Ayant initialement pour objet « la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique », ce projet de loi comprenait 57 articles. Après son passage à l'Assemblée nationale, il en comporte 172, soit un quasi triplement du texte, devenu un vaste ensemble assez hétéroclite, allant du bien-être animal dans les abattoirs à la lutte contre la corruption. De nombreuses dispositions ont été ajoutées par les députés et le Gouvernement. Michel Sapin lors de son audition hier a eu quelques difficultés à justifier un certain nombre de ces ajouts, sur lesquels il a reconnu n'être pas compétent.
Notre commission a reçu une délégation au fond pour examiner 56 articles, relatifs à des dispositions très diverses que je ne détaillerai pas, hormis les plus importantes ou celles faisant l'objet d'amendements, et elle s'est saisie pour avis de 5 articles supplémentaires.
Notre principal regret, dans ce texte fourre-tout, c'est que 19 articles portent habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures relevant du domaine de la loi ; 15 habilitations sont inscrites dans les articles de notre compétence. Parmi celles-ci, six ont été introduites par des amendements du Gouvernement à l'Assemblée nationale, sans aucun débat ni étude d'impact préalable. Je vous proposerai de conserver celles qui transposent des directives communautaires imposant des délais de mise en oeuvre rapprochés - par exemple le paquet Market Abuse Directive-Market Abuse Regulation (MAD-MAR) sur les abus de marché - ou portant sur des sujets très techniques, comme la deuxième directive sur les services de paiement (directive DSP 2). Entre les décisions européennes et la transposition par ordonnance, l'espace laissé au débat national se restreint...
Sont plus douteuses les habilitations pour donner un cadre juridique aux opérations sur titres non cotés au moyen de Blockchain, à l'article 34 ter, ou pour refondre complètement le code de la mutualité, à l'article 21 bis A, sans que l'on sache rien des intentions du Gouvernement et alors que la ministre des affaires sociales avait annoncé un projet de loi il y a tout juste un an. Hier, Michel Sapin était un peu sec sur cette question ! Ces ordonnances ne sont pas dictées par l'urgence, elles sont politiques, et nous estimons que les sujets méritent un débat parlementaire.
Nous sommes très attachés aux droits du Parlement. Il est préférable d'opérer les transpositions en dur, comme cela a été fait pour la répression des abus de marché : le Parlement peut alors, en l'absence d'urgence, se saisir du débat. L'article 20 du présent projet de loi instaure ainsi un plafond de 15 % du chiffre d'affaires pour les sanctions des personnes morales par l'Autorité des marchés financiers (AMF). Nous pourrions étendre ce plafond aux sanctions pénales en matière d'abus de marché et aux sanctions prononcées par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
Se posent également des problèmes de frontière entre le législatif et le réglementaire. J'ai été très vigilant sur l'équilibre entre la loi et le décret. Je vous proposerai donc de revenir sur la possibilité accordée au Gouvernement de fixer librement les conditions dans lesquelles les fonds d'investissement peuvent prêter aux entreprises. Nous sommes au coeur du shadow banking, il est important que le législateur fixe lui-même des garde-fous.
Le texte comprend également des dispositions sur le contrôle prudentiel des établissements bancaires. Il introduit un régime purement national de résolution pour les entreprises d'assurances, toujours par voie d'ordonnance. Il élargit les compétences du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), qui se verrait attribuer des pouvoirs très importants. Mieux vaut encadrer ces dispositions, compte tenu de leurs effets potentiels sur les assurés.
Le texte de loi comprend aussi plusieurs mesures interdisant la publicité en faveur des produits financiers hautement spéculatifs et complexes - Forex, options binaires ou autres segments de marché où les risques de perte sont considérables et où les escrocs sont à l'affût. Cela va dans le bon sens. Nous avions évoqué ce sujet avec Gérard Rameix, le président de l'AMF. Plusieurs de mes amendements sécurisent et renforcent la portée des dispositions en matière de publicité. Par exemple, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pourra sanctionner tout intermédiaire contribuant à la diffusion d'une publicité illégale. Je vous proposerai aussi de mieux encadrer la publicité pour les produits défiscalisés, notamment dans l'immobilier dans la ligne des dispositions que Philippe Dallier avait fait adopter dans la loi consommation de 2010. Le Gouvernement les avait oubliées : elles ne sont pas codifiées et donc pas appliquées aujourd'hui.