboratoires pour la fixation du prix des médicaments. Comme vous l’avez rappelé, il faut que ce prix, qui doit permettre de rémunérer la recherche et le développement des médicaments, soit compatible avec l’accès aux traitements et ne serve pas uniquement à des fins commerciales ou au financement de campagnes de marketing.
C’est une grande bataille mondiale qui appelle sans doute une convergence entre les pays de l’Union européenne. Nous avons donc défendu l’idée d’une très grande coordination, tout en étant attentifs au respect de la subsidiarité, en vertu duquel le prix du médicament est fixé par chaque État membre pour ce qui le concerne.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au cours de ce débat, nous avons beaucoup parlé d’euroscepticisme, mais il existe aussi des citoyens et des forces politiques qui défendent l’Europe comme vecteur de droit, de meilleure gouvernance et de croissance.
Je pense aux citoyens des pays des Balkans qui sont candidats à l’adhésion, mais aussi, plus particulièrement aujourd’hui, aux Ukrainiens.
Monsieur le secrétaire d’État, le 4 juillet prochain, il y aura une réunion de l’ensemble des pays des Balkans à Paris. Pouvez-vous me confirmer qu’à ce moment-là, sur les sujets de droit, de justice, d’asile, nous pourrons avoir avec ces pays des discussions qui permettront de faire la démonstration de la dynamique européenne en ces domaines et de préciser les perspectives d’élargissement qui les concernent ?
Je sais que la Commission européenne a annoncé qu’il n’y aurait pas d’élargissement lors de son mandat, mais ce n’est pas une raison pour ne pas offrir des perspectives concrètes et refuser de débattre sur le fond de la justice, de la liberté d’expression et de droits dans ces pays, qui sont aujourd’hui candidats à l’Union européenne.
Par ailleurs, s’agissant de la libéralisation des visas pour les ressortissants turcs, nous avons évoqué les 72 critères, dont tout le monde connaît au moins le nombre. Chacun sait aussi qu’il en manque 5 à respecter pour permettre cette libéralisation. En revanche, pour les ressortissants ukrainiens, il faut savoir que la question a déjà été traitée jusqu’au bout, la Commission considérant que tous les critères imposés à l’Ukraine sont aujourd’hui respectés. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, quelle sera la position de la France sur cette libéralisation du régime des visas ? À mon sens, il ne saurait y avoir de double standard entre les pays candidats, d’un côté, et, de l’autre, les pays qui parlent aujourd’hui de droits et de visas avec l’Union européenne.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
Je vous informe que l’Ukraine est en train de se faire battre par la Pologne à Marseille.
Sourires.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le président, dans ces conditions, voyons quel soutien nous pouvons apporter à cet État.
Nouveaux sourires.
Monsieur Leconte, je voudrais d’abord vous répondre sur les Balkans. Vous avez mentionné le très important sommet qui aura lieu le 4 juillet prochain à Paris, avec les pays des Balkans occidentaux et plusieurs États membres de l’Union européenne, dont l’Allemagne et l’Italie, représentées respectivement par la chancelière Angela Merkel et le président du conseil Matteo Renzi. Cette réunion fera suite à une conférence qui s’est déjà tenue à Berlin, puis à Vienne.
Par ailleurs, le Président de la République avait été invité en Slovénie, dans la ville de Brdo, pour la relance d’un processus de dialogue politique entre les pays des Balkans. La France est donc attendue pour aider ces pays, qui sont aujourd’hui, pour beaucoup d’entre eux, candidats à l’adhésion, en attendant qu’ils le deviennent tous, à faire leur transition économique et politique vers l’Union.
Nous le savons, cette région a toujours joué un rôle important dans l’histoire de l’Europe : ainsi, en 1914, elle fut le foyer de déclenchement de la Première Guerre mondiale ; elle fut par ailleurs le théâtre de la dernière guerre qui a eu lieu sur le continent, dans les années 90.
Il s’agit aussi d’une région dont la richesse et la diversité doivent être des atouts pour l’Union européenne.
Nous allons donc travailler au cours de cette conférence à aider ces pays à mieux s’intégrer en tant que région sur le plan des transports, de l’énergie ou des échanges entre les jeunes, avec la création d’un office régional pour la jeunesse inspiré de l’Office franco-allemand pour la jeunesse.
Évidemment, nous travaillons aussi avec eux aux progrès de la justice et des droits fondamentaux. Ainsi, ces pays, qui sont en train de négocier les chapitres de leur dossier d’adhésion, se rapprocheront de l’Union, jusqu’à la rejoindre un jour.
L’Ukraine, elle, fait partie du partenariat oriental. C’est donc un autre type de relations de voisinage. Il y a effectivement une proposition de la Commission sur la libéralisation des visas, mais, là encore, celle-ci doit être examinée à l’aune des critères, qui sont pour beaucoup remplis, mais il y a encore du chemin à faire pour rendre cette libéralisation effective. Cependant, l’Ukraine doit être soutenue dans ses réformes, et pas simplement dans ses résultats « footballistiques ».
Sourires.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, jeudi prochain sera un jour extrêmement important non seulement pour les Britanniques, mais aussi pour tous les Européens. Les membres du groupe UDI-UC sont bien sûr très attentifs à l’issue de ce scrutin.
Certes, nos voisins d’outre-Manche n’ont pas fait preuve d’un enthousiasme européen débordant ces dernières années : ils n’ont voulu participer ni à l’euro ni à la création de l’espace Schengen, et ils ont négocié une ristourne.
Néanmoins, nous avons la conviction qu’il est souhaitable que les Britanniques puissent rester dans l’Europe. Si le Brexit l’emporte, il faut s’attendre à des conséquences très négatives pour notre économie, comme cela a pu être le cas avec les sanctions prises à l’encontre de la Russie. Les agriculteurs peinent encore aujourd’hui, car ils ont subi de plein fouet les conséquences de cet épisode. Beaucoup y ont même laissé leur exploitation. Certes, l’enjeu ne sera pas du même niveau avec les Britanniques, mais, d’ores et déjà, les pêcheurs bretons craignent d’éventuelles remises en cause des espaces de pêche. Par ailleurs, la première compagnie maritime de transport de passagers en France craint aussi les effets qu’aurait le Brexit sur l’euro, et donc sur son activité.
Quel que soit le résultat, l’Europe sera profondément affectée. En cas de sortie, l’économie sera évidemment touchée, mais, même si les Britanniques décident de rester, l’étroitesse du score sera telle que cela constituera un séisme extrêmement fort pour l’ensemble des Européens. Monsieur le secrétaire d’État, en tout état de cause, il faudra que des initiatives soient prises pour que l’Europe soit effectivement relancée, car le pire serait de continuer dans cette atmosphère de défiance à l’égard de l’Union, alors que des échéances importantes vont intervenir dans un proche avenir.
Est-ce que la France va solliciter l’Allemagne pour prendre des initiatives susceptibles de relancer l’Europe ?
M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.
Monsieur le sénateur, comme vous l’avez dit, une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne aurait évidemment des conséquences économiques importantes pour les Britanniques et pour les échanges entre l’Union et ce pays, qui serait alors considéré comme un État tiers, avec tous les inconvénients que cela implique. Il y aurait alors, en vertu de l’article 50 du Traité de l’Union européenne, une négociation pendant deux ans sur les nouvelles formes d’échanges et les arrangements nécessaires entre ce pays et l’Union. La situation serait très délicate et compliquée, mais, encore une fois, nous ne souhaitons pas que les citoyens britanniques fassent ce choix.
Si le Royaume-Uni décide de rester dans l’Union, nous mettrons en œuvre l’accord du 18 février dernier, lequel ne concède aucun droit de veto au Royaume-Uni sur l’intégration future de la zone euro. C’était un point majeur pour la France, sur lequel nous avons explicitement obtenu gain de cause.
Il faudra donc respecter les différentes conditions posées par le Premier ministre britannique, mais ce document de février a aussi réaffirmé que, si les Britanniques considèrent qu’ils ne sont pas concernés par la formule sur une Union sans cesse plus étroite, d’autres États membres estiment en revanche qu’elle s’applique toujours à eux. Nous avancerons, et les États membres qui le souhaitent pourront approfondir leur coopération dans tous les domaines évoqués dans ce débat, et sur lesquels nous nous retrouvons, me semble-t-il : croissance, investissement, sécurité.
Nous prendrons donc des initiatives, en particulier avec l’Allemagne, comme vous le souhaitez, mais aussi en proposant à tous ceux qui sont attachés au projet européen d’aller de l’avant avec nous.
Depuis l’an 2000, date du début des discussions sur les accords de partenariat économique, ou APE, les acteurs économiques et politiques de l’île de la Réunion soulignent l’impact que de tels accords pourraient avoir sur la fragile économie insulaire. Les APE sont des accords conclus entre les pays de la zone Afrique, Caraïbe et Pacifique, ou ACP, anciennement colonisés, et l’Union européenne.
Seize ans plus tard, il existe encore un flou certain autour de ces accords. Certes, vous avez répondu à ce sujet, monsieur le secrétaire d’État, au sénateur de La Réunion, notre collègue Paul Vergès, et votre courrier se veut rassurant. Néanmoins, il ne répond pas tout à fait à nos questions.
Vous faites allusion, il est vrai, à la possibilité pour l’Union européenne de recourir aux dispositions de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le TFUE, mais sont-elles suffisantes ? Vous avancez également que « certaines lignes tarifaires correspondant à des produits sensibles » ne seront pas libéralisées immédiatement, mais quelles sont ces lignes ? Comment pouvez-vous imaginer que l’économie réunionnaise puisse préparer et anticiper cette libéralisation si elle ne connaît pas le contenu de ces accords ?
En outre, on peut s’attendre à ce que d’autres partenaires commerciaux – les États-Unis, de grands pays émergents et des pays africains – exigent prochainement de ces pays les mêmes avantages commerciaux que ceux qu’ils ont accordés à l’Union européenne.
Dans ce contexte, quel est l’avenir de l’économie de La Réunion face aux importations de produits européens et de ceux qui sont fabriqués chez ses voisins, et à un coût défiant toute concurrence ?
Monsieur le sénateur, j’ai déjà eu l’occasion de répondre sur ce point à M. Paul Vergès, qui est très préoccupé par l’impact potentiel des accords de partenariat économique, en particulier de ceux qui concernent l’Afrique australe et l’Afrique de l’Est.
Nous défendons le statut des régions ultrapériphériques ; ainsi, au titre de ce statut, que la France a toujours promu, il existe des éléments de protection commerciale spécifique, que nous avons fait valoir à propos de la production de canne, de banane ou d’autres produits potentiellement menacés par les accords commerciaux de l’Union européenne ou par les règles de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC.
En tout état de cause, nous serons extrêmement attentifs à ce que les accords de partenariat économique – la déclinaison commerciale des anciens accords de Cotonou conclus avec les pays d’Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique, auxquels nous sommes aussi attachés – n’aient aucune conséquence négative. Il ne doit y avoir aucune opposition d’intérêts entre ces pays partenaires de l’Union européenne et des régions ultrapériphériques, en l’occurrence les départements et régions d’outre-mer ou les collectivités d’outre-mer, qui sont protégées par des traités européens.
Nous suivrons donc précisément et attentivement cette question, ligne tarifaire par ligne tarifaire, catégorie de produits par catégorie de produits.
Cela étant dit, nous pensons aussi que, comme les Antilles françaises vis-à-vis des pays de la Caraïbe inclus dans l’accord de partenariat économique, La Réunion peut aussi tirer bénéfice de ces accords. Nos départements et régions d’outre-mer se situent en effet à proximité de ces pays et peuvent donc exporter une partie importante de leur production vers ces territoires.
La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi deux réflexions.
En premier lieu, quand la France se tait, elle inquiète, et quand elle parle, elle interpelle. Je veux souligner ici l’inquiétude profonde des Français, à 48 heures d’une décision qui sera peut-être historique, à savoir l’éventuelle sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.
Dans ce contexte, j’aimerais que l’on entende la voix de la France, à travers celle du Président de la République, et que, en cette occasion, sa voix se mêle à celle de la chancelière allemande. Plus que jamais, nous avons besoin d’entendre la France et l’Allemagne parler de concert. C’est aussi le message que nous avons adressé ce matin au secrétaire général aux affaires européennes, M. Léglise-Costa. Il se prépare, me semble-t-il, une communication de ce type.
Il est très important que l’Europe puisse se redéfinir en se recentrant sur l’essentiel, en étant une Europe de la simplification, de la convergence, de la plus-value communautaire et de la sécurité. Voilà ce que nous souhaiterions entendre.
En second lieu, sachez, monsieur le secrétaire d’État, que, sur ces grands thèmes, le Sénat ne sera pas absent. Il est déjà en réflexion sur ce point, comme il l’a été dès le lendemain du 13 janvier 2015. Nous essaierons de travailler ensemble pour envoyer des messages extrêmement clairs et fermes à nos voisins européens.
Enfin, nous revenons de Pologne et il faudrait sortir du cercle des pays fondateurs. Des pays nous ont rejoints, depuis la création de l’Union, et ils sont profondément européens. Nous avons besoin de tous sur ce point.
M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.
Nous en avons terminé avec le débat préalable au Conseil européen des 28 et 29 juin 2016.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt-et-une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.