Intervention de André Gattolin

Réunion du 28 juin 2016 à 15h00
Suites du référendum britannique et préparation du conseil européen — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

De surcroît, l’abaissement continu des droits de douane à l’entrée de l’Union au cours des vingt dernières années a drastiquement diminué nos ressources propres.

Monsieur le ministre, comment construire une Europe solidaire, qui protège et qui investit avec aussi peu de moyens pour agir ? Car, en général, c’est lorsqu’une crise surgit et que nous ne parvenons pas à la résoudre à l’échelle nationale que nous nous tournons en urgence vers l’Europe. Mais comme dans le cas récent de la crise des réfugiés, à défaut de prévention et de solidarité, la réponse est chaotique et désordonnée.

Or le sens fondamental du projet européen, c’est précisément de se projeter, d’anticiper ensemble les défis à affronter.

Si cette responsabilité collective de l’Europe est indéniable, elle ne doit pas faire oublier la responsabilité aussi de notre pays, la France, membre fondateur de l’Union et deuxième puissance européenne.

À ce titre, quelle proposition forte avons-nous portée auprès de nos collègues européens au cours des dix dernières années ? Et plus prosaïquement, monsieur le ministre, que reste-t-il désormais de notre influence réelle au sein des institutions européennes ?

Depuis dix, voire quinze ans, nous avons laissé se déliter la relation franco-allemande, qui a longtemps constitué le moteur de l’Union.

La réalité aujourd’hui, à un moment où nous devrions agir de concert pour un véritable sursaut de l’Europe, c’est que nous avons bien du mal à nous entendre et à nous comprendre. Un peu à l’instar de nos amis Britanniques, nous, Français, nous drapons volontiers dans la grandeur de notre passé national sans reconnaître aujourd’hui notre profonde dépendance aux autres.

« France, cinquième puissance mondiale », c’est par cette ritournelle illusoire que presque tous les prétendants à l’élection présidentielle aiguisent l’imaginaire politique des électeurs, sans oser dire que nous ne devons notre maintien à ce rang fragile dans la hiérarchie mondiale qu’à notre appartenance à l’Union et à ce qu’elle nous a apporté au cours des décennies écoulées.

Ritournelle illusoire, aussi, parce que la réalité qui s’annonce, et que nous cachons très pudiquement à nos concitoyens, c’est qu’à l’horizon de 2050 au plus tard, plus aucun pays européen, pas même l’Allemagne, ne figurera parmi les vingt premières puissances de la planète.

À l’heure de la montée en puissance de pays qui n’ont plus d’émergents que le nom, comment pouvons-nous penser l’avenir de notre pays sans penser l’échelle européenne, la seule susceptible d’imposer une véritable régulation dans un processus de mondialisation effréné ?

Les fondements actuels de la crise de l’Union ne sont pas le seul fait du Brexit, qui n’en est aujourd’hui que le révélateur.

Ces fondements remontent en réalité à une vingtaine d’années, lorsque, à défaut de nous doter d’une vision politique commune, appuyée sur une véritable gouvernance démocratique, nous avons choisi de nous limiter à la construction d’un grand marché unique, que nous avons largement délégué à une Commission européenne empreinte en la matière d’un dogmatisme néolibéral totalement suranné.

Celle-ci s’est en effet érigée en négociatrice exclusive d’une multitude de traités bilatéraux, et à défaut de favoriser l’émergence d’une vigoureuse politique industrielle européenne, elle préfère développer une insensée politique de la concurrence, y compris dans les secteurs les plus stratégiques pour notre économie. Avec les règles qui ont cours aujourd’hui, la création d’Airbus, heureusement bien antérieure, n’aurait sans doute jamais pu voir le jour.

Ce sont les mêmes règles qui, aujourd’hui, entravent l’émergence d’une véritable industrie européenne du numérique §et d’un grand plan d’investissement en faveur de la nécessaire transition énergétique de nos économies. Car dans ces deux domaines, et dans bien d’autres, nos concurrents nord-américains et asiatiques sont loin d’avoir la même retenue, en recourant parfois de manière massive à l’aide publique pour stimuler leur économie.

Conscients de cette politique devenue hors sol, le vice-chancelier allemand, M. Sigmar Gabriel, et le président du Parlement européen, M. Martin Schulz, ont proposé vendredi dernier de transformer la Commission européenne en un véritable « gouvernement » et, surtout, de la placer sous le contrôle démocratique de deux chambres, à savoir le Parlement européen et une assemblée représentant les États membres.

Monsieur le ministre, comment le gouvernement français accueille-t-il cette proposition ?

Par ailleurs, et compte tenu des griefs croissants des citoyens européens à l’encontre des accords commerciaux bilatéraux, dont les négociations restent conduites dans une très grande opacité par la Commission, ne pensez-vous pas qu’il est urgent de réclamer immédiatement un moratoire sur les traités en cours ou en prévision, le temps, au moins, d’en repenser les finalités et les modalités ?

Au-delà de ces questions de nature économique, la relance et la cohérence du projet européen doivent parallèlement passer par d’autres initiatives visant à rendre l’Union plus solidaire et plus proche des préoccupations des citoyens.

Il faut bien évidemment avancer à marche forcée vers une harmonisation des règles fiscales et sociales au sein de l’Union, afin que certains États membres cessent de capter indûment une bonne partie de la richesse produite sur le territoire de l’Union.

Car, il faut bien le dire, il est pour le moins paradoxal de constater aujourd’hui qu’une partie des pays jugés parmi les plus vertueux en matière de respect des critères de convergence budgétaire s’adonnent à des pratiques fiscales qui n’ont rien de respectables au regard de l’intérêt général européen.

D’aucuns proposent également un renforcement significatif de la politique de sécurité et de défense commune pour faire face aux crises externes et internes que nous affrontons. Pourquoi pas ? Mais cette question appelle de nombreux débats, notamment celui de ne pas sombrer dans une politique répressive, sans respect pour nos principes d’accueil, et, surtout, sans la mise en œuvre, en amont, d’une véritable politique d’aide au développement et de prévention des conflits dans les zones à risque.

Cependant, le problème majeur de toutes ces belles propositions qui fleurissent depuis quelques jours, c’est que celles-ci supposent, afin de pouvoir entrer en action, de passer outre la fameuse règle de l’unanimité des États membres qui, aujourd’hui à 27, comme ce fut le cas hier à 28, constitue un véritable verrou bloquant toute possibilité de changement.

La grande difficulté de l’Union européenne, c’est que ses institutions et ses modes de fonctionnement ont, pour l’essentiel, été conçus à une époque de prospérité pour six ou dix États, et où la mondialisation et la conjonction des crises n’avaient pas la même intensité qu’aujourd’hui.

Le saut en avant de l’Europe est inévitable. Si nous ne voulons pas périr dans le processus de décomposition qui s’est amorcé, il faut agir vite et fort. Mais ce saut ne pourra s’opérer qu’avec l’agrément de nos concitoyens, quitte à devoir entériner au passage le principe d’une Europe à plusieurs vitesses.

Cela n’aurait aucun sens aujourd’hui, me semble-t-il, de soumettre la question européenne à référendum, sans qu’un tel projet renouvelé ait été sérieusement discuté et élaboré au préalable.

L’idée de lancer un processus constituant, tel que proposé par les écologistes, me paraît être la bonne.

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