Intervention de Jacques Gautier

Réunion du 21 juin 2016 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 28 et 29 juin 2016

Photo de Jacques GautierJacques Gautier, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser le président Jean-Pierre Raffarin, retenu par des engagements auxquels il n’a pu se soustraire.

Notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté ces dernières semaines trois résolutions en vue du prochain Conseil, exprimant deux inquiétudes majeures et deux exigences.

Notre première préoccupation, c’est la menace du Brexit. Notre commission s’est rendue à Londres il y a un mois pour des entretiens de haut niveau : nous mesurons bien le risque.

L’assassinat tragique de la députée Jo Cox vient dramatiser encore un enjeu qui concerne tous les Européens. Un Brexit ouvrirait en effet une crise majeure en Europe et il nous faut, dès à présent, réfléchir au « jour d’après » le vote, et ce quelle que soit son issue.

Si le Royaume-Uni quitte l’Union européenne, il faudra à la fois enclencher la séparation, mais aussi anticiper sur le plan politique d’éventuelles contagions.

Si le Royaume-Uni reste dans l’Union, ce que nous souhaitons, il faudra mettre en œuvre, au niveau européen, le « paquet » négocié en février par David Cameron. Dans les deux cas, la commission des affaires étrangères juge nécessaire de prendre une initiative forte pour relancer l’Europe politique.

Le gouvernement français devrait prendre une telle initiative, qui pourrait à notre avis concerner la sécurité et la défense, conjointement avec l’Allemagne.

Notre commission a d’ailleurs prévu une réunion de travail à l’ambassade britannique dès le 29 juin, et une réunion conjointe ici même le 12 juillet avec nos homologues de la Chambre des communes et de la Chambre des Lords. Le message est clair : quelle que soit l’issue du vote, la coopération de défense avec les Britanniques, très avancée, sera poursuivie, dans l’élan des accords de Lancaster House, qui unissent étroitement nos deux pays.

Notre deuxième inquiétude concerne les migrants. Nous sommes entrés, depuis avril, dans une nouvelle phase, car l’accord passé avec la Turquie le 18 mars, combiné avec la fermeture de la route des Balkans, a ramené le nombre d’arrivées à une cinquantaine par jour, contre 2 000 à l’hiver dernier. Mais plusieurs milliers de migrants attendent dans les hotspots et 50 000 autres, arrivés avant l’accord, sont bloqués en Grèce.

Si la situation est stabilisée, si, pour l’heure, nous constatons une certaine bonne volonté turque dans le contrôle des flux, nous n’en restons pas moins à la merci d’un revirement de la Turquie, qui sait trop bien monnayer sa coopération.

Aussi, tous nos efforts doivent-ils tendre – c’est du ressort de la politique étrangère, monsieur le secrétaire d’État – à un règlement de la crise syrienne, sans oublier, bien entendu, un soutien aux autres pays voisins de la Syrie, qui supportent eux aussi une lourde charge en matière d’accueil des réfugiés – je pense au Liban et à la Jordanie en particulier.

Notre inquiétude, aujourd’hui, est la réactivation probable des arrivées par la Méditerranée centrale. Plusieurs centaines de milliers de migrants subsahariens et de la Corne de l’Afrique seraient candidats au départ vers l’Europe, et plusieurs dizaines de milliers sont d’ores et déjà prêts à embarquer sur les côtes libyennes, alors même que les naufrages reprennent à un rythme soutenu. L’opération européenne Sophia a, paradoxalement, plutôt été une aide qu’un frein pour les passeurs. Je me réjouis donc que l’ONU l’ait autorisée, enfin, à lutter contre le trafic d’armes, en attendant la phase 3, qui, seule, permettra de neutraliser les réseaux de passeurs.

Aujourd’hui, la situation est aussi préoccupante d’un point de vue sécuritaire, car Daech en Libye, attaqué dans la poche de Syrte, pourrait infiltrer ces réseaux de passeurs. Le problème, nous le savons tous, c’est la faiblesse du gouvernement légitime libyen.

La solution, là aussi, est politique : la France et les 28 doivent soutenir les efforts de l’envoyé spécial de l’ONU pour la reconnaissance par tous nos États du gouvernement d’union nationale du président Al-Sarraj, avec comme mesures prioritaires la mise sur pied d’une armée et la formation des garde-côtes.

Mais c’est surtout en amont de ces routes migratoires qu’il faut agir, à la source ! La proposition que vient de faire la Commission européenne d’un nouveau cadre de partenariat avec les pays tiers semble aller dans ce sens, pour peu qu’il ne s’agisse pas simplement de « mobiliser et de concentrer » des moyens existants, ce qui serait évidemment très largement insuffisant.

Sur la Russie, notre position est bien connue, puisque le Sénat en a largement débattu. La résolution de notre commission, évoquée à l’instant, et dont je rappelle qu’elle respecte naturellement le droit international, lie l’allégement des sanctions économiques à l’application des accords de Minsk, ce qui n’empêche pas d’envisager de réévaluer les sanctions diplomatiques et individuelles, lesquelles bloquent des relations indispensables au dialogue politique.

Dialoguer, c’est notre première et permanente exigence. Cela n’empêche pas d’exprimer des désaccords : notre commission a mené en mars, ici même, un dialogue stratégique avec des parlementaires russes du Conseil de la Fédération : nous avons clairement condamné l’annexion de la Crimée et la situation dans l’est de l’Ukraine, tout en cherchant par ailleurs des convergences de vue. À ce titre, on ne peut que se réjouir que le président Juncker se soit rendu à Saint-Pétersbourg.

Dernière exigence : la stratégie globale de l’Union européenne concernant les questions de politique étrangère et de sécurité ne doit pas passer à la trappe ! La sécurité est la première demande des Européens, à égalité avec l’emploi, on l’oublie trop souvent.

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