Je veux tout d'abord réagir à l’intervention de Marie-Noëlle Lienemann. Je crois que nous sommes tous attachés à la libre circulation des travailleurs dans l’espace européen et que, derrière la question du détachement, il y a, en réalité, la question de la fraude et des abus au détachement.
Pourquoi ? Parce que cela mine notre modèle social. Parce que cela crée de la concurrence déloyale. Parce que c’est en quelque sorte la dignité des travailleurs dans l’espace européen qui est en jeu. C’est autour de ces trois éléments qu’il faut mener le combat au niveau européen.
Nous menons le combat dans notre pays. Comme vous l’avez dit, madame la sénatrice, nous nous sommes dotés d’un arsenal législatif avec les lois Savary et Macron. Depuis ma nomination, dès le 2 septembre 2015, j’ai signé tous les décrets requis pour l’application de la loi Macron, notamment le très important décret « liste noire », relatif aux donneurs d’ordre, et le décret relatif à la suspension temporaire de la réalisation de prestations de services internationales illégales, que je considère comme l’arme ultime.
Je peux vous dire que l'on a usé de celle-ci à deux reprises en Corse : cela a complètement calmé les choses.
Toutefois, si l’on peut, aujourd'hui, suspendre une prestation de services internationale pour cause de non-respect des horaires de travail ou de la durée légale du travail, on ne peut pas le faire en cas d’absence de déclaration du détachement. Le projet de loi vient renforcer l’arsenal législatif, en remédiant à cette difficulté. Cette avancée est importante.
La France est le troisième pays d’envoi et le deuxième pays d’accueil de travailleurs détachés dans l’espace européen. Gardons toujours bien cette réalité présente à l’esprit.
Quid des sanctions dans le combat que nous menons au niveau national ? Tous les mois, je fais un point sur ce sujet avec les préfets de région. Nous avons prononcé près de 360 sanctions et récupéré près de 1, 8 million d’euros ces derniers mois. Certaines sanctions nécessitent l’intervention du juge, ce qui prend plus de temps. Toujours est-il que les sanctions tombent ! La suspension de la réalisation de prestations de services internationales est l’arme la plus efficace.
Nous aurons l’occasion, au travers des différents amendements, d’évoquer ce que nous faisons à l’échelle de notre pays. Toutefois, bien évidemment, nous devons aussi mener le combat au niveau européen.
Deux semaines après ma prise de fonctions, je demandais à Bruxelles une révision de la directive de 1996. Cette révision est nécessaire. Pourquoi ? Parce qu’il faut mettre un terme aux entreprises « boîtes aux lettres », celles qui n’ont aucune activité substantielle. À cet égard, vous avez raison, monsieur le rapporteur, de telles entreprises sont parfois ouvertes par des Français en Pologne pour envoyer des travailleurs détachés. Il faut arrêter le double détachement des travailleurs temporaires. D'ailleurs, nous adressons, sur ce sujet, un signal très fort au niveau européen, au travers de l’article 50 du projet de loi.
Qu’avons-nous obtenu depuis plus de six mois ? La question est là. Michel Sapin avait déjà obtenu la directive de 2014, qui a permis de renforcer la responsabilité des donneurs d’ordre à l’égard des sous-traitants, notamment dans le domaine du bâtiment. En outre, la Commission européenne a annoncé, le 8 mars dernier, que la directive de 1996 allait être révisée. C’est une très bonne chose !
Nous faisons partie d’un petit groupe de pays qui veulent faire bouger cette directive, car c’est en elle que réside le nœud du problème. Cependant, comme je le dirai à mes homologues, ce n’est pas qu’une question de concurrence déloyale, ce n’est pas qu’une question d’érosion du modèle social : c’est aussi une question de dignité des travailleurs dans notre pays. Je leur montrerai comment leurs citoyens sont hébergés dans notre pays !
Il importe que nous continuions à discuter de manière bilatérale, notamment avec les pays qui, refusant que l’on traite de la révision ciblée de la directive de 1996, ont engagé une procédure de « carton jaune » auprès de la Commission européenne.
Quelles sont les propositions de la France ? Ce sont les plus offensives. Je les ai posées sur la table. Au-delà de la revendication « à travail égal, salaire égal sur un même lieu de travail », à travers les conventions collectives, nous voulons que ce soit la rémunération globale qui soit prise en compte. La France demande également l’interdiction pure et simple du double détachement de travailleurs intérimaires.
Nous demandons aussi que la question de l’hébergement fasse partie du noyau dur de la directive de 1996, pour éviter que des entreprises, tout en respectant les dispositions en matière de salaire des travailleurs détachés, défalquent de celui-ci près de 20 ou 30 euros par jour pour faire vivre ces travailleurs dans des taudis – telle est la réalité !
Nous demandons encore que la durée du détachement soit mieux fixée. Au-delà, nous demandons que soit prise en compte la situation des travailleurs – français, par exemple – embauchés par des entreprises de travail intérimaire dans un autre pays – par exemple au Luxembourg –, puis détachés dans leur pays d’origine – en l’occurrence, en France.
Nous demandons qu'il soit mis fin à la pratique des entreprises « boîtes aux lettres ». Pour ce faire, nous souhaitons que tout détachement soit précédé d’un contrat d’une durée minimale de trois mois entre l’entreprise et le salarié.
Telles sont les règles très pragmatiques que nous défendons.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je puis vous dire que, toutes les trois semaines, je vais porter la voix de la France à Bruxelles, pour que nous obtenions cette révision de la directive de 1996. La Commission européenne a commencé à faire des propositions. Si celles-ci ne vont pas suffisamment loin, le dossier est ouvert, et nous espérons des avancées.
Je rencontre mes homologues des pays qui ont engagé la procédure de carton jaune, parce que je pense que nous devons assumer nos positions. J’essaie de leur expliquer que l’enjeu n’est pas seulement la concurrence déloyale, que l’on nous renvoie toujours. Et quand l’un de mes homologues, ministre d’un pays que je ne citerai pas, me dit que ses PME respectent les règles, je lui dis que, mon problème, ce sont les entreprises qui ne sont créées que pour détacher des travailleurs !
Ce dialogue est important et nécessaire. Nous arriverons à permettre la liberté de circulation des travailleurs dans l’espace européen quand le corpus de règles au niveau européen sera à la hauteur de la réalité vécue aujourd'hui par ces travailleurs.
C’est une question de dignité, c’est une question d’absence d’érosion de notre modèle social et c’est une question de lutte contre la concurrence déloyale.
Pour ce qui concerne Saint-Nazaire – je me suis justement entretenue avec le président Bruno Retailleau, voilà quelques jours –, il existe un problème de qualification. Nous allons donc travailler, notamment dans les nombreux quartiers relevant de la politique de la ville, où le taux de chômage est particulièrement important, pour promouvoir les qualifications dont nous avons besoin. Dans ce travail, nous ferons preuve d’un grand sens de la précision.
Le problème est que, compte tenu des difficultés qu’elle connaissait voilà encore cinq ans, la filière des chantiers navals n’a pas préparé l’avenir, comme le montre l’absence d’apprentissage et de formations. C’est pourquoi elle a aujourd'hui besoin de travailleurs détachés pour remplir le carnet de commandes. Si l’on ne prépare pas l’avenir de cette filière, on ne réglera pas ces difficultés !
Quoi qu’il en soit, mesdames, messieurs les sénateurs, vous pouvez compter sur ma totale détermination sur ce sujet. Le combat doit être mené au niveau national, comme à l’échelon européen !