Nous abordons, avec ces amendements, un aspect essentiel du débat sur la médecine du travail.
Chacun peut avoir une vision différente de ce sujet, notamment au niveau des entreprises. Les situations sont en effet très hétérogènes selon qu’il s’agit de grandes entreprises, où l’on trouve souvent un médecin du travail, ou de petites entreprises. Elles diffèrent également beaucoup suivant les départements. Dans certains départements, la médecine du travail fonctionne relativement bien, des visites régulières sont organisées dans les entreprises, tous les deux ans, voire tous les ans. En revanche, dans d’autres départements, les visites ne sont mises en place que tous les cinq ou six ans, et sont même parfois inexistantes.
Face à l’ensemble de ces difficultés, nous estimons que la première mesure à prendre pour donner du temps à la médecine du travail est de supprimer les très nombreuses visites médicales redondantes.
Parmi les 22 millions de visites d’embauche qui doivent théoriquement avoir lieu chaque année, quelque 15 millions concernent des CDD de moins d’un mois. Si l’on considère les CDD de moins de trois mois, il faut probablement ajouter 2 ou 3 millions de visites supplémentaires.
Lorsque ces visites concernent, au cours d’un intervalle de temps restreint, la même personne et les mêmes fonctions, les professionnels de santé les qualifient eux-mêmes d’artificielles. Bien sûr, si la personne change complètement de métier, l’approche de la visite peut être différente, mais souvent, l’orientation professionnelle se fait dans une même filière.
L’une des clefs du problème réside donc dans la mise en place de mesures permettant d’éviter ces visites lorsqu’elles ne sont pas nécessaires. À l’alinéa 81 de l’article 44, que la commission a complété en ce sens, nous en appelons à la responsabilité du Gouvernement. Nous lui demandons de mettre en œuvre la mesure proposée par le député Michel Issindou dans le rapport qu’il a réalisé lors d’une mission pour l’IGAS. Notre commission, dans sa recherche constante de solutions et d’appuis pour les promouvoir, l’a d'ailleurs auditionné.
Notre collègue député propose, pour les salariés intérimaires et en CDD de moins de trois mois, de créer un fichier régional qui doit permettre de réaliser une seule visite dans un laps de temps donné, puis son renouvellement périodique. Cela suppose de promouvoir l’interopérabilité informatique des services de santé au travail et de leur permettre d’utiliser un numéro d’identifiant commun, comme le numéro de sécurité sociale, par exemple, ou un autre numéro qui leur serait propre.
Au-delà de ce préalable, indispensable pour mettre en œuvre une réforme cohérente, je formulerai une seconde observation sur la réforme proposée par le Gouvernement.
Quel que soit le dispositif adopté, celui que propose la commission, celui qui est suggéré par d’autres ou celui que vous proposez, madame la secrétaire d’État, le nombre de visites – visites d’aptitude ou visites d’information – à réaliser en lien avec l’embauche restera toujours le même, puisque chaque travailleur est concerné. Le flux sera donc toujours le même.
Certes, vous proposez, madame la secrétaire d'État, d’élargir le champ des professionnels de santé habilités à réaliser la visite d’information, mais je voudrais tout de même vous rappeler que le nombre total d’infirmiers en santé au travail, même en y ajoutant quelques spécialistes et les médecins collaborateurs, ne dépasse pas aujourd'hui le quart du nombre total de médecins du travail.
Vous avez le même flux à assumer et vous voulez – c’est en tout cas ce qui est apparu à certains observateurs –, le déporter massivement sur une visite de prévention et d’information, qui durera aussi longtemps que la visite médicale et sera réalisée par un corps dédié au sein de l’équipe pluridisciplinaire numériquement très inférieur au corps des médecins. J’ai un problème de compréhension de l’équilibre en termes de temps sur ce basculement.
Certes, le nombre d’infirmiers augmente plus vite, mais les médecins, vous l’avez dit, sont encore 5 200. Je les ramène à 4 500 en équivalents temps plein si je ne prends pas en compte les médecins d’entreprises, mais je puis me tromper… Or les infirmiers sont 1 300. Avant que les courbes ne se croisent, on a peut-être le temps de faire quelque chose. Il reste les médecins collaborateurs, au nombre de 150. Au total, le nombre des professionnels de santé qui ne sont pas médecins du travail reste donc inférieur à 3 000.
Compte tenu de ce préalable et de ce rappel, la commission des affaires sociales estime que, au regard des enjeux, le principe général doit rester celui de la visite d’embauche. Notre texte précise que la visite d’information et de prévention sera possible lorsque la nature du poste envisagé le permet.
La commission approuve la possibilité que cette visite soit réalisée par tout professionnel de santé membre de l’équipe pluridisciplinaire, sous l’autorité du médecin du travail, bien entendu, dans le respect du protocole. Les membres de l’équipe pluridisciplinaire pourront orienter, dans un certain nombre de cas, les personnes qu’ils auront vues vers le médecin du travail s’ils en perçoivent la nécessité.
Le texte de la commission apporte plusieurs précisions sur les délais dans lesquels ces visites doivent être réalisées, ce que ne prévoit pas le texte proposé par le Gouvernement, car aucune date n’est fixée pour la visite d’information et de prévention.
Selon nous, pour avoir un sens, cette visite doit être effectuée au plus tard pendant la période d’essai. Si elle intervient trois ou quatre ans après, cela n’a plus de sens du tout. Il vaut mieux alors demander au salarié d’effectuer un examen chez son médecin de ville.