La séance est ouverte à quinze heures.
Le compte rendu intégral de la séance du vendredi 24 juin 2016 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50–1 de la Constitution, portant sur les suites du référendum britannique et la préparation du Conseil européen.
À l’issue de ce débat, je transmettrai à M. le Président de la République ainsi qu’à M. le Premier ministre le rapport de la commission des finances ainsi que le compte rendu de nos débats de cet après-midi, afin qu’ils en disposent avant l’ouverture du Conseil européen.
La parole est à M. le ministre.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le cadre de l’article 50–1 de la Constitution, j’ai l’honneur de vous présenter l’intervention que le Premier ministre fait actuellement à la tribune de l’Assemblée nationale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le choc est historique : pour la première fois depuis le début de la construction européenne, un peuple a décidé de quitter l’Union. On croit toujours que les choses sont acquises, que ce qui a été fait ne peut être défait. Combien de fois avons-nous entendu parler de l’irréversibilité de la construction européenne !
Les Britanniques se sont prononcés. Il faut respecter ce choix démocratique. Il s’impose à nous tous.
Dès lors, l’alternative est simple : soit nous faisons comme toujours, en évitant l’évidence, en essayant simplement de colmater les brèches, avec des petits arrangements ; soit nous prenons enfin notre courage à deux mains, nous allons au fond des choses, nous faisons de ce choc un électrochoc. Car l’erreur historique serait de croire que ce référendum ne regarde que les Britanniques. Non ! C’est de l’avenir de chacun des peuples de l’Union qu’il s’agit, donc aussi, et avant tout, de celui du peuple français. C’est pourquoi le Gouvernement a souhaité venir s’exprimer devant vous, en plein accord avec le président de votre assemblée.
Parce que je crois profondément à l’Europe, je refuse que ce grand dessein dérive. Je refuse qu’il chavire et sombre, entraîné par le poids grandissant des populismes. Je refuse que nous cédions au fatalisme, au pessimisme. Je refuse que nous subissions. Pour cela, chacun doit réinterroger ses certitudes, savoir se remettre en question.
Je sais bien que certains diront que le résultat de ce référendum n’est pas surprenant. Après tout, le Royaume-Uni a toujours entretenu une relation « particulière » à l’Europe : un pied dedans, un pied dehors, comme on a coutume parfois de dire. Le vote de jeudi dernier révèle quelque chose de beaucoup plus profond.
Ce vote montre le malaise des peuples, qui doutent de l’Europe, qui ne comprennent pas toujours ce qu’elle fait, ne voient pas ce qu’elle leur apporte concrètement. Pour eux, l’Europe devient envahissante sur l’accessoire et absente sur l’essentiel. Pire, ils ont le sentiment qu’elle impose ses choix et joue contre leurs intérêts. Utilisé pendant la campagne du référendum en Grande-Bretagne, le slogan des pro-Brexit, « reprendre le pouvoir », dit très clairement les choses. On en connaît les raisons, on sait l’usage qui en a été fait et ses conséquences, mais on ne peut pas l’ignorer. L’Europe se fera avec les peuples. Sinon, elle se disloquera. Et la France doit être à l’initiative.
Une fois ce constat posé, que faut-il faire ? Ma conviction, c’est que cette crise, comme toutes les crises, est l’occasion d’une grande transformation. Comme au cours de ces dernières années, chaque fois que l’essentiel est en jeu sur l’Europe, la France se doit de répondre présent. C’était vrai il y a un an, lorsqu’il a fallu sauver la Grèce et convaincre nos partenaires qu’elle devait rester dans la zone euro.
Je n’oublie pas que certains voulaient sceller le destin de ce grand pays d’un revers de main. Certains voulaient faire sortir un pays membre, oubliant le principe même de solidarité, et la suite des événements leur a donné tort. Même si tout n’a pas été réglé, ce pays, aujourd’hui, se porte mieux et en est notamment reconnaissant à la France. Sauver la Grèce, c’était déjà sauver l’Europe !
Il y a un an, la France, par la voix du chef de l’État, était dans son rôle. Elle le sera, une nouvelle fois, aujourd’hui. Parce que nous sommes la France, un pays respecté, écouté, attendu. Parce que – c’est une responsabilité politique et morale – nous sommes un pays fondateur. Parce qu’avec l’Allemagne, conscients de nos responsabilités, nous voulons l’Europe, notre horizon commun. Le Président de la République l’a rappelé hier soir avec la Chancelière allemande et le président du Conseil italien. Parce que nous savons que c’est l’Union qui nous renforce et la désunion qui nous affaiblit.
Je mets en garde ceux qui croient qu’on renforcera notre souveraineté nationale en tirant un trait sur l’Europe ; ceux qui pensent qu’on s’en sortira mieux dans la mondialisation, qu’on traitera mieux la crise migratoire, qu’on combattra mieux le terrorisme en agissant seuls, en se privant d’appuis, dans le seul cadre de nos frontières nationales. Rien n’est plus faux !
Être européen, aujourd’hui et demain, c’est respecter le choix des peuples ; c’est vouloir peser sur le cours des choses. Chacun se rappelle ces mots de François Mitterrand : « La France est notre patrie, l’Europe notre avenir ». §Être européen, ce n’est pas trahir la France. C’est, au contraire, l’aimer et la protéger.
Depuis plusieurs jours, le Président François Hollande est à l’initiative. Il a d’abord souhaité rencontrer les présidents des deux assemblées, puis les chefs des formations politiques représentées au parlement français et au parlement européen. Il s’est ensuite entretenu avec les présidents du Conseil européen et du Parlement européen, puis avec la Chancelière allemande, le président du Conseil italien et nombre de ses homologues.
Pour ma part, avec Harlem Désir, j’ai moi-même participé, dès le 24 juin, au conseil Affaires générales à Luxembourg, où étaient présents les vingt-huit États, dont la Grande-Bretagne. J’étais le lendemain à Berlin, à la réunion des pays fondateurs et hier à Prague, avec le groupe de Visegrád.
Avec le secrétaire d’État aux affaires européennes, je le disais, nous avons multiplié les contacts et nous continuons. Dès ce soir, j’aurai parlé au téléphone avec chacun des ministres des affaires étrangères des vingt-sept États de l’Union. C’est essentiel. J’ai également échangé ce matin avec le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg.
Comme vous le savez, le chef de l’État sera, aujourd’hui et demain, au Conseil européen. Il y tiendra un discours de fermeté vis-à-vis des Britanniques. Non pas que nous voudrions les punir, ce serait absurde et irrespectueux pour ce grand peuple, car le Royaume-Uni restera un grand pays ami à qui nous devons tant. Dans trois jours, nous célébrerons ensemble le centenaire de la bataille de la Somme. Et nous continuerons de coopérer, en particulier en matière de défense, de gestion migratoire et sur le plan économique.
Mais l’Europe a besoin de clarté. Soit on décide de sortir, soit on reste dans l’Union ! Je comprends que le Royaume-Uni veuille défendre ses intérêts, mais l’Europe doit aussi se battre pour les siens. Depuis janvier 2013, elle est suspendue à la décision britannique. Nous avons fait preuve de patience et de compréhension. Dorénavant, l’entre-deux, l’ambiguïté ne sont plus possibles, parce que nous avons besoin de stabilité, notamment sur les marchés financiers. Il ne revient pas au parti conservateur britannique d’imposer son agenda.
Soyons clairs : comme le Parlement européen l’a demandé ce matin, le Royaume-Uni doit activer le plus tôt possible la clause de retrait de l’Union européenne, prévue dans le traité de Lisbonne, pour « éviter à chacun une incertitude qui serait préjudiciable et protéger l’intégrité de l’Union ». Il n’y a pas de temps à perdre. Il s’agit de l’article 50, et tant que cet article ne sera pas déclenché, les Britanniques, s’ils veulent se prévaloir d’un accès au marché unique, devront respecter l’intégralité des règles, c’est-à-dire d’un membre à part entière de l’Union européenne, avec ses droits et ses devoirs. Je le disais, le Président de la République, au nom de la France, tiendra un langage de fermeté, mais aussi un langage de vérité car il faut inventer une nouvelle Europe. Inventer, c’est-à-dire passer à une nouvelle grande étape. Il y a eu la reconstruction, après la Seconde Guerre mondiale, puis, pendant la guerre froide, la consolidation et l’élargissement. Nous avons accueilli de jeunes démocraties : la Grèce, l’Espagne, le Portugal. Après la chute du mur de Berlin, nous avons œuvré à la réunification du continent.
Les acquis historiques de la construction européenne, à laquelle la France a toujours pris une part essentielle, sont irremplaçables. Et la France est garante de leur maintien. Malgré la paix, malgré les formidables échanges économiques et culturels, malgré la création d’une monnaie unique, à laquelle les Français sont attachés, une fracture s’est ouverte ; elle n’a cessé de grandir.
Cette fracture a des causes profondes. Ce n’est pas uniquement une question de normes tatillonnes, c’est aussi une question de souveraineté démocratique et d’identité.
C’est une question d’identité, car les peuples ont l’impression que l’Europe veut diluer ce qu’ils sont et que des siècles d’histoire ont façonné. Or une Europe qui nierait les nations ferait simplement le lit des nationalismes. Ce modèle au-dessus des nations, niant la particularité de chacun, serait un échec, et certains ont laissé croire qu’il était le seul possible.
C’est une question de souveraineté et de démocratie aussi. Nous avons cru pouvoir agrandir à marche forcée, que les « non » seraient oubliés grâce à « plus d’Europe », que les référendums pouvaient être contournés, que le rejet croissant de l’Europe se soignait uniquement par de la pédagogie. Avouons-le, depuis 2005, nous avons fui les vrais débats. Et nous avons laissé un boulevard à ceux qui exploitaient le malaise ! Nous avons laissé les populismes proférer leurs mensonges et installer l’idée que « construction européenne » et « souveraineté nationale » étaient incompatibles. §Nous devons reprendre la main, retrouver les sources de l’adhésion au projet européen, et, surtout, réinventer les causes de l’adhésion en répondant à ces questions : pourquoi sommes-nous européens ? Quel est notre projet collectif ? Quel intérêt avons-nous à être ensemble ? Pour défendre quelles valeurs ?
L’Europe, c’est une culture, c’est une histoire commune, c’est la démocratie, c’est le continent de la conquête des libertés, ce sont des valeurs partagées – l’égalité entre les femmes et les hommes, une exigence quant à la dignité de la personne –, c’est l’aspiration à l’universalité, la défense de la nature et de la planète, et c’est un certain modèle de vivre ensemble et de cohésion sociale. Oui, chacun de nos pays a ses propres caractéristiques, mais seule une union peut les protéger face à la concurrence de pays-continents.
L’Europe, c’est notre interface avec le monde. Elle doit être une protection quand nous en avons besoin, elle doit aussi être l’occasion de démultiplier nos forces, nous permettre de peser plus que si nous étions seuls. Tout cela, c’est le sens des initiatives que la France entend porter.
Elle le fera d’abord en mettant les enjeux de sécurité au cœur de l’Union. La menace terroriste et la crise migratoire mettent l’espace Schengen à l’épreuve. Nous devons en reprendre le contrôle. Dans un monde dangereux, si l’Europe ne protège pas, elle ne joue pas son rôle. Grâce à la France, beaucoup a déjà été fait : le PNR européen – enfin ! – ou l’encadrement de la circulation des armes. Mais il faut aller plus loin et vraiment maîtriser nos frontières extérieures, non pas en sortant de Schengen, mais en agissant pour que les règles régissant cet espace soient appliquées fermement et pleinement. Oui, l’Europe a des frontières. Une frontière, ce n’est pas seulement une réalité matérielle, géographique ; c’est aussi une réalité symbolique, qui nous définit, qui dit ce que nous sommes et ce que nous ne sommes pas, qui dit où l’Europe commence et où elle s’arrête. L’Europe, ce n’est pas un ensemble indéfini.
L’Europe doit également assumer un effort de défense digne de ce nom et être capable d’intervenir à l’extérieur, d’autant que les États-Unis se désengagent de plus en plus. Il ne faut donc plus hésiter ! C’est d’abord cela que la France entend porter auprès de ses partenaires : l’Europe de demain doit être protectrice.
Et puis l’Europe doit mieux s’imposer, en protégeant l’intérêt des Européens. Cessons la naïveté ! Les États tiers comme la Chine, l’Inde ou les États-Unis défendent bec et ongles leurs intérêts partout dans le monde ; et nous, nous ne le ferions pas ? Changeons d’état d’esprit, dans tous les domaines : économique, industriel, financier, commercial, agricole – avec, notamment, la filière laitière –, mais aussi culturel, environnemental et social ! L’Europe ne doit plus être perçue comme le cheval de Troie de la mondialisation. Elle doit protéger ses intérêts, ses travailleurs, ses entreprises. Je pense par exemple au secteur de l’acier, qui représente des milliers d’emplois en France et en Europe !
Nous devons faire preuve de la même fermeté par la négociation du TAFTA, ou Transatlantic Free Trade A greement. Il faut dire les choses : ce texte ne fait droit à aucune de nos demandes, que ce soit sur l’accès aux marchés publics ou sur les indications géographiques, et n’est donc pas acceptable. Nous ne pouvons pas ouvrir plus grand les portes de notre marché aux entreprises américaines, alors qu’elles continuent à barrer l’accès aux nôtres.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’Europe, c’est 8 % de la population mondiale. Pour conserver son rang, faire entendre sa voix, peser face aux grands ensembles, bâtir une relation forte avec l’Afrique, ce continent d’avenir, défendre son exception culturelle, elle doit s’affirmer comme la puissance qu’elle est, en s’en donnant tous les moyens. L’Europe – le Président de la République l’a dit en des termes très forts dès vendredi – doit être une puissance qui décide souverainement de son destin. Pour cela, elle doit investir massivement pour la croissance et pour l’emploi, bâtir une stratégie industrielle dans les nouvelles technologies et la transition énergétique. Le plan Juncker est d’ores et déjà un succès. Rien qu’en France, il a permis de financer des projets à hauteur de 14, 5 milliards d’euros.
Il faut poursuivre, notamment l’harmonisation fiscale et sociale, et ce par le haut, pour donner à nos économies des règles et à nos concitoyens des garanties.
Certains disent que c’est impossible. Mais enfin, ce que nous avons réussi pour le secret bancaire, pour un socle commun de droits sociaux, nous pouvons aussi le faire contre toutes les formes de dumping qui rongent le projet européen de l’intérieur. Avec la mise en place d’un salaire minimum. Avec la lutte contre la fraude au détachement des travailleurs ! Cette fraude revient à s’asseoir sur les règles les plus fondamentales des droits des salariés : rémunération, temps de travail, hébergement. Et l’Europe resterait impuissante ? Non ! Si on ne le fait pas, c’est un des piliers du traité de Rome, la libre circulation des travailleurs, qui sera balayé. C’est pourquoi il faut modifier en profondeur la directive de 1996. La Commission européenne l’a proposé. À nous de l’adopter !
Enfin, nous devrons renforcer la zone euro et sa gouvernance démocratique. Dès le discours de politique générale, en avril 2014, j’avais demandé une Banque centrale européenne plus active. Beaucoup a été fait, le plus souvent à l’initiative de la France : la zone euro est plus puissante et résistante qu’en 2008. Il doit toutefois y avoir plus de convergence entre les États membres et plus de légitimité dans les décisions prises. C’est pourquoi il faut à la fois un budget et un Parlement de la zone euro.
Quelles méthodes doivent être mises en œuvre ?
Il faut réinventer l’Europe. Il faut aussi une nouvelle manière de faire l’Europe. En donnant le sentiment d’intervenir partout, tout le temps, l’Europe s’est affaiblie. Elle doit être offensive là où son efficacité est utile, mais elle doit savoir s’effacer quand les compétences doivent rester au niveau national, voire régional – le président Juncker en est convaincu –, en affirmant le principe de la subsidiarité, mais cette nouvelle philosophie est loin d’avoir pénétré tous les esprits à Bruxelles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il est grand temps de dépasser les oppositions stériles. L’Europe, ce n’est pas la fin des États, c’est l’exercice en commun des souverainetés nationales lorsque c’est plus efficace et lorsque les peuples le choisissent. Comme l’avait déjà dit Jacques Delors, l’Europe est et doit être une fédération d’États-nations.
Un exemple : si la France s’est battue pour une mise en œuvre rapide des gardes-frontières, c’est parce que nous savons que la souveraineté de notre pays, que la maîtrise opérationnelle de notre frontière doit commencer à Lesbos ou à Lampedusa.
Il faut aussi une Europe qui décide vite. Elle sait le faire, comme l’ont montré les négociations en un temps record du plan Juncker. Et s’il faut mener à quelques-uns ce que les vingt-sept ne sont pas prêts à faire, eh bien, faisons-le ! Sortons des dogmes ! L’Europe, ce n’est pas l’uniformité, …
… il existe des différences.
Enfin, le débat démocratique européen doit impérativement gagner en qualité. C’est aussi une leçon du scrutin britannique : à force de ne pas parler d’Europe, les populistes n’ont aucune difficulté à raconter n’importe quoi, à tromper. C’est grave pour l’Europe, c’est fatal pour la démocratie. L’Europe, ça ne peut pas être simplement les États qui rendent des comptes sur la gestion de leurs budgets. Il faut bien sûr des règles, la France les respecte, mais prenons garde à cette image d’une Europe punitive, acquise aux thèses ultralibérales et à l’austérité budgétaire. C’est cela que nos concitoyens rejettent et ils ne comprendraient pas si le seul message de la Commission dans les prochains jours était de sanctionner l’Espagne et le Portugal.
La Nation, c’est aussi sa représentation nationale. Celle-ci doit avoir son mot à dire. Je souhaite donc que les instances européennes puissent rendre beaucoup plus compte de leur action devant les parlementaires nationaux et que les commissaires eux-mêmes viennent s’expliquer devant vous. Je sais, monsieur le président du Sénat, puisque vous l’avez dit dans votre entretien avec le Président de la République, que vous souhaitez que le Sénat saisisse pleinement les instruments de contrôle que l’Europe met à votre disposition. Le Gouvernement souhaite bien évidemment associer au maximum le Parlement à ces questions et se tient à la disposition du Sénat pour toutes les initiatives que vous seriez amené à prendre à cet égard.
Il faut un changement de culture : les affaires européennes sont des affaires intérieures ! Beaucoup de propositions sont sur la table. Certains suggèrent une convention, une commission, un travail avec des sages. Certains n’ont que le mot de référendum à la bouche. Il faut bien sûr donner la parole au peuple, et le peuple français l’aura dans quelques mois. Mais soyons clairs : un référendum ne peut pas être le moyen de se débarrasser d’un problème, encore moins un moyen de régler des problèmes de politique interne. On a vu, en Grande-Bretagne, ce que cela donne de jouer aux apprentis sorciers !
Je veux être encore plus clair : par le référendum, le Front national ne poursuit au fond qu’un seul objectif, qui est désormais dévoilé : faire sortir la France de l’Union européenne, …
M. Jean-Marc Ayrault, ministre. … et donc de sa propre histoire et de son propre destin !
Applaudissements
Notre rôle de responsables politiques n’est pas de suivre, mais d’éclairer, de montrer le chemin. La question qui se pose à la France n’est pas de sortir de l’Europe, mais de refonder le projet européen. L’élection présidentielle sera le moment privilégié, pour les citoyens, de trancher ces débats.
Je crois que, dans ce moment, il faut également inventer des solutions nouvelles…
M. Jean-Marc Ayrault, ministre. … pour une coconstruction avec les peuples autour de projets et de propositions. Je pense à l’exemple de la COP 21, qui a été particulièrement enrichissant en termes de méthode.
Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
M. Jean-Marc Ayrault, ministre. J’ajoute que la COP 21 est le bon exemple pour ceux qui prétendent défendre les intérêts de la Nation. Si la France avait négocié seule à l’échelle internationale un accord pour le climat, croyez-vous que nous aurions été plus forts qu’à vingt-huit ? La démonstration est faite : c’est parce que nous avons négocié à vingt-huit que la France, avec l’Europe, a pesé.
Applaudissementssur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je conclus en rappelant qu’il faut bien sûr associer davantage les citoyens. Les parlements nationaux et le Parlement européen ont leur rôle à jouer. Les parlements nationaux, donc vous-mêmes, devront se prononcer sur le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada. Certains voudraient que seul le Parlement européen se prononce, la position de la France est très claire : les parlements nationaux devront également le faire, il n’y a pas d’autre voix possible.
Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.
Mesdames, messieurs les parlementaires, il y a l’urgence à laquelle l’Europe doit faire face dès aujourd’hui : créer les conditions les meilleures pour négocier dans le cadre de l’article 50 du traité de Lisbonne la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Il nous faut également préparer l’avenir, c’est notre responsabilité commune. Merci, mesdames, messieurs les sénateurs, d’y contribuer par vos débats et vos interventions !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.
Dans le débat, la parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
Ah ! Voilà du souffle ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes et MM. les sénateurs de l’UDI-UC applaudissent également.
Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour un Européen, le Brexit a d’abord représenté une immense tristesse et aussi une profonde inquiétude, mais il nous impose une nécessaire détermination.
Profonde tristesse de voir l’actualité bousculer l’histoire et de mesurer le rejet du bilan de l’Europe. Combien de marathons, combien de sommets, combien de réunions bilatérales, combien de séances du Parlement européen, combien de tout petits pas faits par de très grands hommes : tout cela a été rejeté !
Il y a, depuis deux générations, des centaines et des centaines de dirigeants européens qui se sont impliqués. Et voilà : les erreurs ont condamné les acquis et nous sommes face à une réalité aujourd’hui inquiétante.
La déconstruction de l’Europe est-elle engagée ? D’évidence, mes chers collègues, l’affaiblissement de l’Europe, ce n’est pas le moment ! C’est au moment où tous les continents sont en train de s’organiser, où des pays-continents – la Chine, l’Inde, les États-Unis, le Brésil et beaucoup d’autres – et les pays émergeant de l’Afrique sont en train d’essayer de diriger la gouvernance du monde, au moment où les pays-continents assument leur responsabilité dans le monde que nous, Européens, nous choisissons la voie de la déconstruction.
Plus grave encore, croyez-vous que notre ennemi numéro un, le terrorisme ne se réjouisse pas de nous voir aujourd’hui affaiblis, fragilisés ?
Ce n’est vraiment pas le moment d’affaiblir notre continent, ce n’est pas le moment de nous diviser. Nous le savons bien, la force passe nécessairement par le rassemblement !
Si l’Europe est mortelle, chers amis, cela veut dire que la guerre n’est pas impossible ! C’est cela, la vérité à laquelle nous faisons face aujourd’hui : si l’Europe est mortelle, la guerre n’est plus impossible.
Quelles sont les responsabilités ? Bien évidemment, n’accusons pas le peuple anglais. La démocratie est aussi très fragile, nous le voyons ici même. Les pro-européens, ceux parmi lesquels je me compte, ne sont pas innocents de ce malaise. Ils n’ont su ni réformer ni convaincre.
La réalité pour les peuples, c’est que Lisbonne n’a pas changé Maastricht. Si nous sommes aujourd'hui dans cette réalité, c’est qu’au fond, malgré les efforts, les réformes constitutionnelles que nous avons inventées, notamment la décision de faire nommer le président de la Commission par le Parlement, comme c’est le cas pour les premiers ministres de nombreux pays de l’Union européenne, cela n’a pas suffi pour convaincre l’opinion publique que la construction européenne avait des fondements démocratiques.
Dans cette situation, comme le disait Saint-Exupéry : « On ne peut pas être en même temps responsable et désespéré ». Puisque nous sommes responsables, il nous faut être déterminés pour engager cette refondation sans perdre de temps, car, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, il faut aller vite.
Quelles sont les nécessités de la refondation ? Il faut d’abord choisir le langage de la vérité, car il y a beaucoup de mensonges sur l’Europe. Le premier mensonge des responsables politiques, partout dans l’Union européenne, consiste à ne pas assumer. L’Europe c’est nous, l’Europe ce n’est pas les autres !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE.
Quand un ministre de l’agriculture perd un arbitrage, ce n’est pas la faute des arbitres, mais la nôtre ! Et cela est vrai pour la droite comme pour la gauche ! L’Europe c’est nous, et quand on négocie mal, par exemple l’organisation de la direction générale de l’agriculture à Bruxelles, il ne faut pas s’étonner que l’on perde ensuite des arbitrages en matière agricole.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, et sur certaines travées de l'UDI-UC.
C’est une responsabilité politique. N’allons pas chercher les technocrates, n’allons pas chercher la bureaucratie ! La bureaucratie n’est que l’expression de la faiblesse de la politique, or l’Europe n’est pas assumée par les politiques, et c’est une responsabilité collective ! §Assumons cette construction européenne ! C’est une première vérité : l’Europe c’est nous !
La deuxième vérité est que dans cette situation, l’élargissement nous est interdit. Nous ne pouvons pas élargir l’Europe dans la situation d’affaiblissement dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. Cessons de faire rêver la Turquie à une éventuelle adhésion à l’Union européenne !
Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées de l'UDI-UC et du RDSE.
Non, l’Europe ne peut pas s’élargir, car elle doit aujourd'hui se conforter et penser à l’intérieur de ses frontières une vie organisée et harmonieuse avant de penser à quelque élargissement que ce soit !
Ce n’est pas un pouvoir déclaratif, c’est un pouvoir d’influence.
Là est le talent : savoir rassembler ! C’est cela, ce langage de vérité qu’il nous faut tenir. Il ne suffit pas d’aller à Bruxelles pour tenir un discours consistant en ceci ou cela. Non ! il faut s’interroger : que disent les Allemands, les Italiens et les autres, et qu’avons-nous fait pour les convaincre ? Seule cette capacité-là offre un véritable levier pour faire bouger l’Europe.
Quelle est notre vision de l’Europe ? À la suite des nombreux débats que notre pays a connus, et bien qu’ils méritent sans doute d’être encore approfondis, il me semble qu’une vision assez claire se fait jour. §On pourrait l’appeler l’Europe des cercles et des piliers.
L’Europe des cercles est l’Europe des trois espaces : le cercle des fondateurs, le cercle de l’euro, qui est le plus coopératif, et le cercle de la grande Europe avec les grands partenaires comme la Russie ou la Turquie, c'est-à-dire une Europe du voisinage.
À cette vision d’une Europe espace en trois cercles s’ajoute celle d’une Europe puissance avec des compétences définies en fonction de priorités, les autres compétences étant renvoyées aux États-nations. Ce principe de subsidiarité doit aujourd'hui pouvoir être révoqué.
Si tout cela est possible, il y a un chemin à prendre. Ce chemin est à prendre avec les Allemands, …
… et pour faire en sorte que le rapport franco-allemand ne soit pas celui de la vacuité, mais soit, au contraire, celui de l’imagination.
Permettez-moi pour terminer de citer le plus européen de tous les Picto-Charentais, …
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. … Jean Monnet, qui disait : « Ce qui est important, ce n’est, ni d’être optimiste, ni pessimiste, mais d’être déterminé ».
Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères et du développement international, mes chers collègues, le peuple britannique a donc choisi la sortie de l’Union européenne. Ce résultat est un choc pour tous ceux qui croient en l’idée européenne. Il démontre cruellement le manque d’un leadership européen, marqué notamment par la faiblesse du couple franco-allemand.
Le Royaume-Uni se prépare ainsi un difficile chemin. Il devra maintenir sa cohésion en surmontant la fracture générationnelle et territoriale que révèle le scrutin du 23 juin. Il devra négocier les termes d’un partenariat avec l’Union européenne, dans un nouveau statut qui sera celui d’un pays tiers.
L’Union doit engager rapidement cette négociation, dont le déclenchement relève de la Grande-Bretagne et d’elle seule. L’Union ne doit pas être l’otage des débats politiques internes à un pays qui a choisi de la quitter. Elle doit travailler à un partenariat nouveau qui puisse fonctionner correctement à partir d’intérêts communs bien identifiés.
Tirons, nous aussi, tous les enseignements du vote du 23 juin. En clair, il faut refonder l’Union européenne sur de nouvelles bases. La sortie du Royaume-Uni rend cette exigence d’autant plus forte. Il est donc désormais urgent d’adresser quatre messages essentiels aux peuples européens.
Premier message : il faut, comme l’a dit voilà quelques instants le président Raffarin, mettre un frein à l’élargissement et sécuriser concrètement les frontières. Nous voulons un Schengen de deuxième génération, qui assure cette sécurité et n’hésite pas à suspendre les États défaillants. Nous devons par ailleurs construire des partenariats efficaces : au Sud avec la Turquie sur la question migratoire ; à l’Est avec la Russie, en valorisant nos intérêts économiques réciproques.
Deuxième message : nous devons recentrer l’Europe autour d’un noyau dur « ouvert » d’États membres déterminés à aller de l’avant. Le couple franco-allemand doit en être le moteur. Il est malheureusement aujourd'hui en panne. Il est impératif de le relancer. Nos deux pays doivent montrer la voie, en construisant l’union de l’énergie par la mutualisation des coûts et le partage des réseaux, en bâtissant le marché unique du numérique avec une Europe productrice et pas seulement consommatrice, en affirmant l’ingénierie financière européenne, la City, avouons-le, étant désormais hors de l’Union, et ce à partir de l’excellence des places de Paris et Francfort.
Troisième message : il convient de mettre en œuvre les priorités stratégiques innovantes du président Juncker : l’industrie, créatrice de richesses et d’emplois ; l’énergie, qui est une composante fondamentale pour notre compétitivité ; et le numérique, qui est au cœur de toute activité du XXIe siècle. C’est une Union centrée sur l’essentiel dont nous avons besoin. La relance de l’investissement doit être une priorité. N’ayons pas peur des mots : nous avons besoin d’un fonds souverain européen, qui serait tout simplement le fonds Juncker de deuxième génération ! Nous devons bâtir une nouvelle politique agricole commune en intégrant la nouvelle géopolitique alimentaire.
Enfin, quatrième message : il faut redonner aux parlements nationaux toute latitude pour décider des « normes » relatives à la vie quotidienne de leurs concitoyens, en affirmant le principe de subsidiarité, en faisant de la simplification le fil directeur de notre action commune.
Dans un monde globalisé, face à des États-continents, les replis nationaux ne sont pas la bonne réponse. Nous voulons une Europe puissance, qui s’affirme sur la scène internationale. Cette Europe puissance doit se doter d’une capacité de défense, au sens propre et au sens figuré. Elle doit négocier des accords commerciaux sur la base d’un cahier des charges précis, ex ante, ce qui relativise la pertinence du concept de traité mixte, puisqu’ils seront négociés au préalable, les parlements nationaux devant pouvoir en débattre et fixer des « lignes rouges » dès le départ.
Ne restons pas, enfin, sans réagir face à l’extraterritorialité des lois américaines, contraire au droit international. Utilisons tous nos instruments de défense. Opposons un Buy European Act au Buy American Act ! Si nos partenaires commerciaux ne respectent pas leurs engagements, appliquons rapidement des clauses de sauvegarde pour préserver nos intérêts, et ce avec rapidité !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Mes chers collègues, au travers du Brexit, l’histoire vient de donner une nouvelle chance à l’Europe. Saisissons-la ! Réinventons l’Europe, réenchantons l’Europe, car, à défaut, elle sortira de l’histoire, et la France avec elle !
Applaudissementssur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour le groupe socialiste et républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est la quatrième fois en un an que nous nous retrouvons pour débattre au sein de cet hémicycle après une déclaration du Gouvernement sur un sujet européen.
L’on pourrait s’en réjouir, et y voir une poussée d’intérêt pour l’Europe. Cela serait heureux, mais c’est hélas la multiplication et l’accélération des crises de notre union continentale qui nous amène aujourd'hui à débattre de nouveau.
S’agissant de la crise de l’euro et de l’action pour faire rester la Grèce dans l’euro, je veux saluer l’action du Président de la République François Hollande et du gouvernement français.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également. – Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
Après la crise de l’euro et l’action pour faire rester la Grèce dans l’euro, après la recherche d’une solution concernant les réfugiés, dossier sur lequel beaucoup reste à faire, nous voici aujourd’hui confrontés à une première historique pour l’Europe : un divorce entre notre communauté européenne et l’un de ses membres.
Cette nouvelle difficulté est sans doute la plus ardue, et il est de notre responsabilité collective, à nous, Français, et à tous les autres pays d’Europe, de la surmonter aujourd'hui.
Mes chers collègues, cette rupture ne vient pas de nulle part. Peu nombreux sont ceux qui formulaient cette éventualité avant la convocation du référendum britannique, mais beaucoup la craignaient. Nous y sommes.
Cette rupture entre l’Europe et un de ses peuples intervient comme le point d’orgue d’une multiplication des crises européennes. Bien sûr, il y a eu la crise économique qui a entraîné dans son sillage la crise des dettes souveraines, après 2008. Mais les difficultés de l’Europe avec les peuples avaient déjà commencé bien avant. De la peur de davantage d’intégration dans les années 1990 à la crainte d’un projet trop vertical en 2005, les signes de défiance des peuples envers l’Europe étaient nombreux. Les réponses ont été trop courtes, et même lorsque le peuple français a voté, il n’a pas été tenu compte de son souhait.
Nous sommes tous comptables de cette situation. Les rivalités politiciennes nationales prenant souvent le pas sur le reste, le statu quo devient souvent le point d’arrivée des débats européens.
Pendant ce temps, les voix eurosceptiques de toutes provenances se sont renforcées en Europe. Les nationalismes ont pris confiance. Le débat qui s’est déroulé il y a maintenant quelques jours au Royaume-Uni en a été le témoignage : racisme et xénophobie à tous les étages ; slogans réducteurs et fausses pistes de sortie, qui inquiètent aujourd'hui les Britanniques, y compris ceux qui ont voté pour la sortie.
Ces crises européennes traduisent douloureusement une certaine absence de projet européen. Lorsque nous disons cela, lorsque notre groupe dit cela, je sais que ça hérisse le poil de tous ceux qui, comme nous-mêmes, dans cet hémicycle, sont des Européens convaincus. Mais reconnaissons qu’au-delà des champs économiques et monétaires, au-delà de la question du marché, donc, nous avons échoué à construire une véritable société européenne.
David Cameron a qualifié vendredi matin les Britanniques de « nation de marchands ». Par une ironie de l’histoire, ce sont les « marchands » qui quittent les premiers une communauté tournée vers le « marché ». Et ce n’est pas qu’une ironie. C’est aussi le symbole que l’Europe, que nous tous n’avons pas su apporter plus que ce marché.
Cette faillite doit être constatée aujourd’hui pour mieux préparer demain, l’après-sortie du Royaume-Uni. Car, oui, le Royaume-Uni doit quitter l’Europe. Après ce référendum, après cette séparation, après ce divorce, il faut se tourner vers la famille. Et la famille, c’est l’Europe, ceux qui restent. Cette famille doit demeurer soudée, unie, et affirmer trois principes. Le peuple britannique est un peuple ami et le restera. Le Royaume-Uni est un pays ami et le restera. Mais quand on divorce, on quitte la maison commune immédiatement, pour habiter peut-être à côté, mais en tout cas, pas sous le même toit, sinon personne ne le comprendrait. §Que cela plaise ou non, le peuple a toujours raison. Le peuple britannique a voté et il a décidé. Il a souhaité quitter l’Europe. La priorité doit donc désormais être d’organiser cette sortie.
Celle-ci ne doit pas traîner au-delà de ce que prévoit l’article 50 du traité de Lisbonne. La sortie du Royaume-Uni est un enjeu de respect démocratique, mais pas seulement. Elle est aussi impérative pour sortir d’une zone d’incertitudes qui pénaliserait les Européens et les Britanniques.
Ceux qui voudraient aujourd’hui retarder cette sortie sont parfois ceux qui l’ont demandée. Il n’est pas acceptable que les Anglais se retirent des contraintes, mais gardent les avantages communautaires. Quand on quitte l’Europe, on n’a plus de commissaire européen, on n’a plus de députés européens, on ne touche plus les aides de la PAC
M. Hubert Falco applaudit.
Aussi, la deuxième question, lorsque le Brexit sera effectif, est celle du projet européen. Si ce projet a failli, il peut repartir – les orateurs qui m’ont précédé ont évoqué ce point.
Le chef de l’État en a esquissé les contours depuis plusieurs semaines, et précisé le contenu le week-end dernier. Dans les discussions avec la Chancelière allemande – et il fera de même au cours des discussions qui vont se dérouler dans les jours qui viennent avec l’ensemble des présidents –, il a fixé comme priorité l’établissement de politiques européennes pour la sécurité et la défense, pour l’investissement dans les nouvelles technologies, pour la jeunesse, pour l’harmonisation fiscale et sociale ainsi que pour le renforcement de la gouvernance.
C’est une trajectoire essentielle, non pas qu’il faille effacer ce qui s’est passé jusqu’à présent, mais pour tirer les conclusions et les conséquences du référendum britannique, et parce que l’Europe, pour qu’elle soit mieux comprise, doit être plus efficace et plus tournée vers les peuples.
Ensemble, nous avons l’objectif de bâtir une Europe plus forte, plus solidaire et qui soit susceptible de faire progresser chacune de nos nations. Nous soutenons le Président de la République, le Gouvernement, vous-même, monsieur le ministre Jean-Marc Ayrault, et donc la France dans cette orientation. Quelles que soient nos sensibilités politiques, tous les discours qui abaisseraient, qui rabaisseraient la France participeraient du dénigrement et l’affaibliraient dans la discussion internationale et européenne.
Il est temps, oui, il est temps, que l’Europe reparle aux citoyens. Le projet que nous devons bâtir maintenant est celui d’une transformation européenne qui nous fasse passer de l’Europe du marché à l’Europe du citoyen, celui d’une Europe qui écoute ses citoyens.
Il faudra ensuite investir un véritable espace démocratique, et il sera enfin impératif que l’Europe se simplifie, qu’elle simplifie son fonctionnement, qu’elle porte des projets qui aient un sens pour les citoyens.
Nos concitoyens, j’en suis persuadé, aiment l’Europe. Les Français et les Européens, dans leur grande majorité, savent ce que l’Europe leur a apporté en termes de paix et d’ouverture culturelle, d’échange. Tous les jeunes qui ont échangé dans les jumelages après la Seconde Guerre mondiale savent que cette Europe est l’Europe de leur futur, l’Europe de leur vie. Mais certains ne comprennent plus l’Europe qui est aux commandes. Le rôle des politiques, le rôle des gouvernants est de faire en sorte que le projet européen l’emporte sur la technocratie et la technostructure européenne.
Le moment est important. Soixante ans de construction européenne ne doivent pas tomber par la sortie d’un seul membre.
Il y a eu à mon sens deux événements importants dans la construction européenne. Tout d’abord, novembre 1989 et la responsabilité historique d’Helmut Kohl. Ce grand européen avait compris que pour que l’Allemagne soit plus forte elle devait se réunir, que le peuple allemand devait se réunir. En gommant cette partie de l’histoire, il a rendu l’Allemagne plus forte. Cela a coûté cher à l’Allemagne, mais Helmut Kohl a eu le courage de le faire, sans démagogie, sans populisme. Il restera comme le grand homme de la réunification.
Une autre date, beaucoup plus négative, restera celle de juin 2016. Elle est marquée par la responsabilité de David Cameron, qui n’a pas eu de vision prospective pour l’Europe, mais une vision politicienne, à des fins d’élection interne. Il aura réussi à diviser le peuple britannique et, peut-être, ce royaume, ce grand pays, et il portera sans doute dans les années qui viennent la lourde responsabilité de ce qui se sera passé dans notre continent.
Mes chers collègues, il faut surmonter ce défi, économique, social, culturel et politique. Je suis certain que notre pays, nous toutes et nous tous, malgré nos divergences, malgré nos sensibilités différentes, avons la capacité de surmonter cette étape, en ouvrant un grand débat sur le projet européen que nous souhaitons.
Il faut que ce projet soit clair. Le ministre des affaires étrangères l’a dit tout à l’heure, le débat aura lieu dans les mois qui viennent pour l’élection présidentielle, et chacun devra apporter ses orientations en intégrant les citoyens à la décision, en redonnant du souffle à l’Europe par un projet porteur d’espoir. Il ne s’agit pas d’être négatif, il ne s’agit pas d’être pessimiste, il s’agit d’être réaliste.
Aujourd'hui, comme cela s’est déjà passé, l’Europe traverse une zone de turbulences. À nous de faire en sorte d’en sortir non pas uniquement pour nos pays, mais pour les peuples d’Europe qui doutent. Si nous voulons que les peuples d’Europe et le peuple de France reprennent confiance en la politique et en ceux qui les gouvernent, cela passera par le respect de la parole, mais surtout par le tracé de perspectives pour un grand marché commun européen, celui de la paix et de la prospérité.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain ainsi que sur plusieurs travées du RDSE. – M. Jean Desessard applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, jeudi soir, après une campagne excessivement instrumentalisée à des fins de politique intérieure, 52 % des Britanniques ont pris la lourde décision de quitter l’Union européenne.
C’est un choix démocratique que nous respectons, et qui doit aujourd’hui être mis en œuvre à travers une activation rapide de l’article 50 du traité sur l’Union européenne, le TUE.
Car après ce coup sans précédent porté à une Union européenne déjà bien mal en point, il ne faudrait pas que de longues et tortueuses négociations sur les modalités de sortie viennent accaparer nos diplomaties respectives et paralyser les institutions européennes pendant au moins deux ans, précisément à un moment où il est désormais urgent, et je dirai même vital, d’engager un véritable débat de fond sur l’indispensable renouveau du projet européen.
L’heure est donc grave, pas seulement pour les Britanniques, mais pour l’ensemble de l’Union et de ses citoyens.
Cependant, s’il y a au moins un aspect salutaire dans cette affaire, c’est que tous nos responsables politiques nationaux parlent enfin de l’Europe et que, à moins d’un an de l’élection présidentielle, cette question figure désormais en haut de leur agenda politique.
Face à cette crise inédite, il est plus que jamais urgent de nous interroger sur notre responsabilité collective en tant qu’États membres dans cette lente mais constante dérive de l’idée européenne.
Nous avons effectivement dessiné les prémisses d’un possible rejet citoyen du projet européen, lorsque nous nous sommes orientés tête baissée et presque exclusivement vers un grand marché unique et vers une austérité accrue qui a surtout accentué les inégalités sociales en Europe.
Nous les avons aussi dessinées lorsque nous n’avons pas eu le courage de doter l’Union d’un budget suffisamment ambitieux. Alors que nous demandons chaque jour à l’Europe de prendre à sa charge de nouvelles missions, ses ressources sont limitées à 1 % du produit intérieur brut de l’Union, et désormais presque exclusivement alimentées par des contributions nationales qui font l’objet d’un marchandage toujours plus âpre quant aux retours attendus par chaque État membre.
M. Jean Desessard applaudit.
De surcroît, l’abaissement continu des droits de douane à l’entrée de l’Union au cours des vingt dernières années a drastiquement diminué nos ressources propres.
Monsieur le ministre, comment construire une Europe solidaire, qui protège et qui investit avec aussi peu de moyens pour agir ? Car, en général, c’est lorsqu’une crise surgit et que nous ne parvenons pas à la résoudre à l’échelle nationale que nous nous tournons en urgence vers l’Europe. Mais comme dans le cas récent de la crise des réfugiés, à défaut de prévention et de solidarité, la réponse est chaotique et désordonnée.
Or le sens fondamental du projet européen, c’est précisément de se projeter, d’anticiper ensemble les défis à affronter.
Si cette responsabilité collective de l’Europe est indéniable, elle ne doit pas faire oublier la responsabilité aussi de notre pays, la France, membre fondateur de l’Union et deuxième puissance européenne.
À ce titre, quelle proposition forte avons-nous portée auprès de nos collègues européens au cours des dix dernières années ? Et plus prosaïquement, monsieur le ministre, que reste-t-il désormais de notre influence réelle au sein des institutions européennes ?
Depuis dix, voire quinze ans, nous avons laissé se déliter la relation franco-allemande, qui a longtemps constitué le moteur de l’Union.
La réalité aujourd’hui, à un moment où nous devrions agir de concert pour un véritable sursaut de l’Europe, c’est que nous avons bien du mal à nous entendre et à nous comprendre. Un peu à l’instar de nos amis Britanniques, nous, Français, nous drapons volontiers dans la grandeur de notre passé national sans reconnaître aujourd’hui notre profonde dépendance aux autres.
« France, cinquième puissance mondiale », c’est par cette ritournelle illusoire que presque tous les prétendants à l’élection présidentielle aiguisent l’imaginaire politique des électeurs, sans oser dire que nous ne devons notre maintien à ce rang fragile dans la hiérarchie mondiale qu’à notre appartenance à l’Union et à ce qu’elle nous a apporté au cours des décennies écoulées.
Ritournelle illusoire, aussi, parce que la réalité qui s’annonce, et que nous cachons très pudiquement à nos concitoyens, c’est qu’à l’horizon de 2050 au plus tard, plus aucun pays européen, pas même l’Allemagne, ne figurera parmi les vingt premières puissances de la planète.
À l’heure de la montée en puissance de pays qui n’ont plus d’émergents que le nom, comment pouvons-nous penser l’avenir de notre pays sans penser l’échelle européenne, la seule susceptible d’imposer une véritable régulation dans un processus de mondialisation effréné ?
Les fondements actuels de la crise de l’Union ne sont pas le seul fait du Brexit, qui n’en est aujourd’hui que le révélateur.
Ces fondements remontent en réalité à une vingtaine d’années, lorsque, à défaut de nous doter d’une vision politique commune, appuyée sur une véritable gouvernance démocratique, nous avons choisi de nous limiter à la construction d’un grand marché unique, que nous avons largement délégué à une Commission européenne empreinte en la matière d’un dogmatisme néolibéral totalement suranné.
Celle-ci s’est en effet érigée en négociatrice exclusive d’une multitude de traités bilatéraux, et à défaut de favoriser l’émergence d’une vigoureuse politique industrielle européenne, elle préfère développer une insensée politique de la concurrence, y compris dans les secteurs les plus stratégiques pour notre économie. Avec les règles qui ont cours aujourd’hui, la création d’Airbus, heureusement bien antérieure, n’aurait sans doute jamais pu voir le jour.
Ce sont les mêmes règles qui, aujourd’hui, entravent l’émergence d’une véritable industrie européenne du numérique §et d’un grand plan d’investissement en faveur de la nécessaire transition énergétique de nos économies. Car dans ces deux domaines, et dans bien d’autres, nos concurrents nord-américains et asiatiques sont loin d’avoir la même retenue, en recourant parfois de manière massive à l’aide publique pour stimuler leur économie.
Conscients de cette politique devenue hors sol, le vice-chancelier allemand, M. Sigmar Gabriel, et le président du Parlement européen, M. Martin Schulz, ont proposé vendredi dernier de transformer la Commission européenne en un véritable « gouvernement » et, surtout, de la placer sous le contrôle démocratique de deux chambres, à savoir le Parlement européen et une assemblée représentant les États membres.
Monsieur le ministre, comment le gouvernement français accueille-t-il cette proposition ?
Par ailleurs, et compte tenu des griefs croissants des citoyens européens à l’encontre des accords commerciaux bilatéraux, dont les négociations restent conduites dans une très grande opacité par la Commission, ne pensez-vous pas qu’il est urgent de réclamer immédiatement un moratoire sur les traités en cours ou en prévision, le temps, au moins, d’en repenser les finalités et les modalités ?
Au-delà de ces questions de nature économique, la relance et la cohérence du projet européen doivent parallèlement passer par d’autres initiatives visant à rendre l’Union plus solidaire et plus proche des préoccupations des citoyens.
Il faut bien évidemment avancer à marche forcée vers une harmonisation des règles fiscales et sociales au sein de l’Union, afin que certains États membres cessent de capter indûment une bonne partie de la richesse produite sur le territoire de l’Union.
Car, il faut bien le dire, il est pour le moins paradoxal de constater aujourd’hui qu’une partie des pays jugés parmi les plus vertueux en matière de respect des critères de convergence budgétaire s’adonnent à des pratiques fiscales qui n’ont rien de respectables au regard de l’intérêt général européen.
D’aucuns proposent également un renforcement significatif de la politique de sécurité et de défense commune pour faire face aux crises externes et internes que nous affrontons. Pourquoi pas ? Mais cette question appelle de nombreux débats, notamment celui de ne pas sombrer dans une politique répressive, sans respect pour nos principes d’accueil, et, surtout, sans la mise en œuvre, en amont, d’une véritable politique d’aide au développement et de prévention des conflits dans les zones à risque.
Cependant, le problème majeur de toutes ces belles propositions qui fleurissent depuis quelques jours, c’est que celles-ci supposent, afin de pouvoir entrer en action, de passer outre la fameuse règle de l’unanimité des États membres qui, aujourd’hui à 27, comme ce fut le cas hier à 28, constitue un véritable verrou bloquant toute possibilité de changement.
La grande difficulté de l’Union européenne, c’est que ses institutions et ses modes de fonctionnement ont, pour l’essentiel, été conçus à une époque de prospérité pour six ou dix États, et où la mondialisation et la conjonction des crises n’avaient pas la même intensité qu’aujourd’hui.
Le saut en avant de l’Europe est inévitable. Si nous ne voulons pas périr dans le processus de décomposition qui s’est amorcé, il faut agir vite et fort. Mais ce saut ne pourra s’opérer qu’avec l’agrément de nos concitoyens, quitte à devoir entériner au passage le principe d’une Europe à plusieurs vitesses.
Cela n’aurait aucun sens aujourd’hui, me semble-t-il, de soumettre la question européenne à référendum, sans qu’un tel projet renouvelé ait été sérieusement discuté et élaboré au préalable.
L’idée de lancer un processus constituant, tel que proposé par les écologistes, me paraît être la bonne.
M. André Gattolin. Nous espérons, monsieur le ministre, que le gouvernement de la France saura prendre toutes ses responsabilités en la matière.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. le président de la commission des affaires européennes applaudissent également.
La parole est à M. Philippe Adnot, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe politique.
Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Royaume-Uni va peut-être demander à sortir de l’Europe dans la foulée du référendum. Je dis « peut-être », car un chef d’entreprise irlandais me confiait, hier soir, qu’ils seraient obligés d’embaucher beaucoup de monde pour parer aux éventuelles difficultés que vont poser les doubles passeports. Sans parler de l’Écosse, dont nous ne savons pas encore ce qu’elle va faire.
Dans le contexte actuel, il serait utile que nous empruntions à nos voisins d’outre-Manche leur flegme. Si, pour une fois, nous arrêtions de donner à penser que tout est noir ou blanc. Vouloir faire croire, chaque fois qu’une consultation de ce type est organisée, que ce sera catastrophique ou merveilleux est une posture, qui sera, systématiquement, démentie par les faits.
L’Union européenne ne peut pas tout, elle n’est pas responsable de tout. Il existe des pays qui ne sont pas dans l’Union, et ils ne sont pas en faillite ; nous commerçons avec eux, et leur monnaie n’est pas nécessairement dévaluée.
Aussi, il serait utile que nous examinions la situation avec sang-froid, dans une approche pragmatique ; ce sera d’ailleurs pour nous l’occasion de vérifier si le Royaume-Uni recevait plus qu’il ne versait.
Cette situation devrait surtout nous conduire à réfléchir sur ce qui entraîne progressivement les pays européens à rejeter l’Europe d’aujourd’hui. Celle qui est tatillonne, qui veut s’occuper de tout – de la fessée, comme du contenu des menus des cantines –, une machine à produire des normes, des contraintes administratives, qui, dans les faits, peuvent même créer, entre les entreprises des États membres, une concurrence déloyale liée à des divergences de transposition, d’interprétation, etc.
Et si nous profitions de cette période pour redéfinir ce qui nous paraît essentiel ?
Nous avons la monnaie unique, c’est très clairement un progrès et un avantage.
Nous devions avoir une défense commune. Où est-elle ?
L’harmonisation fiscale devait aller de pair avec l’euro. Où en est-on ?
Où sont, enfin, les règles sociales harmonisées ? On ne les voit guère dans l’espace intracommunautaire de dumping social sur le marché du travail.
Moins d’Europe, mieux d’Europe : voilà ce qui devrait mobiliser nos forces. Redéfinir ce que nous devons mettre en commun est une urgence, et ce n’est pas la fuite en avant qui va faire aimer l’Europe aux peuples.
Finalement, nous verrons bien si les Britanniques vont matérialiser juridiquement leur intention de sortir. Dans ce cas, il existe des règles, appliquons-les !
Mais j’attire votre attention sur la nécessité de saisir l’occasion pour remettre à plat un certain nombre de dérives, sinon je crains que l’hémorragie ne se poursuive.
Au fait, si les Britanniques sortent, le français redeviendra-t-il la langue officielle de travail ?
La Banque centrale européenne qui fonctionne, pour sa part, uniquement en anglais depuis sa création va-t-elle pouvoir continuer à utiliser la langue d’un pays hors Union ?
Je souhaitais, par ce trait qui pourrait relever de l’humour britannique, mettre en relief ce qu’il peut y avoir d’absurde dans notre façon d’organiser nos institutions, en cultivant l’espoir que ce Brexit réveille les consciences.
Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions. – M. Henri Tandonnet et Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudissent également.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour le groupe du Rassemblement démocratique social et européen.
Applaudissements sur les travées du RDSE.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, Albion, une fois encore, a choisi le grand large
Sourires.
… comme au temps où le soleil ne se couchait jamais sur son empire, en se tournant vers l’océan, elle a sans doute déclenché une tempête tant sur ses côtes que sur celles du continent. Mais, heureusement, la tempête se calme toujours.
Tout d’abord, respectons le vote des Anglais : c’est un peuple qui n’a pas de leçon de démocratie à recevoir. Disons-leur : « Bon vent ! »
Nos décisions consécutives à ce Brexit doivent être fermes, conformes aux intérêts de notre nation et de la sauvegarde de l’Europe, mais non vexatoires à l’égard d’un peuple ami dont nous n’oublions pas que, voilà cent ans, des centaines de milliers de jeunes soldats tombaient sur la Somme pour la liberté
M. Alain Bertrand applaudit.
, cette liberté qu’a su si magnifiquement incarner, vingt-cinq ans après, Winston Churchill.
Applaudissements sur les travées du RDSE ainsi que sur plusieurs travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
Loin de sombrer dans le catastrophisme, faisons une analyse des raisons du choc qui ont amené un grand pays démocratique à mettre en jeu son unité territoriale et son développement économique pour se réconforter avec lui-même ou se recroqueviller sur lui-même.
Cette analyse faite, sur laquelle nous reviendrons, n’hésitons pas à rechercher les aspects éventuellement positifs de cette rupture.
Attaché à la construction européenne, notre groupe l’est viscéralement. Comment oublierions-nous que Maurice Faure a signé, au nom de la France, le traité de Rome ?
M. Robert del Picchia applaudit.
Considérons tout d’abord que cet électrochoc a un côté positif en ce qu’il met l’Union européenne au pied du mur : ou elle modifie drastiquement son fonctionnement, ou elle sombrera. Ne donnons pas aux Anglais en plus la satisfaction d’avoir à dire : « Nous avons eu la sagesse de quitter le navire avant son naufrage ».
La sortie de l’Angleterre va modifier le centre de gravité européen au niveau géopolitique : moins d’atlantisme, moins de culte de la concurrence.
La situation impose des mesures rapides, d’abord à l’égard de l’Angleterre : elle ne saurait imposer son calendrier et jouer la montre.
L’Angleterre est entrée à reculons dans l’Europe, elle doit en sortir avec fair-play !
L’Angleterre ne peut avoir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière. §L’article 50 doit être appliqué avec, pour objectif, de conclure dans les deux ans. Dans ce laps de temps, il paraît opportun de régler la question des rabais sur rabais défavorables à la France, et aussi, celle de ramener la langue anglaise à son nouveau poids dans l’Europe, celui de l’Irlande et de Malte.
Une évidence : les concessions faites à l’Angleterre pour qu’elle adhère et qu’elle reste ont été inutiles, voire néfastes.
Cependant, ne jetons pas la pierre aux Anglais : c’est une responsabilité collective, et rien ne dit qu’un référendum en France n’aurait pas la même issue !
Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.
Mes chers collègues, l’Union européenne s’est coupée des citoyens européens par l’absence de responsabilité politique suffisante. La belle idée européenne pour construire une paix durable et le développement économique a été dévastée par ce qui est chaque jour vécu comme un pouvoir technocratique non démocratique, une machine à fabriquer des directives, le temple de la concurrence et de la finance à la sauce anglo-saxonne, une technostructure faisant du Conseil européen le secrétariat général de la Commission, ce qui est un comble ! La nature a horreur du vide, et c’est encore plus vrai en politique.
Nier l’immense déficit démocratique serait irresponsable ; les rejets populaires du traité constitutionnel de 2005, le « non » irlandais au traité de Lisbonne étaient des alertes rouges. Mais le déni s’est poursuivi, et nous le payons tous aujourd’hui.
Nous avons laissé se mettre en place une Europe technocratique trop occupée à réglementer la taille des cages à palmipèdes gras
M. Jean-Louis Carrère opine.
Avant de donner des leçons aux autres, commençons par balayer devant notre porte, et ce, si j’ose dire, en procédure accélérée §– et ce n’est pas là un message subliminal !
L’élection des députés européens en France est une palinodie, …
M. Jacques Mézard. … avec des circonscriptions artificielles, une machine à recycler les surplus des partis dominants
Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
… et une tribune pour les anti-européens, des députés qui, malgré quelques heureuses exceptions, sont déconnectés des citoyens.
Ensuite – et c’est une seconde urgence ! –, notre Parlement, avec le concours du Gouvernement, doit donner toute sa place aux affaires européennes, avec une véritable information systématique des parlementaires et de vrais débats préalables aux conseils européens !
Une troisième mesure simple, mesdames, messieurs les ministres : que le Gouvernement, par le canal des préfectures, fasse passer chaque mois dans toutes les mairies une information systématique, synthétique, pratique sur les dossiers européens avec des interlocuteurs dédiés dans chaque département !
Je pourrais décliner nombre d’autres propositions, mais j’insisterai sur l’impérieuse nécessité de rendre pour nos collectivités, nos agriculteurs, nos entreprises, les procédures de dossiers européens praticables : pour tous ceux qui y ont recours, c’est l’usine à gaz, le comble de la bureaucratie aggravée par la nôtre, qui est un modèle en la matière.
Il est plus que temps de donner la main au Parlement ; il est plus que temps que des commissions spéciales soient créées en lien avec le Gouvernement pour mettre à plat tous ces problèmes et tenter de les résoudre au plus vite.
Sur la question européenne, c’est en concertation avec le Parlement que l’exécutif doit élaborer une politique, car l’Europe se réformera ou se disloquera. Et, disons-le, la campagne pour l’élection présidentielle ne va pas faciliter les choses pour résoudre l’équation : « oui » à l’expression du peuple, mais « non » au populisme.
Notre commission des finances et son rapporteur Albéric de Montgolfier ont rédigé un excellent rapport sur les conséquences du Brexit ; les impacts financiers et économiques sont réels, mais ne justifient pas une dramatisation excessive.
Le risque et le débat sont d’abord politiques.
Concernant les institutions européennes, comment supporter le carcan d’une Commission hyper technocratique, qui ne devrait être que le secrétariat général du Conseil des ministres ? Premier enjeu : redonner le pouvoir aux représentants du peuple.
Comment recentrer les directives européennes sur les grands sujets et ne plus accabler nos territoires de directives portant sur la couleur des oranges, les remorques des tracteurs, j’en passe et de pires ?
Débat sur le nécessaire recentrage de l’action européenne sur un « noyau dur », mais plus large que les six pays fondateurs. Une Europe à vitesse variable, c’est déjà le cas avec l’euro ; c’est donc possible.
Débat sur la logique pour les pays de l’euro de rechercher une harmonisation fiscale et sociale, sauf à s’exposer encore à des difficultés dramatiques.
Débat sur la définition d’une stratégie économique : on a laissé la porte ouverte à tout vent aux marchés sans même protéger la frontière européenne, tout en appliquant à nos entreprises des contraintes administratives absurdes.
Débat sur une plus grande solidarité du noyau dur en matière d’immigration et de défense. La France peut-elle et doit-elle continuer à assumer quasi seule les missions extérieures ?
Pour avancer sur toutes ces questions, il faut une vraie volonté politique dénuée de visions électoralistes, une volonté d’homme d’État !
Sous la IVe République, après l’échec de la CED, la Communauté européenne de défense, nos gouvernements ont provoqué la conférence de Messine, au cours de laquelle les épures du traité de Rome furent posées. Oui, il faut une nouvelle conférence de Messine, avec des propositions fortes.
Mes chers collègues, à l’ère des grands empires qui se constituent ou se reconstituent, de la Chine aux USA en passant par l’Inde, la Russie et d’autres encore, le choix ne peut être au lâche délitement de l’Europe, qui entraînera aussi inexorablement le délitement des nations autour de régionalismes indépendantistes.
C’est avec les nations qui fédèrent chacun de nos peuples et les rassurent que doit poursuivre et réussir l’Europe que nous voulons, celle d’un espace de liberté d’expression et de pensée, de création, de libertés de circuler, d’entreprendre sans diktat ni de la finance ni de la bureaucratie. L’Europe doit être non pas celle de la souffrance sociale, mais celle de la recherche, de l’innovation et des grands travaux.
Cela, c’est une belle aventure, c’est le beau projet pour les générations qui viennent. Y renoncer serait indigne de notre Histoire. Mais, pour ce faire, il nous faut à tous de la volonté et de la confiance dans notre peuple.
Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains ainsi que sur quelques travées groupe socialiste et républicain. – M. André Gattolin applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le peuple britannique a décidé de quitter l’Union européenne quarante-trois ans après l’avoir rejointe. C’est évidemment un choix crucial pour le Royaume-Uni, mais qui aura des conséquences lourdes pour ses vingt-sept partenaires.
Puisque les peuples nous enjoignent de parler d’Europe sans langue de bois, disons-le clairement : vendredi matin, ce fut un choc.
Bien sûr, nous pourrions nous rassurer en constatant que le Royaume-Uni s’est toujours perçu à part. Que son histoire et sa géographie justifiaient un traitement dérogatoire et un quasi-droit de veto sur les aspirations majoritaires de ses partenaires.
Nous pourrions également nous demander si ces accommodements successifs n’ont pas engendré chez les Britanniques le sentiment qu’ils seraient dans leur droit de sortir de l’Europe le jour où ils estimeraient qu’ils n’en tireraient plus suffisamment d’avantages, portés ainsi par une logique utilitariste sans idéal.
Mais l’heure n’est pas aux regrets, elle est au sursaut. L’histoire peut nous inciter à l’optimisme, mes chers collègues : depuis soixante-dix ans, l’Europe avance en surmontant des crises successives. Nous pouvons faire du vote de jeudi dernier un électrochoc dont nous nous dirons dans dix ans qu’il aura servi à quelque chose.
Là est notre responsabilité, celle des États membres et de la France en particulier, d’abord pour mettre en œuvre la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne et relancer en parallèle la construction européenne.
Cette sortie doit être rapide et sans ambiguïté. Elle doit être menée sans ressentiment, mais également sans complaisance.
Sans ressentiment, car les électeurs britanniques ont exprimé ce que beaucoup de citoyens européens pensent. Nos concitoyens s’interrogent sur l’utilité de l’Union européenne, considérant souvent qu’elle est la cause de nombre de leurs difficultés et encore plus souvent qu’elle ne sert à rien.
Sans ressentiment également, car les dirigeants britanniques ne sont pas les seuls et les premiers à avoir instrumentalisé l’Europe pour des calculs parfois médiocres. Souvenons-nous de 2005. Ne négligeons pas notre capacité à incriminer l’Europe au quotidien en lieu et place de nos faiblesses, de nos lâchetés répétées.
Sans ressentiment encore, car n’oublions pas notre collègue Jo Cox, lâchement assassinée il y a quelques jours seulement.
Mmes Nathalie Goulet, Sylvie Goy-Chavent et Chantal Jouanno ainsi que M. Olivier Cadic applaudissent.
Sans ressentiment, mais sans complaisance. Les Britanniques ont fait un choix éclairé après avoir été informés. Ils doivent désormais l’assumer, sans entraîner les 450 millions d’habitants des vingt-sept autres pays dans la spirale de la dislocation.
Cela signifie deux choses. D’abord que les négociations de sortie doivent s’engager sans délai, dès le mois de juillet prochain. Comme cela a déjà été souligné, il ne revient pas à celui qui a décidé unilatéralement de partir de dicter également son agenda. Les Britanniques doivent désigner maintenant un Premier ministre qui aura la légitimité de conduire les négociations. Celles-ci doivent être rapides. Deux ans paraissent un délai maximal.
Cela signifie également qu’il ne peut y avoir d’ambiguïté sur l’issue des négociations. L’objectif n’est plus de ménager la chèvre et le chou, d’espérer trouver un compromis qui permettrait aux Britanniques de conserver l’essentiel des avantages d’un pays membre tout en échappant aux obligations et aux contraintes d’une démarche collective.
Nous paierons tous un prix à ne plus être que vingt-sept, les Britanniques et nous-mêmes. Mais cela ne nous empêchera pas d’être intelligents et de trouver des formules conciliables avec nos intérêts respectifs. Disons-le, ce sont les intérêts de l’Union européenne à vingt-sept qui doivent être défendus sans état d’âme dans cette négociation.
Je le dis, car, si nous n’avons pas cette franchise, si nous ne sommes pas guidés par cette règle, si nous ne sommes pas clairs et fermes, nous courons le risque d’un délitement de l’Union européenne. Tous les populistes vont s’engouffrer dans la brèche, en affirmant à des opinions abusées que les dommages d’une sortie de l’Europe sont finalement minimes et qu’on pourrait après tout essayer. Il nous faut tuer dans l’œuf cette perspective qui n’est pas seulement théorique et qui s’approche dans de nombreux pays.
Après le Brexit, aucun doute ne doit être possible : la sortie du Royaume-Uni ne peut pas être un précédent, qui permettrait la sortie d’autres pays. Selon les membres du groupe UDI-UC, la construction européenne n’est pas réversible. L’Union n’est pas un aimable club auquel on pourrait adhérer et que l’on pourrait quitter à sa guise. L’Union européenne est un processus destiné à aller plus loin, là et quand elle est utile aux peuples.
(M. le président de la commission des affaires européennes opine.) Plus vous serez transparents et à l’écoute, plus nous pourrons soutenir la position française.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.
Monsieur le ministre des affaires étrangères, face à l’immensité de la tâche, je vous propose d’associer les parlementaires français, qu’ils soient nationaux ou européens, à vos travaux. Il serait pertinent de créer très vite un comité de suivi transpartisan avec lequel le Gouvernement pourrait dialoguer. §
La relance de l’idéal européen doit être menée simultanément. Plutôt que de relance, je parlerai même de « renaissance », car l’Europe se retrouve dans une situation critique. Elle est désormais privée de soutien populaire. Elle ne sait plus démontrer que nos situations individuelles seraient bien plus fragiles sans elle. Nous devons donc réviser les principes de notre association.
La famille politique que je représente ici a la chance d’être unie sur la question de la construction européenne. Nous avons la conviction que les citoyens seront mieux protégés dans l’Union européenne à condition que celle-ci soit plus forte, plus intégrée et, surtout, davantage tournée vers ses habitants.
Bien sûr, et malheureusement, l’option d’une sortie de crise par le haut, c'est-à-dire vers plus de fédéralisme, n’est pas audible aujourd’hui par nos concitoyens tant la défiance envers le projet européen s’est installée. En conséquence, nous devrons passer par une étape intermédiaire, qui consiste à recréer ce que j’appellerai « une envie d’Europe », qui n’existe plus aujourd'hui chez bon nombre de nos concitoyens.
(Ah ! sur quelques travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. Pierre Médevielle applaudit.) Nos ministres doivent être à Bruxelles lorsque les décisions qui impactent la vie des gens se prennent.
M. Vincent Capo-Canellas applaudit.
Le politique doit de nouveau primer dans le processus de décision européen. Il doit supplanter la technostructure, qui n’est que le reflet de nous-mêmes, quand bien même celle-ci serait la mieux intentionnée. Pour ce faire, nous devons changer de gouvernance. Les députés que nous envoyons à Strasbourg doivent être les meilleurs. §
Sur le plan des symboles qui crispent, nous ne pouvons laisser la Commission imposer la rigueur à tous, sauf à elle-même.
Il nous faut surtout revenir aux fondamentaux de l’équilibre entre l’Union européenne et les États membres. La subsidiarité, dont on parle tant, doit être redéfinie et elle doit enfin prévaloir.
Au stade où nous en sommes, l’Europe doit se mobiliser sur quelques enjeux essentiels : la sécurité, intérieure et extérieure ; la politique migratoire ; l’harmonisation des politiques fiscales, sociales et environnementales ; l’identification de projets industriels cruciaux qui prévalent sur le dogme du libre-échange absolu et sur la priorité qui a été trop donnée au monde de la finance.
(Applaudissements sur plusieurs travées de l'UDI-UC.) L’Europe doit incarner des réalisations fortes, utiles aux citoyens et qui parlent à nos concitoyens.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains et du RDSE, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Michel Delebarre applaudit également.
Selon nous, le départ des Britanniques constitue à cet égard une réelle opportunité. Pour le reste, laissons vivre nos spécificités et laissons prospérer les initiatives sans immédiatement les traduire en normes, comme nous le faisons depuis trop longtemps. §
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe communiste républicain et citoyen.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, avec le résultat du référendum britannique, qui a donné la victoire aux partisans du Brexit, un grand peuple européen vient de décider de quitter l’Union européenne. C’est un terrible échec pour l’Union européenne. Ce résultat intervient au terme d’une année de surenchères libérales et xénophobes orchestrées par les classes dirigeantes de la droite britannique
Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
Mais surtout, ce résultat signe la faillite du projet libéral et « austéritaire » européen, entièrement tourné vers la mise en concurrence. Ce projet, que la plupart d’entre vous ont soutenu – vous aviez raison, monsieur Raffarin, les responsabilités sont ici ! –, divise et conduit à la dislocation. Il est incapable d’unir les peuples européens vers un destin commun fait de paix, de justice et de progrès social partagé.
Ce vote est un désaveu cinglant pour tous ceux qui, depuis des années, ont poussé les feux d’une construction libérale de l’Union européenne, sans jamais écouter les alertes successives venues des peuples européens, à commencer par le nôtre. La dernière décennie est jalonnée de dénis démocratiques : le sort réservé au référendum de 2005 en France, que nombre d’entre vous ici ont méprisé ; les votes des Grecs en 2015, qui ne demandaient pas seulement à rester dans l’Europe, mais à échapper à des politiques d’austérité, qui leur sont d’ailleurs toujours imposées aujourd'hui.
Voilà le résultat de ces dénis démocratiques successifs !
La leçon est donc claire : respecter les peuples et leur vote est la seule méthode qui vaille pour construire une union reposant sur la solidarité, dans laquelle chacun voudra rester pour coopérer. Il est grand temps de l’entendre si nous ne voulons pas voir l’Europe continuer à sombrer dans le fracas des guerres économiques, où les morts ont pour véritable nom chômeurs, précaires et migrants !
Le projet « austéritaire », qui a été imposé aux peuples européens depuis le traité de Lisbonne et la crise du capitalisme financier de 2008, doit être stoppé. Le temps est venu de procéder à une refondation progressiste de l’Europe tournée vers le progrès social. Il faut d’urgence mettre le cap vers la sortie de l’austérité. Aujourd’hui, toute tentation de tergiverser avec cette exigence serait pure folie ! Elle laisserait une place grandissante à toutes les dérives racistes et xénophobes qui défigurent déjà largement l’Europe, à toutes les rivalités nationalistes et leurs cortèges de conflits, de tensions et de guerres.
Il faut le dire : les premières déclarations sur le sujet ne sont pas rassurantes. Les dirigeants européens vont-ils une nouvelle fois chercher à fuir leurs responsabilités et à faire payer aux peuples du Royaume-Uni la faillite de leurs dirigeants avant de continuer à faire comme si de rien n’était ? Nous vous le disons clairement, il faut arrêter de jouer avec le feu !
Le choix souverain du peuple britannique doit être respecté sans aucun chantage ni aucune menace de représailles. Les négociations sur le Brexit doivent également être menées de manière responsable, d’autant que, manifestement, personne ne semble avoir réellement préparé ce retrait, pas plus les dirigeants britanniques qui ont poussé à la tenue du référendum que les autres. Il ne suffira pas d’invoquer l’article 50 pour régler tous les problèmes !
Ce n’est pas la finance – après tout, c’est de cela que nous devrions débattre ! – qui doit une nouvelle fois être protégée, mais tous ceux qui font la richesse des nations, c’est-à-dire les travailleurs, les citoyens et les migrants ! Le Royaume-Uni est l’un de nos grands voisins. Anglais, Gallois, Écossais, tous doivent être écoutés, comme doivent l’être les Irlandais, dont l’avenir au sein du Royaume-Uni est de nouveau questionné en raison de cette situation inédite.
Nous proposons la création d’une commission parlementaire spéciale sur le suivi du Brexit, commune aux deux assemblées et transpartisane, afin que toutes les décisions soient prises en toute transparence et sous le contrôle du Parlement pour tout ce qui concerne la France !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Je le répète : l’essentiel, c’est l’engagement déterminé de la France dans la bataille pour une refondation progressiste de l’Europe. Le temps est venu d’avancer vers une nouvelle union refondée, une union de peuples et de nations libres, souverains et associés, tournée vers le progrès humain et la justice sociale, débarrassée de l’emprise prédatrice de la finance. Cette nouvelle union solidaire et coopérative impliquera d’avancer par étapes avec de nouveaux traités. Ceux-ci devront être élaborés sous le contrôle des peuples européens, selon de nouvelles procédures démocratiques, en respectant la souveraineté de tous. L’Europe autoritaire, c’est fini, il serait temps de le comprendre !
La France doit prendre l’initiative d’un immense débat public national et européen, d’une ampleur inédite. À cet égard, nous faisons deux propositions.
À l’échelle européenne, la France doit proposer le lancement d’états généraux pour une refondation progressiste §en commençant par mobiliser les gouvernements, les forces politiques, sociales et citoyennes disponibles, …
… et elles sont nombreuses ! Paris pourrait rapidement devenir le lieu d’une première grande conférence citoyenne européenne.
Quant à la France, nous proposons de mettre en place une instance inédite, une conférence citoyenne permanente
Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
M. Pierre Laurent. Cette conférence citoyenne pourrait associer des représentants de toutes les forces politiques, des parlementaires et des élus locaux de tous les niveaux et de toutes les sensibilités, tous les syndicats, les ONG et le monde associatif.
M. Jacques Gautier s’exclame.
Sans attendre, des décisions doivent être prises pour stopper le train fou de l’Europe libérale et du dumping social, cette Europe des traités autoritaires et imposés, qui jettent les peuples et les travailleurs les uns contre les autres !
Nous avons des propositions précises, notamment trois mesures immédiates contre le dumping social.
Premièrement, la France ne doit pas ratifier les traités de libre-échange que sont le TAFTA – Transatlantic Free Trade A greement –, le CETA – Comprehensive Economic and Trade Agreement – et le TISA – Trade in Services Agreement. Elle doit exiger la reconnaissance du caractère mixte de ces accords, et donc l’obligation d’un vote conjoint au Parlement européen et dans chaque Parlement national. Cette décision vaudrait immédiatement pour le CETA car, je le rappelle, la Commission européenne examinera cet accord dès le début du mois de juillet et envisage de ne pas reconnaître le caractère mixte de ce traité. Aucune ratification de la France ne peut intervenir sans consultation du Parlement. Nous attendons des réponses précises sur ce point.
Deuxièmement, la France doit suspendre l’adoption et la mise en œuvre dans notre législation des recommandations européennes en matière de déréglementation sociale, à commencer par le projet de loi Travail !
Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
Je pose la question à nos collègues de la majorité sénatoriale et au Gouvernement : cet après-midi, après avoir versé des larmes de crocodile sur le Brexit, allez-vous adopter ce texte contribuant à généraliser le dumping social, vous la droite, au Sénat
Oui ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
, et vous le Gouvernement, demain, à l’Assemblée nationale, au moyen du 49.3
Ah ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.) Je le dis aux uns et aux autres, c’est socialement irresponsable ! Politiquement, ce serait un nouvel acte de mépris à l’égard de notre peuple ! Ici comme au Royaume-Uni, la fracture n’est pas seulement sociale, elle est politique et démocratique !
M. Francis Delattre s’exclame.
Troisièmement, la France doit s’engager plus fortement pour obtenir la renégociation immédiate de la directive sur le travail détaché, et adopter les mesures qui contribueront ici, en France, à juguler l’usage scandaleux que l’on en fait aux dépens du droit du travail.
Nous appelons aussi à prendre des décisions fortes pour sortir de l’austérité.
Puisque nous allons bientôt entrer dans le débat budgétaire, nous souhaitons que la France demande la renégociation du traité budgétaire européen et que le Gouvernement annonce qu’il refuse dorénavant de conditionner son soutien aux services publics, à l’investissement public et aux collectivités locales au respect des critères idiots et contre-productifs du pacte de stabilité et de croissance.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Pour financer ces dépenses, la France doit proposer la création d’un fonds européen alimenté par les 80 milliards d’euros que la Banque centrale européenne injecte chaque mois à fonds perdu dans les marchés financiers. L’argent doit aller à l’emploi, non plus aux banques et aux dividendes !
Enfin, la France doit agir sans tarder pour réunir une conférence européenne sur la dette, car celle-ci continue d’étrangler les budgets de nos États, et élaborer un plan de lutte draconien contre l’évasion fiscale et le dumping fiscal.
Voilà ce que nous proposons, mes chers collègues. Face à la faillite de votre projet européen, assez de mots, des actes !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des affaires étrangères - cher Jean-Pierre Raffarin -, monsieur le président de la commission des affaires européennes - cher Jean Bizet -, mes chers collègues, les Anglais ont dit « non » et le Brexit apparaît d’abord comme une double amputation !
Il s’agit d’une amputation pour l’Europe tout entière, bien sûr, car le Royaume-Uni est une grande nation, celle de la Magna Carta, du parlementarisme, une nation qui, à plusieurs reprises, a mêlé son sang au nôtre au cours du siècle dernier.
Ce pays est sans doute le seul avec la France qui porte un regard global et stratégique sur le monde dans son ensemble. Ce pays dispose d’une armée et de la capacité de se défendre.
Il s’agit aussi d’une amputation pour nos amis Anglais, confrontés au risque d’un royaume désuni.
(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Il faut évidemment respecter le résultat de chaque référendum, comme vous le savez, monsieur Ayrault…
Rires et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
Vous l’avez dit, monsieur le ministre des affaires étrangères, et c’est une évidence, le Brexit doit créer un choc, voire un électrochoc ! Pas pour punir nos amis Anglais, car on ne punit pas un peuple sous prétexte que son vote ne nous convient pas, mes chers collègues ! §
Je le disais : il s’agit d’un électrochoc pour les Anglais, parce que le risque de désunion existe. Après tout, Douvres n’est jamais qu’à trente-cinq kilomètres de Calais. C’est également un électrochoc pour l’Europe, parce que le Brexit est la dernière chance pour notre continent. C’est une deuxième chance qui ne sera pas suivie d’une troisième ! On s’oriente soit vers la refondation de l’Europe, soit vers sa dislocation.
N’imaginez pas un seul instant que le résultat britannique soit l’expression d’un particularisme insulaire, mes chers collègues. L’euroscepticisme nous concerne aussi. Il y a quelques semaines seulement, un institut de sondage réalisait une étude qui montre que le peuple français est, après le peuple grec, l’un des peuples où l’euroscepticisme a le plus progressé. Ce résultat doit évidemment nous questionner et contribuer à refonder l’Europe, c’est-à-dire à redonner du sens à ce projet pour nos concitoyens, pour les peuples européens et les nations européennes.
Redonner du sens au projet européen, c’est avant tout redonner à l’Europe son histoire, sa géographie et une ambition.
Premièrement, son histoire : il y a une dizaine d’années, le nouveau théoricien du djihad, M. Abou Moussab al-Souri, avait jugé que l’Europe était sans doute le ventre mou de l’Occident. Pourtant, cette Europe ne doit pas être le continent de la « désidentification » ! Elle doit au contraire conserver son identité et ne peut pas faire éprouver à chaque peuple le regret d’être lui-même – il me semble que vous avez d’ailleurs employé à peu près la même phrase, monsieur le ministre.
Nos concitoyens, les peuples européens attendent que l’on reconnaisse une identité qui puise ses racines dans plusieurs sources : Athènes, bien sûr, Rome, Jérusalem, l’ Épître aux Galates, la Renaissance, les Lumières. Ce sont autant d’origines et de valeurs qui ont défini et dessiné notre conception de l’homme, une conception d’être au monde, une égale dignité ontologique, qui font notre civilisation.
Dans les décennies précédentes, on a tenté de construire l’Europe par le commerce, par le marché ou par le droit, mais cela n’a pas fonctionné. Le philosophe allemand Jürgen Habermas avait proposé un « patriotisme constitutionnel ». En réalité, l’Europe doit aussi se construire par la civilisation.
L’Europe doit être un projet de civilisation, avec son histoire mais aussi sa géographie. En effet, ce qui définit une communauté politique, c’est un territoire. Aucune communauté politique au monde n’existe sans territoire, c’est-à-dire sans limites, sans frontières. Ces frontières nous disent tout autant ce que nous sommes que ce que nous ne sommes pas.
Vous savez parfaitement, mes chers collègues, que les critères de Copenhague n’ont jamais projeté les frontières du territoire européen sur la carte. Il faudrait bien autre chose, à la fois la carte et le territoire, d’une certaine façon, comme l’a écrit Michel Houellebecq !
Cette notion de géographie doit nous inspirer un certain nombre de réflexes : la Turquie n’est pas européenne ! Le général de Gaulle voulait une Europe européenne. Or la Turquie n’a que 5 % de son territoire en Europe. Nous devons cette clarification aussi bien aux Européens qu’à ce grand peuple et cet ami qu’est le peuple turc !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Alain Bertrand et Philippe Bonnecarrère applaudissent également.
Il faut stabiliser nos frontières et dire stop à l’élargissement : de la mer Baltique à la mer Égée, les frontières de l’Europe ne doivent plus évoluer ! L’incertitude liée aux frontières a trop longtemps été pour l’Europe le symbole ou le signe de l’indéfinition de son propre projet politique.
L’Europe se définit par son histoire, par sa géographie, mais elle a également besoin d’une nouvelle ambition !
Il faut débuter par le diagnostic car, sans diagnostic, il est impossible de trouver le bon remède. Il faut donc partir d’un paradoxe cruel : jamais dans leur histoire, les peuples européens n’ont partagé une telle proximité ; pourtant, jamais dans son histoire, l’Union européenne n’a été aussi proche de son délitement !
À l’origine de ce paradoxe, on trouve une obsession, celle de délégitimer les États-nations, conjuguée à l’idée d’y substituer une construction sophistiquée dans laquelle on a cherché à créer à tout prix un État hyper centralisé de nature supranationale. Pourquoi ne pas le reconnaître ?
Cependant, ce type d’État ne peut perdurer qu’en imposant une discipline de fer, en produisant toujours plus de normes et de contraintes, et en tenant évidemment les peuples à l’écart de cette construction. Les peuples européens ont eu le sentiment d’être dépossédés. Je ferai miens les propos qu’a tenus le Premier ministre dimanche dernier à Belleville-sur-Mer, lorsqu’il a déclaré que l'Europe ne pouvait pas entraîner la disparition des États souverains.
Aujourd’hui, nous devons relever un défi, celui de remettre les souverainetés nationales, les démocraties nationales au cœur de l’Europe, au cœur du processus européen, afin que les peuples puissent se réapproprier cette belle idée européenne, dont nous avons davantage besoin aujourd’hui qu’hier et dont nous aurons sûrement encore davantage besoin demain !
Pour ce faire, il faut tirer toutes les conséquences de la situation actuelle.
La première de ces conséquences concerne l’architecture de l’Europe : il faut replacer nos démocraties nationales en son centre. Le droit européen ne doit plus primer sur la règle suprême que se sont donnée les peuples, à savoir les constitutions nationales. Cela signifie que la Cour de justice de l’Union européenne ne doit pas se prendre pour une Cour suprême. Cela signifie également, pour reprendre les termes employés par M. le Président, qu’il faut rétablir les parlements nationaux dans le processus de décision pour établir un continuum démocratique !
Mme Catherine Morin-Desailly ainsi que M. le président de la commission des affaires étrangères et M. le président de la commission des affaires européennes applaudissent. – Mmes et MM. les sénateurs du groupe Les Républicains applaudissent également.
Aujourd’hui, il existe des procédures appelées communément des « cartons jaunes » ou des « cartons orange ». C’est insuffisant, il faudrait également un « carton vert » pour limiter les initiatives de la Commission européenne et faire en sorte que les Parlements puissent se réapproprier cette initiative législative. Il faudrait sans doute aussi un « carton rouge »…
… afin d’opposer des limites à ces initiatives, une forme de droit de veto.
La seconde conséquence tient à la nécessité de se réapproprier l’Europe que nous voulons, c’est-à-dire l’Europe que nous allons construire, non pas telle qu’elle a été construite – le projet européen a été bâti, à juste titre, pour mettre fin aux luttes fratricides, pour nous protéger de nous-mêmes d’une certaine façon – mais telle qu’elle devra affronter les défis qui viennent de l’extérieur.
C’est pourquoi il faudra relever trois défis.
(Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) Ce n’est pas la première fois que j’en parle à cette tribune ! En outre, cher Jean Bizet, oui, il faudra un European Buy Act. Oui, il faudra réintroduire le principe de réciprocité et nous appuyer sur une véritable préférence européenne. Sinon, nos peuples refuseront l’Europe que nous voudrons construire !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Il faudra tout d’abord protéger nos emplois et notre économie en adoptant non seulement une stratégie offensive, consistant à investir notamment dans la recherche, dans le numérique et dans l’énergie, mais aussi une stratégie défensive, parce que l’on a fait du dogme de la concurrence libre et non faussée et du libre-échange à tout vent un horizon indépassable ! On a fait preuve à cet égard d’une naïveté coupable, mes chers collègues ! §Souvenez-vous de Pechiney et d’Alcan… §
Il faudra ensuite élaborer une protection efficace en matière économique et en matière de défense. La défense restera une affaire nationale, mais nous devrons approfondir les coopérations industrielles et budgétaires. Il n’est pas normal que la France porte seule le fardeau de la défense européenne. Il faudra naturellement le partager. Les frontières devront être mieux défendues. Schengen a échoué, il faudra le refondre. L’agence FRONTEX devra également devenir une véritable agence avec ses gardes-côtes et ses gardes-frontières. Sinon, nous ne répondrons pas à la crise migratoire. Regardons la réalité en face, mes chers collègues !
Enfin, il faudra une Europe monétaire différenciée. L’euro nécessitera certes une gouvernance renforcée, mais son avenir passera moins par la mise en place d’un gouvernement de l’euro que par le fait que chaque pays européen s’en saisisse. Cela suppose que la France ait la capacité de tenir ses engagements
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx opine.
Pour conclure, et après avoir entendu Jean-Pierre Raffarin parler de l’Europe mortelle, je voudrais rappeler qu’au soir de la Première Guerre mondiale, Paul Valéry avait prédit que : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ». Oui, nous savons désormais que l’Europe aussi est mortelle !
Il convient donc de réagir : le monde d’aujourd’hui, ce monde menaçant et dangereux, en pleine transformation, exige de nous que nous construisions une Europe forte et dressée devant les défis qui l’attendent.
M. Bruno Retailleau. Mes chers collègues, l’Europe que nous devons bâtir, le cadre naturel de notre action collective, c’est l’Europe des peuples, l’Europe des nations ! Alors, seulement, nous retrouverons le fil de la confiance, et l’idéal européen brillera de nouveau sur notre continent !
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées de l'UDI-UC.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord vous remercier de vos différentes interventions et saluer la qualité de ce débat. Vos propos ont montré l’importance que vous attachiez à la situation grave et préoccupante dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.
Vous n’avez pas hésité à avancer un certain nombre de propositions, parmi lesquelles je perçois, malgré les nuances, voire les divergences, votre attachement à l’Europe. Vous avez également exprimé le souhait que l’on fasse de cette crise et de ce choc une occasion de relancer le projet européen, de lui donner tout son sens et toute sa force, alors qu’il est aujourd’hui à la peine.
Presque tous les orateurs l’ont dit, il faut que les parlements nationaux, en particulier le nôtre, soient non seulement davantage associés au fonctionnement quotidien de l’Europe, mais aussi davantage consultés sur les propositions qu’ils pourraient formuler pour l’améliorer. Beaucoup de choses ont été dites à ce sujet : on constate des dysfonctionnements, des faiblesses et des lourdeurs, c’est évident, je n’y reviens pas.
Plusieurs propositions concrètes et précises ont été faites pour que le Parlement soit mieux associé à ce processus, monsieur le président du Sénat. Ces propositions se complètent et parfois s’opposent, puisque certaines visent à créer une commission sénatoriale, quand d’autres initiatives ont pour objet de créer une commission commune au Sénat et à l’Assemblée nationale. Il n’appartient pas au Gouvernement de trancher cette question, mais, ce que je peux vous dire, c’est que je souhaite que le Parlement soit davantage associé et que le plus tôt sera le mieux. Par ailleurs, je le répète, le Gouvernement est à votre entière disposition !
M. Jean-Louis Carrère ainsi que Mmes Françoise Cartron et Hermeline Malherbe applaudissent.
Il est en effet important que le Parlement puisse se projeter dans l’avenir, organiser des débats publics, et pourquoi pas citoyens. Cela ne me gêne pas que l’on organise une conférence citoyenne, si cela se fait au service d’une cause que nous pouvons partager et que cela redonne confiance et suscite davantage d’adhésion en faveur d’un projet qui correspond à l’intérêt fondamental de la Nation.
Cependant, il faut rappeler que le Parlement dispose lui-même de pouvoirs qu’il n’exerce pas toujours. Monsieur Retailleau, vous avez évoqué le « carton jaune ». Vous devez également savoir que le Parlement peut parfaitement se saisir des projets de directives européennes et juger si ces directives sont conformes au principe de subsidiarité. Le Parlement a donc un certain nombre de pouvoirs et de droits qu’il doit pouvoir utiliser.
J’ai également entendu dans l’intervention de M. Raffarin, comme dans celles d’un certain nombre d’orateurs sur les travées de gauche, du centre et de droite, que l’on ne peut pas faire de l’Europe le bouc émissaire de toutes les décisions que nous prenons. Lorsqu’une décision est impopulaire, il est facile de dire que c’est l’Europe qui nous l’impose ! Monsieur Pierre Laurent, ce n’est pas l’Europe qui exige de nous d’engager telle ou telle réforme. C’est la France ! Chaque pays décide souverainement de légiférer sur son droit du travail §ou de réformer son régime de retraite. N’allons pas chercher les responsabilités là où elles ne sont pas et assumons nos propres responsabilités ! Cela n’empêche pas que le débat démocratique ait ensuite lieu au sein de nos instances, au Parlement et dans la société française.
En tenant un tel discours, le danger est de faire endosser à l’Europe toute la responsabilité des problèmes que les Français connaissent. Cela fait progresser l’euroscepticisme et, à mon avis, ce n’est pas rendre service à l’Europe.
M. Philippe Bonnecarrère applaudit.
Au-delà de ce sentiment que je tenais à vous livrer, deux questions essentielles restent en suspens.
Première question, comment allons-nous gérer la situation de crise dans laquelle nous nous trouvons après le vote du peuple britannique ? Que faire et que doit faire l’Europe ? Plus l’incertitude demeurera, plus la confusion s’installera et plus le peuple britannique, comme l’ensemble des peuples européens, sera pénalisé. Nous en observons déjà les conséquences financières. Certains parlent au contraire d’aubaine, mais qu’ils attendent avant d’affirmer une telle chose !
M. Henri de Raincourt opine.
Quelles seront les conséquences de ce vote pour la croissance, non seulement en Grande-Bretagne, mais aussi en France et en Europe ? L’ensemble des échanges que j’ai eus depuis vendredi matin me laissent penser que tout le monde est angoissé à cette idée et garde à l’esprit que les vingt-sept pays qui auront à discuter et à négocier avec la Grande-Bretagne doivent rester unis pour garder l’essentiel. Il faudra y veiller.
Il est important que les États mènent des concertations, en particulier la France et l’Allemagne, même si ce n’est pas exclusif. Cependant, il faut aussi veiller à préserver l’unité des vingt-sept pays européens, car celle-ci pourrait être fragilisée. Laisser durer les choses avec la Grande-Bretagne après le référendum de jeudi, comme certains le préconisent, c’est prendre une lourde responsabilité et prendre un risque en matière financière, économique et politique, tant pour l’Europe en tant que projet et en tant qu’avenir, que pour la Grande-Bretagne elle-même.
Il est vrai que l’on ne peut pas rester indifférent au débat public qui se déroule actuellement en Grande-Bretagne. Ce n’est pas faire preuve d’ingérence, c’est simplement faire deux constats.
(M. Robert del Picchia opine.) Les responsables ont donc pris la très lourde responsabilité de mettre non seulement le Royaume-Uni dans la difficulté, mais aussi l’Europe !
Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.
En premier lieu, le référendum n’a été organisé que dans le but de régler un problème interne à une formation politique. §
Le vote a eu lieu, il ne s’agit pas de le contester. Certains, ici ou là, proposent de revoter. On a déjà assisté à cela par le passé, mais ce serait insultant pour les peuples, pour la démocratie. La position de l’Union européenne et donc la nôtre doit être de respecter le vote populaire britannique. De leur côté, les Britanniques doivent respecter ce que nous sommes et ce que nous voulons bâtir ensemble. Plus vite l’article 50 – qui ne règle pas tout, mais constitue le seul cadre légal auquel nous pouvons nous référer – aura été mis en œuvre, mieux ce sera, dans l’intérêt de tous !
Il ne s’agit pas de punir le Royaume-Uni. Pourquoi parler de punir, monsieur Pierre Laurent ? Le peuple a décidé : il s’agit d’assumer et de respecter sa volonté, c’est-à-dire la sortie de l’Union européenne.
Une fois l’article 50 invoqué, il faudra organiser la sortie du Royaume-Uni de manière maîtrisée, responsable, sérieuse et honnête, car ce pays deviendra, en effet, un pays tiers. Cela étant, il reste à l’Union européenne et à ce pays tiers à construire des relations économiques, commerciales et financières, et ce avec des règles qui ne sont pas les mêmes que pour un pays membre ! La question de la libre circulation des personnes était justement au cœur des arguments soulevés par les partisans du Brexit. Il faut donc bien aller jusqu’au bout de la logique et vite !
En second lieu, je suis surpris de l’attitude manifestée par certains des dirigeants qui ont animé la campagne du Brexit : ils n’ont rien prévu, rien proposé, rien préparé, tout en prenant le risque d’entraîner le peuple britannique en dehors de l’Europe. Ils ont également affirmé des choses inexactes.
Je pense notamment à ce dirigeant d’un parti nationaliste et populiste, dont on trouve l’équivalent en France, M. Farage, …
… qui a avoué avoir menti au lendemain de l’élection. En effet, après avoir promis aux électeurs britanniques que la sortie de l’Union européenne permettrait au Royaume-Uni de ne plus payer sa cotisation et de réinvestir cet argent dans les hôpitaux, il a annoncé que ce qu’il avait dit n’était pas tout à fait exact. Face à des électeurs restés groggy, il a déclaré que le Royaume-Uni serait tout de même redevable d’une certaine somme en raison de l’accord qui sera immanquablement conclu avec l’Union européenne. Le montant de cet engagement financier est justement l’objet de la négociation à venir. Mais, en tout cas, ce que M. Farage a dit était faux et les électeurs ont été trompés !
Quoi qu’il en soit, le résultat du vote est là. Il faut aller jusqu’au bout de la logique et le faire de façon responsable et respectueuse. Cela souligne toute l’importance de la décision qui sera prise lors du Conseil européen qui se tiendra demain et après-demain et qui nécessitera la cohésion, la solidarité et le respect entre les vingt-sept pays de l’Union européenne.
Seconde question, que vous avez été presque unanimes à poser : quel sera l’avenir de l’Union européenne ? Je ne reprendrai pas vos arguments, je les ai moi-même présentés dans mon intervention liminaire.
Qu’allons-nous devenir dans ce nouveau monde dans lequel nous sommes entrés depuis déjà longtemps, qui dessine des changements de plus en plus profonds, qui trouble, et inquiète les peuples, ce monde d’une nouvelle donne globalisée, où les modèles de société et les modes de vie peuvent être mis en péril ? Que vont devenir nos emplois ? Quel avenir pour la jeunesse, nos modèles sociaux, notre culture ? C’est tout cela qui est en jeu et angoisse les peuples !
Pour autant, de grandes puissances et de grandes forces s’organisent : la Chine, l’Inde, les États-Unis qui demeurent la première puissance mondiale, la Russie aussi, qui veut redevenir cette puissance, l’Afrique qui avant de devenir une grande puissance reste confrontée au défi de sa sécurité et de son développement.
Qui peut répondre à toutes ces questions ? Qui peut faire partager aux peuples européens la conviction qu’ils auront un avenir dans ce monde globalisé et incertain ? Qui leur garantira la sécurité à l’intérieur des frontières européennes comme à l’extérieur de celles-ci et qui protégera leur mode de vie ?
Si nous voulons laisser tomber les peuples européens, alors nous pouvons soutenir le principe d’un retour aux frontières et aux seules nations ; mais si nous voulons les défendre et les entraîner avec nous, alors il nous faudra revenir à l’esprit des pères fondateurs ! Il faut, plutôt que de le dénigrer, se servir de tout ce qui a été réalisé depuis soixante ans – nous commémorerons, l’année prochaine, la fondation de la Communauté économique européenne –, en faire un levier pour retrouver la source, le sens et la force.
Voilà ce que nous avons à faire, maintenant, ensemble, et c’est une démarche qui se prépare, non qui s’improvise à coup de slogans !
Tels sont les propos que je voulais partager avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs. Le travail concernant les deux sujets que j’ai évoqués ne fait que commencer ; tâchons de le mener en responsabilité !
Plus nous agirons de façon responsable et sincère, et plus nous serons respectés par les citoyennes et les citoyens européens, qui, aujourd'hui, sont inquiets et angoissés.
Hier, comme je l’ai déjà dit, j’ai rencontré les représentants des pays du groupe de Visegrád. Parmi eux, se trouvait le ministre des affaires étrangères de Slovaquie, pays qui prendra, vendredi prochain, le 1er juillet, la présidence de l’Union européenne pour six mois. Je puis vous dire que ses propos étaient graves, car il mesure que quelque chose d’essentiel va se jouer et ressent déjà le poids sur ses épaules.
Pour autant, je me suis rendu compte, lors de ma visite à Varsovie, qu’en dépit de nos différences et de nos divergences, il est un point qui nous réunit, et qu’il faut sans cesse rappeler.
La déclaration de 1950 de Robert Schuman – que je croise chaque jour, car son portrait est accroché au mur du salon de l’Horloge du Quai d’Orsay –, a été suivie d’un acte historique, ayant permis d’entraîner l’Allemagne dans un début de construction européenne et, ainsi, de mettre un terme définitif à la guerre : la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier.
Puis, d’autres projets ont été lancés : la Communauté européenne de défense, ou CED, qui a échoué, la conférence de Messine, en effet, et, enfin, le traité de Rome, Jacques Mézard ayant cité, à raison, Maurice Faure.
Mais il y a aussi eu cette étape extraordinaire, que les peuples concernés n’oublient pas : c’est l’Europe qui a permis, à l’Espagne, de sortir du franquisme, au Portugal, de sortir de la dictature de Salazar et, aux Grecs, de sortir de la dictature des colonels.
Applaudissements nourris sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.
Ensuite, après la chute du mur de Berlin et la réunification de l’Allemagne, elle a accueilli tous ces pays qui, pendant si longtemps, avaient connu le joug de la dictature soviétique.
M. Francis Delattre s’exclame.
Qu’ils soient d’Europe centrale ou de l’Est, ces pays, en dépit des positions critiquables qu’ils adoptent parfois, voient aujourd'hui dans l’Union européenne un territoire de liberté, de démocratie et de paix. Notre responsabilité est de construire, avec eux, la suite de l’histoire européenne. Nous le devons aux Françaises et aux Français, aux citoyennes et aux citoyens européens et, en tout premier lieu, mesdames, messieurs les sénateurs, à la jeunesse !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
Nous en avons terminé avec le débat portant sur les suites du référendum britannique et la préparation du Conseil européen.
Je remercie l’ensemble des orateurs de la qualité de leurs interventions.
J’adresse immédiatement au Président de la République, ainsi qu’à M. le Premier ministre, le compte rendu de nos débats de cet après-midi, ainsi que le rapport de notre commission des finances.
Par ailleurs, le Sénat prendra les initiatives qui lui paraîtront nécessaires, monsieur le ministre, pour contribuer à la mise en œuvre effective et sans délai de la décision de la majorité du peuple du Royaume-Uni et du renouveau de l’Europe.
L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le scrutin public solennel sur le projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s (projet n° 610, texte de la commission n° 662, rapport n° 661, tomes 1 et 2).
Avant de passer au scrutin, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps de parole attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
La parole est à M. Jean Desessard, pour le groupe écologiste.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.
Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs – que je remercie pour leur participation active et plaisante pendant ces quinze jours –, mes chers collègues, je débuterai mon propos en reconnaissant un vrai talent.
Oui, madame la ministre, vous avez ce talent d’aimer le débat politique et, pendant ces quinze jours, vous avez eu à cœur d’expliquer, d’argumenter, de chercher à convaincre ! Ce texte, comme vous aimez le dire, vous l’avez défendu à 200 % !
La pièce maîtresse de cette défense est l’idée selon laquelle la négociation au niveau de l’entreprise permettra une adaptation plus fine de son organisation aux besoins du marché, par nature variables, tout en contribuant à recréer du dialogue social de proximité.
Nous souscrivons, bien sûr, à la nécessité d’adapter la production en fonction des commandes et d’étendre la participation des salariés à la bonne marche de l’entreprise. Mais la question est la suivante : en quoi cela n’est-il pas possible aujourd’hui ? Vous avez, durant ces quinze jours, évoqué la signature de nombreux accords d’entreprise dans le cadre de la loi actuelle.
Si nous partageons cette philosophie prônant l’instauration du dialogue social à tous les niveaux – national, par branche ou par entreprise –, nous ne pensons pas que le projet de loi Travail, tel que vous nous le présentez aujourd’hui, dans le contexte économique actuel, et compte tenu du climat qu’il a créé, garantisse un progrès social pour les salariés. Nous ne pensons pas non plus que son adoption permettra de créer des emplois et d’enrayer la précarisation croissante du salariat.
Effectivement, un certain nombre d’entrepreneurs peuvent utiliser l’article 2 à bon escient et gérer, dans le cadre d’accords d’entreprise, un bon équilibre entre le développement économique et le respect des conditions de travail des salariés.
Mais dans certaines entreprises à faible organisation syndicale, des patrons, à la recherche du profit maximal, installeront les conditions les plus dures pour les salariés, lesquelles pourraient, dans le cadre d’une forte concurrence, devenir la norme.
C’est ce que nous appelons le « moins-disant social ». En répondant à la compétition internationale aiguë sur le terrain de l’aménagement des salaires et des conditions de travail, on s’engage assurément sur le chemin de la régression des avancées sociales.
D’ailleurs, la droite sénatoriale assume ce choix et, bien sûr, pousse la logique jusqu’au bout. D’après elle, pour demeurer compétitif dans une économie mondialisée, et non régulée, il faut faire sauter le verrou des 35 heures, donner davantage de pouvoir au chef d’entreprise en restreignant, dans un premier temps, puis en supprimant toutes les contraintes sociales.
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
Vous comprendrez, mes chers collègues, que ce n’est pas la dynamique que nous souhaitons suivre. Pour créer des emplois, nous croyons au partage du travail
Sourires sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
… et non à l’idée qu’il faudrait travailler plus pour rester compétitifs face à ceux qui travaillent déjà plus !
Pour atteindre un tel objectif, les accords de branche doivent, selon nous, être vivifiés et élargis à l’échelle européenne. Les conventions internationales ne doivent pas se fonder sur la libre circulation des capitaux et des marchandises : elles doivent, au contraire, être établies selon un principe de respect des droits sociaux et selon des règles fiscales communes. Vous me permettrez également d’évoquer des clauses environnementales, même si ce n’est pas l’objet du débat de ce jour.
Madame la ministre, vous nous avez assuré que vous aviez prévu des garanties pour les salariés. Comme j’ai eu l’occasion de le mentionner lors du débat, il s’agit de quelques garde-fous, vous permettant de ne pas aller aussi loin que la droite sénatoriale. Mais êtes-vous sûre que ces dispositifs seront maintenus en cas d’alternance politique ?
N’avez-vous pas pris le risque de l’isolement politique avec le 49.3 §et de la division syndicale en voulant, à tout prix, faire céder une partie importante du mouvement syndical ?
Quel intérêt y a-t-il à imposer une loi contre une partie de la gauche, pour la remettre, clés en main, à une possible alternance politique, qui ne manquerait pas de la durcir vers davantage de flexibilité ?
Vous aurez ainsi affaibli le mouvement syndical pour une loi qui ne durera que le temps d’une campagne présidentielle !
Comme je l’ai répété au cours des derniers jours, l’alternative est claire : soit on se lance dans la dynamique de la flexibilité, sans véritables contreparties, et on n’en connaît pas le terme ; soit on considère que le modèle social français vaut la peine d’être maintenu, aménagé et élargi au niveau européen, vers des conventions internationales de coopération.
La mise en œuvre d’une loi Travail dans un objectif de dialogue social méritait une concertation accrue, un consensus avec le monde syndical.
Néanmoins, le texte initial comprenait un certain nombre d’avancées – et là je m’adresse plus particulièrement à cette partie de l’hémicycle
L’orateur se tourne vers les travées de la droite.
La majorité sénatoriale a par ailleurs procédé à l’assouplissement des critères du licenciement pour motif économique et réintroduit le plafonnement des indemnités prud’homales. Ces deux points suscitent notre désapprobation, et celle d’une majorité des syndicats.
Ainsi, le projet de loi considéré comme adopté grâce au 49.3 à l’Assemblée nationale est devenu, au Sénat, un texte caricatural quant à la prise en compte des droits des salariés.
En conséquence, le groupe écologiste votera contre ce texte issu des travaux de notre assemblée.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – MM. Alain Néri, Jean-Pierre Godefroy et Dominique Watrin applaudissent également. – Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, depuis deux mois, la vie des Français est pourrie par la collusion entre des casseurs gauchistes et un syndicat qui en est encore à la lutte des classes !
Rires sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Brigitte Gonthier-Maurin rit également.
L’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy a eu parfaitement raison de dénoncer ce qu’il appelle la « chienlit » créée par la CGT et les extrémistes de tout poil. Il a également eu raison de souligner que l’on ne peut plus accepter que 7 % de grévistes, à Air France ou à la SNCF, parviennent à paralyser le trafic et à nuire à l’ensemble de la Nation.
Compte tenu des menaces d’attentats islamistes, la police a quand même mieux à faire que de surveiller des manifestations truffées de casseurs !
Quant à l’image que cela donne de la France, je préfère ne pas en parler.
Cette réforme du code du travail est l’une des très rares lois qui, depuis 2012, vont dans le bon sens. Même si elle a été vidée d’une grande partie de son contenu, elle montre que nos dirigeants actuels commencent à prendre conscience de certaines réalités économiques incontournables.
C’est pourquoi je regrette qu’au sein de la droite parlementaire, on n’ait pas soutenu plus clairement le Gouvernement face à un syndicat fossilisé dans l’archaïsme. §En démocratie, c’est le Parlement qui vote la loi. Il est donc intolérable qu’un syndicat ne représentant qu’une infime proportion de salariés veuille faire la loi à notre place !
En fait, l’exercice du droit de grève devrait être adapté au monde moderne, car nous ne sommes plus au XIXe siècle. On ne peut plus accepter que la vie du pays soit paralysée…
… par une minorité agissante, qui bloque les services publics ou quelques secteurs clés.
C’est d’autant plus vrai que les grévistes les plus virulents ne sont absolument pas les salariés les plus malheureux. Ainsi, à la SNCF ou à EDF, le statut du personnel est tout de même plutôt avantageux. Quant aux contrôleurs aériens, au personnel des raffineries et aux pilotes d’Air France, ce sont des super-privilégiés, qui abusent sans scrupule d’une situation exorbitante.
Une réforme du droit de grève est donc indispensable pour élargir le principe du service minimum et éviter que certains individus contrôlant tel ou tel secteur clé de l’économie ne profitent de la situation au détriment de l’intérêt général.
Le projet de loi que nous avons examiné aura eu l’intérêt de mettre en évidence les abus de certains syndicats, qui, je le répète, sont fossilisés dans le passé. Mais il va un peu dans le bon sens et, une fois n’est pas coutume, je le voterai, bien sûr avec les nettes améliorations apportées par le Sénat.
M. Gérard Cornu applaudit.
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, pour le groupe du Rassemblement démocratique social et européen.
Applaudissements sur les travées du RDSE.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après dix jours de débat, nous arrivons au terme de l’examen de ce projet de loi, qui, depuis des mois, focalise toutes les attentions dans un climat manquant par trop de sérénité, un climat que l’on peut qualifier de délétère. Aussi – je réitère là l’interrogation que j’ai formulée lors de la discussion générale –, était-il opportun de présenter ce texte en fin de quinquennat ? Une telle réforme, concernant tous les actifs dans ce pays, de même que ceux qui ont vocation à le devenir, ne méritait-elle pas un débat plus serein et moins orienté par des arrière-pensées politiques, syndicales, voire électoralistes ?
Avec l’ensemble de mes collègues du RDSE, et particulièrement ceux qui se sont relayés en séance au cours de la discussion des amendements, nous tenons toutefois à saluer la qualité des débats. Malgré des divergences certaines, et assumées sur les différentes travées, ceux-ci ont permis à chacun d’exprimer ses positions et ses convictions, toujours dans le respect, l’écoute et l’échange.
Nous nous félicitons surtout du fait que le débat ait pu avoir lieu dans notre Haute Assemblée. C’est, une nouvelle fois, un signal fort adressé à tous ceux qui souhaitent remettre en cause le bicamérisme. Tant qu’il y aura un article 49, alinéa 3, dans la Constitution, le Sénat sera bien le garant de la tenue d’un débat démocratique et transparent
Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel et M. Gérard Roche applaudissent également.
Si le Sénat a permis de sortir des caricatures et des raccourcis médiatiques, alors ses travaux, en commission comme en séance publique, auront fait œuvre utile !
Car qu’entend-on à l’extérieur ? Ceux qui sont hostiles à ce projet de loi dénoncent « un retour au XIXe siècle », un texte qui faciliterait les licenciements, permettrait de contourner la loi dans les entreprises et menacerait les conditions de travail des salariés. Mais encore faut-il l’avoir véritablement lu !
M. Michel Amiel. En réalité, dès la version initiale du projet de loi, c’est une plus grande place que l’on a cherché à donner à la négociation collective, dans la continuité des réformes menées depuis les lois Auroux de 1982.
Mme Éliane Assassi s’exclame.
Le 13 mai 1982, devant les députés, Jean Auroux ne parlait-il pas déjà de « textes ouvrant, par la négociation et le contrat, des dynamismes et des souplesses qui répondront aussi bien à des contraintes économiques ou technologiques qu’à des aspirations sociales nouvelles et diverses » ? Ce sont ces textes qui ont permis aux accords collectifs de déroger à la loi, et ce fut un progrès, une avancée sociale ! Aujourd'hui, il ne vient à personne l’idée de revenir sur de tels acquis !
La présente réforme s’inscrit dans ce prolongement.
Dans le contexte économique dégradé que nous connaissons, marqué par un taux de chômage structurel qui reste à un niveau très élevé et par un taux de recours aux CDD particulièrement important, il apparaît nécessaire d’assouplir le droit du travail et de l’adapter à la réalité du temps présent.
Aussi le groupe du RDSE partage-t-il avec le Gouvernement la même volonté de tenir compte du réel et d’oublier les dogmatismes ou les idéologies pour faire preuve d’efficacité, une efficacité guidée par le seul pragmatisme, voire le bon sens, pour faire reculer durablement le chômage.
Pour autant, mes chers collègues, le texte tel qu’il résulte de nos travaux n’est pas pleinement satisfaisant.
Suivant l’avis de ses rapporteurs, le Sénat a refusé, après un long débat, de porter à 50 % le seuil de représentativité nécessaire à la conclusion d’un accord d’entreprise, alors que cette disposition renforçait le dialogue social au sein des entreprises et garantissait la légitimité des accords d’entreprise et des organisations syndicales.
Il a dénaturé l’article 11 en mettant en place un régime juridique unique pour les accords de préservation ou de développement de l’emploi.
Il a supprimé, hélas, la généralisation de la garantie jeunes, mesure qui s’adressait à des jeunes en grande difficulté, vulnérables sur le marché du travail et confrontés à un risque de marginalisation sociale.
Il a substitué au droit pour les entreprises d’avoir, de la part de l’administration, une information précise, transmise dans un délai raisonnable, une sorte de rescrit social qui permettra aux employeurs de rendre opposable la réponse de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, la DIRECCTE, à toute administration.
Il a enfin limité au territoire national le périmètre permettant d’apprécier la situation économique d’une entreprise et a choisi d’encadrer les barèmes prud’homaux.
Bien sûr, nous sommes nombreux au RDSE à déplorer ces orientations souhaitées par la majorité sénatoriale, même si, dans le même temps, nous nous félicitons de l’adoption de plusieurs de nos amendements sur différents sujets.
Je pense, bien sûr, à l’amendement, défendu par notre collègue Françoise Laborde, tendant à inscrire dans le règlement intérieur le principe de neutralité, auquel tout le groupe du RDSE est fortement attaché.
Nous avons également permis d’étendre le bénéfice du congé au cas de décès du concubin et de porter la durée de deux à trois jours pour le décès des proches.
La Haute Assemblée a par ailleurs accepté, comme nous le demandions, de rétablir l’article 39 bis, ouvrant ainsi la possibilité de conclure des contrats de travail intermittent pour l’emploi de saisonniers.
S’agissant de la médecine du travail – je le répète une fois de plus –, nous ne pouvons pas engager une véritable réforme au détour d’un texte uniquement consacré au travail.
Pour autant, et malgré l’adoption de plusieurs de nos propositions, madame la ministre, mes chers collègues, la très grande majorité des sénateurs du RDSE ne peut souscrire à la plupart des orientations retenues par la Haute Assemblée durant nos débats. Nous les considérons souvent excessives et elles constituent, elles aussi, à nos yeux, un marqueur avant tout idéologique.
C’est pourquoi, à l’exception de l’un d’entre nous, nous nous prononcerons contre la version du texte élaborée par la majorité sénatoriale et soumise, dans quelques instants, au vote du Sénat.
Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe écologiste ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voici enfin parvenus au vote de ce projet de loi, si controversé dans le pays.
Ce texte, dont l’examen en première lecture s’est achevé dans la nuit de vendredi à samedi, aura marqué l’histoire de notre institution, puisque, à l’issue des deux semaines de débats, nous avons battu des records, avec 160 scrutins publics…
… – soit 16 heures de décompte –, dont 52 durant la journée du 16 juin, à l’occasion de l’examen de l’article 2.
Tout au long de la discussion, le Sénat, qui a opté pour un intitulé simplifié – retenant la formule « modernisation du droit du travail » –, a reconstruit un texte, reprenant et consolidant la logique de souplesse que l’économie actuelle réclame en matière de droit du travail.
Il y a urgence à agir, les récents chiffres du chômage nous le rappellent.
La majorité sénatoriale a donc travaillé dans une grande sérénité, avec un esprit constructif et de responsabilité, loin de tout dogmatisme. C’est tout aussi sereins que nous avons par ailleurs observé les passes d’armes entre les diverses familles de la gauche.
Mes chers collègues, le texte que nous nous apprêtons à voter est une vraie réforme, ayant pris soin de ne pas tomber dans la caricature que certains ont trop rapidement dénoncée.
Les débats, en commission des affaires sociales tout d’abord, puis ici même, en séance publique, ont montré que ce qui nous sépare, majorité et opposition sénatoriales, c’est bien une conception différente de l’entreprise et des rapports humains.
La majorité sénatoriale, j’y insiste, a souhaité travailler dans une grande sérénité, sans tenir compte des divisions déclarées d’une gauche en quête de réconciliation.
Le texte prétendument « ultralibéral » du Sénat devait montrer a contrario les vertus sociales du vôtre, mes chers collègues de l’opposition. Mais tout ce qui n’est pas de gauche n’est pas forcément ultralibéral, …
M. Alain Milon. … pour reprendre un terme qui vous est cher et qui a pour effet de jeter l’opprobre sur tout adversaire.
Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.
Oui, nous avons simplement une autre vision de l’entreprise. Pour nous, celle-ci est une source de création de richesses, et ce sont les richesses que nous voulons partager. C’est notre conception de l’égalité républicaine.
Malgré les tentatives et souhaits de quelques-uns, comme pour la révision constitutionnelle, la manœuvre n’a pas fonctionné.
Notre texte, dans une très large mesure, reprend des propositions que vous aviez formulées vous-même. Ces propositions ne sont pas devenues ultralibérales au seul prétexte que nous nous les sommes appropriées !
En examinant ce projet de loi, nous avons voulu vous proposer une vraie réforme.
Parce qu’il reste enfermé dans un carcan juridique décourageant l’embauche, notre pays prend chaque jour du retard.
L’avant-projet de loi, inspiré du rapport Combrexelle, montrait que le Gouvernement, madame la ministre, avait aussi intégré les réponses à donner. Vous avez voulu tenter une incursion socio-libérale, mais beaucoup de vos « amis » n’y sont manifestement pas prêts. Pourtant la France a besoin de réformes !
M. Jean-Pierre Raffarin opine.
En quelques mois, on a donc vu les bonnes intentions se diluer dans les affrontements internes d’une gauche conservatrice. Des mesures phares, seul reste l’article 2, qui donne des haut-le-cœur à une partie de la gauche et entretient encore le bras de fer entre le Gouvernement et la CGT.
Vous n’aurez mis qu’un pied dans le XXIe siècle et vous l’avez retiré précipitamment. Nous vous proposons d’y revenir avec nous ! Quitte à faire usage du 49.3, autant le faire pour une réforme ambitieuse, …
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Mes chers collègues, l’économie française a laissé passer le train de la reprise, pour n’avoir pas su prendre celui de la réforme.
Je parle d’une réforme nécessaire, mais aussi d’une réforme cohérente.
Oui, certaines mesures figurant dans votre projet méritent, selon nous, d’être maintenues. Nous les avons donc conservées : durée maximale quotidienne de travail portée à 12 heures, au lieu de 10 actuellement, en cas d’activité accrue ou pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise ; réforme de la médecine du travail ; possibilité de passer à une moyenne hebdomadaire de travail de 46 heures, au lieu de 44, sur 12 semaines.
À cela, s’ajoute la mesure phare du projet de loi, sans doute la plus emblématique : l’article 2 et le principe d’inversion de la hiérarchie des normes, avec primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche.
Mais, parce que cela nous semblait essentiel, nous avons aussi rétabli le plafonnement des dommages et intérêts accordés aux prud’hommes en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;…
… la prise en compte du périmètre national en matière de licenciement économique ; la possibilité pour l’employeur de fixer les forfaits en heures ou en jours sans passer par un accord collectif, dans les entreprises de moins de cinquante salariés ; l’augmentation de la durée maximale de travail de l’apprenti à 40 heures hebdomadaires ; la clôture du compte personnel d’activité au moment de la retraite de son titulaire ; enfin, la possibilité de déroger au repos quotidien de 11 heures, qui a été supprimée par nos collègues députés.
Mes chers collègues, nous sommes nombreux ici à penser que les reculs du Gouvernement ont conduit à l’adoption de mesures qui sont susceptibles de dénaturer l’esprit du texte, voire de conduire à l’inverse de l’objectif de simplification annoncé.
Vous êtes partis d’une ambition réformatrice pour arriver à un texte qui, sur bien des points, alourdirait le droit du travail. C’est un comble !
Voilà pourquoi il a été décidé, par la majorité sénatoriale, de supprimer le compte d’engagement citoyen, …
… de supprimer la généralisation de la garantie jeunes, d’aménager le dispositif sur les « accords offensifs », de simplifier le compte pénibilité, …
… de supprimer la représentativité syndicale dans les réseaux de franchisés, de conditionner l’augmentation de 20 % des heures de délégation des délégués syndicaux, d’améliorer le dispositif prévu pour les licenciements économiques, de rendre facultatif le mandatement syndical pour les TPE-PME.
Parallèlement, nous avons amélioré le texte par un rehaussement des seuils sociaux, la création d’un contrat de mission, l’assouplissement du recours au CDD, la possibilité de transformer en rémunération une semaine de RTT ou de congés, la fin des 35 heures en privilégiant la négociation, la suppression des commissions paritaires régionales interprofessionnelles, la mise en place d’un rescrit en matière de droit du travail, la création de mesures en faveur des personnes handicapées, pour mieux les intégrer dans le monde du travail.
Enfin, nous avons tenu à ajouter deux séries de mesures phares : un dispositif complet de développement de l’apprentissage…
… et la baisse du forfait social pour l’intéressement et la participation, afin de renforcer le pouvoir d’achat des salariés.
L’avant-projet de loi témoignait du fait que vous aviez pris conscience de la situation et que vous saviez où étaient les clés du problème. Malheureusement, le texte initial a heurté une partie de la gauche, qui ne s’attendait pas à un tel revirement de votre part.
En vérité, ces divergences de vues, parfois profondes, tiennent au fait que nous avons deux conceptions diamétralement opposées de l’entreprise et, sans doute, des rapports sociaux.
Il faut partir de la base, et non de la superstructure, une base qui correspond aux nouvelles formes de management, où la hiérarchie est de plus en plus horizontale et de moins en moins verticale. Nous sommes convaincus que les rapports de confiance favorisent la performance et le développement des entreprises, que c’est la richesse qui permet le partage. Et cette richesse, nous proposons de la partager : c’est tout le sens des amendements que nous avons votés sur la participation et l’intéressement.
Mes chers collègues, je conclurai en faisant nôtre cette phrase de Voltaire : « Les progrès de la raison sont lents, les racines des préjugés sont profondes ».
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour le groupe UDI-UC.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, la commission des affaires sociales du Sénat a tenté de redonner une véritable ambition réformatrice à cette loi de modernisation du droit du travail, ainsi que nous l’avons intitulée modestement, que le Premier ministre lui-même voulait à l’automne dernier révolutionnaire.
Après un parcours mouvementé, voire chaotique, une contestation populaire en grande partie imputable à une concertation insuffisante et à une pédagogie défaillante, la sérénité du débat sénatorial – à laquelle, madame la ministre, par votre capacité d’écoute, vous n’êtes pas étrangère – nous a permis de trouver, entre l’idéal et le possible, le chemin du pragmatisme.
Avec le président de la commission des affaires sociales, Alain Milon, et mes collègues rapporteurs, Jean-Baptiste Lemoyne et Michel Forissier, nous n’avons jamais oublié que l’objectif était bien de permettre à notre économie, à nos entreprises et aux relations sociales qui s’y développent de s’adapter pour les mettre en situation de produire plus de richesses et de créer plus d’emplois dans un contexte plus exigeant de compétition internationale.
Préserver l’emploi de ceux qui en ont un et, surtout, permettre aux millions de chômeurs d’accéder à l’emploi passe obligatoirement par une économie performante, car les approches sociales et économiques sont indissociables. Pour atteindre ces objectifs, la commission des affaires sociales et la majorité sénatoriale se sont appuyées sur une ligne directrice caractérisée par quatre principes élémentaires : la simplicité, la souplesse, la réactivité et l’efficacité.
La simplicité s’est traduite par la suppression de certains dispositifs inutiles ou inopérants, voire nocifs, par l’élimination de rapports et expérimentations trop nombreux, ou de mesures insuffisamment abouties ou n’ayant fait l’objet que d’une concertation sommaire.
Il en est ainsi, par exemple, de l’article sur l’ébauche de responsabilité sociale des plateformes de mise en relation par voie électronique, de l’instauration d’instances de dialogue social dans les réseaux de franchise ou encore du compte d’engagement citoyen.
La souplesse se manifeste en particulier à l’article 2, où nous partageons l’optique adoptée par le Gouvernement de favoriser un dialogue direct au niveau de l’entreprise. Nous avons élargi le champ des libertés dans la fixation du temps de travail hebdomadaire de référence ou encore dans les modalités de négociation au sein des entreprises.
Dans ces domaines très controversés de la négociation sociale, il ne faut pas opposer accords d’entreprise et accords de branche. Si les premiers ont la primauté, les seconds, par leur caractère supplétif, s’appliqueront probablement au plus grand nombre dans la catégorie des PME et TPE. À moins bien sûr que les partenaires sociaux ne s’emparent du dispositif intermédiaire particulièrement pertinent proposé par le Gouvernement qu’est celui des accords types de branche.
La réactivité découle naturellement de la simplicité et de la souplesse, mais aussi de la réduction des délais de mise en œuvre, de recours ou de jugement que nous avons introduite dans cette loi. À cet égard, l’article sur le rescrit social élaboré par la délégation aux entreprises du Sénat constitue un apport innovant permettant de sécuriser les initiatives et les projets – pour reprendre les propos du Conseil d’État – dans le cadre de relations sociales plus apaisées.
L’efficacité consiste à vérifier que les textes ne sont pas seulement intellectuellement satisfaisants, mais qu’ils répondent aussi aux attentes des partenaires sociaux et sont concrètement applicables dans la vie des entreprises.
Pour certains commentateurs, les caractéristiques de la version sénatoriale auraient été de durcir, de libéraliser – trop pour certains, pas assez pour d’autres – le texte d’origine. Ces appréciations ne sont pas fondées, car relevant de la caricature ou d’une approche idéologique qui n’est pas celle du groupe UDI-UC, ni celle de la majorité sénatoriale. Nous avons recherché des équilibres qui prennent effectivement en compte aussi bien les intérêts des salariés que ceux des entreprises.
Ainsi, dans la définition des licenciements économiques et de la notion d’entreprise en difficulté, nous avons introduit plus d’objectivité afin de sécuriser – pour les salariés comme pour les entreprises – un processus qui vise au final à diminuer le nombre de contentieux.
En ce qui concerne la médecine du travail, nous avons conforté le principe de base de la visite d’embauche, réaffirmé la responsabilité des médecins dans les modalités de suivi des salariés, préconisé la suppression des visites redondantes et incité à une réforme de la formation des médecins du travail afin de rendre cette spécialité plus attractive.
Par des dispositions incitatives, nous avons souhaité accroître l’intéressement des salariés aux résultats des entreprises, en particulier dans les PME et les TPE. Si les entreprises obtiennent de meilleurs résultats, il est naturel qu’elles les partagent avec les salariés.
Différentes mesures ont également été introduites pour promouvoir l’apprentissage, cher à notre collègue Michel Forissier, et faciliter l’insertion des travailleurs handicapés dans les entreprises.
Enfin, nous avons approuvé et renforcé le dispositif de lutte contre le détachement illégal des travailleurs.
L’enrichissement de ce texte par la majorité sénatoriale, et en particulier le groupe UDI-UC – je salue notamment les contributions de mes collègues Annick Billon, Jean-Marie Vanlerenberghe et Olivier Cadic, mais aussi, pour le groupe Les Républicains, Catherine Deroche, Élisabeth Lamure et Pascale Gruny –, cet enrichissement, donc, relève à la fois d’une démarche volontariste et constructive.
Au nom de l’efficacité économique, qui seule peut soutenir une croissance encore bien timide, je souhaite, madame la ministre, que le Gouvernement retienne le plus grand nombre possible de propositions issues du texte du Sénat, que j’invite tous nos collègues à soutenir et à voter.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. Jean-Claude Frécon applaudit également.
La parole est à M. Dominique Watrin, pour le groupe communiste républicain et citoyen.
Après deux semaines de débats, le Sénat s’apprête à adopter un projet de « modernisation du code du travail » de la droite, qui est le frère siamois du projet de « nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises ».
Ces quinze jours de discussion ont démontré que, derrière les apparences, se faisait jour, selon les dires du rapporteur Jean-Baptiste Lemoyne, « un accord profond entre la majorité gouvernementale et la majorité sénatoriale sur la philosophie même du texte ».
Contrairement aux déclarations du Premier ministre, lors du meeting intitulé « Au secours, la droite revient ! »
M. Henri de Raincourt sourit. – M. Alain Gournac s’exclame.
Nous ne sommes en tout cas pas dupes face au jeu de rôle consistant à faire passer la droite pour le méchant qui supprime les 35 heures et le Gouvernement pour le gentil qui permet d’abaisser la sur-rémunération des heures supplémentaires à 10 %.
Nous avons bien constaté l’accord entre la droite et le Gouvernement lorsqu’il s’agit d’inverser la hiérarchie des normes et de supprimer le principe de faveur.
La meilleure preuve en est que la majorité sénatoriale n’a pas demandé la suppression de l’article 2.
Au contraire, elle a pris appui sur la nouvelle architecture du droit du travail posée dans cet article, qui consacre la primauté de l’accord d’entreprise, pour durcir encore le projet de loi sur les autres niveaux de négociations.
Tout cela était annoncé. Il n’y a guère que Mme Bricq pour croire encore sur ce texte à un clivage entre droite sénatoriale et gauche gouvernementale.
Rires sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
La réalité, malheureusement, c’est que le Gouvernement mène la gauche au désastre !
Faible avec la droite, mais ô combien virulent contre la CGT, les millions de Français qui se mobilisent depuis quatre mois contre ce projet de loi, au point d’être plus de 60 % à en demander le retrait ! Et la vérité, c’est que ce gouvernement, isolé, est aux abois, obligé d’avoir recours au 49.3 à l’Assemblée nationale, car sans majorité parlementaire, obligé de négocier avec une seule organisation syndicale, quand une majorité, avec la CGT, représentant la majorité des salariés, monsieur Masson, en demande le retrait.
Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
C’est pourquoi nous vous le redemandons solennellement, madame la ministre : suspendez votre projet de loi avant la seconde lecture devant les députés et acceptez la main tendue de la CGT et de Force ouvrière
Rires sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
Car, sur le fond, si la droite a accentué les mesures libérales de votre projet de loi en supprimant les 35 heures, en rétablissant le plafonnement des indemnités de licenciement aux prud’hommes, en relevant les seuils sociaux dans les entreprises, en supprimant la généralisation de la garantie jeunes et en autorisant à embaucher des apprentis de moins de 15 ans, y compris pour travailler la nuit, autant de mesures que nous avons combattues sans réserve, elle vous doit malheureusement d’avoir préparé les esprits à ce projet de casse sociale !
Pour s’en convaincre, il suffit d’observer la réaction du patronat, qui fait semblant d’être déçu de certaines modifications. Mais, en réalité, le MEDEF se frotte les mains à l’idée des futures possibilités offertes pour licencier plus facilement et imposer de nouveaux sacrifices aux salariés sur fond de chantage à l’emploi et de dumping social.
Le rêve du patronat européen de définir dans le code du travail les standards minima impératifs et les éléments complémentaires qui peuvent faire l’objet d’exemptions est une réalité, non seulement avec les articles 2 et 3 de votre projet de loi, mais aussi avec les articles 10, 11 et 30 en particulier.
Je veux donc saluer ici solennellement les 47 sénatrices et sénateurs qui ont voté contre la nouvelle facilitation des licenciements économiques. Il s’agit d’un vote inédit depuis 2012 dans notre Haute Assemblée.
Vous ne pourrez pas, madame la ministre, vous cacher éternellement derrière le compte personnel d’activité, pour faire avaler toujours et toujours de nouvelles pilules.
En plein Euro de football, la CGT vient de révéler que la direction générale du travail aurait demandé aux inspecteurs du travail d’éviter les contrôles durant les matches et d’être souple dans l’attribution des dérogations au repos dominical.
C’est certainement ici un avant-goût du futur code du travail que les inspectrices et inspecteurs du travail devront appliquer, un code du travail différent pour chacune entreprise, alors qu’il n’y a, par exemple, qu’un seul code de la route. Où est le principe fondamental d’égalité entre les Français, entre les salariés ?
Malgré le vote des Anglais en faveur du Brexit, vous préférez encore suivre le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, qui plaide pour le maintien de l’article 2 et considère que ce projet de loi est « un geste législatif approprié ».
Mais qui décide en France du code du travail ? Les représentants du peuple ou les ultralibéraux de Bruxelles ? On peut se le demander !
Dans ses recommandations à notre pays, adoptées le 14 juillet 2015, le Conseil européen se lamentait du fait que les accords dits « de maintien de l’emploi », permettant de baisser les salaires et d’augmenter le temps de travail dans les entreprises en difficulté, n’avaient pas « produit les résultats escomptés ». « Ce dispositif devrait être revu », poursuivait-il, avant de sommer la France d’élargir les possibilités de déroger aux accords de branche par des accords d’entreprise, de faciliter la capacité des entreprises à moduler leurs effectifs en fonction de leurs besoins, d’élargir les possibilités de déroger à la durée légale de travail de 35 heures par semaine.
Pour notre part, nous refusons ce projet régressif, car nous restons fidèles aux valeurs de la gauche. Nous voulons privilégier l’intérêt collectif de notre pays, celui aussi des petites et moyennes entreprises, qui s’inquiètent à juste titre de nouvelles pressions des donneurs d’ordre conduisant à une nouvelle fuite en avant dans le dumping social.
Citant Léon Blum, je conclurai en affirmant « notre résolution à rechercher dans des voies nouvelles les remèdes à la crise […] ».
Voilà ce qui a guidé le groupe CRC dans la présentation des 402 amendements que vous avez quasiment tous rejetés à coup de scrutins publics
M. Alain Gournac s’exclame.
Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
M. Dominique Watrin. C’est au nom de cette gauche diverse, mais intransigeante avec ses valeurs, si moderne
Rires sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour le groupe socialiste et républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la majorité sénatoriale avait annoncé qu’elle allait réécrire le texte ; la vérité est qu’elle l’a dénaturé !
Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – Oh ! sur les travées du groupe Les Républicains.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées du RDSE.) Vous considérez que le monde est binaire ! D’un côté, il y a les partageux, et de l’autre, les entrepreneurs ! Mais la réalité du monde n’est pas celle-là, et vous le savez bien !
M. Claude Malhuret s’exclame.
Pour ce faire, elle n’est pas partie de sa version 1, comme elle l’avait annoncé, mais elle est remontée très loin dans le temps. Tout y est passé : la loi de 1982, les lois de 1998 et de 2000, les lois de 2013, les lois Rebsamen et Macron de 2015. Pourquoi avez-vous fait cela ? §Tout simplement parce que cela correspond à votre vision binaire : vous nous contestez le droit et la légitimité de nous occuper de l’entreprise comme d’un collectif humain ! §
Une explication de vote, ce n’est pas une dissertation : j’argumente, à tout le moins j’essaie.
Je commence par la fin, l’intitulé nouveau que vous donnez au texte : « Projet de loi de modernisation du travail ». Si l’on juge le contenu par rapport à l’étiquette, on ne peut que constater que la modernité que vous revendiquez n’est pas synonyme de progrès.
C’est une leçon !
Certes, en plein débat des « primaires », il vous fallait montrer vos muscles
Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
… et donc faire des prises de guerre : fin de l’horaire légal de travail, doublement des seuils sociaux, voire plus de seuils du tout.
Mais étiez-vous vraiment obligés de mettre à bas le plancher des 24 heures du temps partiel ?
Oui ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
Mme Nicole Bricq. Vous ne nous donnerez plus de leçons – monsieur le président, j’ai lu l’entretien que vous avez accordé à un journal du matin dans son édition de ce jour – sur le respect du dialogue social.
Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.
Quand on sait que le travail à temps partiel concerne majoritairement les femmes, qui forment la cohorte des travailleurs pauvres, franchement, vous n’étiez pas obligés !
À cet égard, j’ai remarqué que chaque fois que les femmes ont fait des propositions – notamment celles qui émanaient de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes –, vous les avez refusées, même celles de la majorité sénatoriale.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.
Vous déclarez approuver la négociation collective au niveau de l’entreprise – le fameux article 2 –, mais cette reconnaissance du dialogue social perd toute sincérité de votre part quand, dans le même temps, vous supprimez, à l’article 10, la règle de l’accord majoritaire.
Vous ne vous arrêtez pas là puisque, pour l’appel au référendum, vous donnez un avantage très net à l’employeur. Le texte s’en trouve complètement déséquilibré.
J’essaie de comprendre : la raison profonde de ce choix, c’est votre méfiance, voire votre défiance à l’égard des organisations syndicales.
Protestations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
Méfiance quand vous refusez le mandatement d’un syndicat. Cela ne va ni dans le sens de la reconnaissance du fait syndical par le texte gouvernemental ni dans le sens de l’intérêt bien compris de l’entrepreneur, qui a toujours avantage à avoir en face de lui une organisation représentative et légitime pour négocier.
M. Jean-François Husson s’exclame.
Défiance quand vous supprimez les 20 % supplémentaires de délégations horaires données aux syndicats. Il est vrai que certains des candidats à la primaire §réclament que les représentants syndicaux soient à leur poste au moins à 50 %. Mais s’ils ont plus de responsabilités, comme leur en ont accordé la loi Rebsamen et le projet de loi de Mme El Khomri, il faut bien qu’ils aient une contrepartie pour leur formation et le temps qu’ils passeront à négocier ces accords !
Nous avons heureusement échappé à un amendement signé par le président du groupe LR visant à supprimer le monopole syndical lors des élections aux instances représentatives du personnel.
La tentative n’a pas abouti, mais qui nous dit que nous en sommes prémunis et que vous ne voudrez pas concrétiser cette proposition si vous revenez aux responsabilités ?
Mme Nicole Bricq. Tout cela mis bout à bout démontre que vous ne partagez pas les fondamentaux de ce projet de loi ; vous regardez trop dans le rétroviseur
Ah ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
Encore une fois, pour la troisième fois, vous revenez sur le droit d’information des salariés en cas de reprise de l’entreprise.
Et puisque vous êtes « modernes », on aurait espéré de vous une appétence pour l’accompagnement des travailleurs et de ceux qui veulent entrer dans la vie active dans les mutations économiques et organisationnelles qui sont à l’œuvre dans nos sociétés. Point du tout ! Vous refusez la généralisation de la garantie jeunes, qui est pourtant expérimentée dans plus de 70 départements, car vous la considérez comme une mesure d’assistance, alors qu’elle est une mesure d’accompagnement des jeunes. C’est un droit, certes, mais assorti de contreparties et d’engagements.
Sous couvert de contrepartie, vous dévitalisez le droit à la déconnexion numérique, vous refusez d’établir une responsabilité des plateformes à l’endroit des travailleurs qui ne sont ni des salariés ni des indépendants, vous supprimez le compte d’engagement citoyen inclus dans le compte personnel d’activité.
Il ne peut pas être question seulement d’activité marchande ; vous savez très bien, mais vous l’oubliez, que l’engagement citoyen dans les associations permet à notre pays de maintenir sa cohésion sociale et participe de l’action publique.
Mme la ministre veut engager une négociation auprès des partenaires sociaux sur le télétravail : vous n’en voulez pas ou bien vous la limitez au minimum. Et, très important, vous refusez la reconduction du contrat de travail du saisonnier
Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
Bref, l’innovation sociale vous fait peur §et vous considérez que les droits nouveaux sécurisant les parcours sont superflus, voire incongrus.
Cette absence de compréhension du monde qui vient et de celui dans lequel nous vivons est confondante de votre part. Nous la refusons et nous l’exprimerons par un vote négatif.
Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi désormais intitulé : « Projet de loi de modernisation du droit du travail », dans le texte de la commission, modifié.
Ce scrutin, qui sera ouvert dans quelques instants, aura lieu en salle des conférences.
Je remercie nos collègues Corinne Bouchoux, Christian Cambon et Claude Haut, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.
Je rappelle qu’une seule délégation de vote est admise par sénateur.
Je déclare le scrutin ouvert et je suspends la séance jusqu’à dix-huit heures vingt, heure à laquelle je proclamerai le résultat.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures vingt.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 404 :
Nombre de votants345Nombre de suffrages exprimés341Pour l’adoption185Contre 156Le Sénat a adopté.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. Gilbert Barbier applaudit également.
Avant de donner la parole à Mme la ministre, je tiens à remercier M. le président de la commission des affaires sociales ainsi que
MM. les rapporteurs.
La parole est à Mme la ministre.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le travail de votre Haute Assemblée, qui a consacré à ce projet de loi près de quatre-vingts heures en séance publique, même si l’on peut en effet décompter de ce temps les seize heures – durée record ! – de scrutin public, a permis un débat de fond.
Mes premiers remerciements vont bien sûr aux trois rapporteurs et au président Alain Milon pour les travaux de qualité qu’ils ont menés au sein de la commission puis de cet hémicycle.
Je crois que, fidèle à sa tradition, le Sénat a permis que le projet de loi ne soit pas caricaturé. Pour moi, il était important que l’on ait ce débat ici et que l’on puisse aller au cœur des dispositions du texte. Je remercie donc toutes celles et tous ceux, notamment chaque responsable de groupe, qui se sont emparés de celui-ci.
Il y a eu une réelle écoute, cette écoute qui, je le pense, caractérise votre assemblée. Sur des sujets aussi complexes, au-delà des divergences, il est important de pouvoir argumenter. M. Desessard a dit que j’aimais le débat politique ; je crois qu’il y avait en effet une certaine frustration à ne pas pouvoir s’expliquer complètement sur ce texte. J’ai le sentiment que nos échanges ont permis de dépasser certaines postures, voire certaines caricatures. Il me semble que c’était essentiel, même si les débats sont ici moins médiatisés, de pouvoir le faire à la vue des Français, et j’en remercie sincèrement les uns et les autres.
Il y a, bien sûr, des désaccords, que les prises de parole à l’instant ont confirmés. La qualité de l’écoute et le débat n’ont pas permis de les lever tous, mais il est sain dans une démocratie que des désaccords puissent persister.
Au fond, la question qui nous est posée au travers de ce projet de loi est d’abord celle de la lucidité du diagnostic que l’on fait de la situation de notre pays. Moi, je suis lucide, à la fois sur les qualités et le potentiel tant de nos salariés que de nos entrepreneurs et sur les qualités de notre modèle social, mais je suis aussi lucide sur les difficultés auxquelles nous sommes confrontés aujourd'hui.
Les contournements du droit du travail sont multiples. Partant de ce constat, la voie que le Gouvernement a choisie est celle du progressisme négocié et de la confiance dans les acteurs de terrain. Les accords majoritaires ne sont pas seulement des verrous. Leur force est de reposer sur un consensus suffisamment large.
J’aime le débat, j’aime argumenter. Je vous rassure cependant, je ne vais pas allonger inutilement mon intervention, mais il y a bien deux projets de société. Le texte qui a été voté à l’instant n’est pas celui dans lequel je reconnais les solutions que portait le Gouvernement pour répondre aux attentes. Il y a deux visions du dialogue social dans notre pays. Certaines des mesures que vous avez votées tendent ainsi à un monde sans syndicats. Et il y a la question de la durée légale du travail.
Ce projet de loi, je le revendique à 200 % parce que, en effet, il permet d’assurer, grâce à la négociation, la souplesse dont nous avons besoin. Mais, pour moi, il nous faut fonctionner sur deux jambes : la souplesse et la régulation. C’est ce qui est au cœur de ce texte, et c’est bien en cela qu’il y a deux projets de société, entre un statu quo dont personne, à part certains nostalgiques, ne voudrait, et une surenchère libérale, il y a la voie qui est celle que nous avons choisie : le progressisme négocié. Je suis tenace et je reste déterminée à amener ce projet de loi au bout de cette voie !
Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste et républicain se lèvent et applaudissent. – Plusieurs sénateurs du RDSE se lèvent à leur tour et applaudissent également.
Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-huit heures trente, sous la présidence de M. Thierry Foucaud.
M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur la mise en œuvre de la garantie en faveur du Crédit immobilier de France.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des finances ainsi qu’à la commission des affaires économiques.
J’informe le Sénat que la question orale n° 1454 de M. Georges Labazée est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales (proposition n° 653, texte de la commission n° 688, rapport n° 687), de la proposition de loi organique rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales des ressortissants d’un État membre de l’Union européenne autre que la France pour les élections municipales (proposition n° 654, texte de la commission n° 689, rapport n° 687) et de la proposition de loi organique rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales des Français établis hors de France (proposition n° 655, texte de la commission n° 690, rapport n° 687), adoptées par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée.
Il a été décidé que ces trois textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les trois textes sur lesquels vous êtes appelés à vous prononcer aujourd’hui portent une réforme ambitieuse et moderne de l’accès au suffrage et de la construction des listes électorales.
À l’origine de ces réformes, je veux souligner, d’une part, l’engagement du Président de la République en faveur d’une modernisation de l’accès au scrutin, avec en particulier la possibilité pour nos concitoyens de s’inscrire jusqu’à trente jours avant un scrutin, et, d’autre part, le rapport des députés Élisabeth Pochon et Jean-Luc Warsmann, remis en décembre 2014, qui a constitué la préfiguration des dispositions législatives que nous examinons aujourd’hui.
Ce rapport évalue à 3 millions le nombre d’électeurs non inscrits et à 6, 5 millions celui des mal-inscrits. Ces chiffres sont éloquents et résument à eux seuls la nécessité de moderniser notre système de gestion des listes électorales.
La majeure partie des préconisations de ce rapport ainsi que les plus ambitieuses d’entre elles sont reprises dans les propositions de loi qui sont soumises à votre examen.
Le Gouvernement a en outre sollicité au printemps 2015 le concours des inspections générales des finances, de l’administration, de l’INSEE, des affaires étrangères afin de préciser les modalités concrètes permettant de mettre en œuvre la réforme. Elles ont défini les contours d’un répertoire électoral unique, qui se trouve au cœur des textes qui vous sont présentés.
Nous avons cherché à en mesurer les implications pratiques pour les maires, qui sont les acteurs centraux du processus électoral et qui exercent dans ce champ, comme vous le savez, leurs responsabilités au nom de l’État. Mais nous avons cherché surtout à nous placer du point de vue de l’électeur, à qui cette réforme doit bénéficier en premier lieu.
Les auteurs des trois propositions de loi ont donc conduit de nombreuses auditions pour affiner le dispositif et le rendre le plus accessible possible aux citoyens, en cherchant à ce qu’il corresponde le mieux possible à leurs usages et à leurs attentes.
Les trois propositions de loi qui vous sont soumises comportent des mesures de portée différente. Je tiens à remercier le rapporteur Pierre-Yves Collombat, qui, je le sais, partage les ambitions de cette réforme.
La plus emblématique d’entre elles est sans doute celle qui permettra à nos concitoyens de s’inscrire sur une liste électorale jusqu’à trente jours avant un scrutin. Grâce à ce rapprochement entre la date butoir d’inscription et le jour du scrutin, ce dernier se déroulera avec des listes électorales plus représentatives. Surtout, nos concitoyens pourront mieux faire coïncider le cycle de mobilisation électorale et le calendrier des démarches administratives pour accéder au scrutin.
Deux autres dispositions m’apparaissent centrales, car elles favoriseront l’acte d’inscription sur ces listes électorales. Je veux parler de l’inscription d’office des personnes venant d’acquérir la nationalité française et celle des jeunes atteignant la majorité entre les deux tours d’un scrutin.
En effet, l’accès à la nationalité doit s’accompagner d’un plein accès à la citoyenneté.
De même, il n’existe aucune raison de priver de jeunes majeurs du droit de participer à une élection.
L’objectif fondamental de cette réforme est donc d’assouplir l’accès au scrutin, mais cette réforme exige en parallèle de revoir en profondeur le processus d’élaboration et de mise à jour des listes électorales. Le temps est au cœur du processus d’inscription. Or nous pouvons désormais tirer tous les bénéfices des nouvelles technologies.
C’est pourquoi l’innovation majeure portée par ces propositions de loi est la dématérialisation complète des échanges d’information entre les communes et l’INSEE.
En effet, cette dématérialisation rend possibles les inscriptions jusqu’à trente jours d’un scrutin. Sans elle, les flux de courrier qui s’échangent entre les communes et entre les communes et l’INSEE ne permettraient pas de respecter un délai aussi bref.
La dématérialisation et la création du REU, le répertoire électoral unique, régleront le problème des doubles inscriptions, autre dysfonctionnement majeur mis en évidence par le rapport des députés Élisabeth Pochon et Jean-Luc Warsmann. En effet, le système informatique que nous construirons pour agréger les listes électorales permettra de recouper les listes communales entre elles et, par conséquent, de simplifier des vérifications aujourd’hui complexes pour les communes.
En outre, cette réforme remettra le maire au cœur du dispositif. Ce seront en effet désormais les maires, et non plus des commissions administratives, qui seront compétents pour procéder aux inscriptions et aux radiations des listes électorales. Ce sont directement leurs décisions qui viendront alimenter le répertoire électoral unique, tenu par l’INSEE. Ils resteront maîtres de leur liste communale, qui sera extraite du répertoire.
À mon sens, cette place du maire au cœur du dispositif n’est toutefois pas compatible avec la proposition de votre commission consistant à prévoir qu’il siège, avec une voix consultative, au sein de la commission de contrôle. La commission de contrôle étant chargée de vérifier a posteriori la régularité des décisions qu’il aura prises et de saisir, le cas échéant, le juge d’instance, sa présence me semble impossible. Sur ce point, il y a une divergence entre le Gouvernement et M. le rapporteur.
Votre commission a par ailleurs introduit un recours administratif préalable obligatoire devant la commission de contrôle avant qu’un électeur puisse s’adresser au tribunal d’instance pour contester une décision d’inscription ou de radiation. Sur ce point également, le Gouvernement est réservé.
La commission est un organe de contrôle, sans pouvoir de rectification des erreurs, pouvoir qui n’appartient qu’au juge. Lui donner compétence pour examiner des recours dénaturerait son rôle et ajouterait inutilement un échelon dans la procédure, sans apporter de protection supplémentaire pour le citoyen, les droits de ce dernier étant de toute façon garantis in fine par le juge. Surtout, un tel recours préalable n’apparaît pas compatible avec la possibilité de s’inscrire jusqu’à trente jours avant un scrutin. Pour ces raisons, nous sommes défavorables à ce recours administratif préalable.
Enfin, les propositions de loi traitent d’un autre sujet important qui a été à la source de nombreuses difficultés lors de précédents scrutins, et notamment lors des scrutins présidentiels : celui de la double inscription pour les Français établis hors de France, qui peuvent, comme vous le savez, être inscrits à la fois sur une liste électorale consulaire et sur une liste électorale communale.
Si, par le passé, la double inscription sur deux listes électorales a pu paraître nécessaire pour des raisons pratiques, l’évolution du droit électoral en faveur de cette catégorie de Français a fait perdre sa pertinence à ce système dérogatoire. En effet, depuis la création des mandats de députés des Français de l’étranger en 2009, les Français inscrits uniquement sur une liste électorale consulaire disposent d’une représentation parlementaire complète. Auparavant, pour pouvoir exercer son droit de vote lors des élections législatives, il fallait en outre être inscrit en France, ce qui justifiait la possibilité d’être inscrit sur deux listes distinctes. Avec la création des députés des Français établis hors de France et la possibilité pour ces Français de voter pour les élections européennes, la double inscription me semble avoir perdu la totalité de sa justification.
Par ailleurs, la complexité et la mauvaise compréhension qu’elle entraîne des règles qui précisent s’ils sont autorisés pour un scrutin à voter en France ou à l’étranger a été source de difficultés, de nombreux électeurs étant persuadés de leur bon droit à voter à un endroit, alors qu’ils auraient dû voter à un autre.
Ce sujet a été abordé voilà quelques semaines au sein de cet hémicycle, à l’occasion de la discussion de la proposition de loi organique de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle. Ce texte a apporté un premier élément de réponse en prévoyant la radiation automatique des listes électorales consulaires en cas de désinscription du registre des Français de l’étranger. Cette mesure, certes, ne règle pas toutes les difficultés, mais elle élimine un problème spécialement sensible, celui des Français de l’étranger se trouvant doublement inscrits de bonne foi et qui, se désinscrivant du registre, pensent cette démarche suffisante et se trouvent dans l’impossibilité d’accéder au suffrage en France.
Il est proposé, dans un souci de simplification et de clarté qui ne peut être que bénéfique à la sincérité d’un scrutin, de revenir sur cette possibilité. Chaque électeur devra choisir entre être inscrit sur une liste consulaire ou sur une liste communale. Toutefois, je veux rassurer les électeurs inscrits hors de France : ce volet de la réforme ne sera mis en œuvre qu’après les échéances électorales, afin notamment de ne pas modifier le corps électoral à un an des prochaines échéances législatives.
De la même manière, les électeurs inscrits hors de France doivent savoir que le système n’est pas irrévocable. Chaque Français pourra à tout moment choisir de modifier sa situation électorale en fonction de sa situation personnelle, à condition de faire les démarches d’inscription nécessaires sur la liste électorale dans les trente jours précédant le scrutin.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ces propositions de loi servent ainsi un objectif démocratique de première importance. En facilitant l’inscription de nos concitoyens sur les listes électorales, en faisant en sorte que ces listes soient plus proches de la réalité du corps électoral, nous luttons contre l’abstention, qui mine notre démocratie.
Il y a là non pas seulement une question de technique électorale, mais un enjeu républicain, celui de l’exercice du suffrage par le plus grand nombre, qui doit nous rassembler largement. C’est la raison pour laquelle j’espère que vous serez très nombreux à adopter ces textes.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Jean-Claude Requier, Hervé Maurey et Yves Détraigne applaudissent également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, l’an dernier, à peu près à la même époque, nous avons examiné une proposition de loi de nos collègues de l’Assemblée nationale Élisabeth Pochon et Jean-Luc Warsmann, qui prévoyait la réouverture exceptionnelle des listes électorales au motif de la date tardive – décembre 2015 – des élections régionales. Nous avions alors préféré à cette loi de circonstance, s’ajoutant aux multiples modifications du calendrier électoral antérieures, une simple extension du bénéfice de l’article L. 30 du code électoral aux nouveaux arrivants dans la commune. Nous n’avons pas été suivis par l’Assemblée nationale qui a eu évidemment le dernier mot.
La proposition de loi, ou plutôt les propositions de loi que nous examinons aujourd’hui, là encore déposées par Élisabeth Pochon et Jean-Luc Warsmann, sont d’une tout autre nature, puisqu’il s’agit d’une réforme pérenne des modalités d’inscription sur les listes électorales, ce que nous appelions de nos vœux. D’une réforme générale, puisqu’elle concerne aussi les Français établis hors de France, les ressortissants de l’Union européenne qui votent pour les élections municipales ou européennes, et même la Nouvelle-Calédonie, même si, compte tenu du contexte, il a été jugé prudent d’y conserver le système actuel de révision des listes électorales.
Les défauts de la procédure actuelle sont connus : l’écart entre les listes communales et le fichier général des électeurs de l’INSEE dépasse souvent 10 %, et parfois atteint même 30 %, ce qui est considérable. Certes, il existe des doubles inscriptions ; on hésite d’autant plus à rayer un électeur que son maintien sur la liste n’a aucune influence sur le résultat final. Mais les erreurs d’état civil et d’adressage sont aussi nombreuses.
Surtout, les modalités d’inscription sur les listes électorales ne sont plus adaptées à une société aussi mobile que la nôtre. L’inscription étant annuelle jusqu’au 31 décembre malgré l’article L. 30 du code électoral, un écart notable peut apparaître entre les inscrits et ceux qui auraient pu le faire, n’était le calendrier.
Autre source de problème et de contestation, comme on l’a constaté lors des deux dernières élections présidentielles, la possibilité pour les Français établis hors de France de s’inscrire à la fois sur une liste communale et sur une liste consulaire.
Partageant le diagnostic des auteurs de la proposition de loi, je suis aussi d’accord avec eux sur la philosophie générale de leur texte et sur l’essentiel des remèdes proposés. Les seules divergences – j’y reviendrai – portent sur les modalités d’application du dispositif.
Je vous propose d’adopter trois dispositions essentielles.
La première est la création d’un répertoire électoral unique, tenu par l’INSEE, dont les listes électorales communales et consulaires ne seraient qu’une extraction.
La deuxième est l’inscription sur les listes électorales, par le maire au lieu de la commission que l’on connaît – M. le ministre l’a rappelé –, en continu toute l’année et jusqu’à trente jours avant le scrutin le plus proche.
La troisième est la suppression de la possibilité de double inscription pour les Français établis hors de France.
Au vu des amendements déposés, des courriers reçus et de nos déplacements sur le terrain, la disposition qui inquiète le plus, c’est le délai de trente jours avant le scrutin, laissé aux communes pour la publication de la liste électorale et l’élaboration des listes d’émargements. Après quelques hésitations, je m’y suis rallié, pour deux raisons essentielles.
D’abord, un délai plus important, deux mois comme cela m’a été proposé et à l’instar de ce qui figure dans certains amendements, ôterait à l’inscription en continu l’essentiel de son intérêt. Pour les élections se déroulant la dernière quinzaine de mars, calendrier jusqu’à ce jour le plus fréquent, la plage d’inscription serait allongée seulement d’une quinzaine de jours, ce qui ne justifierait pas une nouvelle loi !
Ensuite, et surtout, sans méconnaître les difficultés du passage d’un système à l’autre – c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je vous proposerai de retarder d’un an la date de la mise en œuvre possible de la réforme –, ce temps d’adaptation passé, la nouvelle organisation devrait au contraire fluidifier le travail des services. Pour peu que les communes fassent l’effort d’inciter systématiquement les nouveaux électeurs potentiels à s’inscrire sur les listes électorales par leurs moyens de communication habituels et, mieux encore, lors des démarches en mairie que les nouveaux arrivés ne manqueront pas d’effectuer. Il devrait en être de même s’agissant de l’INSEE pour les inscrits d’office. Il y aura certes toujours des inscrits de dernière minute, mais à l’usage, l’habitude prise, le flux devrait rester gérable.
Je vous proposerai donc de retarder d’un an la date de mise en œuvre possible de la réforme, je dis bien de « mise en œuvre possible » et non de « mise en œuvre ». La date proposée du 31 décembre 2019 est une date limite qu’un décret en Conseil d’État pourra avancer s’il s’avérait que j’étais pessimiste. Mais j’en doute.
Je crains, en effet, qu’il ne suffise pas de mettre l’INSEE et les communes « sous pression », comme je l’ai entendu, pour résoudre les problèmes réels de la mise en route des réformes.
Le premier problème est la mise en concordance de la liste de l’INSEE et de celles des communes. À la différence d’aujourd’hui où des écarts entre ces listes sont certes fâcheux, mais pas rédhibitoires, quand la liste communale devient une extraction de la liste nationale, ce n’est plus le cas. Quelqu’un qui n’est pas inscrit sur la liste de l’INSEE ne pourra tout simplement pas voter. Scène au bureau de vote garantie ! Selon le témoignage de communes ayant tenté de procéder volontairement à ce toilettage, vu le nombre d’erreurs d’état civil et d’adressage, l’opération est beaucoup plus longue que prévu.
Le deuxième problème est la mise en place par l’INSEE du portail informatique permettant le transfert numérique des données et l’équipement des communes en logiciels compatibles. Quand on sait que moins de 8 % des municipalités dont la population est inférieure à 2 000 habitants envoient leurs documents à l’INSEE sous format électronique, on a tout de même un peu de souci à se faire.
Le troisième problème est la formation de 40 000 agents, ce qui ne se fera pas non plus d’un claquement de doigts.
Tout cela, c'est sans compter le problème principal, que je passe, qui est d’obtenir une qualité suffisante des liaisons internet sur l’ensemble du territoire ! Je le rappelle seulement pour mémoire car, depuis qu’on en parle, le problème finira bien un jour par être résolu !
La deuxième adaptation proposée par notre commission, c’est une profonde modification de la composition et du rôle de la commission prévue par la proposition de loi. Au risque d’être trivial, je qualifierai volontiers le dispositif initialement envisagé de véritable « usine à claques ». Je m’explique.
Non seulement le maire, qui seul inscrit et radie et donc engage sa responsabilité, y compris pénale, si son comportement est jugé frauduleux, n’est pas représenté – même à titre consultatif – dans cette commission communale de contrôle, commission composée dans certains cas uniquement d’un représentant de chaque liste élue au conseil, mais cette commission qui se réunit trente jours avant le scrutin peut contester ses décisions devant le tribunal d’instance.
Imaginez l’ambiance en pleine période électorale si l’opposition majoritaire dans la commission de contrôle – ce sera le cas dans les communes où trois listes sont représentées au conseil municipal – invoquant des irrégularités dans la composition de la liste électorale juge bon d’agrémenter sa campagne d’une saisine du tribunal ! Je ne sais pas si ceux qui s’acharnent à maintenir le système qui est proposé ont bien mesuré à quoi on va aboutir !
Les modifications proposées rétablissent l’équilibre politique au sein des commissions, maintiennent la présence d’au moins un représentant du tribunal de grande instance ou du préfet et permettront au maire de s’expliquer devant ces commissions. Seul l’électeur mécontent pourra saisir le tribunal d’instance selon les modalités initialement prévues, mais plus la commission.
En revanche, celle-ci interviendrait en amont, dans le cadre d’un recours gracieux préalable obligatoire. L’avantage serait double : d’une part, limiter le nombre de recours contentieux, la plupart des litiges renvoyant à une incompréhension du code électoral du demandeur ou à une insuffisance des preuves qu’il peut fournir ; d’autre part, éviter que le maire ne soit inquiété pour une erreur involontaire – certains amendements s’en sont fait l’écho.
Troisième disposition sur laquelle je vous propose de revenir : la réduction de cinq à deux années consécutives de la durée d’inscription au rôle des contributions directes communales exigée pour pouvoir voter en l’absence de résidence dans la commune. Le sens de cette facilité offerte à l’électeur est de lui permettre de manifester son attachement à sa « commune de cœur », pour reprendre l’expression de l’un de nos collègues de la commission des lois, alors même que les circonstances ne lui permettent plus d’y vivre. Cinq ans me semblent une bonne mesure de la constance de cet attachement.
Je vous fais grâce, mes chers collègues, des dispositions de portée plus limitée contenues dans cette proposition, car nous aurons l’occasion de les évoquer lors de la discussion des amendements.
En conclusion, je vous propose d’adopter cette proposition de loi, amendée dans un sens qui devrait en faciliter la mise en œuvre, tout particulièrement – c’est un amendement que j’ai déposé – l’engagement que la réforme ne se fera pas aux frais des communes, mais on m’a assuré que ça ne coûterait strictement rien.
Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées de l’UDI-UC. – Mmes Corinne Bouchoux et Esther Benbassa ainsi que M. Jean-Yves Leconte applaudissent également.
M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de réunion d’une commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de modernisation du droit du travail.
En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du jeudi 23 juin 2016 prennent effet.
Nous reprenons la discussion de la proposition de loi rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales, de la proposition de loi organique rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales des ressortissants d’un État membre de l’Union européenne autre que la France pour les élections municipales et de la proposition de loi organique rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales des Français établis hors de France, adoptées par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée.
M. le président. Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. Christophe-André Frassa.
M. Jackie Pierre applaudit.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il est rare que les Français de l’étranger soient directement concernés par un texte. Pourtant, en moins d’un an, il aura été débattu à plusieurs reprises dans notre hémicycle de l’inscription sur les listes électorales des Français de l’étranger.
Avant d’aborder la question de nos compatriotes vivant à l’étranger, je souhaiterais tout d’abord saluer le travail de notre rapporteur, Pierre-Yves Collombat, …
… qui, sur ces sujets, porte toujours un œil vigilant. Comme tout praticien expérimenté, il a posé le bon diagnostic et apporté les bons remèdes.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Les Républicains votera ces trois textes en discussion commune.
Ces propositions de loi ont en effet le mérite de corriger plusieurs défauts du système actuel : ceux des écarts persistants entre les listes communales et le fichier des électeurs détenu par l’INSEE, celui de l’annualité de l’inscription sur une liste, alors même que nos concitoyens ne sont plus figés dans leur commune ad vitam.
Comme vous l’avez judicieusement remarqué, monsieur le rapporteur, il ne faudrait pas que ces nouvelles modalités deviennent trop lourdes à supporter pour les communes, tant au niveau pratique qu’au niveau budgétaire.
C’est pourquoi, et nous nous en satisfaisons, les remèdes que vous nous avez prescrits dans le cadre général du texte permettront de concilier modernisation du système et non-alourdissement des procédures pour les communes.
Il s’agit d’allonger le délai de mise en œuvre de cette réforme, non pas au 31 décembre 2018 mais au 31 décembre 2019, pour donner davantage de souplesse à l’INSEE qui devra constituer le répertoire électoral unique national ainsi qu’aux communes qui devront former les agents à la maîtrise des nouveaux outils informatiques qui seront élaborés.
Vous avez également modifié l’articulation du travail du maire, responsable de l’inscription, et de la commission de contrôle des décisions d’inscription et de radiation, nouvellement créée, ainsi que la composition de celle-ci, afin de lui permettre d’exercer plus efficacement sa mission de vérification des décisions du maire.
Vous avez ramené de deux à cinq ans, comme dans le droit positif, la durée d’inscriptions sur le rôle fiscal d’une commune, permettant de renforcer l’intensité du lien avec une commune.
J’en reviens aux Français de l’étranger et à ce que vous avez nommé comme un défaut du système : le fait que les Français établis hors de France puissent être doublement inscrits.
Je ne suis toujours pas convaincu que l’inscription unique soit la panacée. Je l’avais déjà signalé en commission ; permettez-moi de le redire en séance. Contrairement à ce que certains laissent accroire, la double inscription donnait lieu à très peu de dysfonctionnements et de contentieux.
Le problème est, en fait, le manque de volonté et d’organisation du ministère des affaires étrangères pour mettre en place un système, somme toute assez simple, selon lequel les Français de l’étranger votent à l’étranger pour les scrutins nationaux – élections européennes, présidentielle, législatives, consulaires et référendums – et votent en France pour les scrutins locaux, et ce sans leur laisser le choix.
C’est une position que j’ai souvent défendue. Vous vous souvenez – je ne vous en tiendrai pas rigueur dans le cas contraire – des combats que notre ancien collègue Christian Cointat et moi-même avons menés pour que vive effectivement cette collectivité d’outre frontière, puisque nous n’avons effectivement qu’une collectivité de fait et non une collectivité territoriale de rattachement.
Il est donc nécessaire, pour nous Français de l’étranger, d’être rattachés à une commune en France, pour de nombreuses raisons que je ne développerai pas ici, faute de temps et dans la mesure où nous l’avons fait à l’occasion de l’examen d’autres textes, ne serait-ce que pour prévoir – deux choses importantes – le retour et la réinsertion en France. D’où la nécessité, pour nous Français de l’étranger, d’être inscrits dans une commune.
Je crains, en outre, que le nouveau système n’encourage un certain « tourisme électoral ». C’est en cela que le dispositif mis en place par cette proposition de loi ne me convainc pas tout à fait.
Rien n’interdira en effet à une personne inscrite sur une liste électorale à l’étranger de s’inscrire sur les listes de sa dernière commune de résidence en France, au moins trente jours avant le scrutin, comme l’ont si bien rappelé M. le ministre et M. le rapporteur, en étant désinscrite dans son ambassade d’origine, de voter dans la commune par exemple pour les élections municipales, puis de se réinscrire sur les listes de l’ambassade une fois l’élection passée.
M. Robert del Picchia opine.
Vous me rétorquerez que tous les Français de l’étranger n’auront pas l’esprit aussi facétieux, mais le fait est là : ce texte crée une sorte de petite « usine à gaz » qui peut être tout aussi aisément répliquée en France pour un Français qui a sa résidence secondaire dans la Creuse alors qu’il réside à Bordeaux.
Pour conclure, malgré ces réserves ou peut-être à cause de celles-ci – pour rester dans la facétie –, parce que nous en avons trouvé les faiblesses et que nous continuerons à les utiliser pour garder de manière différente cette double inscription, le groupe Les Républicains et moi-même voterons ces trois textes.
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions. – Mme Françoise Férat et M. Yves Détraigne applaudissent également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je me réjouis de cette proposition de loi qui s’inscrit dans le droit fil de la proposition de loi n° 141 que j’avais déposée en novembre 2015 pour améliorer les conditions d’inscription sur les listes électorales.
Force est en effet de constater que le dispositif actuel ne favorise pas la participation au scrutin.
La clôture de la révision des listes électorales intervient en effet le 31 décembre, vous le savez tous, à un moment où, même lorsque les élections ont lieu en mars, beaucoup d’électeurs n’ont pas encore en tête cette échéance.
Très souvent, lors de scrutins locaux, j’ai entendu vers les mois de janvier ou février des citoyens manifester leur volonté d’aller s’inscrire sur les listes électorales, alors que c’est trop tard. C’est encore plus vrai lorsque le scrutin a lieu plus tardivement, en mai lors de l’élection présidentielle ou en juin lors des élections législatives ou européennes.
Cette situation a d’ailleurs conduit le Gouvernement à rouvrir à titre exceptionnel, pour les élections régionales de 2015, la période d’inscription sur les listes électorales. Le Sénat, et tout particulièrement son rapporteur, Pierre-Yves Collombat, s’était montré défavorable à un tel texte de circonstance.
Ce délai explique également en grande partie qu’il y ait, selon le rapport des députés Élisabeth Pochon et Jean-Luc Warsmann, 3 millions de non-inscrits et 6, 5 millions de mal-inscrits. Il se justifiait peut-être à l’époque où la révision des listes ne devait pas être informatisée. Ce n’est évidemment plus le cas aujourd’hui.
La présente proposition de loi, comme celle que j’avais déposée en novembre dernier, offre la possibilité de s’inscrire sur les listes électorales jusqu’à trente jours avant le scrutin. C’est positif et de nature à permettre à un plus grand nombre de personnes de voter.
Au-delà, la proposition de loi permet l’inscription de personnes qui figurent sur le rôle fiscal non en leur nom propre, mais en qualité d’indivisaire, de gérant ou au travers d’une société. Cette disposition est positive, car elle permet que des personnes impliquées dans la vie de la collectivité – je pense notamment à des commerçants – puissent y voter s’ils ne sont pas habitants de la commune.
Je trouve également très positifs le fait que les enfants puissent rester électeurs dans la même commune que leurs parents jusqu’à 26 ans, le fait de renforcer le rôle du maire en matière d’inscription et de radiation, et bien sûr, la création d’un répertoire électoral unique.
En revanche, je regrette que la commission des lois soit revenue sur une disposition qui figurait dans ma proposition de loi et qui était dans le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, à savoir la réduction à deux ans du délai d’inscription au rôle des contributions pour être électeur. Je ne trouve pas logique qu’en France on puisse être plus rapidement éligible qu’électeur. Vous le savez, pour être éligible, il suffit d’être inscrit au rôle des contributions au 31 décembre précédant l’élection. Je ne vois pas pourquoi, pour être électeur, il serait nécessaire d’attendre cinq ans. Je proposerai donc, dans l’un de mes amendements, de revenir au délai de deux ans adopté par l’Assemblée nationale.
Dans le même esprit, celui de faciliter l’accès au scrutin et la possibilité de voter, je proposerai que tout nouvel arrivant dans une commune puisse s’inscrire dans le délai réduit prévu aujourd’hui uniquement si le déménagement a eu lieu pour un motif professionnel.
Je proposerai également que le décret prévu à l’article 7 et relatif à la consultation des listes électorales permette d’accéder à celles-ci dans le cadre de la recherche d’héritiers. Vous le savez, des dispositions ont été votées notamment pour favoriser la réduction du nombre de contrats d’assurance vie non réclamés. Cette mesure va dans le même sens.
En revanche, cet amendement ayant été déclaré irrecevable, je ne proposerai pas une information des jeunes lors de la journée défense et citoyenneté sur l’exercice du droit de vote et les effets d’un changement d’adresse.
Tels sont les éléments que je souhaitais vous indiquer sur cette proposition de loi dans le temps qui m’était imparti. Les membres du groupe de l’UDI-UC estiment à l’unanimité que ce texte doit être adopté, même si nous tenterons de l’améliorer au travers des amendements que nous présenterons tout à l’heure.
Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si, comme le remarque notre collègue Pierre-Yves Collombat dans son rapport, « penser endiguer la croissance de l’abstentionnisme électoral simplement en améliorant les conditions d’inscription sur les listes électorales serait un leurre coupable », nous considérons que faciliter ces inscriptions est malgré tout utile à notre démocratie.
Aussi, nous soutenons la principale disposition contenue dans ces textes visant à élargir l’ouverture des inscriptions sur les listes électorales.
En faisant disparaître le principe d’une révision annuelle au profit d’une inscription ouverte en permanence, nous faciliterons cette démarche administrative souvent jugée trop lourde par nos concitoyens. Nous faciliterons donc l’exercice du droit de vote.
En effet, combien de fois, au cours des diverses campagnes électorales que nous avons pu conduire, avons-nous rencontré des citoyens qui regrettaient, souvent trop tard, de ne pas être inscrits ou de l’être dans une commune d’origine éloignée et avec laquelle ils n’avaient plus d’attache.
Cette mesure s’avère donc très utile et favorisera sans nul doute la participation de ceux qui souhaitent voter, ce qui constitue déjà une avancée.
À nous, responsables politiques, d’intéresser ensuite, par nos propositions et nos débats, l’ensemble de nos concitoyens, pour les inciter à voter et faire alors reculer l’abstentionnisme.
Pour être franc, nous regrettons même que cette disposition ne puisse s’appliquer dès les prochaines élections. Certes, nous comprenons la nécessité de donner du temps aux services communaux et à l’INSEE pour mettre en place les outils permettant la mise en œuvre de cette nouvelle disposition. Nous comprenons même l’avis de la commission et de son rapporteur demandant un délai supplémentaire pour son application.
Cela dit, nous avons su prendre les mesures nécessaires pour faciliter les inscriptions dans le cadre des dernières élections régionales. Aussi, nous aurions pu en faire autant pour les prochaines élections présidentielle et législatives, sans pour autant mettre en œuvre l’ensemble des autres dispositions contenues dans ces propositions de loi qui sont plus d’ordre technique et découlent en fait de la mesure d’élargissement des périodes d’inscriptions que nous venons d’examiner. Ces nouvelles procédures étant plus complexes à mettre en place, leur installation nécessite un certain temps. Ainsi, la constitution d’un répertoire électoral unique tenue par l’INSEE est, nous semble-t-il, une bonne préconisation.
Cela dit, nous sommes aussi sensibles aux écarts existant actuellement entre le fichier national détenu par l’INSEE et la réalité des listes communales, qui ne sont pas le seul reflet des doubles inscriptions. Comme l’a noté M. le rapporteur au cours de ses déplacements et auditions, il est apparu que des inscrits sur les listes communales étaient inconnus par l’INSEE, ce qui, chacun en conviendra, est très problématique. En effet, il ne faudrait pas que la mise en place d’un répertoire unique se solde par la radiation d’électeurs qui se verraient alors privés de leur droit de vote.
Quant à ceux qui sont actuellement inscrits au fichier INSEE sans l’être sur les listes communales, il semble que cette situation devrait disparaître à l’avenir, puisque les listes communales seront extraites du fichier national. Le risque de perte d’inscrits dans ce sens est donc faible.
La seconde conséquence de ce répertoire national concerne bien entendu, et ce point vient d’être évoqué, nos concitoyens « Français de l’étranger ».
Ce dispositif mettra fin à leur double inscription qui n’était pas sans poser problème, et pas seulement lors des élections nationales. En effet, les dispositifs électoraux qui ont été mis en place ces dernières années concernant la représentation au Parlement des Français de l’étranger sont tels que ceux-ci sont doublement représentés au Sénat. Ils le sont en effet par les sénateurs élus par les élus locaux qu’ils ont désignés par leur vote aux élections locales, étant inscrits sur les listes électorales communales, et par les sénateurs élus représentants les « Français de l’étranger ». Pour toutes ces raisons, nous sommes satisfaits de la fin de cette double inscription dont ils pouvaient disposer.
Une autre disposition majeure de ces textes porte sur la transformation des commissions administratives électorales en commissions de contrôle. Cette proposition prend en compte à la fois l’élargissement du temps d’inscription sur les listes électorales et les pouvoirs élargis des maires qui en découlent.
Si nous soutenons l’essentiel des modifications portées par M. le rapporteur et proposées par la commission, nous resterons attentifs au fonctionnement de ces commissions de contrôle, craignant des rythmes de réunions trop espacés, et des délais restreints laissés aux citoyens pour aller devant le juge s’ils estiment leurs droits mis en cause.
Vous l’aurez compris, malgré ces quelques remarques, nous soutiendrons ces propositions de réformes en pensant tout particulièrement aux 6 millions de citoyens qui seraient mal inscrits, mais aussi bien sûr aux 3 millions de Français qui ne sont pas inscrits du tout.
Certes, avec ces dispositions nous faisons un pas qui améliorera la vie démocratique, mais cela ne réglera pas l’enjeu majeur de notre démocratie, qui voit malheureusement de plus en plus de Français exprimer leur manque de confiance dans nos institutions en s’abstenant. Cette réforme est, nous semble-t-il, de nature à favoriser une meilleure participation aux élections, tout en garantissant la sécurisation du processus électoral. C’est la raison pour laquelle nous la voterons.
Mme Corinne Bouchoux applaudit.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous pouvons tous nous satisfaire, cela a déjà été dit, du travail de fond qui a été mené à l’Assemblée nationale sur ce sujet, en particulier par les deux rapporteurs, Mme Élisabeth Pochon et M. Jean-Luc Warsmann, qui ont remis un rapport en décembre 2015 pour tenter de proposer des solutions à la « mal-inscription » sur les listes électorales.
Avec notre système actuel, les inscriptions étant finalement closes au 31 décembre de l’année précédente, au cours de l’année, ce sont progressivement 6, 5 millions de personnes qui sont mal inscrites et 3 millions qui ne sont pas inscrites. Comparés aux 26 millions de votants aux élections régionales et aux 45 millions d’inscrits sur les listes électorales, ces chiffres sont considérables et peuvent changer le résultat d’un vote. En effet, il y a des votes qui changent l’avenir et des votes qui changent la vie. Nous l’avons vu jeudi dernier en Grande-Bretagne.
Par conséquent, cet enjeu d’inscription sur les listes électorales, même s’il ne va pas tout changer, qu’il s’agisse du débat sur le vote obligatoire ou du débat sur la prise en compte du vote blanc – on peut être pour ou contre –, permettra néanmoins de faire évoluer notre démocratie, le rôle et le fonctionnement de nos élections. En l’occurrence, sur la façon de s’inscrire sur les listes électorales, se posait un problème majeur, et cette proposition de loi a pour objet de le corriger.
Le schéma général de la réforme se résume ainsi : plutôt que de clore les inscriptions sur les listes électorales au 31 décembre de l’année précédant le scrutin, enregistrons les souhaits d’inscription en permanence au cours de l’année, jusqu’à trente jours avant l’élection.
De cette transformation résulte un décalage. Auparavant, une commission administrative était tenue, une fois par an, d’enregistrer les sorties et les entrées constatées sur les listes électorales. À l’avenir, ces flux seront continus : le maire sera donc chargé de ce travail. Dès lors, la commission administrative pourra réagir au travail effectué par le maire.
Monsieur le rapporteur, vous avez veillé à confier un rôle complémentaire à cette instance : elle sera chargée de traiter les éventuels recours administratifs que la décision du maire aura suscités. Dans ce cadre, ces recours administratifs seront nécessairement préalables. En effet, il faut veiller à ne pas encombrer les tribunaux d’instance.
Ainsi, les maires ou, pour les Français de l’étranger, les chefs de poste diplomatique ou consulaire seront placés au centre du dispositif. Quant aux commissions administratives, elles conserveront une mission, mais elles ne seront plus chargées des inscriptions ou désinscriptions sur les listes électorales. Je le répète, elles seront tenues de contrôler l’action du maire, avant d’éventuels recours contentieux faisant suite à des difficultés.
Parallèlement, la mise en œuvre du répertoire électoral unique constitue une innovation significative. Aujourd’hui, les traitements informatiques permettent cette transformation. Il aurait été dommage de s’en priver.
Certains disent que les listes électorales seront, à l’avenir, contrôlées par Bercy. Non ! Au total, l’INSEE ne fera qu’enregistrer les décisions des maires. Et, quoi qu’il en soit, toute cette procédure restera placée sous le contrôle du juge.
De plus, cette réforme nous rapprochera du mode de fonctionnement choisi par de nombreux pays européens. En règle générale, les autres États d’Europe permettent une inscription relativement tardive. À cet égard, j’en suis convaincu : qu’il s’agisse des élections municipales ou des élections européennes, cette transformation permettra d’augmenter la participation. En particulier, elle ouvrira la voie à de nouvelles inscriptions de ressortissants communautaires qui souhaiteraient voter dans nos communes lors de ces deux types de scrutins.
Ce constat a été rappelé : il s’agit d’une révolution pour les Français de l’étranger. Le système en vigueur est assez difficile à comprendre. On peut même dire qu’il n’est compréhensible que par les initiés. Il laisse ouvertes trois options.
Premièrement, on peut voter simplement à l’étranger sans être inscrit dans une commune en France, au motif que l’on ne veut ou que l’on ne peut pas le faire.
Deuxièmement, on peut voter à l’étranger pour les seules élections consulaires et en France pour toutes les autres élections.
Troisièmement, on peut voter dans les consulats pour toutes les élections nationales et dans une commune de France pour les seules élections locales.
Bref, je le répète, seuls les spécialistes comprennent ce qui se passe ! Bien souvent, les électeurs eux-mêmes ignorent où ils sont inscrits. Ainsi, au cours des précédents scrutins présidentiels, de nombreux ressortissants français sont revenus dans leur commune sans pouvoir voter, car ils étaient déjà inscrits à l’étranger. En conséquence, en 2007 et en 2012, des dizaines de milliers de cas ont posé problème au Conseil constitutionnel.
Avec cette simplification, le système deviendra compréhensible pour tout le monde : on vote là où l’on vit, là où l’on a une attache, un point c’est tout. Il n’y aura qu’une seule inscription par citoyen : voilà qui clarifie les choses !
Mes chers collègues, je ne vous cache pas que, pour quelques centaines de milliers de Français de l’étranger, cette réforme posera malgré tout une difficulté : les intéressés sont attachés au système en vigueur. Mais, à cet égard, Christophe-André Frassa a bien indiqué qu’une entourloupe restait possible.
Sourires.
Dès lors que les élections consulaires et municipales n’auront pas lieu dans un intervalle de trente jours, on pourra toujours s’inscrire d’un côté, puis de l’autre.
En outre, je tiens à rendre hommage au travail mené sur ce front, depuis une quinzaine d’années, par l’Assemblée des Français de l’étranger. En effet, en quinze ans, les Français de l’étranger ont acquis le droit de voter à l’étranger pour les élections européennes, et ils ont obtenu une représentation complète à l’Assemblée nationale.
Il y a quelques années encore, les Français de l’étranger ne pouvaient pas prendre part à ces deux scrutins nationaux sans disposer d’une inscription en France.
Avant 2012, les Français qui n’étaient inscrits qu’à l’étranger ne pouvaient être représentés par un député.
À présent, grâce à des dispositions que l’Assemblée des Français de l’étranger a défendues des dizaines d’années durant, la représentation de nos concitoyens résidant hors de France est devenue complète. En conséquence, il est désormais possible de remettre en cause le principe de double inscription. Je m’en réjouis, même si cette évolution pourra faire mal au cœur à ceux des Français de l’étranger qui sont particulièrement attachés à un territoire en France.
De surcroît, je salue l’initiative de notre collègue députée Claudine Schmid. Grâce à elle, ceux qui ont la possibilité de s’inscrire dans une commune en France auront toujours une sépulture de droit dans un cimetière communal. Cette disposition mérite d’être saluée.
Puisqu’il me reste un peu de temps de parole, je précise qu’il peut être utile de disposer d’une inscription en France lorsqu’on réside à l’étranger. Hors de France, le bureau de vote est parfois à des centaines, voire à des milliers de kilomètres de votre lieu de résidence.
En pareil cas, on ne connaît pas nécessairement une personne de confiance à qui donner procuration.
Aussi, il est parfois plus tranquillisant, plus sûr de voter en France. Il est donc utile de préserver cette possibilité.
Bien sûr, il existe le vote électronique, mais ce dernier n’est possible que pour les élections consulaires et les élections législatives. Pour un certain nombre de scrutins, en particulier l’élection présidentielle, il faut donc aller jusqu’au bureau de vote.
Je le répète, ce déplacement est parfois très long. Il représente parfois des centaines de kilomètres. Au surplus, il faut tenir compte des situations locales particulières : au Caire, on travaille le dimanche. J’ajoute qu’il n’est pas toujours facile de traverser cette grande agglomération. Même si le bureau de vote est dans la ville où vous résidez, il peut être situé à des heures de route de votre logement.
Bien sûr, cette réforme constituera une révolution pour les Français de l’étranger. Pour certains d’entre eux, elle sera douloureuse. Toutefois, pour l’ensemble des raisons que j’ai indiquées, il me semble nécessaire d’aller dans ce sens : c’est celui de la clarification et de la simplification. En procédant ainsi, nous irons donc vers plus de démocratie.
M. le rapporteur propose de repousser d’un an la mise en œuvre de ces mesures. Nous pourrons en débattre.
Cela étant, cette réforme permet de moderniser les listes électorales. Les citoyens mobiles au cours de l’année ne seront plus handicapés dans l’exercice de leur droit de vote. Voilà pourquoi il faut, à mon sens, soutenir ces trois propositions de loi avec les améliorations apportées par M. le rapporteur, excepté quelques-unes dont nous débattrons.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. le rapporteur et Mme Ester Benbassa applaudissent également.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui trois propositions de loi relatives aux modalités d’inscription sur les listes électorales, déposées par nos collègues députés Élisabeth Pochon et Jean-Luc Warsmann et adoptées par l’Assemblée nationale le 31 mai dernier.
Ces trois textes font suite au rapport d’information intitulé Mieux établir les listes électorales pour revitaliser la démocratie. Publié par les auteurs de ces propositions de loi en décembre 2014, ce rapport constatait notamment que « près de 9, 5 millions d’électeurs sont mal inscrits ou non inscrits sur les listes électorales » et que « l’éloignement entre la date de clôture d’inscription sur les listes électorales et la date du scrutin est préjudiciable à l’implication des citoyens dans le processus électoral ».
L’enjeu est bien sûr de taille puisqu’il s’agit, dans un processus transpartisan, de lutter contre l’abstention et d’encourager nos concitoyens à reprendre le chemin des urnes.
Rappelons qu’en mars 2015, au lendemain du second tour des élections départementales, le constat fut frappant : près de 50 % des électeurs ne s’étaient pas déplacés.
Si le second tour des élections régionales de décembre 2015 a vu le taux d’abstention abaissé à 41, 59 %, il n’en reste pas moins que la crise démocratique que connaît notre pays, non seulement perdure, mais aussi s’accentue.
Dès lors, il est de notre devoir de législateur de réfléchir aux causes institutionnelles de l’abstention et d’y apporter des réponses concrètes. À ce titre, les principales mesures contenues dans ces propositions de loi sont nécessaires, et les membres du groupe écologiste les voteront.
Ainsi, la possibilité pour tout électeur de s’inscrire jusqu’à trente jours avant l’élection et l’abandon de la révision annuelle des listes électorales sont de bonnes choses, à l’instar de l’extension des inscriptions d’office aux citoyens naturalisés.
Nous approuvons également la création d’un répertoire électoral unique tenu par l’INSEE, dont chaque liste communale ou consulaire serait un extrait.
Toutefois, à quelques mois d’échéances électorales majeures pour notre pays, nous ne pouvons pas nous contenter de ces mesures, qui, si elles sont nécessaires, sont loin d’être suffisantes. Qui sur les travées de cet hémicycle peut considérer de bonne foi que, si nos concitoyens s’abstiennent dans des proportions toujours plus grandes, c’est uniquement parce qu’ils ont des difficultés à s’inscrire sur les listes électorales ?
Il est urgent de réfléchir aux causes politiques de cette abstention massive. Ces causes, me semble-t-il, sont multiples, et il serait plus juste de parler « des abstentions ». Il existe en effet une abstention liée au scrutin : l’élection présidentielle, par exemple, bénéficie toujours d’une forte participation, tandis qu’en la matière les élections européennes battent tous les records. Seuls 40 % à 45 % des électeurs ont fait valoir leur voix lors des échéances de 2009 et 2014.
Comme le soulignent Cécile Braconnier et Jean-Yves Dormagen, professeurs de science politique, ne pas voter obéit également à de forts déterminismes sociaux constants dans le temps, en premier lieu l’âge, en particulier lors des scrutins locaux.
« Contrairement aux jeunes, les seniors demeurent très mobilisés. La comparaison des taux de participation par tranches d’âge établie par l’Institut national de la statistique et des études économiques révèle des écarts d’une amplitude considérable : seuls 41, 2 % des 18-24 ans se sont rendus aux urnes aux municipales de 2008, contre 80, 2 % des 50-64 ans. En proportion, les seniors votent donc presque deux fois plus que les jeunes. »
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La sagesse de l’âge, sans doute !
Sourires.
La perception qu’ont les électeurs de l’offre politique est sans doute elle aussi un puissant facteur d’abstention.
Si l’on considère que les différences entre les programmes politiques s’amenuisent de plus en plus, que l’alternance n’est plus que symbolique, pourquoi prendre la peine de se déplacer ? Je vous le demande !
Nous ne pouvons plus éluder toutes ces questions. Le mouvement Nuit debout est venu nous rappeler que la mobilisation politique est bien vivante dans notre pays, mais que nos institutions sont peut-être à bout de souffle.
La rénovation des modalités d’inscription sur les listes électorales est une mesure importante ; celle des institutions de la Ve République est tout à fait urgente et nécessaire !
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme Hélène Conway-Mouret et M. Christian Favier applaudissent également.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les trois textes que nous examinons aujourd’hui, s’ils ont une assez faible portée symbolique, seront en revanche, je le crois, d’une grande utilité pratique pour l’ensemble de nos concitoyens dans l’exercice de leur droit de vote.
La création d’un répertoire électoral unique et permanent permettant une demande d’inscription au plus tard trente jours avant la date du scrutin constitue une avancée indéniable, à condition bien entendu que les communes bénéficient des moyens nécessaires.
Au fil des ans, nous avons déjà adopté différents textes législatifs pour faciliter l’inscription sur les listes électorales des jeunes Français atteignant la majorité, ou encore des personnes sans domicile fixe ou incarcérées. Cependant, une part incompressible de citoyens non inscrits résiste. On l’estime à 7 % environ des Français en âge de voter, soit environ 3, 5 millions de personnes.
Plus grande encore est la part des « mal-inscrits », qui représentent 6, 5 millions de personnes. Ce sont ceux de nos concitoyens inscrits sur une liste électorale qui ne correspond pas à leur domiciliation effective. Ce phénomène, difficile à évaluer, affaiblit considérablement le principe de représentativité.
« Dans la démocratie, chaque génération est un peuple nouveau », écrivait Tocqueville : à nous de nous assurer que les jeunes électeurs prennent le chemin des urnes. Il y va de la force du principe du gouvernement représentatif, qui est au fondement même de notre démocratie. Il y va donc également du bon fonctionnement de nos institutions. Quoi que l’on dise, on n’a pas trouvé mieux que la démocratie représentative, tant la démocratie directe, dont l’exemple a été précédemment vanté, peut être source de démagogie et de dérives populistes.
Aujourd’hui, les plus jeunes de nos concitoyens sont les premiers concernés par la mal-inscription, en raison de la mobilité géographique liée à leurs études, puis à leur insertion professionnelle. Nombreux sont ceux qui, une fois installés dans la vie, tardent à régulariser leur situation électorale, qui se stabilise souvent un peu après leur situation matrimoniale, et ne peuvent prendre part aux élections locales qui les concernent, c’est-à-dire à l’endroit où ils résident. Le répertoire numérique unique permettra donc d’adapter utilement notre système électoral à la mobilité géographique en exploitant mieux les technologies actuelles.
L’issue de la phase de transition a été portée à 2019 sur l’initiative de notre excellent rapporteur Pierre-Yves Collombat, qui, dans l’examen de ce texte, a apporté son expérience d’élu local. Profitons-en, tant qu’il en reste au sein de la Haute Assemblée… Ce report devrait laisser aux communes et à l’INSEE un laps de temps raisonnable pour s’adapter à ces nouvelles exigences.
Le remplacement des commissions électorales par des commissions de contrôle ainsi que l’introduction d’un recours préalable obligatoire devant elles, mesures proposées très justement, elles aussi par M. le rapporteur, permettront de désengorger l’office du juge des élections. La sincérité du scrutin s’en trouvera d’autant plus renforcée.
Certains considèrent qu’une plus grande liberté devrait être accordée aux citoyens pour voter dans leur ville d’origine, ce qui est déjà possible s’ils y possèdent un bien ou y acquittent une imposition. Il est vrai que, pour quelques-uns de nos concitoyens, les périodes de scrutin sont aussi l’occasion d’un bref retour au pays natal, de retrouvailles et d’échanges autour de grandes tablées familiales.
Mes chers collègues, faut-il pour autant faire du vote un vecteur d’identités, en une période où les questions identitaires accaparent déjà trop le débat public ? Notre puissant attachement à la République nous conduit à refuser tout autre facteur d’identification et de cohésion que l’idéal républicain. Chaque citoyen doit être incité à prendre une part active à la vie de la cité où il réside, et non pas à celles où il est né ou où il a grandi, même si le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas.
Sourires.
Plusieurs membres de la Haute Assemblée voudraient aller plus loin, en abaissant l’âge de bénéfice du droit de vote ou en rendant celui-ci obligatoire. Il me semble que de telles dispositions mériteraient un débat spécifique. Elles dépassent le cadre d’une discussion relative aux modalités d’inscription sur les listes électorales.
Pour l’heure, les membres du groupe du RDSE apporteront leur soutien à ces trois propositions de loi.
Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain. – M. Henri Tandonnet applaudit également.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le droit de vote est un acquis constitutionnel précieux. Il s’agit du fondement de notre démocratie et de la base de notre légitimité d’élus. Toutefois, il est apparu – cela n’est pas un phénomène nouveau ou isolé – que le régime de la tenue de nos listes électorales n’était plus adapté au rythme de la vie moderne et qu’il en résultait un grave problème démocratique.
La série de propositions de loi soumises à notre examen procède de l’initiative transpartisane de nos collègues députés Pochon et Warsmann. Ces derniers ont cherché à construire un large consensus autour de leurs trois textes et avec l’aide du Gouvernement. Je ne reviendrai pas sur les contours généraux de ce dispositif : ils ont déjà été détaillés. Je préfère relever devant vous les obstacles qui demeurent.
En tant qu’élue de Polynésie, je peux rendre compte du fait qu’une vaste consultation a été organisée dans notre territoire sur ce sujet. Les maires de Polynésie ainsi que les délégués du syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française ont émis un avis favorable de principe sur l’initiative de nos collègues députés. Toutefois, au regard des spécificités géographiques de la Polynésie, nous avons souhaité qu’un groupe de travail soit réuni pour approfondir cette première analyse.
Nos communes sont parfois morcelées en plusieurs îles souvent distantes de plusieurs heures de bateau. Toutes n’ont pas de connexion internet et la communication peut donc être difficile.
Dans l’ensemble, de simples ajustements techniques locaux peuvent suffire à une application effective de ces dispositions. Néanmoins, le délai d’inscription de trente jours avant le scrutin poserait d’importants problèmes d’application en Polynésie. En effet, les modalités d’organisation du scrutin sont plus complexes dans certaines de nos communes, du fait de la distance et du mode de communication entre les îles. De même, lors de certaines années électorales, les scrutins se suivent dans des délais parfois très rapprochés.
En l’espèce, si le présent texte venait à s’appliquer tel quel en Polynésie, nous pourrions connaître un important contentieux électoral : certains services communaux pourraient ne pas avoir les moyens de poursuivre l’inscription sur les listes entre le scrutin présidentiel et les élections législatives. Dès lors, des électeurs pourraient ne pas être inscrits et voir ainsi leur droit de vote nié du fait d’un pur problème logistique. Ce n’est démocratiquement pas acceptable, et un tel problème ne pourrait qu’alimenter la contestation des résultats du scrutin.
Mes chers collègues, je vous présenterai dans la suite du débat un amendement sur ce sujet qui nous tient particulièrement à cœur en Polynésie française. Notre proposition permettra de résoudre cette difficulté, tout en respectant l’esprit de consensus qui a présidé à l’élaboration de ces textes de loi comme au travail de M. le rapporteur.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains, du RDSE et du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les trois propositions de loi soumises à notre examen illustrent la volonté exprimée par le Gouvernement de simplifier et de moderniser les procédures administratives. Elles peuvent se résumer ainsi : plus de clarté, des contrôles et des recours mieux définis, une inscription facilitée, et la nouvelle réalité du monde dans lequel la mobilité est l’affaire de tous enfin prise en compte.
Un sursaut était nécessaire. Scrutin après scrutin, nous assistons à la progression inexorable du taux d’abstention. C’est la vie démocratique de notre pays qui est menacée.
Ainsi, le taux d’abstention en France croît quelle que soit l’élection. Il était de près de 20 % lors de l’élection présidentielle de 2012. Il atteignait 50 % lors du premier tour des élections régionales de décembre dernier. Ces chiffres s’entendent comme un taux d’abstention portant sur l’ensemble des inscrits. Il se rapporte donc aux 45 millions de Français inscrits sur les listes électorales.
À cet égard, il convient de rappeler que, si l’inscription est obligatoire, comme l’affirme l’article L. 9 du code électoral, aucune sanction n’est prévue pour les non-inscrits. Or ces derniers sont au nombre de trois millions, qui ne peuvent exercer leur droit de vote ou refusent de le faire.
J’ajoute que, sur ces 45 millions de Français, 6, 5 millions sont inscrits dans un bureau de vote qui ne correspond plus à leur lieu de résidence actuel.
De plus, en 2007 comme en 2012, entre 20 000 et 25 000 de nos concitoyens inscrits sur les listes électorales consulaires qui étaient rentrés en France n’ont pas pu voter, au motif qu’ils étaient inscrits comme votants à l’étranger sur la liste d’émargement de leur commune.
L’éloignement des Français du processus électoral, que nous déplorons unanimement, s’explique non seulement par un désintérêt pour la chose publique, mais aussi par des raisons techniques qu’il nous appartient de résoudre. Je me félicite donc que ces textes s’emploient à encourager la participation électorale des citoyens. C’est une réforme qui va dans le bon sens, puisqu’elle facilite les conditions d’accès au scrutin.
Je ne reviendrai pas en détail sur les modifications déjà présentées par les précédents orateurs. Mon propos complétera celui de mon collègue Jean-Yves Leconte.
À l’instar de Christophe-André Frassa, je souhaite saisir l’occasion de notre discussion pour évoquer le lien très particulier de la communauté française résidant hors de France avec la nation. En effet, les Français vivant à l’étranger sont eux aussi directement concernés par les textes que nous étudions ce soir.
À l’heure actuelle, 1, 7 million de Français à l’étranger sont inscrits au registre auprès de nos consulats. Ils effectuent souvent cette démarche dès leur arrivée dans leur pays de résidence, ce qui démontre leur volonté de ne pas couper le lien avec la France. Dans d’autres cas, ils s’inscrivent après plusieurs années, précisément pour retrouver ce lien.
L’inscription au registre entraîne l’inscription automatique sur les listes électorales consulaires, qui leur permet de prendre part aux élections nationales françaises, d’élire, depuis 2008, leurs députés et, depuis 2014, leurs représentants de proximité : les conseillers consulaires.
Nos compatriotes vivant à l’étranger sont très attachés à la possibilité qui leur est offerte de continuer à exercer leur citoyenneté malgré l’éloignement géographique. Pour eux, le droit de vote est un moyen de demeurer inclus dans la communauté nationale. Pour certains, il marque l’appartenance à la nation ; pour d’autres, il exprime simplement l’attachement à la France. D’après une étude menée en 2015 par l’IPSOS auprès des Français de l’étranger, 90 % des sondés déclaraient que cette démarche était importante ; 59 % la jugeaient même très importante.
Cette citoyenneté qu’exprime le droit de vote a cependant trouvé, à l’étranger, à s’enrichir d’une nouvelle représentation.
En 2013, la réforme de la représentation politique des Français de l’étranger, que j’ai conduite, a permis la création de conseils consulaires.
Les 442 conseillers consulaires élus au suffrage universel direct pour six ans jouent un rôle essentiel dans la représentation politique locale de nos communautés. Ils sont également des représentants de notre diplomatie d’influence par les relations qu’ils entretiennent avec les autorités locales. Comme tout élu, ils sont avant tout au service de nos concitoyens. Ils participent à la mise en place des politiques publiques. Ils contribuent également à ce que l’action de la France soit mieux comprise, mieux relayée auprès des opinions publiques. En un mot, ils repoussent nos frontières et font vivre la démocratie de proximité.
La création de cette représentation politique s’est également accompagnée d’importants efforts de la part de la direction des Français de l’étranger. Le but était de pallier le déficit de participation lié à l’éloignement géographique entre les personnes et les bureaux de vote, à l’absence de propagande électorale et parfois au choix d’une immersion totale de nos ressortissants dans leur pays de résidence.
La multiplication des bureaux de vote et l’introduction du vote électronique pour les élections législatives et consulaires ont enrayé la chute graduelle de participation enregistrée au fil des scrutins.
À mon sens, la clôture des listes électorales trente jours avant le scrutin sera un véritable défi pour l’Assemblée des Français de l’étranger.
Depuis quelques jours, l’inscription est facilitée par un accès à ses données personnelles en ligne. Je saisis cette occasion pour souligner la grande qualité du travail de simplification et de dématérialisation engagé par le Gouvernement, en particulier par Mme la secrétaire d’État.
La représentation politique des Français établis hors de France satisfait donc à un double principe de proximité et de représentativité qui contribuera, je l’espère, dans les années à venir, à faire progresser le taux de participation à l’ensemble des scrutins auxquels les Français à l’étranger prennent part.
Mes chers collègues, je l’affirme une nouvelle fois : les Français de l’étranger sont des Français à part entière. Ils n’ont pas plus mais pas moins de droits que les Français de l’Hexagone. Il convient donc de les faire bénéficier des mêmes modalités électorales.
Je ne doute pas que nos débats nous permettront d’améliorer encore les textes qui nous sont soumis. Pour ma part, je soutiendrai ces propositions de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux et M. le rapporteur applaudissent également.
La discussion générale commune est close.
Nous passons à la discussion, dans le texte de la commission, de la proposition de loi rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales.
TITRE Ier
DISPOSITIONS RELATIVES AU RÉPERTOIRE ÉLECTORAL UNIQUE ET AUX LISTES ÉLECTORALES
L'amendement n° 11 rectifié bis, présenté par M. Grand, Mme Lamure, M. Pointereau, Mme Giudicelli et MM. Houel, Joyandet, Charon, Raison et Panunzi, est ainsi libellé :
Avant le titre Ier (dispositions relatives au répertoire électoral unique et aux listes électorales)
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code électoral est ainsi modifié :
1° À l’article L. 1, les mots : « et universel » sont remplacés par les mots : «, universel et obligatoire » ;
2° Après l’article L. 1, il est inséré un article L. 1-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1 - … – Les motifs d’exemption de vote doivent être liés à une obligation soudaine et incontournable.
« Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article. »
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
Le présent amendement tend à rendre le vote obligatoire. Cette mesure va de pair avec la reconnaissance du vote blanc comme suffrage exprimé, disposition que je défendrai dans la suite de nos débats.
Dans une démocratie moderne, le vote obligatoire pourrait être un moyen de sensibiliser nos concitoyens, de les inciter à se rendre aux urnes. Est-ce normal qu’un député ait été élu il y a quelques jours, même s’il est de ma famille politique, avec une participation de 20 % du corps électoral ? Cela pose un problème !
Nous avons tenu un discours voilà quelque temps sur la représentativité syndicale. Le débat était recevable. Il faut transposer le raisonnement à la représentativité politique.
La démocratie, en France comme dans d’autres pays, est le fruit d’une longue histoire, parfois douloureuse ; il faut avoir le courage de le dire. Elle a bien souvent été conquise au péril de nombreuses vies. Je suis donc très attaché à ce que le droit de vote s’accompagne de l’obligation, pour chaque citoyen, de se rendre aux urnes.
Je voudrais en préambule présenter brièvement la façon dont j’ai abordé ce texte, ce qui expliquera aussi, pour l’essentiel, la position de la commission sur les amendements.
Mon intention est que nous parvenions à élaborer un texte qui puisse être adopté par la commission mixte paritaire, non parce que je suis un adepte du consensus, je crois l’avoir montré, notamment l’année dernière, mais parce que l’essentiel du contenu de ce texte est bon ; tous les orateurs l’ont souligné. Nous avons donc tout intérêt à ce qu’il passe malgré les difficultés.
Si je tiens à ce que les observations essentielles du Sénat puissent être prises en compte, c’est aussi parce que je souhaite que cette loi ne crée pas de rejet dans les communes. Les dispositions nouvelles que j’ai proposées visent précisément à éviter ces réactions qui aboutiraient à des effets contraires.
Souhaitant que nous parvenions à un accord avec nos collègues députés, j’ai émis un avis défavorable sur tous les amendements qui n’étaient pas en rapport immédiat avec le texte.
Sur le fond, personnellement, je ne pense pas que le fait de transformer le droit de vote en obligation soit une bonne chose. Si les gens ne veulent pas voter, pourquoi les y obliger ? Accessoirement, aucune pénalité n’étant prévue pour faire appliquer cette disposition, cela ne me paraît pas une bonne idée.
Pour les raisons que je viens d’évoquer, l’avis de la commission est défavorable.
Même avis défavorable.
Cet amendement vise à ouvrir le débat. La question n’est pas anodine : à partir de quel seuil de votants devient-on légitime ? Recueillir 50 % de 20 % de votants permet certes d’être légalement élu, mais est-on légitime ?
Nous y reviendrons très certainement. J’imagine que les futurs candidats à l’élection présidentielle auront des idées sur le sujet. En attendant, je retire l’amendement.
L'amendement n° 11 rectifié bis est retiré.
L'amendement n° 17, présenté par Mme Bouchoux, est ainsi libellé :
Avant le titre Ier
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À l’article L. 2 du code électoral, le mot : « dix-huit » est remplacé par le mot : « seize ».
La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Il s’agit d’un amendement d’appel que j’ai déposé après avoir suivi de nombreux conseils municipaux de jeunes.
Les jeunes de seize et dix-sept ans ont obtenu, au fil des années, l’accès à de nombreux droits très divers. Ils peuvent ainsi travailler, conduire via la conduite accompagnée ou encore payer par carte bancaire – la liste n’est pas exhaustive. Divers leviers ont contribué à développer leur expérience de la citoyenneté. Ils peuvent être, et c’est heureux, délégué de classe ou membre d’un conseil municipal de jeunes, voire d’autres conseils. En leur ouvrant ces droits, nous les considérons comme des citoyens en devenir, et ce beaucoup plus précocement qu’il n’était d’usage autrefois. Leur participation au débat citoyen prouve qu’ils ne sont nullement désintéressés des débats qui animent le pays et que leur conscience politique est réelle.
Cette autonomisation des jeunes allant crescendo, la question de la remise en cause de l’âge du droit de vote mérite d’être posée. L’abaissement à seize ans de la faculté de voter pour certaines élections a déjà été expérimenté en Suisse et en Allemagne, pour ne citer que des pays voisins. L’Autriche, pionnière en la matière, permet à ses jeunes de voter dès seize ans à toutes les élections.
Cette mesure permet - c’est en tout cas ce que disent ceux qui l’ont expérimentée - de lutter contre l’abstentionnisme en mobilisant de façon précoce des électeurs qui s’intéressent à la vie publique, parce que c’est quelque chose de neuf. Elle doit évidemment être assortie d’une réelle volonté d’éduquer les plus jeunes à la citoyenneté, au débat d’idées et au bien commun. N’oublions pas non plus de les accompagner afin qu’ils puissent construire et développer leur intérêt pour la chose publique sous toutes ses formes.
Aussi, comme je l’ai annoncé à mes jeunes interlocuteurs, je propose qu’a minima une étude de faisabilité suivie d’une éventuelle expérimentation soit engagée afin d’étudier les possibilités ouvertes par ce droit de vote élargi aux jeunes de seize et dix-sept ans.
Quant aux jeunes eux-mêmes, doutant de leur capacité à choisir, faisons leur confiance ! Mes chers collègues, je vous rappelle qu’ici même on craignait jadis que les femmes ne votent comme leur mari. Eh bien, ne craignons pas forcément que les jeunes ne votent comme leurs parents ! Essayons de répondre à la crise de confiance, ma collègue Esther Benbassa l’a souligné, par le pari de la jeunesse. Comme le disaient Daniel Cordier ou Lucie Aubrac, en 1939, on n’a pas demandé leur âge aux plus jeunes résistants. Il est heureux que les lycéens de Buffon se soient engagés ! Si les jeunes sont capables de s’engager, pourquoi ne pas leur permettre de voter ?
L’avis de la commission est défavorable, pour les mêmes raisons que précédemment.
De plus, je crains que cette mesure ne permette pas de lutter contre l’abstention, puisque les jeunes votent encore moins que les vieux. Le taux d’abstention serait donc supérieur.
Quant aux vertus de l’éducation, si c’était une façon efficace de procéder, ça se saurait depuis un certain temps…
Le Gouvernement émet un avis défavorable, même s’il comprend complètement la logique de votre argumentation, madame la sénatrice. Je crois d’ailleurs pouvoir dire sans trop m’avancer que votre point de vue est de plus en plus partagé dans la société française. En tout cas, l’idée commence à se développer ici et là.
Pour autant, l’article 3 de la Constitution définit les conditions du droit de vote. Par conséquent, si vous souhaitez déconnecter l’âge du droit de vote de la majorité civile, il faut modifier la Constitution. Dans ces conditions, vous comprendrez que nous ne puissions pas donner un avis favorable à votre amendement.
J’ai bien compris qu’il s’agissait d’un amendement appelant à ouvrir le débat et à poursuivre la discussion dans le débat public, sans doute à l’occasion de prochaines échéances.
Monsieur le rapporteur, madame la secrétaire d’État, je vous ai bien entendus ; les jeunes qui regardent notre séance nous ont également compris. Je vous remercie d’avoir pris en compte la question. Nous y reviendrons ultérieurement, à travers d’autres véhicules, pour que le débat soit posé. En attendant, je retire l’amendement.
L'amendement n° 17 est retiré.
L'amendement n° 12 rectifié bis, présenté par M. Grand, Mmes Garriaud-Maylam, Lamure et Giudicelli, MM. Houel, Joyandet, Charon, Perrin, Raison et Laufoaulu, Mme Micouleau, M. Chaize, Mme M. Mercier et M. Panunzi, est ainsi libellé :
Avant le titre Ier (dispositions relatives au répertoire électoral unique et aux listes électorales)
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’avant-dernière phrase du troisième alinéa de l’article L. 65 du code électoral est ainsi modifiée :
1° Les mots : « n’entrent pas » sont remplacés par le mot : « entrent » ;
2° Les mots : «, mais il en est fait spécialement mention dans les résultats des scrutins » sont remplacés par les mots : « et leur nombre est mentionné lors de la proclamation des résultats ».
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
Cet amendement tend à reconnaître le vote blanc comme suffrage exprimé. La loi du 21 février 2014 visant à reconnaître le vote blanc aux élections présentée par votre majorité, madame la secrétaire d'État, ne permet pas de comptabiliser celui-ci en tant que suffrage exprimé.
Je suis très attaché à cet amendement – j’avais déposé une proposition de loi allant en ce sens en tant que député, j’y reviens comme sénateur –, car je pense qu’une partie du vote refuge aujourd'hui est l’extrémisme. Si, demain, des citoyens constatent qu’en votant blanc ils ne permettent pas à M. Dupont ou à Mme Durand d’être élus au premier tour, qu’il faut un second tour et que leur vote est identifié, ils n’iront pas s’égayer à l’extrême droite ou à l’extrême gauche et resteront dans les rails. Voilà pourquoi je demande à notre assemblée de réfléchir à l’impact politique de la prise en compte du vote blanc comme suffrage exprimé.
Parmi les électeurs qui votent pour les extrêmes que j’ai interrogés, nombreux sont ceux qui m’ont dit ne pas savoir que faire d’autre. Ils constatent au dépouillement que le vote blanc n’est pas comptabilisé. Si, demain, ils savent qu’ils feront partie des 17, 4 % de gens qui n’auront pas voulu élire M. Dupont ou Mme Durand, ils se reconnaîtront dans le suffrage universel. Sinon, ils resteront chez eux ou iront voter le plus souvent pour les extrêmes, parce que leur seul moyen de marquer leur différence est le vote violent.
Mes chers collègues, j’en appelle à votre sagesse sur cet amendement, qui me semble nécessaire par les temps qui courent.
Outre les raisons que j’ai déjà exposées pour motiver l’avis défavorable de la commission, je ferai observer que nous aurions besoin au minimum d’une étude d’impact sur les effets de cette disposition. La comptabilisation du vote blanc permettrait peut-être d’éviter que des gens ne soient élus au premier tour, encore qu’il existe des conditions de participation… Quoi qu’il en soit, que se passera-t-il au deuxième tour si l’on constate que l’élu l’a été avec 3 % des voix ? On recommence l’élection ?
Vous dites que le vote blanc permet de montrer son désaccord sans peut-être voter pour les extrêmes. Ce n’est pas si sûr, car, souvent, et je n’engage que moi en disant ça, les gens ne votent pas parce qu’ils ont l’impression que le résultat final sera le même qu’ils votent pour Pierre, Jacques ou Antoine. Le problème est celui des candidatures et des politiques qui sont suivies.
En tout cas, le sujet mérite une véritable étude de fond. À ce stade, la commission a émis un avis défavorable.
Le Gouvernement a émis un avis défavorable pour deux raisons.
D’une part, ce sujet n’a pas de lien direct avec le texte que nous examinons.
D’autre part, une avancée importante a été réalisée avec la loi du 21 février 2014. Le vote blanc est un sujet récurrent dans le débat public, mais il est maintenant comptabilisé séparément ; il apparaît, il est mis en valeur. Nous pensons qu’il n’est pas utile d’aller plus loin à ce stade.
Madame la secrétaire d’État, le fait de comptabiliser 594 votes blancs dans une commune n’a aucun effet pour l’électeur. Une personne vote blanc, parce qu’elle n’a pas envie de voter pour vous ou pour moi. Si nous ne sommes que deux candidats, l’un de nous deux sera forcément élu au premier tour. En revanche, si l’on tient compte des 30 % de votes blancs au premier tour, nous nous retrouverons au second tour, et les électeurs ayant voté blanc auront le sentiment d’avoir un rôle dans la démocratie. La loi de 2014 comptabilise simplement le vote blanc, ce n’est pas ce qu’attendent les gens. C’est une loi sympathique, mais qui ne va pas assez loin.
Aujourd'hui, il faut franchir un pas. Le vote blanc concourt à la vraie démocratie puisque toutes les sensibilités, y compris le fait de ne pas voter pour des candidats qui ne conviennent pas aux citoyens, sont prises en compte.
Imaginez l’élection présidentielle : je ne citerai pas de nom, mais cela ferait plaisir aux gens de pouvoir voter blanc et qu’un beau chiffre s’inscrive sur leur téléviseur au journal de 20 heures ! Moi, cela me plairait beaucoup.
Cet amendement soulève un réel problème. En effet, la loi de février 2014 permet de comptabiliser le vote blanc, mais elle ne va pas plus loin.
L’amendement proposé par notre collègue a du sens. Son dispositif peut donner davantage envie de voter, alors que nous regrettons souvent l’importance de l’abstention, qui est un vrai problème dans notre démocratie, aux élections locales comme aux élections nationales.
Si je peux comprendre l’avis qu’a émis le rapporteur, au nom de la commission des lois, j’estime qu’il faut prendre le recul nécessaire, raison pour laquelle je soutiendrai cet amendement.
Votre amendement, mon cher collègue, est assez cohérent avec l’amendement tendant à rendre le vote obligatoire que vous avez présenté, puis retiré tout à l'heure, même s’il peut aussi être discuté indépendamment de celui-ci.
Nous avons déjà beaucoup débattu du vote blanc.
Si je souscris largement à ce qu’a dit notre collègue Esther Benbassa, qui a élargi le débat au-delà de la seule question des listes électorales, sur la crise du politique, il est vrai qu’il faut se demander comment faire en sorte que les choix opérés au moment des élections puissent réellement changer la vie. Les électeurs doivent avoir le sentiment qu’ils peuvent peser sur leur environnement par leur vote. Ce n’est pas le cas actuellement, et c’est ce qui explique la crise de crédibilité de la vie politique.
Cependant, je ne pense pas que nous pourrons changer vraiment les choses en rendant le vote obligatoire ou en reconnaissant le vote blanc. J’estime, au contraire, que, en leur laissant le choix entre une solution A, une solution B et le vote blanc, on demande surtout aux électeurs d’exprimer leurs états d’âme. Or s’ils ont préféré le vote blanc à l’expression d’un choix, l’une des deux solutions proposées s’imposera finalement à eux !
Par conséquent, je crois qu’il vaut mieux demander aux électeurs de choisir entre une solution A et une solution B. S’ils ne choisissent pas, ce sont les autres qui choisiront pour eux. Il importe vraiment de ne pas confondre une élection et l’expression d’états d’âme.
Cela dit, toute la réflexion sur la manière de faire évoluer les institutions de façon à mieux répondre aux attentes des citoyens est légitime. Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet…
Quoi qu’il en soit, je ne crois vraiment pas que votre système constitue une solution. Il permettra simplement de cacher le malaise.
Je soutiendrai l’amendement de mon collègue Jean-Pierre Grand, qui met le doigt sur un problème essentiel : l’adhésion à notre système démocratique.
Nous devons soutenir la participation, en particulier des jeunes générations, en l’encourageant. À cet égard, la reconnaissance du vote blanc est un élément déterminant.
Bien évidemment, l’amendement n’est pas parfait : on ne peut pas institutionnaliser la reconnaissance du vote blanc sans travailler davantage sur la question, sans mesurer effectivement ses effets. Que faire, par exemple, s’il y a plus de 50 % de votes blancs ? Dans un article, j’avais suggéré une réponse à cette question voilà quelques mois – je n’en parlerai pas aujourd'hui, car cela impliquerait que nous discutions de beaucoup d’éléments.
En tout état de cause, je crois vraiment que la question de la reconnaissance du vote blanc est un sujet essentiel. Dès lors, j’appelle mes collègues à voter pour cet amendement.
Chers collègues, je voudrais vraiment appeler votre attention sur les effets qu’aurait l’adoption de cet amendement.
D’abord, sur le plan technique : il faudrait reconsidérer la plupart des seuils.
Ensuite, alors que notre objectif est d’améliorer l’image de la démocratie représentative, imaginez les réactions que pourrait susciter l’élection d’une personne n’ayant recueilli que 12 %, voire 3 % des voix…
Pour reprendre ce qu’a dit Jean-Yves Leconte, il s'agit de désigner des élus. Il ne s'agit pas de se faire plaisir. Réfléchissez bien à ce que ça veut dire !
Cher collègue Jean-Pierre Grand, ce n’est pas moi qui dirai que le fonctionnement de notre démocratie ne pose pas de problèmes, mais je considère que ce n’est pas avec de telles mesures techniques qu’on les réglera.
Franchement, il ne faudrait pas, pour une manifestation affective, même très légitime, amoindrir encore le caractère représentatif et la valeur de ceux qui seront élus.
Au demeurant, que chacun vote en son âme et conscience !
Je souhaite ajouter un élément au débat.
Aller plus loin que ce que prévoit la loi du 21 février 2014, comme vous le souhaitez, monsieur Grand, en comptabilisant les votes blancs parmi les suffrages exprimés, aurait pour conséquence de rendre plus difficile à atteindre le seuil de 5 % dans les scrutins à la proportionnelle. Par conséquent, les formations politiques minoritaires, celles qui recueillent le moins de voix, auraient un accès moins aisé à l’élection qu’actuellement – peut-être même n’y auraient-elles plus accès du tout.
Cette hypothèse est-elle souhaitable quand on sait que la proportionnelle vise justement à permettre à un plus grand nombre de sensibilités politiques d’être représentées ? Certaines seraient de fait éliminées par la reconnaissance du vote blanc, qui, par définition, n’a pas de candidat pour le représenter.
Cela porterait atteinte à la représentation de la diversité politique qui s’exprime dans notre pays à l’occasion des suffrages pour lesquels la proportionnelle est en vigueur ainsi qu’à la représentation de la diversité des points de vue. Cette limite me semblait devoir être citée.
La différenciation entre votes blancs et votes nuls qui existe depuis quelques années n’a, semble-t-il, rien changé : on constate que la somme des votes blancs et nuls n’est pas plus élevée qu’auparavant. Ce décompte séparé n’a donc rien apporté.
En revanche, je crains que l’adoption de la proposition de notre collègue ne produise l’effet que vient d’expliquer Mme la secrétaire d'État : des candidats pourraient être déclarés élus alors qu’ils sont arrivés en deuxième position, derrière « M. Blanc ».
Les électeurs ont tendance à moins voter qu’il y a une vingtaine d’années. Nous entendons déjà parfois dire que tel ou tel élu n’est pas très légitime, parce qu’il n'a finalement recueilli que 30 % ou 40 % des votes. Si l’on prend en compte les bulletins blancs pour la détermination des suffrages exprimés, on affaiblira encore la légitimité de celui qui est élu. Je ne suis pas sûr que l’on rendrait alors service à notre démocratie.
Il ne faut toucher aux règles existant en la matière qu’avec une grande prudence. En l’état actuel des choses, comme M. le rapporteur et Mme la secrétaire d'État, je m’oppose à cet amendement.
Rires.
L'amendement n'est pas adopté.
J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de modernisation du droit du travail n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt-et-une heures quarante, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.