Intervention de Myriam El Khomri

Réunion du 23 juin 2016 à 11h00
Nouvelles libertés et nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s — Article 30

Myriam El Khomri, ministre :

Je voudrais tout d’abord dire à M. Desessard que j’assume cet article qui, en fixant des règles claires, est bon, non seulement pour les petites entreprises, mais aussi pour les salariés.

La rupture conventionnelle est un bon dispositif, qui a été voulu par les partenaires sociaux. Pour autant, dans la pratique, on peut constater des abus. En vérité, la règle n’est pas claire aujourd’hui pour une petite entreprise qui n’a pas à sa disposition une armée d’experts juridiques. C’est pourquoi les petites entreprises, craignant les incertitudes liées au licenciement pour motif économique, préfèrent choisir cette voie. Les grands groupes, eux, peuvent invoquer la sauvegarde de la compétitivité.

Je souhaite réaffirmer ici qu’il faut que les motifs invoqués pour les licenciements prononcés soient les motifs réels. Là est le vrai sujet ! Ce n’est pas le cas aujourd’hui, mais ce le sera demain s’il existe des règles claires.

Cet article permettra en outre de renforcer la situation du salarié. Comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, j’estime qu’il faut éviter les licenciements ; j’ai moi aussi bien en tête la charge symbolique et anxiogène qui entoure la question des licenciements.

Les délocalisations entraînent en moyenne le licenciement de 8 000 personnes par an ; à l’inverse, 30 000 emplois sont créés chaque année par des investisseurs étrangers. Nous faisons bien évidemment tout pour éviter ces 8 000 pertes d’emploi. Cependant, quand le salarié perd son emploi, il est mieux protégé dans le cadre d’une procédure de licenciement pour motif économique : pardonnez-moi, monsieur Desessard, mais l’accompagnement qu’il reçoit n’est pas accessoire ! J’ai pu constater, lors de mes visites dans les services de Pôle emploi, que les contrats de sécurisation professionnelle permettent un retour à l’emploi beaucoup plus rapide. En conséquence, oui, ces dispositions protègent également le salarié !

Je voudrais également répondre à M. Longuet au sujet du périmètre. Je comprends bien sûr votre argument, monsieur le sénateur, concernant l’appréciation des difficultés économiques au sein des groupes. Sachez que j’assume la position initiale du Gouvernement, qui avait choisi de s’aligner sur les autres pays européens en retenant le périmètre national. Nous avions cependant assorti ce choix d’une règle visant à éviter les baisses artificiellement orchestrées de chiffre d’affaires et renforcé le pouvoir du juge en la matière.

Cet article est fait pour les petites entreprises et non pour les grands groupes. Or de multiples inquiétudes nous ont été exprimées par les parlementaires et les partenaires sociaux, notamment les syndicats, selon lesquels la responsabilité sociale des grands groupes implique une solidarité entre les entreprises qui les composent. Nous avons pris ces inquiétudes en compte. Cela montre que nous sommes ouverts à la concertation et que nous entendons réformer dans le dialogue. Voilà pourquoi nous avons retiré cette proposition pour revenir, dans le texte soumis à l’Assemblée nationale, au périmètre en vigueur aujourd’hui. Cela ne nuira en rien aux PME, qui constituent la principale cible de ces mesures de clarification.

Par ailleurs, cet article entend clarifier la notion de « difficultés économiques ». Voilà pourquoi il s’adresse aux TPE et aux PME, et non pas aux grands groupes. Ce sont bien les petites entreprises en effet qui ont besoin de sécurité juridique. Or elles ne savent pas, à l’heure actuelle, comment sont caractérisées dans la loi les difficultés économiques, et cela entraîne une appréhension de leur part. Par conséquent, elles choisissent plutôt le licenciement pour motif personnel ou la rupture conventionnelle.

Nous évoquions hier comment le service public pourrait aider les PME sur toute question relative au droit du travail. Ces entreprises n’ont ni un grand service de ressources humaines ni une armée d’experts juridiques pour les aider. Par conséquent, quand elles font des erreurs, elles le payent cher. Elles ont donc peu recours au licenciement économique. Les grands groupes, eux, ont plutôt recours au critère de sauvegarde de la compétitivité. Ainsi, le motif de difficultés économiques est invoqué par 59 % des entreprises de cinquante à trois cents salariés concernées par un plan de sauvegarde de l’emploi ; cette proportion tombe à un tiers environ pour les entreprises de plus de trois cents salariés ; enfin, les toutes petites entreprises invoquent ce motif extrêmement rarement. On voit bien là pourquoi une petite entreprise aura recours aux CDD et aux ruptures conventionnelles : elle ne sait pas, si elle perd un client ou une commande, comment mettre en œuvre le licenciement économique.

L’enjeu de cet article est donc de fixer une règle claire s’agissant des difficultés économiques. Voilà la question qui nous est posée à toutes et à tous. Cette règle claire est importante. Il ne s’agit pas de contourner le rôle du juge. Plusieurs d’entre vous semblent s’en inquiéter ; j’entends bien évidemment ce souci légitime. Le juge est en effet nécessaire : il est indispensable qu’il exerce un contrôle sur les motifs de licenciement invoqués par l’employeur.

Je veux donc vous rassurer sur ce point : le pouvoir d’appréciation du juge demeure entier ; il continuera d’apprécier l’existence ou non de difficultés économiques, ainsi que la validité des arguments avancés en matière de recherche de compétitivité ou de mutations technologiques. Il s’agit là d’un point extrêmement important quand on parle des grands groupes, qui choisissent souvent le critère de sauvegarde de la compétitivité. Si le juge estime que les critères ne sont pas remplis, le licenciement sera jugé sans cause réelle et sérieuse. Fixer une règle de droit claire, ce n’est pas limiter le pouvoir du juge !

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