Intervention de Elisabeth Borne

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 22 juin 2016 à 9h30
Audition de Mme élisabeth Borne présidente-directrice générale de la ratp

Elisabeth Borne, présidente-directrice générale de la RATP :

Pour répondre à Louis Nègre, le rapport de la Cour des Comptes porte une vision générale sur les transports franciliens. Le RER C ne relève pas de la RATP. Il ne s'agit pas de vouloir marquer ici des différences entre la SNCF et la RATP, mais il me semble important de faire le bon diagnostic pour chaque entreprise. C'est en partant du bon diagnostic qu'on trouvera les bonnes réponses. En l'occurrence, le modèle économique de la RATP est très différent de celui de SNCF Réseau. Je rends régulièrement hommage à mon directeur financier qui, au moment de l'engagement dans une contractualisation avec le Stif, a bâti ce premier contrat avec notre autorité organisatrice en permettant à la RATP d'autofinancer le renouvellement de son infrastructure. Ce n'est pas le cas de SNCF Réseau. Au fil des années, la RATP a fait l'entretien de son réseau. Les deux situations sont très différentes. Compte tenu du degré d'utilisation du réseau que nous exploitons en Île-de-France, nous ne pouvons pas nous permettre la moindre faille dans l'entretien. Nous accueillons des millions de voyageurs tous les jours. L'utilisation du réseau s'intensifie de manière permanente. Nous avons fait vérifier cet entretien par l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) : nous n'avons pas de vieillissement de composants comme il peut y en avoir malheureusement à SNCF Réseau. Pour autant, l'EPFL nous a alertés sur le fait que l'intensification de l'utilisation du réseau devra s'accompagner d'une intensification de nos programmes d'entretien et de renouvellement. Lorsque le RER A est passé à des rames à deux niveaux, la charge transportée chaque jour a augmenté de 50 %. Nous devons donc porter une attention toute particulière à l'entretien de nos infrastructures.

Ce modèle, qui permet d'assurer la pérennité des actifs et donc d'avoir un service de qualité en toute sécurité pour nos voyageurs, doit être maintenu dans la durée. Nous devons continuer de le faire fonctionner sans augmentation de la dette.

Dans une entreprise comme la RATP qui joue un rôle très important dans le quotidien de millions de personnes, il est de la responsabilité des dirigeants et des organisations syndicales d'avoir le dialogue social le plus serein et le plus fructueux possible. Je voudrais rendre hommage à Josette Théophile, DRH à l'époque de Jean-Paul Bailly, pour le système d'alarme sociale mis en place qui porte encore aujourd'hui ses fruits, même s'il faut toujours se donner l'objectif de progresser pour fluidifier le dialogue social, savoir mettre les sujets sur la table et en discuter. Les salariés de la RATP sont attachés à leur entreprise. Nous pouvons trouver ensemble des réponses. Un dialogue social nourri est la condition d'un climat social serein.

Sur la place de l'industrie française dans notre projet bus 2025 et sur la capacité de notre industrie à répondre à l'accroissement de la demande, je me réjouis que le groupe Bolloré ait fait le pari de travailler avec nous, ce qui n'allait pas de soi. Les constructeurs français avec lesquels on travaille habituellement n'étaient pas très heureux quand la RATP a annoncé passer à l'électrique. On leur a déjà demandé de passer à l'Euro 6, norme très exigeante pour les constructeurs. On leur a ensuite demandé de passer aux bus hybrides, et nous voulons aujourd'hui passer aux bus électriques. Cette évolution est indispensable. Nous avons tous l'occasion de voyager dans le monde : il est impossible de voir le ciel dans certaines métropoles d'Asie. Les problèmes de pollution dans les grandes villes mondiales sont absolument cruciaux. Développer les véhicules électriques n'est pas forcément simple. Pour les particuliers, il faudra déployer tout un système de recharge sur le territoire national pour que les gens puissent les utiliser en toute confiance. Quand il s'agit des bus, les flottes sont captives : ils partent d'un dépôt pour revenir à un dépôt. On peut donc faire le pari d'accélérer l'arrivée de l'électrique.

Il faut être conscient qu'un constructeur comme BYD produit déjà 10 000 bus électriques par an. Il est plus que temps que nos industriels s'y mettent. Aucune autorité organisatrice ne pourra demain faire le choix de ne pas acheter de bus électriques parce que les constructeurs français ne s'y sont pas mis. Le groupe Bolloré a fait le pari. Heuliez est en train de s'y mettre également. Il y a des stratégies industrielles particulières. Les deux grands constructeurs sur le territoire national sont Heuliez dans les Deux-Sèvres et Iveco à Annonay, tous deux dans le groupe CNH. Je regrette qu'Iveco ait fait le choix de ne pas produire de bus électrique. Je le comprends d'autant plus mal que dans le secteur automobile, Renault et Nissan arrivent à développer des plateformes communes au sein d'un même groupe. Il est dommage que CNH ne fasse pas de même pour mettre à disposition de ses deux filiales cette technologie de bus électrique. La RATP commandera environ 600 bus électriques par an. J'espère que les autorités organisatrices dans les autres villes auront également des commandes. Il faut que nos industriels y répondent.

Par ailleurs, il faut savoir que lorsqu'on travaille par exemple avec le chinois Yutong, il fabrique en France. Nous sommes dans un monde dans lequel il est de plus en plus compliqué de savoir ce qu'est un industriel français. Il arrive que l'on passe commande à des industriels français et de découvrir que le produit fourni a été fabriqué en Roumanie ou en Hongrie. Nous serons très attentifs à accompagner les constructeurs français, notamment sur la partie ingénierie pour expliquer nos attentes et faire un retour d'expérience afin de leur faciliter le chemin.

La fraude est un sujet difficile. La Cour des comptes évalue les pertes de recettes à 180 millions d'euros par an. Ce montant est toutefois à relativiser, car il ne correspond pas vraiment au manque à gagner pour la RATP. Ce serait supposer que l'ensemble des personnes qui utilisent actuellement les transports en commun en fraudant, pourraient un jour les utiliser en payant. Un renforcement des contrôles ou des sanctions ne conduirait pas toutes les personnes qui fraudent à acheter des titres de transport. Certaines se détourneraient sans doute de notre réseau, tandis que d'autres continueraient à frauder, par d'autres moyens.

Nous sommes bien sûr très attentifs à ce sujet, et la présidente de la région est également mobilisée. Le constat diffère selon le réseau considéré. Étant donné que le RER et le métro sont dans un réseau fermé, le pourcentage de fraude se limite à 3 %, ce qui constitue plutôt un bon résultat par rapport aux autres pays développés, à l'exception notable du Japon et de la Corée du Sud, où la fraude est inexistante, pour des raisons culturelles.

Aujourd'hui, 90 millions d'euros sont dépensés par an contre la fraude, pour 27 millions de recettes. Il faut donc être conscient que pour trois euros investis dans la lutte contre la fraude, nous en récupérons un. Nous avons 1 000 agents dédiés au contrôle, en plus des 1 000 agents chargés de la sécurité, et des 5 500 agents dans les stations. Nous poursuivons bien sûr nos efforts.

À ce sujet, les dispositions adoptées par le législateur en mars 2016 sont très importantes. Elles vont permettre d'améliorer le taux de recouvrement des amendes, qui se limite aujourd'hui à 14,5 %, le plus souvent à cause de noms ou d'adresses fantaisistes. Avec le conseil régional, nous allons largement communiquer sur les nouvelles règles, qui permettront de sanctionner le refus de donner son identité ou de rester à disposition des contrôleurs, et de constater le délit d'habitude à partir de cinq infractions. Cela nous semble d'autant plus légitime que les voyageurs ne payent en moyenne que 30 % du coût des transports.

À propos du code de bonne conduite, je pense effectivement qu'il est peu souhaitable pour la « maison France » que des opérateurs publics de transport s'affrontent entre eux sur des marchés étrangers, en s'engageant dans une guerre des prix, qui conduit à une destruction de valeur, sans favoriser la qualité. Nous devons coopérer. Par exemple, pour le réseau de tramway de Manchester, long de 100 kilomètres, et qui a été triplé au cours de l'exploitation par la RATP, il ne me semble pas indispensable que nos deux concurrents français viennent spécifiquement répondre au renouvellement du contrat. Le monde est vaste, et il y a des besoins de transports publics partout. Cela me semble une meilleure idée de diffuser le savoir-faire français sur l'ensemble de la planète.

Concernant le Grand Paris, sur lequel M. Filleul m'a interrogée, la RATP sera bien présente, car la loi lui a confié la gestion de l'infrastructure. Le législateur a souhaité confier cette responsabilité à un acteur expérimenté en termes de gestion et de maintenance, pour une infrastructure nouvelle. Le moment venu, la RATP sera candidate pour être l'opérateur du réseau de transports du Grand Paris.

Nous ne sommes pas directement concernés par le projet Éole, qui relève de la SNCF, mais en matière de coopération entre la RATP et la SNCF, nous travaillons sur le système d'aide à l'exploitation d'Éole, « NExTEO », qui est une véritable coproduction. La RATP apporte son expertise sur les métros automatiques de technologie CBTC (Communication Based Train Control), qui seront utilisés sur le tronçon central d'Éole, et la SNCF apporte ses connaissances sur le système de signalisation. Chacun apporte son meilleur savoir-faire.

Sur la qualité de l'air, la RATP est très vigilante. Comme l'a souligné un rapport récent de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), dans le réseau souterrain, cette problématique concerne essentiellement les salariés, qui travaillent de nombreuses heures dans le réseau. Premièrement, nous devons poursuivre et améliorer les mesures. La RATP est déjà très active et transparente sur ce point. De nouvelles technologies permettent désormais d'effectuer des mesures de façon plus diffuse. Deuxièmement, nous agissons pour limiter les émissions, qui résultent essentiellement du freinage. Le remplacement du matériel permet d'évoluer vers un système de freinage électrique, pour supprimer les émissions de particules. Les opérations de renouvellement des voies et du ballast nous donnent également l'occasion de nettoyer le réseau. Enfin, nous menons des travaux pour améliorer la ventilation et l'extraction d'air, et ce sont 9 millions d'euros par an qui seront consacrés à ces travaux dans les prochaines années.

M. Fouché a mentionné les questions de sécurité. La menace d'attentat existe. Je souhaite à ce titre saluer tous les agents de la RATP, qui ont assuré la continuité du service public le 13 novembre et les jours qui ont suivi, malgré des attentats sur des sites multiples. Pour assurer la sécurité, nous agissons d'abord par une présence humaine. Le nouveau contrat signé avec le STIF va nous permettre d'accroître de 100 le nombre d'agents consacrés à la sécurité, soit une hausse de 10 %. Les agents de station participent également à la sûreté.

La vidéo-protection est déjà très développée et elle va croître dans les prochaines années. Notre réseau est équipé de 9 500 caméras fixes et de 27 000 caméras dans le matériel roulant. Dans les jours prochains, nous allons tester la vidéo intelligente, pour traiter au mieux et au plus vite ce volume d'images. Cela permettra de détecter des comportements anormaux ou des mouvements de foule. Et nous agissons bien sûr en étroite coopération avec les forces de sécurité - police, gendarmerie et armée - dont le rôle doit être salué. Le poste de commandement de nos services de sécurité est implanté juste à côté de celui de la brigade des réseaux franciliens de la préfecture de police. En accord avec la présidente de région, nous avons proposé la mise en place d'un poste de commandement commun à l'horizon 2020.

Concernant les inondations, l'exercice Sequana a été très utile, et la crue de la Seine a permis de tester la réactivité de notre dispositif. L'enjeu majeur pour la RATP est d'éviter l'entrée de l'eau dans le métro. Cette problématique existait déjà en 1910, et elle est encore plus vive aujourd'hui compte tenu des équipements électroniques du réseau. Un plan de protection déclenché à partir d'une montée des eaux de 6,60 mètres prévoit la mise en place de barrières pour bloquer la montée du niveau de l'eau dans 30 stations, et le plan s'étend si le niveau atteint celui de la crue centennale, pour protéger environ 400 ouvrages. L'investissement initial est de 6 millions d'euros et notre programme quinquennal d'investissement apporte un renfort de quelques centaines de milliers d'euros par an, pour améliorer l'efficacité et la rapidité de ces déploiements. Nous avons également à progresser sur le sujet des remontées de nappes, car les deux stations fermées lors de la récente crue ont été affectées par ce phénomène.

L'accessibilité, évoquée par Mme Tocqueville, est un sujet compliqué car nous gérons un réseau centenaire. À ce jour, tous nos bus et tramways sont accessibles. Le RER A et B et la ligne 14 du métro le sont également. Les parties du réseau créées lors des prolongements seront conçues pour être accessibles. Les exigences d'accessibilité doivent toutefois être adaptées pour être réalisables. À titre d'exemple, les services d'incendie et de secours nous ont indiqué que lorsque deux stations non contiguës du réseau sont rendues accessibles aux personnes à mobilité réduite, toutes les stations intermédiaires sur le tronçon doivent également l'être. Nous avançons, mais les exigences extrêmes d'accessibilité ont tendance à empêcher tout progrès.

Par ailleurs, la RATP travaille sur toutes les formes de handicaps, et nous avons une première ligne qui a été certifiée pour l'accueil des personnes handicapées. Je souhaite que dans les deux prochaines années, toutes nos lignes soient ainsi certifiées. Il est indispensable de savoir accueillir tout le monde sur notre réseau, et nous sommes convaincus que ces évolutions permettront également de progresser sur l'accueil de l'ensemble des voyageurs.

À propos des recrutements, nous embaucherons 3 000 nouveaux salariés en Île-de-France cette année, en grande partie pour compenser des départs à la retraite. La moitié de ces recrutements sont des conducteurs de bus, ce métier étant le point d'entrée dans le groupe RATP. Nous recrutons également 300 agents de station, 150 conducteurs de métro, 100 agents pour le groupe de protection et de sécurisation des réseaux (GPSR) et 100 agents chargés d'assurer plus de présence humaine dans le réseau de bus Noctilien. Nous souhaitons également recruter des ingénieurs, notamment des femmes. Aujourd'hui, les femmes représentent 20 % du personnel de la RATP. Il est important que nous progressions vers la parité lors des recrutements, en cassant certains clichés et en remédiant à la faible féminisation de plusieurs filières.

En matière d'innovation, pour répondre à M. Bérit-Débat, notre objectif est d'offrir plus de services digitaux. Cela suppose d'améliorer la couverture mobile dans le réseau, en déployant la 3G et la 4G. Cet été, les lignes A et B du RER et la ligne 1 du métro seront couvertes. Nous nous donnons 18 mois pour couvrir tout le réseau. Ce déploiement est techniquement complexe, car les équipements des opérateurs dégagent de la chaleur, que nous devons ventiler. En termes de services, nous développons d'abord des outils sur les itinéraires. Une nouvelle version de notre application, plus conviviale et multimodale, sera diffusée dans les prochains jours. L'objectif est de permettre aux voyageurs d'utiliser tous les modes de transport, de la façon la plus fluide possible, en intégrant notamment la disponibilité des Autolib' et Vélib'. Nous venons également de sortir la nouvelle version de notre application Next Stop Paris, dédiée aux touristes, qui permet désormais une traduction en simultané pour nos agents lors de l'accueil des voyageurs. Des services sur des mobilités complémentaires, notamment le transport à la demande, sont également en cours de développement, pour élargir la palette des réponses dans les différentes zones.

M. Pointereau m'a interrogée sur le RER B. Avec le Stif et le conseil régional, nous avons étudié les possibilités d'accélérer le renouvellement du matériel. Jusqu'à la mise en service de la ligne CDG Express, le RER B demeure une vitrine pour les voyageurs étrangers qui arrivent à Paris. Nous devons toutefois concevoir un matériel spécifique, adapté à cette ligne sinueuse. La RATP a fait des propositions dans le programme d'investissement adressé au Stif et au conseil régional.

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