Cette proposition de loi nous arrive alors qu'a été mis en place un groupe de travail sur les risques climatiques au sein duquel sont représentées toutes les composantes politiques de notre assemblée. On me fait valoir qu'elle était prête de longue date mais qu'il fallait caler son examen sur un ordre du jour réservé au groupe socialiste. Soit, mais quoi qu'il en soit, nous souhaiterions que cette proposition de loi et celle qui pourra émaner du groupe de travail soient envisagées comme des textes complémentaires. La situation justifie que le Sénat regarde ces initiatives avec la plus grande attention. L'agriculture, fragilisée, doit faire face à des risques qu'elle n'a plus les moyens, pour des raisons que nous connaissons bien, de surmonter. On ne peut pas s'exempter de rechercher des réponses plus efficientes aux risques climatiques et peut-être aussi aux risques économiques auxquels elle est confrontée.
Un régime des calamités agricoles existe depuis le milieu des années 1960. Le fonds national de garantie des calamités agricoles (FNGRA) assure l'indemnisation des gros dommages pouvant être qualifiés de calamités, selon des procédures que vous connaissez bien, et qui ont encore été mises en oeuvre récemment. Pour cela, le FNGRA dispose de ressources provenant d'une taxe additionnelle sur les primes d'assurance versées par les agriculteurs pour assurer leurs bâtiments et leurs matériels, en particulier contre l'incendie. Cette taxe additionnelle sur les contributions d'assurance des agriculteurs représentait 120 millions d'euros par an jusqu'à l'année dernière, la loi de finances l'ayant divisée par deux pour cette année. Le FNGRA était également alimenté, en principe à même hauteur, par des contributions budgétaires de l'État, mais dénuées du caractère d'automaticité. D'une année sur l'autre, les dépenses du FNGRA au titre des calamités agricoles sont très variables, mais elles ont plutôt tendance à baisser. Et cela parce que depuis une dizaine d'années, la prise en charge de dommages récurrents aux cultures a basculé du régime des calamités agricoles vers l'assurance. Les pouvoirs publics ont encouragé le développement de l'assurance-récolte par une incitation, la prime étant subventionnée, à hauteur de 65 % au maximum, mais, revers de la médaille, dans les secteurs où l'assurance-récolte existe, le régime des calamités agricoles ne s'applique plus.
Le soutien à l'assurance-récolte est fourni par une section distincte du FNGRA, financée par redéploiement de crédits européens, complétés jusqu'en 2014 par des crédits nationaux - ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. La couverture assurantielle du risque climatique, qui reste facultative pour l'agriculteur, a bien progressé pour atteindre désormais 30 % environ en grandes cultures et 20 % en viticulture. Ajoutons qu'en 2013, un instrument complémentaire a été créé, le fonds de mutualisation sanitaire et environnemental (FMSE).
L'architecture nationale de gestion des risques agricoles s'inscrit dans un cadre réglementaire et financier régi au niveau européen par la politique agricole commune (PAC). La PAC a commencé à s'intéresser à la gestion des risques en agriculture depuis le bilan de santé de 2008. Les États membres ont alors été autorisés à utiliser les crédits PAC qui leur sont alloués pour soutenir l'assurance ou les fonds de mutualisation. Et la dernière réforme de la PAC a conforté les instruments de gestion des risques. D'une part, le règlement « OCM unique » continue à autoriser les organisations de producteurs, dans les secteurs fruits et légumes et viticulture, à gérer des fonds de mutualisation, destinés à soutenir les producteurs dans les situations de crise, d'autre part, le nouveau règlement sur le développement agricole et rural autorise non seulement le Fonds européen agricole pour le développement rural, (Feader), à soutenir les assurances-récolte et les fonds de mutualisation, mais donne aussi un cadre à un instrument de stabilisation des revenus des agriculteurs, répondant au risque économique.
Une douzaine d'États-membres ont choisi, dans leur mise en oeuvre de la PAC 2014-2020, d'utiliser au moins un de ces outils. Pour la France, l'enveloppe budgétaire consacrée à ces programmes s'élève encore à environ 100 millions d'euros par an pour la période 2014-2020.
La réflexion sur la gestion des risques en agriculture se structure autour de deux sujets principaux. Il s'agit, tout d'abord, d'améliorer la couverture du risque climatique. Le dispositif des assurances récolte a ainsi évolué récemment. Depuis la dernière campagne, les agriculteurs peuvent désormais souscrire un « contrat-socle », qui élargit de façon bienvenue la couverture à de nouveaux secteurs qui ne bénéficiaient pas auparavant de produits d'assurance, comme les prairies. Le contrat-socle assure aussi une couverture de base contre les « coups durs », offrant une indemnisation en cas de dommage afin de faire redémarrer l'exploitation. L'esprit, plutôt que d'assurer un revenu, est de couvrir les charges d'exploitation, afin de permettre à l'agriculteur sinistré de redémarrer une campagne dans des conditions convenables.
Améliorer la couverture du risque climatique est un enjeu essentiel. Le succès d'un tel dispositif dépend largement des moyens budgétaires disponibles. De ce point de vue, il est à craindre que les crédits européens aujourd'hui mobilisés soient insuffisants alors que le contrat-socle devrait se développer - les polices d'assurance sont presque couvertes à 65 % par ces 100 millions d'euros. Mais cela ne concerne que 30 % des professions céréalières. Il serait regrettable que le taux de subvention effectif des primes d'assurance des agriculteurs soit réduit à due concurrence, ce qui affaiblirait l'incitation à s'assurer, ainsi qu'on l'a constaté ces dernières années, où le taux de soutien effectif a pu tomber à 50 %. Le problème, c'est qu'en début de campagne, les assureurs n'ont pas d'indication budgétaire précise et ne peuvent dire aux agriculteurs quels seront précisément la nature et le coût de leur contrat. Il faudra y remédier.
Si le contrat-socle se diffuse largement, il conviendra aussi de vérifier que les moyens de réassurance, privée ou le cas échéant publique, soient en adéquation avec l'importance des capitaux assurés.
Le deuxième sujet concerne la couverture du risque économique des exploitations agricoles. Avec la fin des régulations de prix par les politiques agricoles, et l'orientation de la PAC vers les marchés, les agriculteurs sont de plus en plus exposés à des risques de marchés.
Une réflexion plus large s'est engagée, tant au niveau gouvernemental que parmi nous, pour aller vers des dispositifs d'assurance-revenu ou assurance-chiffre d'affaires des agriculteurs. Nous avons rencontré, au cours de nos auditions, plusieurs groupes professionnels, dont Momagri, tous très attentifs à cette réflexion. Le Farm Bill américain a mis en place un mécanisme de ce type, doté d'un budget de 6,5 milliards d'euros.
Les auteurs de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui ont concentré leurs propositions sur la couverture du risque économique, en proposant la mise en place, en France, d'un outil certes autorisé par l'Europe mais que notre pays n'a pas retenu dans son programme de développement rural 2014-2020 : des fonds de stabilisation des revenus agricoles. L'article 1er propose ainsi la création de tels fonds dans chaque région. L'article 3 prévoit une expérimentation avant généralisation de ces fonds. Et l'article 2 demande un rapport au Parlement pour identifier ce que pourraient en être les ressources. De tels fonds, je l'ai dit, sont autorisés par la PAC ; ils correspondent à l'instrument de stabilisation de revenus (ISR).
En réalité, la proposition de loi vise avant tout à réclamer une réorientation de la PAC. Un de ses articles demande d'ailleurs au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport détaillant ses objectifs et priorités pour la prochaine PAC, en insistant sur la nécessité de mettre en place des aides contracycliques. Il s'agit d'en finir avec la linéarité des aides européennes, pour essayer, dans certaines productions, de les mettre en corrélation plus étroite avec la situation des marchés - ce qui est loin d'être simple.
L'idée sous-jacente est la suivante : on imposerait aux agriculteurs, les bonnes années, de mettre de côté une partie des revenus tirés des aides directes de la PAC à travers le fonds de stabilisation des revenus agricoles. Les mauvaises années, ce fonds reverserait les sommes aux agriculteurs en difficulté. Cette idée, séduisante, appelle à mon sens une analyse beaucoup plus poussée. Que se passera-t-il si les prix agricoles baissent plusieurs années de suite ? Voyez le marché des céréales, baissiers depuis quatre ou cinq ans. Quel sera le niveau de solidarité entre les filières ? Un tel système sera difficile à mettre en oeuvre pour la plupart des productions animales. Quels sont les moyens budgétaires à dégager ? Probablement plusieurs centaines de millions d'euros.
La proposition de loi qui nous est soumise constitue un bon réceptacle en vue de la future réforme de la PAC. Un débat dans lequel tous les acteurs n'ont pas le même point de vue.
Les auteurs de ce texte réclament aussi, et cela mérite débat, de dégager quelques moyens nationaux supplémentaires pour cofinancer la gestion des risques en agriculture : un relèvement de la taxe sur les surfaces commerciales (TaSCom) ou encore une augmentation de la taxe sur la cession de terrains agricoles rendus constructibles - une ressource dont on connaît cependant les limites.
Ils demandent également que soit garanti le taux de subvention de 65 % pour la souscription par les agriculteurs d'assurances risques climatiques. Il s'agit là d'une demande justifiée, mais pour répondre à cet objectif, dans le cadre d'une extension du contrat-socle, il faudrait, à défaut de financements nationaux, transférer davantage de crédits entre le premier et le deuxième pilier de la PAC, ce qui ne sera possible qu'en 2018.
Le texte vise à encourager la gestion du risque à travers l'épargne individuelle de l'agriculture, en relevant le plafond de la déduction pour aléas (DPA) en fonction de l'emploi salarié sur l'exploitation. C'est un débat que nous avons déjà eu et la proposition, à mon sens, est bonne. L'amélioration de la DPA est en effet nécessaire et elle a été partiellement mise en oeuvre par la dernière loi de finances. Sur ce point, la proposition de loi va dans le sens de la proposition de loi, votée au Sénat, visant à améliorer la compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire, que nous devons à l'initiative de Jean-Claude Lenoir. Si le nombre des exploitations concernées par la DPA reste malheureusement restreint, en France, cela n'implique pas de ne pas la faire évoluer, mais en ayant conscience que ce n'est pas la panacée.
Au total, cette proposition de loi comporte des dispositions intéressantes, même si l'on peut se demander s'il est envisageable de les rendre opérationnelles au niveau des régions au 1er janvier 2017. C'est donc plutôt une proposition de loi d'appel, pour attirer l'attention sur la nécessité d'aller vers une gestion du risque économique en agriculture à travers la PAC, laquelle n'a désormais plus aucune action contracyclique. Il est vrai que toutes les organisations agricoles ne partagent pas, sur ce sujet, le même point de vue, mais cela est naturel.
Gardant en mémoire la sanction qu'a pu opposer la commission des finances à certains de nos récents amendements, je ne suis pas certain, cependant, que les dispositions de la proposition de loi soient toutes recevables au regard de l'article 40 de la Constitution.
À l'exception de quelques amendements purement rédactionnels, je ne proposerai pas à la commission de modifier ce texte, afin que la discussion en séance se déroule dans les meilleures conditions.
Cette proposition de loi est, je le répète, un texte d'appel qui prendra toute sa valeur s'il est suivi d'autres initiatives - et je pense notamment à celle en cours, sur les risques climatiques. C'est la raison pour laquelle, à titre personnel, je le voterai. Ce texte ne contribuera à nous faire avancer que dans le cadre d'un consensus minimal. Parmi les acteurs du monde agricole, le débat est très animé, ainsi que nos auditions nous ont permis de le constater. Nous avons rencontré des représentants de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), de la Caisse centrale de réassurance (CCR), de Monagri. S'il n'y a pas d'oppositions fondamentales, la profession peine néanmoins à trouver la formule par laquelle elle pourrait s'entendre. Ce texte ne fait donc pas, pour le moment, l'unanimité, mais il me semble que le Sénat doit donner des signes forts de cohésion et faire preuve d'une capacité d'entraînement, tant à l'égard de la profession agricole que de l'Assemblée nationale.